mardi 2 février 2021

Éloge funèbre poétique du roi Louis II de Bavière par Nemo

J'aime beaucoup de cet article publié par un certain Nemo (— pseudonyme, mais qui se cache sous ce nom d'emprunt ? —) pour sa poésie élégiaque combinée à une grande justesse d'approche de la personne du roi. Il fut publié dans un journal belge, peu de jours après la mort du roi en juin 1886.

LE ROI DE BAVIÈRE

Quoi que l’on pense ou dise, en ces temps démocratiques, le roi Louis II de Bavière, qui vient de mourir si tragiquement,aura été le dernier des grands rois fastueux de l'histoire. Ce poète couronné qui, tout au joug de son règne, aura vécu dans la radieuse vision des grandeurs, a su, par la force irrésistible de l'or, réaliser ses rêves féeriques, et les Sept Châteaux ont déjà passé dans la légende chimérique à laquelle l'avenir ne voudra pas ajouter foi.

Pour ceux qui ont lu le Roi vierge, ce poème royal où passe l'éclair de la grandeur dans l'Art, pour ceux qui connaissent les récits mystérieux de cette Cour dont le maître vivait solitaire, dans la contemplation et la rêverie, cette mort est un heureux événement. Il nous eût été douloureux presque de voir cette haute figure disparaître dans une décrépitude de royauté déchue ; il nous plaît, au contraire, de nous imaginer Louis de Bavière jouant une dernière fois quelques phrases mélancoliques de Lohengrin, puis s’enfonçant dans les eaux calmes et frissonnantes de l'étang de Starnberg ; quelques ronds pareils à des ondes sonores que l'on verrait, puis le silence éternel, et, au fond de ce néant, les filles des roseaux recueillant et déposant sur le lit des mousses ce dernier amant royal de la chimère.

Demain, le monde et les journaux raconteront jour par jour la vie de Louis Il, ses folies, ses humeurs, sa virginité que rien ne pouvait ternir ; ils raconteront aussi comment ce roi fit abdication de lui-même devant un autre roi : Richard Wagner.

Sans lui, peut-être méconnaîtrions-nous encore l'immortel lyriste de Lohengrin, de Tannhäuser, du Vaisseau fantôme. Sans lui nous aurions retardé de vingt ans dans l'initiation wagnérienne. C'est le roi de Bavière qui hâta l'heure du triomphe en organisant, aux frais de sa caisse inépuisée, les représentations de Bayreuth, Nous ne rappellerons pas les journées qui se déroulèrent dans ce coin perdu. Il y avait eu, jadis, les journées de Versailles avec le faste étincelant du Roi-Soleil ; mais,ici,ce n'était pas l'œil seulement qui s’emplissait de merveilles lumineuses, c'était l'âme que pénétrait l'âme du compositeur.

Roi-Vierge, Louis II eut d'autres maîtresses que des dames de cour ; dans la vision musicale, il enlaça tour à tour Iseult, Eva, Elisabeth, Elsa, Brünhilde ; tour à tout il fut Tristan, Walther, Tannhäuser, Lohengrin, Siegfried, et dans ces longues veillées d'amour, il avait quelque chose de plus mordant et de plus lascif que l'amour charnel, qui n'est qu'un spasme ; il possédait le spasme qui ce cesse point dans une lassitude, un anéantissement. Vêtu comme les chevaliers du Graal, de la robe immaculée, la poitrine protégée par l’inviolable cuirasse d'argent, Louis II vivait les héros de Wagner, il s'incarnait en eux ; chaque note, chaque phrase était un de leurs gestes, une de leurs colères, et lorsque la musique s’apaisait en douceurs, le Roi-Vierge sentait couler en lui, comme une fluide voie lactée, tous les blandices et toutes les sérénités de la terre.

Souvent Louis de Bavière se rendait, par les chemins déserts, à la demeure du maître, à Wahnfried, et là, tous deux s’entretenaient des œuvres à venir, rêvant des exécutions incomparables, un théâtre idéal,où rien ne troublerait l'auditeur ravi à la réalité. Les heures passaient dans ces causeries, presque mystiques, tant il devait y avoir de correspondance muette entre ces deux pensées.

Le Corps inanimé gît,en ce moment, sur un lit de parade, tandis que le peuple bavarois pleure celui qu'il aimait sans le connaître. Mieux eût valu,devant le prestige d’une telle vie et d’une si grande mort,qu’on laissât reposer dans sa couche froide du lac de Starnberg le dernier Roi, Louis de Bavière, duc de Franconie et de Souabe.

Nemo.

in La Nation, Bruxelles, 16 juin 1886

Envie d'en savoir davantage sur le roi Louis II de Bavière ? 

Voici mes dernières publications dans lesquelles je vous invite à vous plonger :




Pour lire un extrait 

Clique sur le lien souhaité puis sur l'onglet lire un extrait

Le roman d'un roi. Les troublantes amours de Louis II de Bavière : https://www.bod.fr/librairie/le-roman-dun-roi-auteur-anonyme-9782322255139

Louis II de Bavière. Le cygne des Wittelsbach : https://www.bod.fr/librairie/louis-ii-de-baviere-le-cygne-des-wittelsbach-chanoine-dagrigente-9782322102006

Les voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise du Rheingoldhttps://www.bod.fr/librairie/rodolphe-luc-henri-roger-9782322241378

Le roi Louis II de Bavière dans la poésie française : https://www.bod.fr/librairie/le-roi-louis-ii-de-baviere-dans-la-poesie-francaise-luc-henri-roger-9782322208371






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La Sylphide dans la version de Pierre Lacotte au Ballet d'État de Bavière — Quatrième partie

Maria Taglioni (1804-84) in  La Sylphide, Souvenir d'Adieu  (6 lithographies d'Alfred-Édouard Chalon, 1845) Nous poursuivons notre e...