lundi 28 septembre 2020

Richard Wagner peint par son écriture




Un chapitre extrait du Richard Wagner de Gabriel Bernard*

CHAPITRE V
WAGNER PEINT PAR SON ECRITURE

Adrien Varinard étudie Wagner dans une de ses lettres. — Passionnel. — Orgueilleux. — Une majuscule révélatrice. — Esprit agité, mobile, versatile. — Le raisonneur original. — L'imagier. — L’intuitif, — Traits secondaires. — Petits côtés.

   L'écriture de Wagner, comme celle de la plupart des grands hommes, a été traitée souvent par les ' graphologues, et avec un soin tout particulier. 
    Quelques jours après que Wagner fut mort, le petit journal spécial fondé par Michon, La Graphologie, publiait, dans son numéro du 1er mars 1883, un portrait graphologique très poussé du maître.
    C’était le successeur de Michon, Adrien Varinard, directeur et rédacteur de cette curieuse publication,
modestement présentée sous la forme de huit pages autographiées, qui s’était chargé d’interpréter une
lettre de Wagner.
   Voici ce que Adrien Varinard révèle cette lettre, qui lui avait été communiquée par M. Schwiedland, 
" jeune savant hongrois et graphologiste des plus distingués. "
   " Le premier mot suffirait presque à donner la ressemblance, tant le maestro est bien rendu par son
écriture. 
   Voyez ce grand L majuscule de Lieber qui dit l'orgueil, par sa hauteur exagérée ; qui dit encore orgueil, et cette fois orgueil par admiration en se redressant en quelque sorte sur ses pointes. De plus, il est très incliné de droite à gauche : signe d’impressionnabilité, de passion.
    Voilà donc une lettre qui classe, à elle seule, Wagner parmi les passionnels et les orgueilleux.
    L’i minuscule se redresse ; s'il était prolongé par le haut, il couperait le L au-dessous de la boucle.
   Le b est encore plus redressé : il est entièrement vertical, les deux dernières lettres reviennent à peu près au même degré d’inclinaison que l'i.
   Dans cette extrême variation du thermomètre à sensations, n'avons-nous pas, par analogie, la variabilité du climat du coeur passant sans transition de la chaleur caniculaire aux frimas de l'hiver ?
    L'esprit n'est pas mieux réglé que le coeur. La lettre e double presque en grandeur les autres lettres minuscules du mot Lieber, et le b, dont la partie inférieure devrait, selon les règles, atteindre le niveau des minuscules, est presque microscopique. .
    Nous savons que ces inégalités de niveau donnent un esprit agité, mobile, versatile. 
   Dans ce seul mot, nous avons le preuve d'une versatilité poussée jusqu'au névrosisme.
   Mais le raisonneur original, l'imagier, s'y révèle déjà par le point de l'i, qui se prolonge en se couchant presque horizontalement pour aller former la boucle de l'e. C’est une forme de déduction tout idéale. C'est la liaison des idées bien en vue, propre à beaucoup d'hommes de lettres habiles à décrire et à représenter les choses les plus simples sous des aspects saisissants et imprévus.
    L'originalité que nous venons de signaler reproduit à chaque instant dans l'autographe, d'une manière même beaucoup plus prononcée sur certains points.
    Dans la signature se développe avec plus d'ampleur une autre variété de ce signe : c’est la greffe du d de Richard avec le sommet du W de Wagner. L'i de Richard y est encore plus singulier ; le point, jeté haut, redescend en décrivant une première courbe vers la gauche, puis une seconde vers la droite. Ce n’est pas un point et un i : c’est une sorte d'S long comme un t ou un l. Comme pour entrer franchement en pleine bizarrerie, cet i devenu S enlève le c dessus de la ligne, semble se l'approprier, disons plutôt se l'annexer puisqu'il s'agit d'un Allemand qui n'était pas ami de la France ; et après se l'être annexé, il en fait une dépendance de l'h. 
   Nous venons de sortir de l'originale liaison des idées dans la sphère élevée propre à nombre d'écrivains ou d'artistes, pour tomber dans un idiotisme particulier à Richard. Wagner. Est-il besoin de rappeler que l'idiotisme est une combinaison scripturale particulière, personnelle, qui n’est autre chose que la manifestation par la plume d'une singularité essentiellement individuelle ? Nous avons bien dans cette manifestation un des traits saillants de ce compositeur sui generis, chef d'école sans maître et peut-être sans disciple, à la fois librettiste et musicien, et ne ressemblant jamais à personne d'autre qu'à lui-même.
    Était-il un artiste ? Question qu'on a posée bien des fois.
    Ses adorateurs faisaient de lui un dieu et ses contemporains un fou.
Artiste, il l'était. C'est incontestable. Demandons-le à ses courbes raphaélesques, par exemple dans le P de Pows, dans le R de Richard, le N de Namen et à l'F esthétique de Friske et autres.
    L'imagination, si précieuse pour un artiste, quand elle s'allie au sentiment de la forme, à la force créatrice et à la haute déduction, comme dans ce graphisme, ne fait pas non plus défaut ; au contraire, elle s'élance de chaque mot, dans les grandes hampes, les grandes courbes et les hardis traits de plume, surtout dans les deux premiers mots : « Lieber Freund », et dans la signature.
    L'intuition ou force créatrice apparaît dans la rupture des lettres qui devraient être unies entre elles par des déliés : l'i de « Lieber » est désuni de l'e sinon par son point ; les deux i de « dispensiren » le sont des lettres qui suivent ; dans le prénom, le R de Richard est isolé de l'i. Mais ces ruptures génératrices de l’idée sont relativement rares. Le compositeur était moins un penseur qu'un réalisateur et, pour ses compositions, il tirait moins du génie créateur que du goût du beau, de l'originalité, de l'imagination et de l'assimilation beaucoup plus richement développées dans son organisation. 
    L'assimilation ressort des liaisons des lettres et, à un titre spécial, du d replié. »
  
  On le voit, cette révélation graphologique du caractère de Wagner ne contredit nullement telle conception de l'homme à laquelle on peut arriver par des moyens d'investigation moins spéciaux. 
    Après avoir défini de la sorte les traits principaux de son sujet, Adrien Varinard se demande « s'il est besoin de passer la revue des forces ou faiblesses secondaires telles que défiance, entêtement, obstination, épanouissement de l'homme arrivé qui est content de lui, absence d'égoisme, désir de plaire».
    Toutes ces particularités, il les trouve, nettement accusées, dans l'écriture de Wagner et il insiste sur ce fait que l'absence d'égoisme n’est nullement paradoxale chez un tel homme. 
    Évidemment, le tout est de s'entendre sur l'acception du mot.égoïsme.
  Mais le graphologue relève encore un trait qui, selon lui, explique ce que cette personnalité, si richement et si contradictoirement douée, pouvait, malgré tant de séductions, avoir de plus attirant ; ce trait, c'est la mesquinerie
    Il est certain que beaucoup d'hommes de génie furent mesquins en quelque chose. La mesquinerie, c'est le domaine des petits côtés. Qui n'en a pas ?  Wagner en avait, certes, et de fort déplaisants. Mais ceux-là, comme telles anomalies de ses idées politiques, tendent à s’effacer dans le lointain.
Les purs wagnériens n'admettent pas la moindre restriction quand il s’agit de leur idole. Nous pensons, nous, que la claire vision des défauts d'un homme ne porta jamais préjudice à la véritable supériorité de cet homme, qu'elle fût artistique ou autre, à condition qu'elle existât.

* Publié à Paris chez Tallandier en 1933. Du même auteur, voir aussi nos posts :

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