Soirée musicale d'exception au Sacré-Coeur de Neuhausen (Herz-Jesu-Kirche München), une église à l'architecture dépouillée et futuriste réputée pour la qualité exceptionnelle de son acoustique, digne d'une salle de concert, due à son revêtement en bois et surtout à son plafond en bois. Avec la série de concerts Paradisi gloria qu'y organise depuis plusieurs années le Münchner Rundfunkorchester, l'orchestre de la radio de Munich, la musique spirituelle de notre temps a trouvé sa place dans ce lieu d'élection à la décoration spectaculairement moderne, dont la façade reflète si bien les humeurs du ciel bavarois
Le Münchner Rundfunkorchester et le choeur de la Bayerische Rundfunk, placés sous la direction du jeune maestro autrichien Patrick Hahn, premier chef invité, viennent d'y donner le Requiem d'Andrew Lloyd Webber, avec un ensemble de solistes triés sur le volet. L'exécution du 15 juin se voulait également un hommage à la vie et à l'œuvre du compositeur britannique, qui a fêté ses 75 ans en mars dernier.
Andrew Lloyd Webber est une personnalité qui s'est rendue célèbre en tant que compositeur avec pour ne citer qu'eux son opéra-rock Jesus Christ superstar et des comédies musicales telles que Evita (1976), Cats (1981) et Le Fantôme de l'Opéra, mais aussi avec son Requiem qui a également acquis une renommée mondiale. Récompensé par le Grammy de la meilleure composition classique contemporaine en 1986, ce chef d'oeuvre doté d'un grand geste sonore est dédié à la mémoire du défunt père de Webber. La première placée sous la direction de Lorin Maazel avait eu lieu le 24 février 1985 à l'église Saint-Thomas de New York avec trois solistes prestigieux : Plácido Domingo, Sarah Brightman, épouse de Lloyd Webber à l'époque, et Paul Miles-Kingston.
Cette saison, les concerts de la série Paradisi gloria ont pris une nouvelle orientation dramaturgique : La musique sacrée de notre époque est complétée par la récitation de textes correspondants qui sont commandés spécialement à cet effet. Il en résulte une œuvre d'art totale composée de musique sacrée, d'architecture sacrée et de littérature contemporaine. La soirée commence par la lecture d'un texte que l'autrice Ursula Haas a spécialement composé pour l'occasion et qu'elle a elle-même commenté en avant programme. Le texte intitulé Also spricht Magdalena — ein Monolog für heute (Ainsi parlait Madeleine, un monologue pour aujourd'hui") met en scène une Marie-Madeleine actuelle, qui évoque pour nous la composition historique syncrétique du personnage évangélique de Marie de Magdala, la femme qu'aima Jésus comme une sœur, et dont l'histoire s'est élaborée au cours des siècles, par la transmission évangélique et ensuite par divers apocryphes. Au travers du souvenir de la Magdalena qui a accompagné Jésus pendant tout son parcours public jusqu'à la crucifixion et la résurrection, Ursula Haas insiste aussi sur la place de la femme au sein de l'Église et revendique une reconnaissance égalitaire de la femme. Son texte, admirablement interprété par l'actrice Laura Maire, nous a paru à la fois historique et militant.
À ce prologue littéraire a succédé une sublime interprétation du Requiem de Lloyd Webber avec au pupitre un chef visionnaire qui s'est appliqué à rendre le sens aigu de la dramaturgie du célèbre texte liturgique librement réarrangé par le compositeur qui a créé une imbrication de leitmotivs en insérant des reprises de passages marquants, particulièrement les lignes "Requiem aeternam" et "Dies irae". Patrick Hahn a conduit l'orchestre et le choeur à quatre voix (plus de 50 choristes préparés par Florian Befner) avec précision, subtilité, souplesse et doigté. Les musiciens, les choristes et les solistes ont admirablement rendu la théâtralité expressive de l'oeuvre, déployant l'éventail très riche des sentiments humains face à la mort et au Jugement dernier, avec des moments très contrastés. Ainsi de la chute du fameux "Hosanna" : alors que le ténor et le choeur viennent de célébrer le Christ venu proclamer la Bonne Nouvelle au nom du Seigneur en swinguant dans un mode groove extrêmement entraînant ("Benedictus qui venit in nomine Domini") avec la multiple reprise de l'Hosanna joyeusement clamé par le ténor, cette atmosphère exaltée, la plus chantante de la composition, est interrompue par la reprise douloureuse du " Dies irae " de la soprano, pour aboutir à la douceur de la partie la plus connue de la partition, le motet du " Pie Jesu " interprété par les deux sopranos, celui de la chanteuse et celui de l'enfant, et par le choeur. La composition de Lloyd Weber est absolument remarquable avec des gammes de tons entiers, des retours chromatiques, des sons complexes superposés, l'utilisation d'un contrepoint savant, hommage au père du compositeur, et de grands mouvements symphoniques. Le chef Patrick Hahn se joue de la complexité de l'orchestre élargi d'une batterie de percussions et d'un synthétiseur qui vient s'ajouter à l'orgue d'église. Il est aussi soucieux d'une utilisation équilibrée du volume acoustique. La qualité de l'orchestre et du choeur sont légendaires à Munich. L'exceptionnelle unisson, la fusion des voix dans l'expression émotionnelle, le soutien aux voix des solistes, le mariage avec l'instrumentation atteignent une rare perfection. Les quatre solistes étaient à l'aune de l'orchestre et du choeur. Les interprétations des deux sopranos enfants du Tölzer Knabenchor laissent pantois. L'aîné, qui tenait la partie la plus importante, a soulevé l'enthousiasme du public par un engagement hors du commun, une présence scénique inouïe, une intelligence du chant dans la transmission des émotions, l'attention tendue vers les départs de chant donnés par le chef, un soprano angélique avec de belles modulations dans le registre inférieur. C'est à lui qu'était confié le final, pour lequel on l'a vu quitter la scène pour parcourir toute l'allée centrale de la nef en répétant avec un diminuendo poignant le "perpetua" de la lumière éternelle du dernier verset. Prodigieux ! La soprano britannique Soraya Mafi a filigrané le cristal lumineux de sa voix dans un chant très émouvant combinant avec subtilité finesse expressive, puissance et intensité. Le ténor hanovrien Benjamin Bruns livre toutes les qualités d'un Heldentenor wagnérien qu'il déploie avec une projection et un phrasé remarquables, la clarté du timbre subjugue et son registre dramatique prend aux entrailles.
Ce Requiem fut à notre sens un des moments clés de la saison munichoise. Gott sei Dank, la radio bavaroise a réalisé une prise de son et le rendra très bientôt accessible : BR-KLASSIK diffusera un enregistrement du concert le dimanche 25 juin à 19h05 à la radio. L'enregistrement audio sera ensuite disponible à la demande pendant 30 jours sur br-klassik.de.
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