lundi 22 janvier 2024

La nouvelle Flûte enchantée du Theater-am-Gärtnerplatz fait fureur à Munich

Les deux Taminos. Lucian Krasznec et Jakob Wiedenhofer

Deux Flûtes enchantées sinon rien ! À Munich on a l'embarras du choix entre deux productions de grande qualité : on va au Bayerische Staatsoper pour voir ou revoir la célèbre mise en scène d'August Everding, qui depuis 1978 ravit le public munichois et a fait le tour du monde, on se presse depuis octobre au Theater-am-Gärtnerplatz où la nouvelle mise en scène de son directeur général Josef E. Köpplinger fait sensation.

Köpplinger a plusieurs fois sur le métier remis son ouvrage, c'est ici sa troisième Zauberflöte. Son approche développe celle qu'il avait élaborée pour le Semperoper de Dresde en 2020. Il présente l'histoire de la Flûte comme un récit initiatique, une fiction d'apprentissage ("coming-of-age story") et pour nous en faire démonstration il dédouble le personnage de Tamino. Un Tamino garçon, joué par un jeune soliste, Jakob Wiedenhofer (né en 2009), entre sur un plateau dénudé dont le seul décor est en fond de scène une grande enseigne lumineuse donnant le titre de l'opéra. La musique commence et les éléments du décor se mettent soudain en place. L'idée maîtresse de Köpplinger consistera à montrer le processus de maturation du jeune homme, qui sera bientôt rejoint par le Tamino entré dans l'âge adulte, le ténor Lucian Kraznec, vêtu de la même tenue que son double juvénile (sweat-shirts à capuche bleu clair, jeans et baskets assortis). Les décors de Momme Hinrichs et les projections vidéo  de Meike Ebert, Raphael Kurig donnent à voir un monde mouvant, constamment en transformation, où tout est éphémère et dans lequel le jeune homme doit à chaque moment faire des choix qui vont constituer le prince adulte en devenir. La flûte enchantée, qui prend ici la forme d'une épée luminescente, symbolise la liberté de découverte et de décision. La mise en scène convoie un message d'espoir : chacun possède une flûte enchantée, chacun peut dessiner son parcours de vie et développer au fil des épreuves des perspectives heureuses qui permettent d'échapper aux ténèbres de la nuit pour évoluer vers un monde ensoleillé, de sortir du monde de la rancune et de la vengeance pour accéder à celui de la maturité, de la sagesse et du pardon.

 Andreja Zidaric en Reine de la nuit

Les épreuves de l'initiation maçonnique et l'approche philosophique morale seraient sans doute ennuyeuses si le spectacle n'était entièrement placé sous le signe du divertissement et de la poésie, un univers de conte de fées au sein duquel les trouvailles ludiques et l'étonnement émerveillé sont constamment au rendez-vous. D'entrée de jeu d'étranges créatures extra-terrestres revêtues de la tête au pied de collants de latex noir, à l'oeil frontal cyclopéen, viennent entourer le jeune Tamino. Plus avant, les trois garçons (die Knaben) sont comme souvent des créatures venues du ciel, des angelots ailés, mais ici ces petits anges sont de jeunes rouquins dégingandés arrivant en traînant les pieds, vêtus de sweat-shirs aux couleurs vives affichant des slogans révolutionnaires. Les sbires de Monostatos porteurs de tatouages et de chaînes, vêtus de longs tabliers de cuir, semblent tout droit sortis d'un groupe de heavy metal. Alfred Mayerhoher, costumier en titre de la maison, a réalisé des créations épatantes, dont un carnaval d'animaux particulièrement réussi. La flopée d'enfants de Papegena et Papageno sont représentés par la danse de grands oeufs sautillants, produits logiques de la procréation dans une famille d'oiseleurs. La technologie contemporaine ne manque pas avec des personnages consultant leurs téléphones portables, l'épée néonée de Tamino, la boîte luminescente du glockenspiel de Papageno. Les projections vidéos montrent le paysage urbain d'une cité égyptienne antique dévastée par le temps, les guerres ou les cataclysmes, aux colonnes penchées ou écroulées, aux temples à pylône, des lieux délaissés envahis par la végétation. Le pylône en vision rapprochée s'incendie entièrement au moment de l'épreuve de la traversée de l'eau et du feu. Des astres naviguent dans le ciel. Tout se meut dans l'inconnu des destinées humaines. Le plateau tournant et les élévateurs contribuent au mouvement perpétuel de la mise en scène. 

Convoyeur de rêve et magicien de la scène, Josef E. Köpplinger a superbement exploité les possibilités du livret d'Emanuel Schikaneder pour la plus grande joie des petits, fort nombreux dans le public, et des grands.
Daniel Gutmann et Sophie Mitterhuber

Côté chant, il faut d'abord souligner l'excellence du travail d'équipe qui assure le succès tout en cohésion musicale de la soirée. Il y a au Theater-am-Gärtneplatz un remarquable esprit de corps qui prédomine sur les individualités. L'agréable surprise est cependant de pouvoir entendre le Sarastro de la basse René Pape, qui l'interprétait déjà à Dresde en 2020, un rôle qui a fait sa célébrité dès les années 1990 et dans lequel ses profondeurs aux noirceurs diamantées sont célébrées dans le monde entier. Lucian Krasznec poursuit son cheminement mozartien en prêtant son ténor puissant à Tamino, dont il incarne avec un naturel convaincant le passage à l'âge adulte et le juvénile coup de foudre. Andreja Zidaric réussit une belle interprétation scénique de la Reine de la Nuit, parvenant à tempérer les coloratures de la rage vengeresse pour souligner les douleurs de la femme blessée et désemparée. La très mozartienne Sophie Mitterhuber en Pamina donne une des plus touchantes interprétations de sa carrière avec une justesse de ton et une douceur expressive dans les modulations des sentiments qui ont plongé le public dans le ravissement. Daniel Gutmann brûle les planches avec une prodigieuse interprétation de Papageno qui réjouit aussi bien l'oeil que l'oreille. Ce jeune homme athlétique à la belle apparence se livre à de sportives cabrioles, dont un poirier qui dévoile, — oh juste un moment, — des abdos dessinés en tablettes de chocolat. Un chanteur extraverti qui séduit  par le jaillissement et la vivacité de sa puissante voix de baryton fort bien projetée, dotée d'un timbre chaleureux et d'une superbe expressivité. Il campe un Papageno amoureux de la nature, doté d'une vision du monde pratique et terre à terre, et dont la seule audace est d'affirmer haut et fort son désintérêt pour les périlleuses embûches du cheminement initiatique.

Michael Balke, chef principal invité au Theater-am-Gärtnerplatz, conduit tout en souplesse l'excellent orchestre du théâtre qui sous sa direction met en exergue la poésie et les lumières de cet opéra dont Mozart dirigea la première au Theater auf der Wieden deux mois avant de mourir, un théâtre qui à peu de choses près devait avoir une capacité similaire à celle du théâtre de la Gärtnerpltaz.

René Pape (Sarastro) et Sophie Mitterhuber (Pamina)

Distribution du 21.01.2024

Direction d'orchestre Michael Balke
Mise en scène Josef E. Köpplinger
Chorégraphie Ricarda Regina Ludigkeit
Scénographie Momme Hinrichs
Costumes Alfred Mayerhofer
Lumière Kai Luczak
Vidéo Meike Ebert, Raphael Kurig
Dramaturgie Fedora Wesseler

Tamino, un jeune garçon Jakob Wiedenhofer
Sarastro René Pape
Prince Tamino Lucian Krasznec
Narrateur Timos Sirlantzis
Premier servant Alexandros Tsilogiannis
Deuxième camisard Martin Hausberg
Reine de la nuit Andreja Zidaric
Pamina Sophie Mitterhuber
Première dame Mária Celeng
Deuxième dame Sophie Rennert
Troisième dame Ann-Katrin Naidu
Prêtre Eduard Wildner
Papageno Daniel Gutmann
Papagena Julia Sturzlbaum
Monostatos Caspar Krieger
Premier garçon Henri Oidtmann
Deuxième garçon Raphael Pallawiks
Troisième garçon Patrick Florescu
Chœur, chœur supplémentaire et figuration du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Daniel Gutmann en Papageno, le prétendu vainqueur du serpent

Crédit photographique © Markus Tordik 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La Sylphide dans la version de Pierre Lacotte au Ballet d'État de Bavière — Quatrième partie

Maria Taglioni (1804-84) in  La Sylphide, Souvenir d'Adieu  (6 lithographies d'Alfred-Édouard Chalon, 1845) Nous poursuivons notre e...