Jean Longnon (1887-1979) publia son roman La nouvelle Hélène en 1925 chez Plon-Nourrit et Cie. L'action principale du roman se déroule en 1917 en Grèce, au moment de l'abdication du roi Constantin.
Le passage qui nous intéresse évoque l'entrée d'un jeune homme issu de la noblesse au service de l'impératrice sur le yacht Miramare.
«J'avais dix-huit ans ; j'aimais toujours la mer et ses risques. Mon père, qui ne concevait pas une vie noble sans servir, me fit entrer à l’École de marine. Puis un après-midi d'hiver, il me mena, avec mon uniforme neuf, me présenter à la cour. Je me rappellerai toujours l'impression extraordinaire que me firent le cérémonial, les costumes éclatants, le scintillement des diadèmes, des aigrettes, des pierreries. L'Empereur fut très affable et me félicita de vouloir servir dans la marine. L'Impératrice souriait de ses beaux yeux d’or clair quand mon père me présenta et lui dit, tandis que je devenais tout rouge :
— Ah! c'est le petit Uscoque ? (1) J'espère que vous ne l’avez pas gâté : je n’aime rien tant que le naturel. Quand il sera sorti de l'École, il fera un excellent officier pour le Miramare.
« Et voilà comment, aussitôt nommé aspirant, j’embarquai sur le yacht de l'Impératrice. L'impératrice Élisabeth ! [...] Les deux années que j'ai passées auprès d’elle sont les plus grands souvenirs de ma vie. Elle m'appelait toujours : « Mon petit Uscoque », se plaisant à imaginer, à tort ou à raison, qu'il était demeuré en moi quelque chose de sauvage.
« Nous allions lentement de Miramare à Corfou, à travers toute l’Adriatique, nous arrêtant dans de petits ports de la côte. L'Impératrice me faisait nommer les îles, rapporter les particularités des habitants. Mais dans la traversée, ce qu’elle aimait encore plus que le voyage et les choses nouvelles, c'était la solitude du bord.
« — La vie sur le vaisseau, disait-elle, est beaucoup plus belle que nul rivage merveilleux. On se trouve comme sur une île d'où tous les ennuis et toutes les convenances sont bannis. C’est une vie idéale, toute pure, cristallisée, sans désir et sans conscience du temps.
« Comme sur une île ».. « Faire de soi une île », disait-elle encore parfois. Et elle m'interrogeait longuement sur ma vie, mes sentivents dans notre château de Brazza.
Parfois, quand la mer était houleuse, elle s’accoudait au bord du bateau et regardant l'écume des flots, elle récitait comme pour elle, la Nordsee de Heine :
Au loin, sur les roches écossaises.
Se tient une femme belle et malade,
Transparente et blanche comme un marbre.
Et le vent éparpille ses longues boucles
Et traîne son sinistre chant
Dessus la mer déserte et orageuse.
« Ah! je ne puis encore passer devant son monument du Volksgarten, ou en vue de l’Achilleion sans ressentir une profonde émotion à me rappeler ces heures sublimes de ma jeunesse.
« Après la mort de l’Impératrice, j'ai servi sur des vaisseaux de la flotte. Puis j'ai été employé à diverses missions, [...]
(1) Les Uscoques (en croate Uskoci, pluriel de Uskok « celui qui se tient en embuscade ») étaient des pirates croates installés en Adriatique aux xvie et xviie siècles. Basés à Senj dans la baie de Kvarner, ils étaient constitués par des populations chrétiennes de Bosnie ayant fui l'avancée des Turcs sur la côte de Dalmatie.
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