vendredi 13 janvier 2023

Trois apparitions de l'impératrice Elisabeth. Une communication de Leopold von Sacher-Masoch

Le journal politique parisien anticlérical et de sensibilité socialiste (et donc pas monarchiste pour un sou) Le Cri du peuple publiait le 21 juillet 1887 la communication suivante, qu'il attribuait à l'écrivain journaliste Leopold von Sacher-Masoch (1836-1895). [ Les incohérences orthographiques ont été reproduites telles quelles. ] En 1887, le journal était placé sous la direction de la journaliste libertaire et féministe Séverine.


L'IMPÉRATRICE D'AUTRICHE
Trois apparitions. — Comment l'impératrice Elizabeth a conquis et perdu sa popularité en Hongrie.

M. Sacher Masoch a adressé à un Journal du matin l'intéressante communication suivante:

On nous annonce de Vienne que l'impératrice Elizabeth vient de partir pour l'Angleterre, où l'attire sa passion pour la chasse a courre.
Autrefois, le voyage de la belle souveraine eut produit une impression pénible en Autriche comme en Hongrie. Mais on y est accoutumé aux excentricités de l'impératrice, depuis qu'on n'a plus que de l' indifférence pour cette femme autrefois si aimée et si populaire.
J'ai rencontré trois fois dans ma vie cette apparition étrange, qui n'est pas moins fantastique que celle du roi Louis de Bavière. Ces trois rencontres jettent une vive lumière sur cette nature à part.
La première fois que je la vis, c'était au bord du lac de Starhemberg [sic] ; j'étais très jeune alors. Un soir par un beau clair de lune, j'étais couché dans l'herbe, plongé dans mes rêveries, lorsque tout à coup un bruit de rames et le son d'une cythare se firent entendre dans le lointain. Une barque se rapprocha lentement se balançant sur les flots argentés et laissant derrière elle une traînée d'étincelles. Dans cette frêle embarcation était assis un vieux paysan de la Haute-Bavière. Il portait des bas verts, des culottes de cuir qui laissaient voir ses genoux nus, une casaque grise et était coiffé d'un chapeau orné d une barbe de chamois et d'une plume de coq de bruyère. Il jouait de la cythare, entouré de trois belles filles aux tresses blondes, en costume de la Haute-Bavière. Leurs tournures étaient fières et élancées, et elles étaient vêtues de jupes courtes et de corsages bleus.
Lorsqu'elles ne furent plus qu'à quelques pas de moi, l'une d'elles se mit à entonner la chanson populaire que jouait le vieillard. Elle tourna vers moi son gracieux visage aux yeux bleus, et sourit en s'apercevant qu'elle avait trouve un auditoire, car plusieurs paysans s'étant approchés, restaient debout pour l'écouter, ils avaient ôté leurs chapeaux et suivirent des yeux la barque qui s'éloignait. Longtemps encore cette douce voix de femme plana au-dessus du lac.
— Qui est cet homme ? demandai-je à un vieux paysan, ces belles créatures sont sans doute ses filles ?
— C'est notre duc Maximilien de Bavière répondit le paysan, et ces jeunes filles sont les princesses. Celle que vous avez entendue chanter est la princesse Elisabeth.
Un peu plus tard la « Nixe » (l'ondine) du lac d'Autriche de Starhemberg était devenue l'impératrice d'Autriche. 
Je la rencontrai pour la seconde fois en 1867, au moment où la convention austro- hongroise venait d'être conclue.
C'était à Vienne, à la gare de Hongrie. Elle était au bras de l'empereur François-Joseph, et se rendait à Buda-Pest pour gagner les Hongrois. Je la trouvai très changée. Ce n était plus la gracieuse jeune fille aux blondes tresses, mais une femme majestueuse, digne de porter l'hermine impériale. Elle savait qu'elle était belle, et avait rehaussé encore par sa toilette le charme enchanteur répandu dans toute sa personne. Ses formes sveltes et élancées se dessinaient à ravir dans une robe de velours noir à courte traîne et un « Attila » (casaque collante) en velours garni de zibeline ; un chapeau hongrois donnait à sa tête fière un certain air viril d'amazone.
Elle fit en Hongrie la conquête de tous les cœurs. Après le couronnement, lorsque la cour résidait pendant quelques mois de l'année dans le palais royal de Buda-Pesth ou au château de Godollo, sa popularité était à son apogée. Elle portais toujours le costume hongrois, parlait couramment la langue magyare et s'occupait de la littérature hongroise avec sa lectrice, Mlle de Ferenczi. Elle parvint à enchanter tous les hommes marquants : le vieux Deak, chef du parti libéral, le romancier Jokai et le ministre baron Eotvos, l'auteur du célèbre roman, le Notaire de village.
Elle passait déjà à Vienne pour une amazone brillante et intrépide, mais elle fut prise tout à coup de cette folle passion pour la chasse à courre. Le Hongrois est vaillant et méprise le danger, mais il a le cœur sensible. Il admirait la fière amazone, mais le spectacle d'une chasse à courre était peu dans ses goûts. Il commença à blâmer la royale chasseresse de s'adonner à ce passe-temps inhumain, et ce blâme devint une vraie protestation le jour où l'impératrice poursuivit un cerf, de Godollo jusque dans les rues de Buda-Pesth.
Ce fut l'occasion de ma troisième rencontre avec elle.
Des milliers de promeneurs qui traversaient l'avenue Radiale pour se rendre au « bois de la Ville » furent témoins de la Curée et manifestèrent hautement leur mécontentement et leur indignation.
La belle femme aux joues enflammées, aux yeux étincelants, qui vit avec un sourire cruel le pauvre animal, traqué par les chasseurs, venir expirer à ses pieds, n'était plus à leurs yeux ni l'aimable cantatrice du lac de Starhemberg, ni la gracieuse souveraine qui avait fait son entrée triomphale à Buda-Pesth, mais une sauvage Walkyrie.
De plus, après cette chasse, elle accepta à déjeuner chez le comte Zichy.
Une affaire scandaleuse, dans laquelle était impliqué le comte Zichy, finit par un duel. Zichy fut tué par le comte Bathiany. Ce fut le coup de grâce pour la popularité de l'impératrice en Hongrie.

Sacher-Masoch.

Ainsi qu'on le sait, l'impératrice Elisabeth est sœur de la duchesse d'Alençon qui devint folle et fut internée à Gratz.
L'impératrice a une autre sœur, la princesse Marie-Sophie, l'ex-reine de Naples qui fournit à Alphonse Daudet le type principal de son roman des Rois en exil.
Elle est enfin la cousine-germaine du roi Othon, le fou actuellement enfermé et qui avait succédé au roi Louis II qui lui aussi mourut fou.

La fille aînée de l'impératrice d'Autriche, la princesse Gisèle, est mariée au prince Léopold de Bavière, Quant à son fils, le Kronprinz Rodolphe, il a épousé la princesse Stéphanie, la nièce de l'ex-impératrice Charlotte qui a fourni à la presse de si jolis scandales. 

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