samedi 17 juillet 2021

Brigitte Fassbaender met en scène un nouveau Rheingold aux Tiroler Festspiele d'Erl

Albérich - fille du Rhin
Crédit des photographies © Xiomara Bender/Tiroler Festspiele Erl

Le Festival d'été du Tyrol à Erl a entamé la production d'un nouveau Ring wagnérien en donnant le Rheingold cet été. Le prologue de l'Anneau du Niebelung sera repris au programme de l'été prochain en en se voyant adjoindre la Walkyrie. Siegfried et le Crépuscule des dieux viendront s'y ajouter à l'été 2023 où deux cycles du Ring sont programmés au Passionsspielhaus (Théâtre de la Passion).

La mise en scène a été confiée à la Kammersängerin Brigitte Fassbaender, consécration d'une carrière d'une richesse inouïe. Grande mezzo-soprano, Madame Fassbaender a souvent interprété des rôles wagnériens avec les plus grands chefs : Waltraute avec Solti, Magdalene avec Kubelik, Floshilde avec Sawallisch, Fricka avec Karajan, Brangäne avec Kleiber,... Comme chanteuse, elle était considérée comme le prototype de l'actrice chantante, le mot est d'August Everding, car son art fut toujours lié à sa passion d'un jeu de scène nourri d'une pénétration psychologique des œuvres. Sa présence scénique était impressionnante, la perfection vocale se mariant avec une performance d'actrice complètement naturelle et authentique. À la fin des années 80, elle entama une grande carrière de metteuse en scène parallèlement à son métier de chanteuse d'opéra et de lieder, à sa vocation de professeure de chant ou de directrice de festival. Parmi ses très nombreuses productions, on épinglera deux mises en scène d'oeuvres de Wagner : deux Tristan und Isolde (Braunschweig 1996 et Innsbruck 2001) et un Rheingold à Innsbruck en 2009. Le Festival du Tyrol lui offre la possibilité de réaliser, à 82 ans magnifiquement portés,  son premier Ring. On le comprend, les compétences accumulées dans ces divers métiers du théâtre sont en soi un gage de réussite et une aubaine pour les festivaliers.

Pour son second Rheingold, Brigitte Fassbaender s'est associée avec Kaspar Glarner, un décorateur et costumier qui a ces vingt dernières années beaucoup travaillé pour l'opéra, notamment avec Uwe Eric Laufenberg et Keith Warner. Cette fine équipe a été confrontée à la configuration scénique du théâtre de la Passion d'Erl dont la scène aux dimensions impressionnantes est dénuée de fosse d'orchestre et de cintres et ne dispose quasiment pas de dessous. Si des solutions sont possibles pour pallier le manque de machineries, elles se présentent moins quant à l'exécution musicale. L'orchestre doit en effet être nécessairement placé en fond de scène. Glarner le fait disparaître derrière un grand voile de gaze avec des lumières discrètes aux éclats dorés pour l'éclairage des partitions. Si comme à Bayreuth l'orchestre est quasi caché, on est  évidemment loin de la fameuse acoustique conçue par Wagner  avec l'installation du célèbre double abat-son de la colline verte.

Fafner, Fasolt, Freia et Froh

Face à ces contraintes, Brigitte Fassbaender a opté pour un travail intense sur le jeu des acteurs mettant l'accent sur la définition psychologique des personnages, une vision que de son côté Kaspar Glarner est parvenu à rendre par des costumes aussi typés que réussis. Les éléments narratifs mythologiques et une certaine magie féérique sont bien sûr présents, mais c'est surtout l'humanité des protagonistes que Brigitte Fassbaender et Kaspar Glarner se sont attachés à rendre, réussissant un découpage de profils remarquables. Les filles du Rhin sont vêtues de longues robes noires luisantes aux décolletés aguicheurs et portant des perruques à la Cléopâtre. Robes et perruques comportent une touche poissonneuse. Les dieux semblent davantage appartenir au monde de la grande bourgeoisie qu'au Panthéon : Wotan, vêtu de bleu comme le voulait Wagner, porte un élégant costume avec gilet et cravate qu'il s'applique à rajuster, il agit en homme d'affaires préoccupé de ses ses intérêts et peu enclin à honorer ses contrats. Fricka, un peu popote, porte un tablier par dessus son élégant tailleur ; Erda, que Fricka contrôleuse et jalouse, déteste, — et pour cause, — la toise avec des airs méprisants de grande bourgeoise. Loge est un fieffé coquin, un de ces hommes d'affaires hâbleurs un peu matamoresque, habillé de manière trop voyante, il joue du briquet comme il se doit pour un dieu du feu, s'amuse à faire jaillir des flammes et est un peu cleptomane, dérobant une pépite d'or ici, une cuillère du même métal là. Alberich devient le personnage central de la pièce : homme des bas-fonds avide de sexe et de pouvoir, il entre en scène en peignoir de bain miteux et tente de séduire les ravissantes filles du Rhin dans cet attirail. Une fois l'or du Rhin dérobé, il pose en costume doré m'as-tu-vu, arborant un Tarnhelm très tendance qui évoque des lunettes de simulation visuelle. Fassbaender traite ce personnage généralement détesté et présenté comme hideux avec une certaine compassion et même une certaine tendresse, en un mot avec humanité. Elle en fait un personnage gesticulant et bondissant, toujours affairé à droite et à gauche de la scène, gravissant avec agilité une table ou remontant un tapis roulant (d'orpaillage peut-être) qui descend de manière oblique d'un des côtés de la scène. Chapeau bas pour le baryton-basse américain Craig Colcough qui est parvenu à briller de sa voix puissante dans ce rôle exigeant tout en répondant à la performance athlétique exigée par la mise en scène ! Froh est habillé à la dernière mode dandy, dieu de la joie vaniteuse, inconsistant, les cheveux teints en bleu, veston rouge et cravate sur bermuda rouge à carreaux sur de longs bas mauves, enfin, le dernier chic ! Freia, en jupe de satin vert portée sur un chemisier blanc tombe amoureuse de son ravisseur le géant Fasolt, qui en devient humain, trop humain. Les géants se présentent en redingotes et cravatés, grandis par des bottines à semelles surélevés et par des chapeaux à hautes calottes cylindriques.

Les dieux sont en plein déménagement, ils ont fait leurs caisses et leurs valises : côté cour, la scène est encombrée de caisses et de meubles. Le Walhalla n'est pas donné à voir aux spectateurs, les dieux le contemplent en fixant la salle, ce qui, non sans ironie, donne à comprendre que  le public est assis au Panthéon ! Au finale, pour la montée au château, une rampe d'accès descend du côté cour vers le centre de la scène et les parois convexes des côtés de scène se voient colorées des couleurs de l'arc-en-ciel, un effet vidéo un peu décevant. 

L'humour ponctue cette belle mise en scène marquée à la fois des coins de la critique sociale ironique et de la tendresse. Brigitte Fassbaender pose un regard pétillant de malice sur les travers de notre société et dénonce avec une une ironie mêlée de tendresse les vices et les faiblesses d'une société avide d'or, de pouvoir et de sexe. Les costumes colorés de Glarner expriment bien la psychologie des personnages et nous rions des trouvailles cousues de fil blanc au moment des métamorphoses d'Albérich qui apparaît sous la forme d'une grande tête de cobra  dressant la tête et déployant sa coiffe menaçante avant de se transformer en crapaud de peluche. En fin de compte, les dieux embarquent par la passerelle sur le navire du Walhalla, rassurés d'avoir récupéré Freia et ses pommes d'or qui leur assurent la jeunesse, et ces bourgeois blasés ne se rendent pas compte, malgré les avertissements d'Erda, que leur Walhalla n'est jamais qu'un Titanic.

Si la direction d'orchestre d'Erik Nielsen n'est pas parvenue à soulever de grandes passions et me semblait manquer d'effets d'entraînement, une bonne troupe de chanteurs a par contre assuré le succès de la soirée. Le baryton basse Simon Bailey qui avait interprété Klingsor à Francfort et plus récemment à l'Opéra du Rhin donne un Wotan de belle tenue rendant fort bien les veuleries et les insuffisances de ce dieu magouilleur. L'Albérich de Craig Colclough recueille tous les suffrages, magnifique d'un bout à l'autre de son rôle, tout en puissance notamment dans le duo des Nibelungen avec le Mime du très imposant George Vincent Humphrey, qui est annoncé pour le prochain Siegfried. Le jeune Thomas Faulkner en Fasolt amoureux est une des bonnes découvertes de la soirée : une voix d'outre-tombe puissante, dramatique, avec une grande force de projection. Tout aussi remarquable est la prestation de Ian Koziara, un chanteur au ténor doté de douceurs lumineuses et de clartés sonores, avec un excellent jeu de composition du personnage de Loge, dont il rendait bien les stratagèmes emplis d'insinuations mielleuses. 

Le beau Prologue que voilà, qui donne un goût de de reviens-y. Rendez-vous est pris pour la Walkyrie de l'an prochain.

Infos et réservations : https://www.tiroler-festspiele.at/

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