Dessin en page de couverture de Der Floh du 10 mars 1872
Un article du Supplément illustré du Journal de Dreux du 3 juillet 1904, reproduit ci-dessous, cite des propos attribués à la grande cantatrice Adelina Patti qui prétend avoir chanté pour le roi de Bavière. L'article du Journal de Dreux est le seul article que j'aie pu trouver dans la presse française concernant une prestation privée munichoise de la Patti. L'article est-il crédible ? Le journal ne cite pas ses sources. D'où tient-il les propos de la Patti qu'il reproduit ?
Il est en tout cas avéré que La Patti chanta le rôle de Lucia au Théâtre de la Cour de Munich en 1879 (présence attestée par l'Allgemeine Zeitung), mais il est peu probable que le roi fût présent à ces représentations publiques.
À noter que Kurt Hommel dans son livre sur les Separatvortsellungen ne cite pas la Patti et qu'A. Schweiggert, dans Ludwig II und die Frauen, avance que la Patti, sollicitée par le Roi, a refusé de se produire seule devant Louis II.
L'AVENTURE D'UNE GRANDE CANTATRICE
Une épreuve toujours impressionnante. — La Patti se décide à la tenter. — Triste arrivée à Munich. — La colère d’une prima donna. — Rosine paraît en scène. — Minute d angoisse. — Un court triomphe.
Chanter seule, devant une salle vide plongée dans les ténèbres, et pour un roi dément que l’on devine au fond d’une loge obscure, est une de ces « expériences » qui semblent avoir causé aux plus vaillantes cantatrices une émotion qui se changeait parfois en une véritable terreur.
Toutes les grandes artistes d’Allemagne qui ont affronté cette singulière épreuve et qui sont apparues un soir sur la scène du théâtre privé de Sa Majesté Louis II, roi de Bavière, en ont gardé une impression si vive que leur récit est presque toujours extrêmement dramatique, et la Rosine des Rosines, Adelina Patti, ne paraît pas avoir été moins émue que ses rivales germaniques, par une petite aventure qui fut sans doute unique dans sa vie...
« Sa Majesté bavaroise, nous dit la célèbre prima donna, m’avait fait écrire lettres sur lettres, implorant comme une charité le bonheur de m’entendre seule sur son théâtre ; mais sachant que les souvenirs laissés à tant d’autres par ces « nuits de Munich » avaient été plutôt pénibles, je déclinais avec obstination toutes les offres qui m’étaient faites. Toutefois, comme le caprice d‘un roi fou est parfois tenace, Louis II se montra plus entêté dans son désir que moi dans mon refus, et je partis un beau jour pour l’Athènes du nord. Après un voyage qui me parut plutôt long, j’arrive à Munich, je cherche des yeux les personnes qui doivent m’attendre, m’écouter comme dans toutes les villes où je passe, et je constate avec une surprise tout à fait désagréable que l’on n’a même pas envoyé à ma rencontre un petit griot ! Seule avec une femme de chambre, je me débrouille donc comme je puis et me fais conduire à un hôtel voisin. A peine venais-je de m’installer tant bien que mal, qu’un officier arrive du palais et se présente. Ce cavalier est porteur d’une lettre du roi qui m’informe en termes brefs que je dois me rendre à sept heures précises au palais, pour m'entendre avec Mme Fisher qui chantera après moi. A la lettre est joint un programme établi par Sa Majesté. Vous pensez bien que la lecture de cette épître me rendit nerveuse — si nerveuse même que je la lançai sur une table et déclarai d’une voix qui ne devait plus être très mélodieuse : « Puisque c’est ainsi que l’on me traite, je ne chanterai pas. absolument pas! » L’officier me fit observer que la lettre avait un post-scriptum — mais quel post-scriptum! Une simple prière de ne paraître qu’en blanc sur la scène, en blanc sans aucun mélange de couleurs, et surtout pas en
robe de satin —la vue de la soie étant pénible à Sa Majesté ! Pour le coup, je tombai dans un fauteuil, si exaspérée d’une telle insolence que j’avais peur d'en perdre la raison. Toutefois, quand je redevins plus calme, il me parut que j’avais attaché trop d’importance à ce qui devait m’inspirer plutôt un peu de pitié, et je déclarai que je me soumettrais aux ordres reçus. Un peu avant sept heures, une voiture de la cour vint me chercher. Par de longs corridors je fus conduite jusqu’au théâtre, jusqu’à la scène, plongée dans les ténèbres comme la salle, et j’entendis le prélude d’un orchestre invisible... C’était impressionnant, c’était terrible, je vous assure!... Dans une loge, au fond de l’ombre, je m’imaginais voir une face pâle, deux yeux hagards fixés sur moi... J’ouvris la bouche pour chanter : aucun son ne sortit. Imaginez un peu cette minute d’émotion poignante, cette minute d’angoisse... Et cependant la terreur même sembla me donner soudain une force nouvelle, je raidis ma volonté, j’attaquai l’aria inscrit au programme, et jamais peut-être, ni avant ni après cette soirée mémorable, je n’ai chanté avec autant d’âme, avec autant de force — cette force presque sublime que vous donne le désespoir...
« J’allais commencer un autre morceau quand un officier vint me dire que le roi se retirait dans ses appartements! Jugez de ma stupeur. Cependant, le lendemain, on me remit une lettre où Sa Majesté m’exprimait ses remerciements en me priant d'accepter de fort beaux présents. Je sus même depuis que Louis II de Bavière avait été si impressionné par cet aria — l’unique morceau qu’il m’avait été donné de chanter devant lui — que, durant quelque temps, il ne voulut plus entendre que de la musique italienne et délaissa même son bien-aimé Wagner.
« C’est égal, rien qu’à la pensée de paraître de nouveau devant Sa Majesté Bavaroise, si elle vivait encore, je frissonnerais et ne retrouverais sans doute pas le beau courage dont je fis preuve en cette inoubliable circonstance. »
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