mercredi 14 août 2024

Médaille d'or pour la nouvelle production salzbourgeoise des Contes d'Hoffmann


Benjamin Bernheim (Hoffmann), deux figurants à tête d'oeil 

Le Festival de Salzbourg a confié sa nouvelle production des Contes d'Hoffman à un trio parisien : Mariame Clément, qui fait ses débuts à Salzbourg, pour la mise en scène, Marc Minkowski pour la direction musicale et Benjamin Bernheim dans le rôle-titre pour la dernière œuvre d'Offenbach, un Parisien d'adoption qui est mort avant de l'avoir vue jouer à l'Opéra Comique de Paris. L'opéra n'avait plus été joué sur les bords de la Salzach depuis 2003. La production salzbourgeoise utilise l'édition critique de Jean-Christophe Keck, sur laquelle Marc Minkowski avait travaillé avec ce grand expert d'Offenbach pour la version en concert qu'il avait dirigée à la Salle Pleyel en 2012. Le choix de confier les quatre rôles des femmes aimées par Hoffmann à une seule chanteuse est conforme aux intentions d'Offenbach. Minkowski souligne qu'il s'agit d'une nécessité dramaturgique : l'opéra tourne autour de l'obsession d'Hoffmann pour une seule femme, Stella, qui réapparaît dans chacune de histoires amoureuses sous une autre forme, mais avec la même voix. Ce rôle demande une soprano dramatique colorature, une voix chaleureuse et intense qui soit capable de produire une pyrotechnie de coloratures. Le choix s'est porté sur la soprano américaine Kathryn Lewek, célèbre pour ses coloratures et qui a déjà chanté le quadruple rôle au Palm Beach Opera en Floride.

Mais qui est donc Hoffmann ? C'est la question qui se trouve au centre de la mise en scène. Mariame Clément en fait un artiste, un cinéaste. Devant un haut mur de béton qui emplit tout le fond du cadre de scène on voit un clochard endormi la tête posée sur un coussin disposé sur la plateau inférieur d'un chariot de supermarché qui semble rempli de matériel cinématographique. C'est Hoffmann, boit-sans-soif hagard et mélancolique, qui semble visiter les tréfonds de la dépression. On se trouve sur les lieux de la production d'un film, dont tous les travailleurs se retrouvent pour se restaurer. Hoffmann, le réalisateur, est incité à raconter l'histoire de ses amours. Un film ou une vidéo est montrée aux participants regroupés à droite de la scène, dont l'action, filmée par Hoffmann se déroule sur la gauche du plateau. Hoffmann est à la fois le cinéaste et également un acteur prenant partie prenante à l'action. La mise en scène  explore la manière dont la création artistique et la vie s'entremêlent. Les trois récits que filme Hoffmann correspondent à trois étapes de sa vie : ce seront les épisodes de la poupée, de la chanteuse ,qui se voit interdire de chanter, et de la courtisane. Si  Olympia, Antonia et Giulietta sont de pures projections d'Hoffmann, une fantaisie de l'auteur, la mise en scène leur attribue une vie indépendante.

Benjamin Bernheim (Hoffmann), Kathryn Lewek (Olympia), choeur et figurants

L'Olympia de Salzbourg n'est pas seulement la poupée mécanique représentée traditionnellement. Elle est aussi un personnage de chair et d'os, une fille pulpeuse qui chante habillée en Barbarella, l'héroïne du film que tourna Vadim en 1968. Hoffmann la filme dans un décor lunaire à la Méliès, avec les indispensables soucoupes volantes. Lorsqu'elle quitte le décor du tournage, on la voit coiffée à la Sheila, avec deux couettes, et portant une jupe écossaise fort courte. Pour l'épisode d'Antonia, les travailleurs du cinéma ont disparu, toute la scène est occupée par la confortable maison du père de la jeune femme, à la décoration romantique. La mémoire de la mère défunte de la jeune femme est partout présente. Aux fantaisies de la scène de la  poupée succède des éléments de fantastique. La mort rôde menaçante. La dernière scène passe à un échelon supérieur, c'est la fantasmagorie qui s'installe. Dans cette évolution, on perçoit bien combien il est essentiel que les trois femmes soient interprétées par une seule chanteuse. De même pour le personnage de Lindorf et de ses trois homologues dans les trois contes. Hoffmann, qui subit le contrecoup des actions menées contre Spalanzani puis contre le conseiller Crespel et sa fille, devient la victime principale dans le troisième épisode amoureux. Le quadruple diable le devient de plus en plus : d'abord porteur de cornes, on lui voit ensuite des mains gigantesques et crochues, une queue lui pousse et il devient de plus en plus obèse. Le fantastique atteint son paroxysme lorsqu'on voit apparaître des humains hybrides : deux figurants ayant un gigantesque œil à la place de la tête, ce sont les yeux qu'avait vendus le charlatan Coppelius, puis des figurants dont la tête est remplacée par une grande caméra de tournage et qui circulent en bande. La grande mise en abyme organisée par Mariame Clément n'est pas un collage d'effet comme c'est souvent le cas lorsqu'un tournage est introduit dans une mise en scène d'opéra, elle fait sens et elle est efficace, rend bien compte de l'artiste qu'est Hoffmann, de même que l'est son dédoublement dans sa fonction de réalisateur venant acteur.

L'immense scène de la grande salle du Festival fait l'objet d'une spatialisation des décors particulièrement réussie, un travail remarquable de la décoratrice et costumière Julia Hansen. Ses costumes remplissent parfaitement leurs fonctions de définition des personnages. Un travail non dénué d'humour. Les déplacements du magnifique choeur viennois font l'objet d'une chorégraphie soignée orchestrée par Gail Skrela. Élément essentiel de la mise en scène, les projections cinématographiques réussies de films anciens ou de grands portraits projetés notamment de Hofmann sont l'oeuvre d'Étienne Guiol. Tout le travail de mise en scène s'appuie sur un décodage textuel en profondeur du livret. Sans doute une bonne connaissance de la langue française, de ses atours et de ses détours, est-elle nécessaire pour goûter la substantifique moelle du travail de Mariame Clément. Pour les autres, le travail du dramaturge Christian Arseni expose clairement dans le programme les enjeux de la production. 

Christian Van Horn en Dr Miracle

Benjamin Bernheim adule le rôle d'Hoffmann pour lequel sa voix semble parfaitement taillée. Il rend avec un talent théâtral et vocal consommé les multiples facettes et les couleurs multiples de l'Hoffmann amoureux, naïf, stupide, colérique, dépressif, créatif, ou cela tout ensemble. Il exhale le bonheur d'être en scène et nous le partage. Quelle finesse, quelle sensibilité, quel kaléidoscope de couleurs, quel somptueux ténor. Un Hoffmann d'anthologie. Mais un bonheur ne vient jamais seul, ses partenaires de scène appartiennent au même panthéon chantant. L'Américaine Kathryn Lewek crève l'écran, avec son soprano colorature dramatique, des qualités d'actrice qui la font passer de la jeune femme sensuelle à l'érotisme guerrier à la romantique douloureuse, puis à la manipulatrice putassière, ces trois femmes qui se confondent en une, Stella, l'étoile qui a touché le coeur d'Hoffmann. Américaine elle aussi, Kate Lindsey brûle les planches en Muse/Niklausse avec son mezzo-soprano profond, une voix de gorge émouvante et pleine, une intensité dramatique qui touche les âmes. Le baryton-basse américain Christian Van Horn, à la voix puissante et impérieuse, dotée d'un timbre séduisant et bien projetée,  a des allures de maquereau pour jouer Lindorf , se métamorphose en un repoussant Coppélius, un infâme qui se délecte du mal qu'il fait, en un mauvais génie en Docteur Miracle qui prétend guérir pour mieux tuer, une dénomination qui cache un parfait escroc, puis en Dapertutto, le diable en personne qui collectionne les ombres des hommes qu'il capte grâce à son miroir magique. Quatre diables, c'est beaucoup pour un seul homme, mais pas pour Christian Van Horn, qui portait ce soir bien son nom, les germanophones comprendront.

Pour l'anecdote : Léo Vermot-Desroches, finaliste des Voix nouvelles, est la doublure de Benjamin Bernheim au Festival de Salzbourg pour le rôle d'Hoffmann. Il a déjà rempli son office lors de la répétition générale. Benjamin Bernheim s'était rendu à Paris pour y chanter l'Hymne à Apollon de Fauré lors la cérémonie de clôture des JO. Il est revenu interpréter Hoffmann ... dans une forme olympique !


Distribution de la première du 13 août 2024

Marc Minkowski Chef d'orchestre
Mariame Clément Metteuse en scène
Julia Hansen Décors et costumes
Paule Constable Éclairage
Étienne Guiol Vidéo
Gail Skrela Chorégraphie
Christian Arseni Dramaturge

Benjamin Bernheim Hoffmann
Kathryn Lewek Stella / Olympia / Antonia / Giulietta
Christian Van Horn Lindorf / Coppélius / Le docteur Miracle / Dapertutto
Kate Lindsey La muse / Nicklausse
Marc Mauillon Andres / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio
Géraldine Chauvet La voix de la mère
Michael Laurenz Spalanzani
Jérôme Varnier Crespel / Maître Luther
Philippe-Nicolas Martin Hermann / Pierre Schlémil
Paco Garcia Nathanaël
Yevheniy Kapitula Wilhelm

Choeur du Konzertverein de l'Opéra d'État de Vienne
Jörn Hinnerk Andresen Maître du choeur
Orchestre philharmonique de Vienne

Crédit photographique © SF/Monika Rittershaus

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