jeudi 22 octobre 2020

Potins viennois autour de la Hofburg en 1901

Un reportage viennois du journal Le Temps du 27 février 1901

REPORTAGE VIENNOIS — AUTOUR DE LA HOFBURG

    On nous écrit de Vienne.
   On parle beaucoup, en ce moment, d'une artiste du Burg-Theater, Mme Schratt, notoirement protégée par l'empereur François-Joseph depuis de longues années. Après la mort de l'impératrice Elisabeth, les suppositions avaient pris leur essor à Vienne, surtout quand on apprit que Mme Schratt quittait le Burg-Theater. Les raisons qu'elle donna de son départ, mécomptes d'artiste et mauvais état de sa santé, firent l'effet de simples prétextes. Dans cette Autriche où les mariages de la plus haute aristocratie avec des étoiles de théâtre ne sont pas rares, la retraite de Mme Schratt parut être le prélude d'un mariage morganatique.
   Il y avait, il est vrai, un petit obstacle : Mme Schratt est mariée, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit effectivement en puissance de mari. Ce mari séjourne discrètement fort loin de Vienne et même, croyons-nous, de l'Autriche, « dans les honneurs obscurs de quelque légion » ou légation. Mais enfin il existe ! Qu'à cela ne tienne ! Les nouvellistes crurent avoir raison malgré la raison même quand on apprit que Mme Schratt s'était rendue à Rome — et le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable —qu'elle avait été vraiment reçue par le pape lui-même ! Plus de doute, Mme Schratt était en passe d'obtenir du Saint-Siège la nullité de son mariage et l'autre désormais ne saurait plus tarder. Eh bien, il semble que les imaginations viennoises, friandes d'histoires sentimentales et piquantes, soient allées beaucoup trop loin. Sans doute, Mme Schratt a été reçue par Léon XIII, mais ce n'était pas en audience particulière et personnelle. Il peut paraître étonnant que la personne qui a emmené Mme Schratt au Vatican soit la propre sœur de l'impératrice Elisabeth, la comtesse de Trani, mais on ne saurait s'en étonner à Vienne. La faveur que l'empereur témoigne à Mme Schratt était couverte par l'indulgence de la feue impératrice elle-même. La comtesse de Trani avait présenté Mme Schratt comme une personne de sa suite. Au Vatican, elle fut reçue comme telle. Elle ne pouvait même songer à demander à l'autorité pontificale de reconnaître la nullité de son mariage, puisque de ce mariage est né un fils parfaitement vivant à cette heure et même déjà grand à ce qu'on dit.

   Mme Schratt vient, d'ailleurs, de dissiper par une interview une partie tout au moins de ce romanesque qui s'est attaché, dernièrement surtout, à sa personne.
Elle est en ce moment à Berlin où, à ce qu'on as,sure, elle doit créer le rôle de Joséphine dans Plus que reine, de Bergerat. A un rédacteur du Lokalanzeiger qui n'a pas hésité à la questionner sur ses relations avec la défunte impératrice d'Autriche, Mme Schratt a fait en substance la réponse suivante : « Cette femme, de caractère si noble et si élevé, dans l'angoisse de ses souffrances morales et physiques qui la faisaient courir le monde, trouvait une consolation à savoir qu'une femme bonne et gaie amusait l'empereur par ses récits, par des lectures, des promenades en commun à Schœnbrunn et à Ischl et que cette femme n'a jamais abusé de sa faveur pour intriguer. Tous les ans je prenais un congé pour porter, au printemps, les premières violettes à l'impératrice, soit à Goedœllœ, soit à Territet, et elle me retenait plusieurs jours auprès d'elle».
   Un mot qui résume cette situation particulière de l'ancienne artiste du Burg-Theater courait les salons de Vienne ces temps derniers. « En perdant l'impératrice, a dit Mme Schratt, j'ai tout perdu. » Mot paradoxal, non sans quelque justesse toutefois. Tout le monde à la cour et dans la famille impériale n'avait pas pour la lectrice de l'empereur, la Scheherazade aux mille et un contes, la même indulgence détachée et surnaturelle qu'avait l'impératrice Elisabeth. Surtout depuis la mort de celle-ci, l'empereur a été pressé, dit-on, avec une instance particulière par l'archiduchesse Marie-Valérie, sa fille tendrement aimée, de renoncer à une amitié devenue une chère habitude. Mme Schratt voyage ; elle « laisse faire le temps, sa patience et son roi ». Et, comme il est dans l'ordre des choses humaines, les oppositions désarmeront : elle reverra la Hofburg ou, tout au moins, les rencontres incognito de Schœnbrunn.

Invitation à la lecture

    
    J'invite les lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus consacrés à mon ami le prince héritier Rodolphe réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).

Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
   Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook (ebook en promotion de lancement).

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)

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