jeudi 31 décembre 2020

Mori Ôgai, l'écrivain japonais qui relata et mit en scène la mort du roi Louis II de Bavière-

 MORI ÔGAI (Mori Rintaro, dit), (Tsuwano 1862 - Tokyo 1922). 


 Ôgai à Munich en 1886
   Considéré comme un des deux écrivains majeurs de la littérature moderne au Japon, Mori Ôgai fut un véritable pionnier dans divers domaines : non seulement le roman et la traduction (Caldéron, Lessing, Daudet, Strindberg, Ibsen, Rilke, et surtout FaustMacbeth), mais aussi la critique, la poésie, le théâtre, l'histoire et l'idéologie. Il remplit en même temps de hautes fonctions de l'État dans le domaine de la médecine, de la langue et de la culture. 
    Mori Ôgai est né à Tsuwano, dans la préfecture de Shimane au Japon en 1862 à la fin du shogunat des Tokugawa. Fils de médecin, enfant précoce, il étudie très tôt les classiques chinois et le néerlandais. Plus tard, après la restauration de Meiji, alors qu'il n'a que 10 ans,  son père l'emmène part apprendre l'allemand à Tokyo avant d'entrer dans le département de médecine de la daiichidaigaku (maintenant l'Université de Tokyo) en 1873 pour y suivre les cours préparatoires de la faculté de médecine. Il en profite pour compléter son éducation par la lecture des œuvres japonaises et chinoises. Il obtiendr son diplôme de médecin à 19 ans et embrasse désormais une double carrière de médecin militaire et d'écrivain. 
    En 1884, il est envoyé en Allemagne afin d'y étudier l'hygiène en tant que boursier du ministère des Armées. Là, il travaille pendant quatre ans dans les laboratoires réputés à Berlin où il poursuit ses recherches sur la prophylaxie. En même temps, il découvre la société occidentale et ses œuvres, ainsi que la peinture et le théâtre. : durant quatre années de séjour, il fréquente les universités de Leipzig, Munich et Berlin, écrit et publie  plusieurs thèses en allemand. 
    Dès son retour au Japon (1888), impressionné par son expérience, il décide d'établir les bases d'une science japonaise moderne. Aussi, il crée des revues de médecine et se lance dans un débat houleux avec l'État pour son inertie politique. D'autre part,  désireux d'introduire la littérature occidentale au Japon, il traduit et publie des auteurs tels que Calderón, Lessing, Daudet ou Hoffmann. En 1889, Shōsetsuron (Du roman),destiné à présenter les théories naturalistes d'Émile Zola. Avec des amis, il publie des recueils de « poèmes traduits » (yakushi), Omokage, 1889 (Réminiscences). Réminiscences est un chef-d'oeuvre dont le style nouveau influença définitivement la poésie japonaise moderne
    Un an plus tard, il publie sous le pseudonyme Ōgai son premier roman en langue classique, mais qui rompt avec les procédés habituels du genre : La Danseuse (Maihime), où le héros décrit sa découverte de Berlin. 
    Pendant la guerre sino-japonaise (1894 - 1905) et la guerre russo-japonaise (1904 - 1905), Mori Ōgai subit les conséquences d'une politique de censure, car le gouvernement voit dans les idées occidentales la cause des problèmes du Japon.  Toutefois, il ne reste pas inactif, car il en profite pour parfaire son style qui devient plus moderne, mais aussi étudie les œuvres de Clausewitz et de Machiavel. En même temps, il traduit L' Improvisateur d'Andersen. Par ailleurs, il s'interroge quant au développement de son pays, au malaise social naissant dû à la vague d'industrialisation accélérée et à la place de l'individu au sein de la société.
    Il fait ensuite paraître en langage moderne, jusqu'à 1912, de nombreux récits : Hannichi (littéralement Demi-journée), Le Jeune Homme (Seinen)Fushinchū (littéralement : En travaux), Hanako, L'Oie sauvage (Gan). Il écrit aussi des pièces de théâtre et traduit Strindberg, Schnitzler et surtout Ibsen.
    En 1909, année où il fonda la revue Subaru, commence enfin une période d'une grande fécondité littéraire : Vita sexualis (1909), interdite pour immoralité, le Jeune Homme (1910), stimulé par le roman analogue de Natsume Soseki, la Tour du silence (1910), pamphlet qui défend la liberté de penser, et l'Oie sauvage (1911), fondé sur l'analyse d'une âme en quête d'identité et de liberté. Son opposition au naturalisme l'incline peu à peu à défendre des valeurs et une culture proprement japonaise. 
    De 1912 à 1916, après la mort de l'empereur Meiji, il se lance dans le récit historique, genre dans lequel il excelle comme le prouvent le roman L'Intendant Sanshô (Sanshō Dayū, 1913-1915), la Famille Abe (1913) ou la nouvelle Le Takasebune (Takasebune, 1916). Dans Shibue Chūsai (1916), Isawa Ranken (1917), Hōjō Katei (1917-1918), ses trois dernières œuvres, s'attachent au destin de trois médecins, Shibue Chūsai (1916), Isawa Ranken (1917), Hōjō Katei (1917-1918), où il met en relief l'éthique des milieux intellectuels pendant la période Edo.
    Mori Ogai meurt de tuberculose à l'âge de 60 ans. Par testament, il interdit que son rang militaire soit mentionné sur sa tombe.

    L'oeuvre de Mori Ogai est organisée en deux ensembles complémentaires : la série des Écrits (chosakuhen) comprend 33 volumes, celle des Traductions (honyakuhen) en comprend 18.

Mori Ôgai à Munich

    Mori Ôgai séjourna à Munich du 8 mars 1886 au 15 avril 1887, comme en témoigne le journal qu'il tint sur ses quatre années en Allemagne (Doitsu Nikki) et qui fut publié de manière posthume en 1937. Ce journal relate notamment les circonstances de l'internement et de la mort du roi Louis II, dont l'écrivain dût prendre connaissance tant par la presse locale que par les conversations qu'il en entendit. Mori Ôgai connaissait également bien les lieux du drame car il se rendit 7 fois au lac de Starnberg pendant son séjour munichois et séjourna au moins à deux reprises à Léoni, une localité située dans l'immédiate proximité du château royal de Berg. 

La mort du roi dans le journal intime de Mori Ôgai
    
    Ogai donne une description et une reconstitution des circonstances de la mort du roi, probablement basée sur des reportages, dans Doitsu Nikki : 

    Nuit. Nous nous sommes rendus avec Kato et Iwasa dans une taverne sur Maximilianstrasse, avons eu quelques verres de vin, je me suis bien amusé et je suis rentré. Le lendemain, nous avons appris que le roi s'était noyé dans le Wurmsee pendant la nuit. Le roi était Louis II. Il souffrait de psychose depuis longtemps. Il n'aimait pas le jour et préférait la nuit ; pendant la journée il faisait régner l'obscurité dans ses appartements et mettre une lune et des étoiles au plafond ; il plaçait des plantes à fleurs autour de son lit et se couchait au milieu d'elles; quand la nuit venait, il se levait et allait se promener dans le jardin.
    Récemment il a lancé de nombreux travaux publics et, parce que cela a vidé le Trésor national, on a annoncé sa maladie et il a été contraint de quitter son trône. Dans la nuit du 12 de ce mois, le roi a déménagé, avec le neurologue von Gudden, du château de Hohenschwangau au château de Berg près du Starnbergersee, également appelé Wurmsee. Dans la nuit du 13, le roi, est allé se promener avec Gudden au bord du lac mais n'est pas revenu. Pendant ce temps, les corps du roi et de Gudden ont été retrouvés dans le lac. Peut-être que le roi s'est jeté dans le lac et Gudden, voulant essayer de le sauver, est entré dans l'eau et a fini par mourir avec lui. Ceux qui ont examiné les corps disent que Gudden voulait probablement sauver le roi et est allé dans l'eau et a saisi le col du roi. Les mains et les doigts de Gudden ont été blessés et ses ongles déchirés. Peut-être, que le roi, étant fort et puissant, a laissé son manteau entre les mains du médecin, et s'est avancé dans les  eaux profondes. Gudden l'a probablement suivi, rattrapé et a encore tenté d'empêcher  le roi de mourir dans le lac. Sur le visage de Gudden se trouvaient des marques des ongles du roi ; c'était très pitoyable. 
    Avant que le roi ne tombe malade, il combinait  le génie d'un poète avec la vertu d'un souverain; même son apparence dépassait celle des autres, et l'amour et le respect que lui portaient son peuple étaient profonds ; mais ne faut-il pas regretter qu'il ait rencontré une mort rare même dans l'histoire de l'ouest ?
    Gudden n'était pas seulement docteur en psychiatrie, mais aussi un spécialiste expérimenté du système nerveux central : il avait à ce sujet écrit des livres très appréciés. Il aimait aussi la poésie. Sa ballade de la femme folle  a été très largement saluée. Sa mort a également montré clairement combien il avait le sens du devoir  et servira éternellement à honorer sa réputation de médecin.

    Le journal indique encore en son entrée du 27 juin 1886 que Mori Ôgai s'est rendu ce jour-là au Starnbergersee avec ses deux compagnons Kato et Isawa, et qu'ils y rendirent  hommage à la mémoire des deux disparus.

Le roi Louis II dans la nouvelle Utakata no Ki de Mori Ôgai

    Mori Ôgai publia cette nouvelle en août 1890 dans le magazine Shigarami-soshi. Le titre de la nouvelle, qui peut se traduire par L'écume des vagues est emprunté à la phrase élégiaque qui la conclut :  " La vie est impermanente comme l'écume des vagues". En voici le résumé (avec traduction de quelques extraits en italique):

    En 1886, le jeune artiste-peintre Kose, récemment arrivé à Munich, fréquente l'Académie des Beaux-Arts, près de la Siegestor. En raison de son excellente réputation, l'Académie attire un public international. Après les cours, des étudiants de l'Académie et des intellectuels munichois se retrouvent volontiers au café Minerva, où travaille Marie, une serveuse de toute beauté, très courtisée, mais dont personne ne peut se vanter d'avoir obtenu les faveurs. Marie travaille également comme modèle à l'Académie, où elle refuse cependant de poser nue. 
    Un soir Kose raconte une anecdote à laquelle il fut mêlé quelques années auparavant dans un café munichois un jour de Carnaval : entrée dans le café pour y proposer ses bouquets, une petite pauvresse vendeuse de violettes avait vu son plateau renversé et ses bouquets salis et piétinés, et s'était ensuite fait mettre à la porte de l'établissement qui interdisait la mendicité ; ému par tant de détresse, Kose avait suivi la petite fille dans la rue et l'avait dédommagée de ses pertes. En entendant ce récit, Marie embrasse Kose sur son front, immense privilège dont tous les autres étudiants de l'Académie rêvaient et qui n'avait jusque là jamais été accordé.
    Kose reverra Marie qui s'est reconnue dans la petite marchande de violettes. Un peu plus tard, la serveuse invite l'artiste à l'accompagner en excursion au lac de Starnberg, où elle lui raconta avoir vécu.  Ils s'y rendirent le 13 juin 1886. En route, elle lui raconte son histoire.
     Marie avait connu une enfance pour un temps fortunée : elle était la fille d'un peintre célèbre, un certain Steinbach, un artiste apprécié du roi au point d'être invité aux réceptions données dans son jardin d'hiver à la Résidence. Un soir le roi Louis II se sentit très attiré par la beauté de la mère de Marie qui accompagnait son mari à l'une de ces réceptions. Il lui fit des avances, mais la femme résista. Le peintre s'interposa pour défendre l'honneur de sa femme et la libérer de l'étreinte du roi. Il frappa son souverain. On peut imaginer la disgrâce qui suivit cette déplorable scène. Le peintre tomba malade et mourut, laissant femme et enfant sans le sou. 
   Tombées dans la pauvreté, Marie et sa mère durent déménager et la gamine fut contrainte à la mendicité et à vendre des bouquets de violettes. La mère de Marie mourut à son tour et Marie fut recueillie par un tailleur charitable qui vivait dans le même immeuble. Marie, qui ressemblait beaucoup à sa mère, devint une très jolie jeune fille. Un jour le tailleur lui donna une belle robe en la regardant curieusement et la confia à un monsieur d'une quarantaine d'années qui l'emmena en excursion au lac de Starnberg. Là ils prirent un steamer, le Bavaria, qui les emmena à l'autre bout du lac, à Seeshaupt, où le monsieur loua un canot sur lequel il emmena la petite Marie, qui, n'étant âgée que de 13 ans et très innocente, ne comprit pas tout de suite les intentions du rameur qui prit bientôt un air menaçant. La gamine sauta à l'eau et perdit connaissance. Quand elle revint à elle, elle apprit qu'elle avait été sauvée et recueillie par un couple de pauvres pêcheurs, les Hansl, qui la prirent en pitié et l'adoptèrent. Comme elle était trop frêle pour pouvoir ramer et pêcher, on la plaça comme femme de chambre dans la famille d'un riche Anglais qui vivait près de Léoni, non loin de la cabane des Hansl. La gouvernante de la maison la prit en affection et lui apprit à lire avec la fille de la maison. C'est ainsi que Marie put progressivement découvrir les grands auteurs allemands, — apprenant les poésies de  Goethe et de Schiller par coeur, — ainsi que des ouvrages artistiques. Lorsque la famille anglaise quitta les bords du lac de Starnberg, Marie était devenue une jeune femme éduquée. Remarquée par un professeur de l'Académie, elle accepta de lui servir de modèle et finit par trouver un emploi de serveuse dans le café où elle avait retrouvé Kose, l'étranger qui avait un jour compensé la perte de ses bouquets de violettes...
    Marie et Kose, arrivés au lac de Starnberg, voulurent aller dîner dans une auberge de Léoni, le Bayrischer Hof, situé près de l'endroit où habitaient les pêcheurs qui avaient recueilli la petite fille. Comme l'heure du dîner n'avait pas encore sonné, Marie proposa à Kose de faire une partie de canot sur le lac. Kose se mit à ramer en direction du château de Berg. 

    Le bateau frôla une roselière et fit bruisser les roseaux. Ils entendirent ensuite des pas sur la rive et un homme apparut entre les arbres. Il avait près de six pieds de haut, portait un pardessus noir et tenait un parapluie fermé à la main :

    A sa gauche, un peu en arrière, venait un vieil homme dont la barbe et les cheveux étaient d'un blanc de neige. Le premier homme marchait tête baissée, aussi son visage était-il caché sous le large bord de son chapeau. Il sortit des frondaisons et se dirigea vers le lac. Il se tint là pendant un moment, ôta son chapeau et leva les yeux. Ses longs cheveux noirs étaient peignés en arrière exposant un large front. Bien que son visage fût d'un teint de cendre, une lumière perçante brillait de ses yeux enfoncés. 
    Marie était accroupie dans le bateau avec le manteau de Kose sur ses épaules quand elle vit l'homme sur la rive. Surprise, elle sursauta.
    — C'est le roi ! cria-t-elle. 
    Le manteau tomba de ses épaules. Elle avait enlevé son chapeau, qu'elle avait laissé à l'auberge, et ses mèches fluides tombaient gracieusement sur le dos de sa robe d'été blanche.
    C'était en effet le roi en promenade avec son médecin Gudden.
    Le roi la regarda ravi, comme si elle était une merveilleuse apparition ; puis soudain, il cria ``Marie'', il jeta son parapluie et plongea vers eux à travers les bas-fonds. Marie cria elle aussi puis s'évanouit, s'effondrant avant que Kose ne puisse tendre la main pour la sauver. Le balancement du bateau lui fit perdre l'équilibre et elle tomba la tête la première dans l'eau.

    Le roi, qui avait cru reconnaître la mère de Marie, la femme qu'il avait autrefois désirée, s'était précipité dans l'eau pour la rejoindre. Il  meurt noyé ainsi que le Dr Gudden qui a essayé de le sauver. Kose avait pu saisir un pan de la robe de Marie et parvint à tirer la jeune femme inanimée hors de l'eau. Il rama ensuite vers la rive proche à proximité de la cabane des Hansl. Il appela au secours et une vieille femme ouvrit  la petite  fenêtre de la cabane et lui dit :

    — Le dieu du lac a donc demandé un autre sacrifice. Mon mari a été appelé hier au château de  Berg et il n'est pas encore de retour. Si tu veux que quelque chose soit fait   pour elle, tu devras l'amener ici, dit-elle doucement. Elle  s'apprêtait à fermer  la fenêtre.
    — C'est Marie! Votre Marie! Elle est tombée à l'eau! cria Kose.
    Avant même qu'il ait fini sa phrase, la vieille femme, qui avait laissé la fenêtre ouverte, se précipitait vers la jetée. Elle pleura en aidant Kose à porter  Marie  dans la maison.

    Dans l'unique pièce de la cabane, la vieille et Kose essayèrent en vain de ranimer Marie qui mourut quelques heures après sans avoir retrouvé connaissance. 

    Kose passa la nuit assis près du corps  avec la vieille, déplorant ce monde impitoyable dans lequel les choses disparaissent pour  ne jamais revenir, comme disparaît l'écume des vagues.

    Le 15 juin, le corps du roi fut ramené à Munich. Toute la Bavière était en deuil et ne parlait que des circonstances de la mort du roi. Dans ces circonstances, les amis de Kose ne s'inquiétèrent pas de son absence. L'un d'entre eux, le peintre Julius Exter, finit cependant par passer à son atelier où il le trouva complètement abattu, effondré aux côtés d'un tableau d'une Lorelei à laquelle il avait donné les traits de la petite marchande de violettes.

Bibliographie succincte
  • Dictionnaire mondial des littératures / Larousse ; sous la dir. de Pascal Mougin et Karen Haddad-Wotling, 2002.
  • Mori Ogai, Deutschland Tagebuch, bei Heike Schöche (Herausgeber, Vorwort, Übersetzer), 1992.
  • Mori Ōgais "Wellenschaum": eine japanische Erzählung aus dem München Ludwigs II, Ms. - München: Bayerischer Rundfunk, 1995. - 13 S.
  • Mori Ogai, Wellenschaum, Utakata no ki, Erzählung aus d. München Ludwigs II., Übers. u. Nachw.: Wolfgang Schamoni, München 1976.
  • Mori Ôgai, Utakata no ki, translated by Richard Browning, Monumenta Nipponica, Sophia University, 1974, Vol. 29, No. 3 (Autumn, 1974), pp. 247- 261.  
  • Rimer, Thomas, Mori Ôgai,  New York, Twaine Publishers, 1975.
  • Swann, Thomas, The Problem of Utakata no Ki,  , Sophia University, 1974, Vol. 29, No. 3, pp. 263- 281.  
  • Wikipedia, à l'entrée Mori Ôgai.
                                                                        Notes
  • Il n'existe à notre connaissance pas de traduction française de Utakata no Ki,  la nouvelle fut par contre traduite en allemand et en anglais dans les années 1970.
  • Jeune médecin parlant couramment l'allemand et séjournant à Munich en 1886 où il fréquentait les milieux intellectuels et artistiques, Mori Ôgai ne pouvait ignorer les rumeurs qui couraient sur l'homosexualité du roi. Dans sa nouvelle, il en fait cependant un amateur de jolies femmes, fait qu'aucun biographe du roi n'a jamais attesté. Il existe bien des fictions qui mettent en scène des affections féminines du roi rendues impossible en raison de la distance sociale, mais généralement sans geste de tendresse aucun. Le texte de Mori Ôgai, dans lequel le roi se livre un moment à une tentative de libertinage, fait figure d'exception.
ISBN : 9782322255139


ISBN : 9782322102006

ISBN : 9782322102327

ISBN : 9782322208371

Pour lire un extrait 
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Le roman d'un roi. Les troublantes amours de Louis II de Bavière : https://www.bod.fr/librairie/le-roman-dun-roi-auteur-anonyme-9782322255139

Louis II de Bavière. Le cygne des Wittelsbach : https://www.bod.fr/librairie/louis-ii-de-baviere-le-cygne-des-wittelsbach-chanoine-dagrigente-9782322102006

Les voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise du Rheingoldhttps://www.bod.fr/librairie/rodolphe-luc-henri-roger-9782322241378

Le roi Louis II de Bavière dans la poésie française : https://www.bod.fr/librairie/le-roi-louis-ii-de-baviere-dans-la-poesie-francaise-luc-henri-roger-9782322208371






jeudi 24 décembre 2020

Taïa, roman historique d' A. t'Serstevens, où il est question de l'île de Lacroma, de l'attentat de Sarajevo et du doube meurtre de Mayerling

    
 
   Taïapar A. t'Serstevens, parut chez Albin Michel en novembre 1929. L'écrivain académicien Henri de Régnier en donna un brillant compte-rendu dans le Figaro du 7 janvier 1930.


LA VIE LITTÉRAIRE
Taïa, par A. t'Serstevens

    C'est un très beau livre que la Taïa de M. t'Serstevens, et un livre que j'aime, aussi bien parce qu'il atteste chez son auteur un double talent de poète et de romancier que parce qu'il me rappelle des lieux demeurés chers à mon souvenir. Ce fut, il y a déjà bien des années, au cours d'une croisière en Méditerranée ; que le chemin du retour me conduisit dans l'Adriatique. Après nous avoir menés de Sicile en Grèce, de Grèce en Asie Mineure, le yacht qui nous portait devait, de Constantinople, nous débarquer à Venise, en longeant la cote de Dalmatie et en y faisant escale aux points les plus intéressants. Ces escales me permirent de visiter les Bouches de Cattario [auj. Kotor], la pittoresque Raguse [auj. Dubrovnih] enfermée dans ses vieux remparts vénitiens sur lesquels veillait encore le lion ailé de Saint-Marc, et l'étrange Spalato [auj. Split] enclose dans l'enceinte romaine de l'antique palais de Dioclétien. On était alors aux derniers jours de septembre, et une éclatante lumière éclairait ces nobles paysages terrestres et marins. 
    Ce fut à Raguse que nous séjournâmes le plus longtemps et, de là, que nous allâmes visiter l'île Lacroma [auj. Lokrum]. Elle est située à peu de distance du rivage, d'où l'on distingue sa mystérieuse et fraîche beauté, ses verdures tendres ou sombres, car Lacroma est une île sylvestre, toute frissonnante du murmure des feuillages, tout embaumée des odeurs des écorces. C'est aussi une île silencieuse. Elle n'a pour habitants que les moines du couvent qui en occupe un des points les plus élevés et y étage ses terrasses et ses jardins où les roses fleurissent à l'ombre des cyprès, mais si verdoyante et si lumineuse qu'elle soit, cette île Lacrorna n'en est pas moins mélancolique. Son nom est lié a une mémoire tragique. Lacroma n'a-t-elle pas appartenu à l'archiduc Rodolphe de Habsbourg et n'a-t-elle pas été la retraite favorite du héros du sanglant et énigmatique drame de Mayerling ? N'abrita-t-il pas, dit-on, parfois en cette solitude ses amours secrètes avec Marie Vetsera dont la mort ne fut pas moins énigmatique que la sienne ? Cette tragique histoire était présente à nos pensées en cette journée de septembre d'il y a plus d'un quart de siècle, où nous errions sous les ombrages parfumés de l'île adriatique, de Lacroma la verdoyante, la lumineuse, la silencieuse...
    Cette côte dalmate, Raguse, Spalato, son île Lacroma, je les retrouve évoquées dans le beau roman de M. t'Serstevens, dans cette Taïa qui est l'oeuvre la plus complètement réussie, la plus forte et la plus émouvante en sa voluptueuse âpreté et sa dramatique puissance que nous ait donnée jusqu'à présent l'écrivain de grand talent qu'est l'auteur du Vagabond sentimental et du Carton aux Estampes. Sa Taïa est d'un romancier qui est aussi un poète, et l'invention romanesque s'y allie à l'invention poétique en une harmonieuse entente. Ajoutons que, romanesque et poétique, le récit de M. t'Serstevens s'appuie sur une réalité qui va jusqu'au réalisme, réalisme qui est chez M. t'Serstevens une quaité et un goût de race. Sa peinture des passions et des sentiments est vigoureuse et les traits et les couleurs y soint distribués d'une touche ferme et hardie. La combinaison des éléments romanesques y aboutit à de la vérité vivante et, de cette vérité, il ne cherche pas à dissimuler les crudités. Poète, M. t'Serstevens ne « poétise » pas la vie, il se contente de tirer des événements et des personnages qu'il met en scène ce qu'ils contiennent de beauté, que cette beauté soit singulière ou tragique, qu'elle ait le masque de l'intrigue, la face du crime ou le visage de l'amour.
   C'est dans une atmosphère saturée d'un riche romanesque romantique que nous conduit M.t'Serstevens dans sa Taïa, et, cette atmosphère, nous l'avons déjà respirée dans un roman célèbre d'Elémir Bourges, sur cette même côte dalmate. Il n'y a pas loin, en effet, du Sebenico [auj. Sibenik] de Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent à Lacroma et à Raguse où aborde, en l'année 1914, le yacht La Boudeuse où Guérin de Senonches a longtemps parcouru les mers. Après ses longues solitudes marines, il reprend contact avec la vie civilisée et, à Raguse, il tombe en pleine intrigue politique et en pleine agitation nationale. Contre la lourde domination autrichienne s'élèvent les âpres revendications de race des Serbes et des Croates. À Raguse, on conspire sous l'œil des espions de l'Autriche. De grands événements se préparent dont M. de Senonches constate les approches, il devine les auteurs du drame futur. Quel rôle y jouera la belle, la jeune princesse Eléonore Ravesta ? M. de Senonches l'ignore, mais il pressent la place qu'elle prendra dans sa vie où elle a réveillé de lointains souvenirs...
    M. de. Senonches revoit en pensée une petite île de l'archipel polynésien où l'avait fixé pour un temps son caprice de voyageur. II s'y rappelle la présence d'une enfant mystérieuse, venue on ne sait d'où sur ce rivage désert d'Océanie. Cette enfant, il l'a vue grandir et devenir presque une jeune fille sous la garde d'un serviteur taciturne. Elle répondait au nom de Taïa,et il a emporté, en quittant l'île, sa sauvage et charmante image. Le temps a passé, jusqu'au jour où il a constaté une étrange ressemblance entre la Taïa de jadis et la princesse Ravesta d'aujourd'hui. Or M. de Senonches ne s'est pas trompé. La princesse Ravesta est bien Taïa 1'Océanienne mais elle n'en resté pas moins mystérieuse. M. de Senonches connaîtra la beauté de son corps, le sourire de sa bouche ; il deviendra son amant passionné ; elle sera son ardente maîtresse. Il vivra auprès d'elle dans cette île Lacroma qui est maintenant sa demeure ; il vivra là de merveilleuses heures d'amour et de volupté, mais Taïa, comme la princesse Ravesta, gardera son secret, et ce secret sera pour M. de Senonches une torture mêlée à ses délices.
    Où va-t-elle, cette mystérieuse absente, quand elle disparaît pendant plusieurs jours de l'île Lacroma ? À quelle intrigue est-elle mêlée, à quels conciliabules prend-elle part ? L'amour n'est donc pas tout pour elle ? A quelle œuvre s'est -elle vouée ? À quel devoir obéit-elle ? Au retour, M. de Senonches la retrouve toujours la même. Rien alors ne semble plus exister pour elle que le bonheur qu'elle donne et qu'elle ressent ; cependant elle repartira, et elle repart, mais cette fois, elle avoue qu'a sonné une heure décisive, une heure attendue, une heure suprême. Cette fois, M. de Senonches a compris. Un hasard lui a donné la clé du mystère. Une conversation achève de l'éclairer. L'archiduc François-Ferdinand, l'héritier de la couronne d 'Autriche, va faire son entrée à Sarajevo où l'attend la bombe des conspirateurs, et, de cette conspiration, Eléonore Ravesta est l'âme active.   C'est pour Sarajevo qu'elle est partie, c'est à Sarajevo qu'il faut aller pour l'arracher à sa folie meurtrière, la sauver d'elle-même ; mais Sarajevo est loin, la route est mauvaise, et M. de Senonches n'y arrive que pour voir l'archiduc héritier frappé à mort par les conjurés et pour être compris parmi les arrestations en masse qui suivent l'attentat. M. de Senonches connaîtra les rigueurs des geôles autrichiennes.
  Tout ce récit est conduit par M. t'Serstevens avec une incontestable maîtrise. Je l'ai dit, son romanesque est à fond de réalisme. Qu'il mette M. de Senonches en contact avec la société ragusaine, qu'il nous le montre identifiant la Taïa de l'île polynésienne avec la princesse Eléonore de l'île adriatique, qu'il nous introduise dans la solitude amoureuse de Lacroma où les amants brûlent, dans un décor magnifique et singulier, de toutes les exaltations de la passion ; qu'il nous peigne les anxiétés, les jalousies de M. de Senonches, qu'il décrive avec une tragique sobriété la scène de l'attentat à Sarajevo ou les traitements rigoureux subis par M. de Senonches dans sa prison, il sait donner aux personnages et aux événements une vivante couleur de vérité et les revêtir d'une sorte de poésie tour à tour voluptueuse ou farouche. Partout se manifeste chez M. t'Serstevens un don éclatant de romancier romantique qui sait unir l'intérêt des aventures à l'intérêt des caractères et mettre dans sa narration un mouvement continu et progressif. À ces qualités, M. t'Serstevens joint celle d'être un écrivain de haut talent. Il use d'une langue forte et subtile, riche et souple, concise et imagée, où la fermeté de la phrase n'admet que l'expression juste et ne se prête à aucun enjolivement inutile.

    Roman romantique, certes, cette Taïa, d'un romantisme qui fait penser, je le répète, à celui d'un Elémir Bourges, mais aussi roman historique, puisqu'il touche à deux points d'histoire et que, de l'un d'eux, il nous offre une version qui, si elle est imaginaire, n'en est pas moins historiquement et humainement vraisemblable. Si la princesse Ravesta a échappé aux représailles qui ont suivi 1'attentat de Sarajevo, si elle a pu délivrer de sa prison M. de Senonches, c'est qu'elle est protégée par de hautes influences et qu'en participant à un assassinat politique de l'archiduc héritier, elle n'a fait, peut-être, que servir à des desseins dynastiques, tout en assouvissant une vengeance personnelle. N'est-elle pas, elle, la fille de Marie Vetsera et de l'archiduc Rodolphe de Habsbourg, disparus tragiquement lors de la sanglante tragédie de Mayerling, l'enfant qu'un serviteur fidèle a élevée dans la lointaine île polynésienne et qui porte princièrement le nom anagrammatique de sa mère ? Or, elle sait, elle, la vérité sur le drame de Mayerling. Elle sait qu'il ne fut pas la suite d'une rixe d'ivrognes, qu'il ne fut pas un double suicide d'amour, un désespoir d'amants que séparaient leurs destinées ; elle sait que l'archiduc Rodolphe n'eût jamais abandonné Marie Vetsera et quels projets politiques il avait nourris de détacher du vieil empire la Hongrie et les provinces slaves et de s'en constituer un royaume dont il eût partagé la couronne avec une maîtresse adorée. Elle sait que ce projet, connu en haut lieu, causa la perte de l'archiduc Rodolphe et que ce fut l'archiduc François-Ferdinand qui se chargea de la sinistre besogne d'y mettre fin en assassinant, une nuit, dans le rendez-vous de chasse de Mayerling, les amants surpris et tombés nus, sous les balles de son revolver. L'attentat de Sarajevo a été la réponse à l'assassinat de Mayerling. Taïa a vengé le sang par le sang et l'Europe entière va être submergée pendant quatre ans sous la rouge averse d'un sanglant déluge... Il faut lire ces curieuses pages d'hypothèse historique dont la responsabilité incombe à M. t'Serstevens et qui servent de conclusion à son beau roman.

Henri de Régnier,
de l'Académie française.


Invitation à la lecture 


  J'invite mes lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus que j'ai réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).


Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):


   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.

   Comment s'est constituée la légende de Mayerling ? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.


Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :


1889 Les articles du Figaro

1899 Princesse Odescalchi

1900 Arthur Savaète

1902 Adolphe Aderer

1905 Henri de Weindel

1910 Jean de Bonnefon

1916 Augustin Marguillier

1917 Henry Ferrare

1921 Princesse Louise de Belgique

1922 Dr Augustin Cabanès

1930 Gabriel Bernard

1932 Princesse Nora Fugger


Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.


Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.


Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)


mercredi 23 décembre 2020

Adelina Patti a-t-elle chanté pour le roi Louis II de Bavière ?

 

Dessin en page de couverture de Der Floh du 10 mars 1872


    Un article du Supplément illustré du Journal de Dreux du 3 juillet 1904, reproduit ci-dessous,  cite des propos attribués à la grande cantatrice Adelina Patti qui prétend avoir chanté pour le roi de Bavière. L'article du Journal de Dreux est le seul article que j'aie pu trouver dans la presse française concernant une prestation privée munichoise de la Patti. L'article est-il crédible ? Le journal ne cite pas ses sources. D'où tient-il les propos de la Patti qu'il reproduit ? 
    Il est en tout cas avéré que La Patti chanta  le rôle de Lucia au Théâtre de la Cour de Munich en 1879 (présence attestée par l'Allgemeine Zeitung), mais il est peu probable que le roi fût présent à ces représentations publiques.
    À noter que Kurt Hommel dans son livre sur les Separatvortsellungen ne cite pas la Patti et qu'A. Schweiggert, dans Ludwig II und die Frauen, avance que la Patti, sollicitée par le Roi, a refusé de se produire seule devant Louis II.


L'AVENTURE D'UNE GRANDE CANTATRICE

Une épreuve toujours impressionnante. — La Patti se décide à la tenter. — Triste arrivée à Munich. — La colère d’une prima donna. — Rosine paraît en scène. — Minute d angoisse. — Un court triomphe.

    Chanter seule, devant une salle vide plongée dans les ténèbres, et pour un roi dément que l’on devine au fond d’une loge obscure, est une de ces « expériences » qui semblent avoir causé aux plus vaillantes cantatrices une émotion qui se changeait parfois en une véritable terreur.

    Toutes les grandes artistes d’Allemagne qui ont affronté cette singulière épreuve et qui sont apparues un soir sur la scène du théâtre privé de Sa Majesté Louis II, roi de Bavière, en ont gardé une impression si vive que leur récit est presque toujours extrêmement dramatique, et la Rosine des Rosines, Adelina Patti, ne paraît pas avoir été moins émue que ses rivales germaniques, par une petite aventure qui fut sans doute unique dans sa vie...

    « Sa Majesté bavaroise, nous dit la célèbre prima donna, m’avait fait écrire lettres sur lettres, implorant comme une charité le bonheur de m’entendre seule sur son théâtre ; mais sachant que les souvenirs laissés à tant d’autres par ces « nuits de Munich » avaient été plutôt pénibles, je déclinais avec obstination toutes les offres qui m’étaient faites. Toutefois, comme le caprice d‘un roi fou est parfois tenace, Louis II se montra plus entêté dans son désir que moi dans mon refus, et je partis un beau jour pour l’Athènes du nord. Après un voyage qui me parut plutôt long, j’arrive à Munich, je cherche des yeux les personnes qui doivent m’attendre, m’écouter comme dans toutes les villes où je passe, et je constate avec une surprise tout à fait désagréable que l’on n’a même pas envoyé à ma rencontre un petit griot ! Seule avec une femme de chambre, je me débrouille donc comme je puis et me fais conduire à un hôtel voisin. A peine venais-je de m’installer tant bien que mal, qu’un officier arrive du palais et se présente. Ce cavalier est porteur d’une lettre du roi qui m’informe en termes brefs que je dois me rendre à sept heures précises au palais, pour m'entendre avec Mme Fisher qui chantera après moi. A la lettre est joint un programme établi par Sa Majesté. Vous pensez bien que la lecture de cette épître me rendit nerveuse — si nerveuse même que je la lançai sur une table et déclarai d’une voix qui ne devait plus être très mélodieuse : « Puisque c’est ainsi que l’on me traite, je ne chanterai pas. absolument pas! » L’officier me fit observer que la lettre avait un post-scriptum — mais quel post-scriptum! Une simple prière de ne paraître qu’en blanc sur la scène, en blanc sans aucun mélange de couleurs, et surtout pas en
robe de satin —la vue de la soie étant pénible à Sa Majesté ! Pour le coup, je tombai dans un fauteuil, si exaspérée d’une telle insolence que j’avais peur d'en perdre la raison. Toutefois, quand je redevins plus calme, il me parut que j’avais attaché trop d’importance à ce qui devait m’inspirer plutôt un peu de pitié, et je déclarai que je me soumettrais aux ordres reçus. Un peu avant sept heures, une voiture de la cour vint me chercher. Par de longs corridors je fus conduite jusqu’au théâtre, jusqu’à la scène, plongée dans les ténèbres comme la salle, et j’entendis le prélude d’un orchestre invisible... C’était impressionnant, c’était terrible, je vous assure!... Dans une loge, au fond de l’ombre, je m’imaginais voir une face pâle, deux yeux hagards fixés sur moi... J’ouvris la bouche pour chanter : aucun son ne sortit. Imaginez un peu cette minute d’émotion poignante, cette minute d’angoisse... Et cependant la terreur même sembla me donner soudain une force nouvelle, je raidis ma volonté, j’attaquai l’aria inscrit au programme, et jamais peut-être, ni avant ni après cette soirée mémorable, je n’ai chanté avec autant d’âme, avec autant de force — cette force presque sublime que vous donne le désespoir...

    « J’allais commencer un autre morceau quand un officier vint me dire que le roi se retirait dans ses appartements! Jugez de ma stupeur. Cependant, le lendemain, on me remit une lettre où Sa Majesté m’exprimait ses remerciements en me priant d'accepter de fort beaux présents. Je sus même depuis que Louis II de Bavière avait été si impressionné par cet aria — l’unique morceau qu’il m’avait été donné de chanter devant lui — que, durant quelque temps, il ne voulut plus entendre que de la musique italienne et délaissa même son bien-aimé Wagner.

    « C’est égal, rien qu’à la pensée de paraître de nouveau devant Sa Majesté Bavaroise, si elle vivait encore, je frissonnerais et ne retrouverais sans doute pas le beau courage dont je fis preuve en cette inoubliable circonstance. »

Mes livres sur le roi Louis II de Bavière 

ISBN : 9782322255139


ISBN : 9782322102006

ISBN : 9782322102327

ISBN : 9782322208371

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Le roman d'un roi. Les troublantes amours de Louis II de Bavière : https://www.bod.fr/librairie/le-roman-dun-roi-auteur-anonyme-9782322255139

Louis II de Bavière. Le cygne des Wittelsbach : https://www.bod.fr/librairie/louis-ii-de-baviere-le-cygne-des-wittelsbach-chanoine-dagrigente-9782322102006

Les voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise du Rheingoldhttps://www.bod.fr/librairie/rodolphe-luc-henri-roger-9782322241378

Le roi Louis II de Bavière dans la poésie française : https://www.bod.fr/librairie/le-roi-louis-ii-de-baviere-dans-la-poesie-francaise-luc-henri-roger-9782322208371

Lacroma — Un livre de l'archiduchesse Stéphanie

   Je retrouve cette Lettre d'Autriche que publia le 8 avril 1892 la Gazette nationale ou le Moniteur universel et où se trouvent traduits quelques passages émouvants de cette oeuvre de l'archiduchesse Stéphanie, veuve de l'archiduc Rodolphe. En voici, hors article, la page de couverture :


Archiduchesse Stéphanie, Lacroma, Vienne,  Kunartz, 1892


(De notre correspondant particulier.)

Vienne, 4 avril 1892.

    L’événement de cette semaine sera la publication d’un livre de l’archiduchesse Stéphanie. Il porte pour titre : Lacroma. L’archiduchesse Stéphanie, comme la reine des Belges, la comtesse de Flandre, toutes les princesses de Belgique, est artiste. Elle est peintre et musicienne. On savait moins qu'elle fût écrivain, et cependant elle a déjà publié des souvenirs d'un Voyage en Orient qu’elle fit jadis avec son époux, et c’est sous sa direction à la fois intelligente et active que s'achève le bel ouvrage entrepris par feu l’archiduc Rodolphe : l'Autriche-Hongrie en paroles et en images. A ces divers titres, elle fait bonne figure dans une famille qui comprend nombre auteurs princiers outre l’archiduc Rodolphe et dont les principaux sont ou ont été l’archiduc Jean, l’archiduchesse Marie-Thérèse, femme de l’archiduc Charles-Louis, l’archiduchesse Marie-Valérie, fille de l’empereur, et enfin l’héritier présomptif, François-Ferdinand. Voici, grâce à une aimable indiscrétion, ce que j’ai pu savoir du nouveau volume dont l’archiduchesse corrige actuellement les épreuves et surveille la publication. C’est un livre d’impressions et de souvenirs consacrés à l’île de Lacroma, et il sera illustré par le célèbre peintre de marines Perko. En voici le début :
    
« Sous l’heureux ciel de Naples, richement parée des charmes d’une végétation presque tropicale, en face de l’antique ville de Raguse, s’élève des flots bleus tranquilles et doux de l’Adriatique une île ravissante. On la nomme Lacroma. La dépeindre est le but de ces feuillets modestes. »

    Après avoir ainsi déterminé le sujet de son livre, l’auteur raconte comment l'île devint la propriété du malheureux empereur Maximilien : 

    « C'était par un beau soir du mois de mai 1859. Dans le port de Raguse régnait une paix profonde. Dehors, à la haute mer,croisaient les navires de la flotte française, pendant qu’en rade, dans le canal de Raguse, le brick de guerre le Triton, préposé a la surveillance du port, était à l’ancre. Tout à coup un assaut d’éclairs, un craquement semblable à celui de la foudre secouant la terre fit s’effondrer le silence qui planait sur l'eau : le brick n’existait plus ; une explosion de la chambre aux poudres — explosion dont on ne connaîtra jamais la cause  — avait déterminé l’épouvantable catastrophe. De l’éparsèmement des épaves flottantes projetées par l’explosion du navire sortait maintenant la déchirante lamentation des blessés qui allaient trouver leur tombe en face de Lacroma.
    L’archiduc Ferdinand-Maximilien, alors commandant supérieur de la marine, fut aussitôt averti de la terrible catastrophe, et peu de jours après, malgré le blocus de l’Adriatique par la flotte française, le noble prince arriva à bord du yacht Fantaisie pour visiter l’endroit de la catastrophe, apporter du courage et des consolations aux blessés et rendre les derniers honneurs aux morts nombreux...
    On sait comme tout ce qui intéressait sa chère marine le touchait.
  Vis-à-vis la place où le brick avait sombré dans la profondeur froide, l’archiduc Maximilien fit élever, en souvenir des braves officiers et matelots, « la croix du Triton », sur le montant de laquelle furent inscrits les noms de tous les marins qui avaient péri là.
    Ce fut dans ces circonstances tristes qne celui qui devait devenir l’empereur Maximilien visita pour la première fois l'île de Lacroma. Le cœur délicat de l'archiduc, son sens inné du beau furent séduits par ce paysage en éblouissante parure de printemps. Il acheta l'île pour son épouse.
   Avec une compréhension tendre, un goût plein de sens — un goût imaginatif,— avec la même promptitude que cet ami de la nature devait mettre à créer les magiques jardins de Miramar, il changea les pointes rocheuses de Lacroma en un paradis de plantes et de fleurs et se créa de ces ruines un home intime et ravissant, un refuge introublé offrant, même aux jours de tempête, la joie, la paix, la jouissance d’être."

        Ici l'archiduchesse cite une pièce de vers de l’archiduc Maximilien, qui a pour sujet l'île de Lacroma et qui est datée d’avril 1862. En voici la traduction littérale :

    « Dans le libre, dans le libre au dehors ! — quittons vite la chambre, — le printemps gonfle les ramures autour de la maison — le désir nous emporte.— La forêt bourgeonnante respire — dans l’or de la germination.— La joie et la souffrance d’aimer — retentissent en une seule harmonie à travers les flots. — Le myrte odoreusement se déclôt ;— les orangers parfumés fleurissent; — le lis s’érige vers le ciel; — les grenades sont ardentes de pourpre.— Les flots infinis de la mer s’étirent au bonheur des yeux. — Et, glorieuse, toute la nature semble bénir de la joie. — Le divin printemps se réveille. — Le soleil « béni » fait fuir la nuit pâlissante et rafraîchit les cœurs des fatigués.»

    Après avoir cité cette pièce, l’auteur, réclamant modestement l’attention du lecteur, continue l’histoire de cette île aux souvenirs tristes, aux souvenirs tragiques, qui après avoir été la propriété d’un fonctionnaire du service de santé, puis d’un avocat, est achetée par l’archiduc Rodolphe, et est enfin offerte par l’empereur d’Autriche aux Dominicains.
    De ces pages à la fois émues et poétiques, se dégage un charme exquis. Par une pensée touchante et délicate, le produit de ce travail a été consacré aux pauvres. C’est à eux que l’éditeur de la cour à Vienne, Kunart, devra le remettre, et ils seront nombreux ceux qui voudront suivre l'archiduchesse Stéphanie vers «cet ensorcelant coin de terre que la souffrance a sanctifié ».

Invitation à la lecture 


  J'invite mes lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus que j'ai réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).


Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):


   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.

   Comment s'est constituée la légende de Mayerling ? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.


Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :


1889 Les articles du Figaro

1899 Princesse Odescalchi

1900 Arthur Savaète

1902 Adolphe Aderer

1905 Henri de Weindel

1910 Jean de Bonnefon

1916 Augustin Marguillier

1917 Henry Ferrare

1921 Princesse Louise de Belgique

1922 Dr Augustin Cabanès

1930 Gabriel Bernard

1932 Princesse Nora Fugger


Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.


Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.


Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)


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