samedi 31 août 2024

Expo Mapperl et sa famille ducale au Musée Kaiserin Elisabeth à Possenhofen


À l'occasion du 175ème anniversaire de la naissance du Duc Max Emmanuel en Bavière, dit Mapperl, le Musée Impératrice Élisabeth à Possenhofen a réuni un ensemble de souvenirs du duc dans une vitrine. En voici le texte d'accompagnement traduit :

Le 7 décembre 1849, Max Emanuel, dit Mapperl, est né au palais de Munich. Il est le plus jeune enfant du duc Max et de la duchesse Ludovica. Le roi Louis 1er, qui a abdiqué, écrit à Lola Montez : « Ma demi-sœur a donné naissance à un fils si grand qu'au bout d'un jour, il me semble avoir un mois ».

Les petits 

Mapperl et sa sœur Sophie Charlotte, de deux ans son aînée, sont appelés " les petits " dans la famille. Ils ont le même âge que les enfants royaux, le prince héritier Louis, le futur Louis II, et son frère le prince Otto. Otto et Mapperl sont de bons amis. En hiver, lorsque la famille royale est à Munich, les enfants passent beaucoup de temps ensemble. C'est ainsi qu'en 1862, le prince héritier Louis veut jouer le Faust de Goethe avec les enfants. Max Emanuel doit jouer Gretchen. Louis l'en prie dans une lettre : « Mon cher Mapperl, je compte bien que tu t'occupes de ton costume de Gretchen...... adieu cher Mapperl, ton fidèle cousin Louis ».

Militaire

Max Emanuel est passionné d'équitation et s'enthousiasme pour l'armée. À l'âge de 16 ans, il est enrôlé dans le régiment d'uhlans « König ». En 1866, il combat à Bad Kissingen pendant la guerre austro-prussienne, dans laquelle la Bavière est alliée avec l'Autriche. En 1870/71, lors de la guerre entre la Prusse et la France, il avance jusqu'à Paris avec le 3e régiment de chevau-légers « Herzog Karl Theodor ». Ses autres grades militaires sont ceux de lieutenant de cavalerie (Rittmeister) et de major. En 1877, il est relevé de ses fonctions pour raisons de santé, mais continue à être promu jusqu'au grade de lieutenant-général.


Compositeur 

En 1863, Julius Hey devient professeur de musique pour les enfants du duc. Max Emanuel apprend auprès de lui non seulement à jouer du piano avec brio, mais aussi à composer. Mapperl compose deux pièces pour piano et six chansons pour une voix moyenne avec accompagnement de piano. Il les dédie à sa femme Amalie. Trois chansons sont offertes par Amalie à sa belle-soeur, « notre chère Sophie ».

Famille

En 1868, à l'occasion du mariage de sa sœur Sophie Charlotte avec le duc Ferdinand d'Alençon, Mapperl fait la connaissance de sa future épouse Amélie de Saxe Cobourg Gotha dont il tombe amoureux. Amélie est née le 23 octobre 1848 à Vienne. Sa mère, Clémentine d'Orléans, est une fille du roi de France Louis-Philippe. Amélie grandit en France et en Allemagne, elle est très cultivée, peint et joue du piano. Pour de nombreuses maisons nobles, elle est un parti convoité. Si l'impératrice Elisabeth n'était pas intervenue en faveur de son jeune frère amoureux, Amélie serait devenue l'épouse du prince Léopold de Bavière.

Lorsque Mapperl demande la main de sa fille à Clémentine d'Orléans, elle le trouve trop jeune, mais finit par accepter « parce qu'il est si incroyablement amoureux ». En 1875, le mariage d'amour a enfin lieu. La duchesse Ludovica leur offre comme résidence le château de Biederstein à Munich, qu'elle avait hérité de sa mère, la reine Caroline. Le couple a trois fils, on parle de la lignée Biederstein.

En juin 1893, Mapperl et Amélie se trouvent à Feldafing lorsque Max Emanuel, qui souffre depuis longtemps de maux d'estomac, tombe soudainement gravement malade. Il meurt le lendemain. L'autopsie révèle qu'un ulcère à l'estomac a perforé une artère et qu'il a fait une hémorragie interne. Amélie ne se remet pas de cette douleur : « Il est parti et ne m'a pas emmenée avec lui ». Les enfants n'ont pas pu la consoler. Affaiblie par un cœur brisé, elle est atteinte d'une péritonite et meurt un an après Max Emanuel.

Les fils

En l'espace d'un an, les trois fils sont devenus orphelins, le duc Karl Theodor et sa femme ainsi que la grand-mère Clémentine s'occupent des enfants qui continuent à vivre à Biederstein.
  • Siegfried duc en Bavière (1876 - 1952), le fils aîné, a souffert de troubles mentaux à l'âge de 22 ans suite à un grave accident de cheval, ce qui a finalement conduit à son mise sous tutelle.
  • Christoph duc en Bavière (1879 - 1963) reprend le château de Biederstein. Il entame une carrière militaire et devient lieutenant dans le 1er régiment bavarois de lanciers (Schwerereiter). Son dernier grade est celui de lieutenant-colonel. En 1924, Christoph épouse une roturière. Le mariage n'a pas d'enfants. Lorsque le château de Biederstein est vendu, le couple se retire dans une villa à Bogenhausen.
  • Luitpold Emanuel duc en  Bavière (1890 -1973), le fils cadet, a quatre ans lorsque sa mère meurt. Il n'arrive pas à comprendre : « Est-ce que maman est morte ? Je pensais que nous allions tous mourir ensemble un jour ». Luitpold étudie la philosophie et l'histoire de l'art. À 21 ans, il décide de construire un château sur le Ringberg, près du lac Tegernsee. Le projet s'étend sur plus de 60 ans. Il le finance avec sa fortune personnelle, vend le château de Biederstein et le château de Possenhofen avec le grand parc du château. Après la Seconde Guerre mondiale, il vend de vastes forêts et le calvaire de Possenhofen. De son vivant, il lègue le château inachevé à la société Max-Planck avec une importante fortune en espèces. Luitpold Emanuel fut le dernier duc  né en Bavière.

À voir au musée de Possenhofen

vendredi 30 août 2024

L'impératrice Elisabeth en prière à Carslbad en 1892


L'impératrice Élisabeth en prière au Waldandacht (lieu de dévotion mariale  dans la forêt). L'impératrice résida à Karlovy Vary (plus connu alors comme Carlsbad ou Karlsbad) en juin et juillet 1892. Elle résida à l'hôtel Villa Tereza de cette ville d'eaux. Il est dit qu'elle y parcourait plus de 20 kilomètres à pied chaque jour.

Cette photo peut se voir au Kaiserin Elisabeth Museum de Possenhofen.  

jeudi 29 août 2024

Opera incognita — Mazeppa de Tchaïkovski à l'Audimax de l'Université de Munich du 31 août au 14 septembre


Opera Incognita nous invite à découvrir Mazeppa, un opéra de Piotr Tchaïkovski

Amitié, amour, trahison, folie et guerre sur fond de relations complexes entre Ukrainiens et Russes — c'est tout cela Mazeppa. Le septième opéra de Tchaïkovski date de 1883. Rarement donné, il est considéré comme l'œuvre majeure du grand compositeur russe, qui s'est inspiré du poème Poltava d'Alexandre Pouchkine pour créer cet opéra plein de force et de passion. 

Avec Carolin Ritter, Florian Dengler, Torsten Petsch, Robson Tavares et d'autres.
Chœur et orchestre Opera Incognita.
Une production d'Ernst Bartmann et Andreas Wiedermann, dans un arrangement pour orchestre de chambre réalisé par Ernst Bartmann,

La première a lieu le 31 août 2024 à 19h30, d'autres représentations auront lieu `la même heure les 06, 07, 13 et 14 septembre 2024.  Les représentations auront lieu dans l'atrium du bâtiment principal et dans l'Audimax de l'université Ludwig-Maximilian à Munich.
LMU, Geschwister-Scholl-Platz 1 à Munich.

Mazeppa, une estampe de Jean-Pierre Norblin de la Gourdaine 
Source : Gallica
Un opéra très actuel

Ivan Mazeppa (1644-1707) est un héros semi légendaire ukrainien, page à la cour du roi de Pologne dans la seconde moitié du XVIIe siècle, d’une grande sagacité et d’une grande beauté, qui parcourt l’Europe en quête d’aventure. Il inspire à Lord Byron un roman publié en 1818. Ancien hetman des cosaques d'Ukraine, il fut érigé en héros de l'indépendance nationale ukrainienne en 1991, à la chute de l'URSS.

Héros en Ukaine, Mazeppa fut considéré comme un traître en Russie. Le but principal de l'opéra de Tchaïkovski, composé à partir d'un poème de Pouchkine et créé au Bolchoï en 1884, était de profaner l'image de l'hetman cosaque ukrainien et de minimiser ses mérites. Le modèle littéraire présente une image extrêmement négative de Mazeppa qui trahit à deux reprises son vieil ami Vassili Kotchoubeï et séduit sa fille Maria, beaucoup plus jeune que lui. Kotchoubeï avait voulu de son côté dénoncer Mazeppa comme un insurgé ayant pour but de libérer l'Ukraine du joug russe.

Staline avait poursuivi une politique de russification en Ukraine soviétique, dont l'opéra Mazeppa fut un outil. En 1938, le Bulletin du bureau de presse ukrainien rapporte les faits suivants : 

" Les Visti, No 8, du 10 Janvier, mandent que l’Opéra de Kiev a reçu l’ordre de donner la représentation de l’opéra  Mazeppa d’après Tchaïkovski et Pouchkine. A cette nouvelle le journal ajoute qu’on désire « montrer Mazeppa tel qu’il était en réalité : rusé politicien, traître aux intérêts du peuple Ukrainien ». — Les Visti, N 9, du 11 Janvier, donnent une photographie représentant le départ de la gare de Kiev pour Moscou des députés au Conseil Suprême de l’URSS, il est intéressant de remarquer que sur cette photographie on ne voit que des bannières portant des inscriptions en russe et pas une seule avec des inscriptions en ukrainien. — Les Visti, N° 9, du 11 Janvier, donnent toute une liste de journaux en langue russe qui ont commencé à paraître sur le territoire de l’Ukraine Soviétique à la place des journaux interdits en langue ukrainienne. "

Robson Tavares (Kotchoubeï)  Carolin Ritter (sa femme Lioubov), 
Torsten Petsch (Mazeppa), Ekaterina Isachenko  (Maria). Photo © Aylin Kaip

Pourquoi donner Mazeppa à l'Université de Munich ?

Opera incognita est connu pour choisir ses lieux de représentation en accord avec la thématique de l'opéra, une application de la formule philosophique de l'« Adaequatio rei et intellectus » qui exprime la conception de la vérité comme accord ou correspondance entre le langage et la réalité. Le langage est celui du livret, la réalité est le lieu de représentation. La compagnie bavaroise monte depuis 2005 à Munich des spectacles pleins d'inventivité et de grande qualité. Une de ses spécificités est le choix du lieu pour jouer ses opéras :le plus souvent des lieux insolites mais adaptés à l'oeuvre choisie : le bassin de natation Jugendstil du Müllersches Volksbad, le Cirque Krone, un vieil amphithéâtre de l'Université, un grand passage souterrain désaffecté, l'église royale de la Résidence, une salle jouxtant le palais de Nymphenburg,...

Mazeppa se joue dans l'atrium de l'Université de Munich, dont l'adresse (Geschwister-Scholl Platz, la place  des frère et soeur Scholl)  commémore la résistance de la « Weiße Rose (la Rose blanche) » contre la terreur nazie.  Mazeppa est un héros de la résistance pour les Ukrainiens: le parallèle est patent.

Comment Andreas Wiedermann a-t-il traité le sujet dans sa mise en scène ? Rendez-vous est pris pour ce samedi. Le compte-rendu suivra.

mercredi 28 août 2024

Didon, reine de Carthage de Christoph Graupner au Festival de musique ancienne d'Innsbruck

Robin Johannsen en Didon

Le premier opéra connu de Christoph Graupner, Dido, Königin von Carthago (Didon, reine de Carthage)est la troisième production d'opéra présentée cet été à Innsbruck dans le cadre des Semaines festives de musique ancienne ( Innsbrucker Festwochen der Alten Musik). Cet opéra, dont la première eut lieu en 1707 à l'Opéra de Hambourg, sur le Gänsemarkt, a été redécouvert depuis peu en version de concert. On en trouve une interprétation par l'orchestre baroque Elbipolis dirigé par Florian Heyerick, qui a été enregistrée en avril 2010 au Konzerthaus de Berlin. En février 2024, l'orchestre baroque La Cetra, dirigé par Andrea Marcon, l'a joué  en version concertante à Amsterdam et à Bâle, avant d'être invité cet été dans la capitale tyrolienne. 

La grande nouveauté de la production du Festival d'Innsbruck est de proposer Dido en version scénique, une première depuis près de deux cents ans. Pour le plus grand bonheur des festivaliers, la mise en scène a été confiée à la talentueuse Deda Christina Colonna, qui est à la fois spécialiste de l'opéra des 17e et 18e siècles et de la danse de la Renaissance et de l'époque baroque. Il est à souligner que tant le chef que la metteuse en scène, tous deux d'origine italienne, parlent couramment l'allemand, ce qui constitue un atout non négligeable quand on sait que le livret de Dido est bilingue : le livret de Heinrich Hinsch a l'allemand pour langue principale, mais sur la trentaine d'arias qu'il comporte  treize sont en italien. Cette combinaison de l'allemand et de l'italien était à l'époque d'usage à Hambourg, les récitatifs étaient tous écrits en allemand, ce qui facilitait la compréhension de l'action.

Le compositeur

Christoph Graupner (* 13 janvier 1683 ; † 10 mai 1760)  naquit à Kirchberg, en Saxe, en 1683 ou 1684. Il y apprit les principes de musique à l’école publique et reçut quelques leçons de piano de l’organiste Kuester. Cet organiste ayant été appelé à Reichenbach, Graupner l’y suivit et continua de travailler sous sa direction pendant deux ans. Il se rendit ensuite à l’école Saint-Thomas de Leipzig, et y passa neuf années entières. Pendant qu’il y faisait ses études littéraires et qu’il y suivait un cours de droit, le chantre Schell lui fit continuer l’étude du clavecin, et Kubnau lui enseigna la composition. En 1706, l’invasion de la Saxe par les Suédois obligea Graupner à s’enfuir à Hambourg. Lorsqu’il arriva dans cette ville, il ne possédait plus que deux thalers (écus de Prusse et de Saxe). Heureusement la place d’accompagnateur au clavecin à l’orchestre de l’Opéra était alors vacante en raison du départ de Jean Chrétien Schieferdecker. Graupner l’obtint, et les trois années qu’il passa dans cette situation furent les plus utiles pour son éducation musicale, car le théâtre de Hambourg était alors placé sous la direction de l'illustre compositeur Reinhard Keyser. Ce maître devint le modèle de Graupner, et les ouvrages qu'il écrivit ensuite pour la scène hambourgeoise (Didon en 1707, Hercule et ThéséeAntiochus et Stratonice et Bellérophon en 1708 et Samson en 1709) furent faits dans le style du célèbre compositeur de Hambourg. Des chagrins d’amour décidèrent Graupner à s’éloigner de cette ville. La place de vice-maître de chapelle du Landgrave de Darmstadt lui fut offerte en 1710, il l'accepta. Dix ans après il eut celle de premier maître. En 1722, sur la recommandation de Georg Philipp Telemann, Christoph Graupner posa sa candidature au poste de Thomaskantor à Leipzig (directeur artistique du chœur de l'église Saint-Thomas de Leipzig), mais sous la pression impérieuse de son employeur, le landgrave Ernst Ludwig de Hesse-Darmstadt, qui lui proposa d'augmenter ses appointements pourtant déjà élevés, il dut refuser d'être nommé à la succession de Johann Kuhnau. Et c'est ainsi que celui qui allait devenir le plus célèbre des Thomaskantor, Jean-Sébastien Bach, put obtenir le poste. Graupner mourut à Darmstadt le 10 mai 1760, à l’âge de 76 ans. L'intégralité de son œuvre est conservée à la bibliothèque de l'Université de Darmstadt, car on passa outre aux dernières volontés du compositeur qui avait souhaité que toutes ses compositions soient détruites. Compositeur prolifique, on lui doit en dehors de ses opéras plus de 1400 cantates, 112 symphonies et 85 suites orchestrales. 


Jacob Lawrence (Énée) et Robin Johannsen (Didon)

Le livret

L'histoire des amours d'Énée, fuyant Troie détruite pour se rendre à Carthage, et de Didon, et de la fin tragique de la reine de Carthage, a inspiré environ 90 compositeurs.  La Didone de Cavalli créée à Venise en 1641 avait rendu le sujet populaire. En 1688 ou 1689, Henry Purcell en composa une version d'une densité particulièrement dramatique. En 1707, alors qu'on fêtait le centenaire de la naissance de l'opéra, Graupner donnait des amours de Didon et d'Énée une version musicale particulièrement joyeuse et innovante sur un livret composé dans le but avoué de titiller les sens du public avec une extraordinaire succession de numéros (122 dans le livret original qui comporte pas moins de 15 personnages principaux). Hinsch avait recouvert le noyau dramatique d'intrigues secondaires et parallèles et introduit de nouveaux personnages avec un potentiel de conflit considérable et des couples dans différentes constellations émotionnelles, rendues encore plus complexes par les ukases des déesses et des dieux et par la tyrannie de Cupidon sur les sentiments des protagonistes, tous d'illustre naissance et de haut lignage. À noter qu'à l'époque baroque un lieto fine, une fin heureuse, faisait partie intégrante de la dramaturgie de l'action. Aussi l'opéra ne pouvait-il se terminer par la mort sur scène de Didon. Heinrich Hinsch met en scène l'accession d'Anna à la royauté et la paix offerte par Hiarbas à la nouvelle reine, que l'amour unit à Juba, prince de Tyr.


Alica Amo (Anna) et Robin Johannsen (Didon)

Tragedia dell'arte

Deda Christina Colonna revient à Innsbruck où elle avait déjà mis en scène Armide de Lully en 2015. Successivement danseuse, comédienne et chorégraphe, elle utilise les multiples atouts de son parcours de vie pour instrumenter une mise en scène historiquement informée dans ses méthodes, sa structure, son style d'interprétation et son utilisation de la machinerie, qui a ravi les amateurs d'opéras baroques. En accord avec le chef Andrea Marco, qui a qualifié leur collaboration d'idyllique, Deda Christina Colonna a raccourci certaines scènes et supprimé un personnage secondaire sans toucher à la structure de l'intrigue.  Elle souligne que ces suppressions répondent aux besoins du public moderne aujourd'hui figé par l'invention du " quatrième mur " (constitué par le public plongé dans l'obscurité, immobile et silencieux), ce qui a fortement diminué, sinon oblitéré, la communication entre le public et la scène par rapport aux usages des 17e et 18e siècles.

La scénographie de Domenico Franchi reflète l'une des principales caractéristiques de l'opéra baroque : créer de l'émerveillement avec des moyens simples ! L'arrière-scène est tout entière occupée par une grande cloison dorée qui rappelle le shoji, cette porte coulissante traditionnelle japonaise avec son élégant quadrillage de bois fin, utilisée dans les maisons pour séparer les espaces. De grandes portes s'y ouvrent à divers moments, la cloison peut aussi s'écarter en son centre sur un fond de couleur uniforme changeante, tantôt le rouge, tantôt un bleu profond. Un mobilier de scène simple, doré lui aussi, bordé de volutes, figure ici la couche, là le trône de Didon, plus loin l'autel sacrificiel de Mithra sous l'arbre sacré. Les sous-intrigues complexes du livret nous conduisent à l'intérieur et à l'extérieur du palais, dans un réseau de pièces, au bord de la mer, au port ou dans les temples. Tous ces lieux sont esquissés de manière simple par le décor. Les dei ex machina descendent des cintres. Une tête monumentale couchée sur la scène évoque la déesse Vénus. Didon apparaît juchée sur un éléphant tout doré. De l'or partout et encore pour rappeler la grandeur, la puissance et l'opulence de Carthage, comme le souligne la  préface du livret de Hinsch : « La ville de Carthage avait, comme Babylone, 360 stades dans son périmètre, c'est pourquoi elle est appelée par Suidas la ville la plus grande et la plus puissante du monde, et par Solinus, après Rome, la seconde parure du globe ».


Robin Johannsen sur son éléphant (Didon), Choeur NovoCanto.

Les somptueux costumes, d'une élégance simple et raffinée,  sont eux aussi des créations de Domenico Franchi. Ils évoquent les puissants de l'antiquité porteurs de tuniques ou de toges soyeuses où l'or domine, avec des combinaisons de couleurs qui caractérisent les personnages : l'or pour Didon, mélangé de brun pour Anna, le blanc bordé d'or pour Énée et Achates, l'or et le brun pourpré pour Hiarbas, l'or et le vert pour le prince Juba. Un large collier rappelle que Ménalippe est une princesse égyptienne. Des couronnes de feuillages d'or, des casques, des turbans comme couvre-chefs. Les figurants qui servent les grands ou opèrent les changements de décor sont tout de blanc vêtus.

Les couleurs du décor, le mobilier et jusqu'aux costumes, toute la mise en scène tourne autour du personnage de Didon, tout est fait pour représenter les multiples facettes de ce personnage kaléidoscopique et cyclonique qui nous entraine dans le vortex de ses émotions, que contribuent également à figurer les changements de décors, notamment à l'approche de sa mort signalée par la plus grande rapidité de ces changements. Face à l'intensité et à la puissance de Didon, Énée paraît bien falot, manquant de substance, il n'est qu'un personnage collatéral qui ne contrôle pas le cours des événements de sa vie mais est manipulé par les divinités.


José Antonio Lopez (Juba), Jone Martinez (Menalippe),
Andreas Wolf (Hiarbas), Alicia Amo (Anna)

Deda Cristina Colonna réalise un travail visuel et chorégraphique spectaculaire. Au commencement est le verbe du livret, et avec elle le verbe prend forme et se fait chair. Madame Colonna rend la parole et la musique créatrices du geste qu'elle pare des beautés du théâtre antique. Elle conçoit le jeu des acteurs comme une réponse physique aux stimuli contenus dans le texte et est attentive aux rapports que les chanteurs entretiennent avec l'espace. Ainsi les mimiques, les gestes et la proximité ou l'éloignement des personnages sont-ils travaillés de manière différente quand les personnages évoluent dans l'intimité de leur sphère privée ou quand ils sont en fonction de représentation dans la vie officielle. On le perçoit fort bien dans les rapports qu'entretiennent les deux soeurs, Didon et Anna, qui interagissent de manière différente lorsqu'elles sont seules, dans leur sororité, ou lorsqu'elles sont en présence d'autres personnages. Les ensembles, quatuors ou sextuors, sont superbement chorégraphiés. Le mariage des tonalités des costumes et la beauté hiératique des mouvements sont du plus bel effet.


Jone Martinez (Juno), Robin Johannsen (Dido)
Le rêve de Didon

La musique et le chant

L'orchestre La Cetra (Cetra Barockorchester Basel) sous la direction d'Andrea Marcon s'était déjà produit il y a deux ans sur la scène tyrolienne avec le Vespro veneziano. Il revient à Innsbruck pour la production de Dido qu'il interprète, à l'instar de la mise en scène, de manière historiquement informée et avec un grand sens de la théâtralité. L'introduction instrumentale commence par un coup de tonnerre, c'est d'entrée de jeu l'annonce du courroux de Junon. Andrea Marcon maîtrise admirablement les tempi de la musique qui sont intimement couplés au texte du livret et à l'expression des états affectifs et des pulsions des protagonistes. L'harmonie entre la fosse et la scène et évidente. Les timbales ordonnées par Didon et le cor sont à la fête dans cet opéra, avec ici et là des traits d'humour comme la parfaite imitation par le corniste du barrissement répété qui annonce l'arrivée en scène de l'éléphant monté par la reine de Carthage. La direction d'Andrea Marco est inspirée, elle célèbre l'inventivité musicale de Graupner et fait miroiter toutes les facettes de ce bijou baroque trop longtemps oublié, en parfait équilibre avec les chanteurs et de l'excellent ensemble vocal tyrolien NovoCanto, que l'on retrouve pour la troisième saison au Festival d'Innsbruck. 


José Antonio López (Juba)

La distribution est de bon niveau et, pour plusieurs chanteurs, dont le rôle-titre, heureusement rôdée par les concerts d'Amsterdam et de Bâle. La soprano américaine Robin Johannsen qui interprète Didon est bien connue du public. Elle a déjà participé à cinq productions du festival tyrolien. Elle se tire avec les honneurs de ce rôle aux affects complexes et qui, parsemé d'écueils, demande une fameuse endurance. Elle séduit par son soprano aux clartés scintillantes et aussi par sa diction allemande. La soprano espagnole Jone Martinez fait des débuts remarqués à Innsbruck dans le double rôle de Junon et de Ménalippe. Première dea ex machina de la soirée, elle donne de la vigueur au courroux de la déesse, mais c'est surtout sa Ménalippe qui enchante par les ornements de son chant lyrique et la virtuosité souple de son colorature. La soprano catalane Alicia Amo interprète elle aussi un double rôle : elle donne une Anna et une Vénus très séduisantes qui méritent bien le couronnement final de son personnage. Elle chante d'entrée les louanges de Cupidon ("Nume alato, arcier bendato") en imitant les rapides battements d'ailes du dieu de l'amour, une scène dotée d'un comique léger. Le ténor Jacob Lawrence manque d'ampleur dramatique dans le rôle d'Énée. Le baryton-basse allemand Andreas Wolf donne un Hiarbas solide et bien campé. Le baryton espagnol José Antonio López, tout auréolé de ses succès viennois et bruxellois, offre les sombres chaleurs de sa voix puissante et bien projetée et la présence scénique impressionnante de sa haute stature à Juba, le prince de Tyr. Soulignons encore l'exceptionnelle beauté des ensembles et plus particulièrement le quatuor de Hiarbas, Menalippe, Juba et Anna qui ouvre le deuxième acte : il commence par un aria en allemand à quatre voix, passe par des passages en solo et en duo qui s'étagent pour terminer par un long aria en italien à quatre voix. Une merveille de composition.

Deda Christina Colonna lors la présentation 
Photo Luc-Henri Roger

Le public a accueilli avec le plus grand enthousiasme la découverte scénique de cet opéra dans cette nouvelle production si bien servie. Aux applaudissements la très charismatique Deda Christina Colonna et son équipe ont été accueillis par une salve fournie. Elle avait pour l'occasion revêtu un ravissant ensemble coupé dans un sari soyeux créé pour l'occasion dans le style des costumes de scène. Un dernier geste baroque pour clôturer une soirée qui en a offert beaucoup.

Distribution

Robin Johannsen | Soprano Didon | Reine de Carthage

Andreas Wolf | Baryton-basse Hiarbas | Roi de Numidie
Alicia Amo | Soprano Anna | sœur de Didon et Vénus | déesse de l'amour 
Jacob Lawrence | Ténor Énée | Prince des Troyens 
José Antonio López | Baryton Juba | Prince de Tyr 
Jone Martínez | Soprano Ménalippe | Princesse d'Égypte et Junon | Déesse protectrice de la ville de Carthage
Jorge Franco | ténor Achatès | ami d'Énée
Derek Antoine Harrison | Ténor Disacles | Prêtre de Mithra et Mercurius | Messager de Vénus 
Simon Unterhofer | basse Elgabal | un magicien 
Matthias Kofler | basse Bomilcar | un noble 

Andrea Marcon | Direction musicale
Deda Christina Colonna | mise en scène 
Domenico Franchi | décors & costumes
Cesare Agoni | Lumières 
NovoCanto | Chœur
Orchestre baroque La Cetra

Crédit photographique @ Birgit Gufler

Sources

Le résumé biographique provient e.a. la Biographie universelle des musiciens par François Joseph Fétis, 1837-1844. Le synopsis est traduit de l'excellent programme, dont tous les articles sont passionnants et inspirants. 

Synopsis

Après la chute de Troie, le prince troyen Énée, fils de la déesse Vénus, part pour l'Italie avec ses hommes car un oracle divin l'a chargé d'y fonder un nouvel empire. Lors d'une tempête sur la Méditerranée provoquée par la déesse Junon, son navire est conduit sur la côte de Carthage, où il rencontre la reine Didon. Elle l'accueille à sa cour et tombe amoureuse de lui, alors qu'elle avait promis une fidélité éternelle à son défunt mari Sichaeus. Il lui faut également vivre avec la crainte qu'Énée ne reparte pour accomplir sa mission divine.

L'opéra commence avec Junon en colère qui apparaît à Didon dans un cauchemar. Auparavant, Junon, en conflit et en rivalité avec sa fille Vénus, avait tenté de faire sombrer Énée et ses hommes en mer. Lorsqu'Énée a trouvé refuge auprès de Didon, c'est à Junon qu'il revient d'utiliser l'amour entre les deux pour contrecarrer la mission d'Énée, qui consiste à fonder Rome.

Acte I

La déesse Junon apparaît à Didon endormie et l'avertit de la catastrophe imminente. Didon se réveille et appelle à l'aide. Sa sœur Anna la réconforte en lui annonçant que son mariage avec Énée aura lieu le même jour. Anna est secrètement amoureuse de Juba, le prince de Tyr, mais ne s'est pas encore donnée à lui. Mentalippe, Hiarbas, Didon, Achates, Juba et Énée se plaignent de la tyrannie que Cupidon exerce sur leurs sentiments. Juba compare Anna à une pierre de marbre dure parce qu'elle semble le rejeter. Néanmoins, il ne perd pas espoir. Hiarbas, le roi de Numidie, se lamente de son amour non partagé pour Didon, qui lui était promise. La princesse égyptienne Ménalippe, quant à elle, est éprise de Hiarbas. Déguisée en homme, elle le suit sans être reconnue. Énée, qui a remarqué que Didon doute encore de son amour, tente de la rassurer.

Mercure, le messager de Vénus, descend du ciel et presse Énée de partir en Italie pour y fonder un nouveau royaume. Jupiter et sa mère Vénus lui ont ordonné de partir le jour même s'il ne veut pas encourir la colère des dieux. Son compagnon Achates lui conseille de fuir et de faire la volonté des dieux.

Acte II

Hiarbas, Menalippe, Juba et Anna se demandent combien de temps ils devront attendre l'amour dans les limbes. Hiarbas jure de détruire Carthage si Didon continue à le rejeter. La princesse Menalippe lui demande alors sa protection. Elle lui assure qu'elle le servira fidèlement. Hiarbas lui parle de son amour non partagé pour Didon et exige qu'elle l'aide à se venger de Carthage.

Didon et Anna discutent de la manière d'affronter Hiarbas afin d'éviter un conflit armé. Elles s'attendent à ce qu'il fasse bientôt de nouveau la cour à Didon. Mais Didon ne peut se résigner à cette éventualité. Achates conseille à Énée de se plier aux ordres de Vénus et de Jupiter. Mais ce dernier estime que le pouvoir de Cupidon est plus grand que celui de Jupiter. Vénus apparaît et renouvelle l'ordre de partir immédiatement pour l'Italie. Carthage est un lieu négligeable comparé à la future gloire de l'Empire romain en Italie.

Le prince Juba implore l'amour d'Anna. Bien qu'elle soit secrètement amoureuse de lui, elle fait semblant de le rejeter à nouveau. Didon reçoit l'envoyé de Hiarbas, qui est accompagné de la princesse Menalippe déguisée. Il offre à Didon le sceptre et le cœur d'Hiarbas. Mais elle refuse son offre. Didon décide d'offrir un sacrifice humain au dieu Mithra. Le choix se porte sur Hiarbas, qui se soumet à la décision. Menalippe tente en vain de l'en dissuader, mais il est déterminé à mourir en sacrifice.

- entracte -

Énée a décidé de renoncer à son amour pour Didon et de fuir Carthage. Achates lui dit qu'ils vont préparer les navires. Iras, qui a appris les plans des Troyens, accuse Achate de l'avoir trahie en s'enfuyant. Il lui avoue alors son amour et lui propose de le suivre. Ils conviennent d'un endroit où ils pourront embarquer sans être repérés.

Hiarbas est conduit à l'autel sacrificiel. Un coup de tonnerre brise une partie de l'autel. Le prêtre se rend compte que le sacrifice ne peut avoir lieu : Hiarbas ne peut pas sacrifier son cœur car il l'a déjà dédié à Didon. Didon se console en pensant à l'amour d'Énée, mais elle a encore des prémonitions inquiétantes.

Acte III

Au port, les navires troyens sont parés pour le départ. Énée a promis d'organiser un combat naval pour les noces. Didon, assise sur un éléphant, arrive avec son entourage pour assister au combat. Après s'être salués, Énée et Achates montent à bord du navire. Énée fait ses adieux à Didon. Elle réalise douloureusement que le combat naval n'était qu'un simulacre, qu'Énée s'est enfui en Italie. Elle appelle à la vengeance.

Après le départ d'Énée, Hiarbas espère à nouveau la main de Didon. Tandis que Ménalippe tente de réfréner ses attentes, Anna s'efforce d'apaiser la colère de Didon. Cependant, celle-ci continue d'exiger vengeance et envoie le sorcier Elgabal sacrifier les derniers vêtements et l'épée d'Énée à Hécate, la déesse de la magie et de la nécromancie.

Anna et Juba s'avouent leur amour. Pendant ce temps, Didon prépare l'autel d'Hécate avec Elgabal et allume les feux sacrés. Au grand effroi de tous, elle se jette soudain dans les flammes et sur l'épée d'Énée. 

Les dirigeants de la ville désignent Anna comme nouvelle reine. Hiarbas lui offre la paix sous la forme d'un rameau d'olivier, qu'elle accepte avec reconnaissance. 

dimanche 18 août 2024

L'Idiot de Mieczysław Weinberg fait un triomphe au Festival de Salzbourg

Bogdan Volkov en Prince Mychkine 

L'idiot n'est pas celui qu'on croit. Traduttore traditore. L'Idiot, le titre du roman du pétersbourgeois Fiodor Dostoïevski dont est tiré le livret éponyme qu'Alexander Medvedev composa pour l'opéra de Mieczysław Weinberg, est un terme qui en russe n'a pas exactement le sens extrêmement péjoratif qu'on lui donne en français. Son sens se rapproche davantage de la racine grecque ἴδιος idios (« propre », « particulier ») et du terme grec idiốtês (« homme vulgaire, sans éducation, sot, qui ne participe pas à la vie politique de sa république »).  C'est bien plutôt ainsi qu'on peut définir la différence du prince Mychkine. Son altérité provient du fait que sa maladie, — il est épileptique, comme le fut Dostoievski. — l'a de facto exclu pendant des années de la vie sociale : il a passé des années dans un sanatorium et au début de l'opéra, vient d'en sortir sans en être complètement guéri. Par ailleurs, son ingénuité, sa naïveté, son honnêteté et sa gentillesse rencontrent beaucoup d'incompréhension dans la société bourgeoise corrompue et mensongère qu'il se met à fréquenter. C'est un innocent, une espèce de fou sacré, une figure christique qui se lie d'amitié avec ses ennemis et ses rivaux (il échange la croix qu'il porte au cou avec celle de son rival Rogojine qui a tenté de l'assassiner) et qui  essaie de ne rendre personne malheureux. Il est incapable de choisir entre les deux femmes qui tentent de s'approprier de sa personne, non qu'il soit indécis, mais parce qu'il lui est impossible d'opposer de résistance aux désirs des autres. Il absorbe littéralement la souffrance des personnes qui le côtoient mais ne peut pas arrêter la tragédie qui menace. Comme son prénom et son nom l'indiquent, il est un lion (Lev) intrépide mais ce lion est une petite souris (Mychkine) au corps sacrificiel. À la fois son innocence sert de révélateur à la corruption du monde dans lequel il arrive, il est comme un miroir réfléchissant qui oblige les autres à se remettre en question, sans pour autant arriver à se transformer.

La salle d'attente d'une gare suisse. À gauche Rogojine et Mychkine. À droite Lebedev

Krzysztof Warlikowski et son équipe nous offrent une nouvelle fois une mise en scène magistrale, très fouillée et documentée. Ils ont déployé la longue bande d'un décor lambrissé tout au long des parois de la Felsenreitschule, le Manège des rochers. Au centre, un grand tableau d'école qui devient de temps à autre un écran de cinéma. À gauche, des fauteuils rouges  placés face à face font office de salle d'attente d'une gare ferroviaire. Des inconnus se présentent, dont le prince Mychkine, Rogojine, un ivrogne qui évoque aussitôt son amour pour Nastasia et l'intrigant Lebedev. Pour évoquer le voyage, deux de ces fauteuils se déplacent lentement le long de la scène alors que une vidéo projette sur la bande lambrissée des paysages qui défilent. On comprend qu'un train emmène les voyageurs vers Saint-Pétersbourg.

De nombreuses scènes ont lieu dans les salons de la famille Epantchine, dont les trois filles ne trouvent pas à se marier, au grand dam de la matrone, Yelisaveta Prokofievna Epantchina. Le deuxième acte a lieu chez les Ivolgine, dont le fils Gania, a par intérêt accepté d'épouser Nastasia Filippovna Barachkova, une belle jeune femme déshonorée que vient de quitter son tuteur Totski, un pédophile qui a abusé d'elle encore jeune adolescente et qui se débarrasse d'elle en la dotant d'importance. L'argent joue un grand rôle, on joue et on perd au jeu, on boursicote, on le gaspille ostensiblement. Rogojine arrive chez les Ivogine avec ses prêteurs et veut acheter l'amour de Nastasia en offrant une énorme somme d'argent, que Nastasia jettera au feu dans une espèce de poêle en forme de petit volcan. La scène suivante se passe chez Nastasia qui donne une fête au cours de laquelle elle doit annoncer lequel de ses prétendants, Rogojine ou Gania, remportera sa main. Le prince, que l'on croyait jusqu'ici désargenté,  annonce preuve à l'appui qu'il vient d'hériter d'une fortune colossale et que lui aussi a l'intention d'épouser Nastasia pour la sauver du déshonneur.

Une des plus belles scènes à notre sens est celle où le corps cataleptique du Prince Mychkine, qui vient d'être attaqué par une crise paroxystique de Grand Mal, est allongé inconscient sur une table. La crise l'a sauvé du meurtrier Rogojine qui s'approchait pour le tuer. Sur l'écran on voit un tableau d'école, sur lequel le prince a tracé à la craie une formule de Newton superposée à une formule d'Einstein. Sous le tableau vient s'imprimer une copie du tableau du Christ mort qu'Hans Holbein le Jeune avait peint en 1521. Le corps du prince reproduit à peu de détails près la position du corps du Christ. 

Dostoïevski avait été saisi en regardant le tableau Le Christ mort de Holbein. C'est ce que décrit fort bien Anna G. Dostoïevskaïa dans ses Mémoires d'une vie : « En route pour Genève, nous avons fait une halte d'une journée à Bâle. Nous voulions voir au musée local un tableau dont mon mari avait entendu parler. Ce tableau est l'œuvre de Hans Holbein, il représente un Christ ayant subi des souffrances inhumaines, qu'on a descendu de la croix et dont le corps est offert à la décomposition. Son visage boursouflé est couvert de plaies sanglantes et son apparence est horrible. Ce tableau a produit sur Fiodor une impression écrasante, et il s'est arrêté devant, comme frappé par la foudre. Quant à moi, je n'avais pas la force de le regarder : il me faisait trop mal, surtout que ma santé n'était pas très bonne. Je suis allée voir les autres salles. Quand je suis revenue quinze minutes ou vingt minutes plus tard, Fiodor était toujours planté devant le tableau, comme enchaîné. Son visage bouleversé présentait cette expression d'épouvante que j'avais observée dans les premières minutes d'une crise d'épilepsie. J'ai pris doucement mon mari par le bras, je l'ai emmené dans une autre salle et fait asseoir sur un banc, Heureusement, elle n'eut pas lieu : Fiodor se calma peu à peu et, au moment de sortir du musée, il insista pour retourner voir le tableau qui l'avait tant impressionné. »  Dans le roman de Dostoïevski, ce tableau, dont l'auteur écrira qu'il "peut faire perdre la foi à n'importe qui",  est accroché dans l'appartement de Rogojine.

Les deux formules de Newton et d'Einstein interpellent, il s'agit d'en décoder le sens en osant une interprétation à l'aveuglette. Parions qu'il s'agit de la loi de l'attraction universelle de Newton qui, indiscutée jusqu’au début du XXe siècle, permettait de prédire avec une grande précision les mouvements de nombreux corps et la manière dont ils pouvaient s'attirer, puis de la théorie de la relativité générale d'Einstein qui permet elle aussi décrire la manière dont les corps peuvent s’attirer, mais en se fondant sur une idée radicalement différente : les masses des corps s'attirent en déformant l'espace-temps. Dans l'opéra, les corps s'attirent, c'est certain, les corps masculins gravitent autour de celui de Nastasia Filippovna Barachkova, à commencer par celui de son infâme tuteur Totski. Gania Ivolgin, Rogojine et Mychkine sont comme trois planètes qui gravitent autour de la belle Nastasia, et qui ne semblent pas avoir d'autre choix. Ces formules mathématiques veulent-elles signifier qu'il n'y a pas de libre arbitre et qu'on ne peut que se soumettre aux lois de l'attraction ? Le programme nous informe que pour le metteur en scène les mathématiques et l'astrophysique ont une pureté abstraite, fort éloignée des forces du mal, leur présence peut être une métaphore de la pureté du fou sacré qu'est le prince Mychkine. Peut-être peut-on encore interpréter la superposition des trois plans de cette scène. Elle met en relation l'abstraction mathématique de la science, le corps sacrificiel du Christ peint par Holbein et enfin le monde réel d'un pur simple  en catalepsie épileptique.

À droite de la scène on aperçoit un globe terrestre et un squelette proche d'une armoire qui contient des crânes et des bocaux, une collection anatomique. Alors qu'à gauche de la scène, dans une armoire semblable, on trouve des verres, du champagne et des boissons. D'un côté la science, de l'autre les alcools de la vie dégénérée en société. 

Les murs de la demeure de Rogojine portent des motifs inspirés de broderies colorées réalisées par les femmes russes, ce qui rappelle peut-être que Weinberg emprunte des éléments musicaux au folklore. C'est là que vit à présent Nastasia. Le prince Mychkine est tombé amoureux d'Aglaïa, la cadette de la famille Epantchine. Mais Aglaïa qui voit Nastasia comme une rivale oblige le prince à  une confrontation avec Nastasia. De nombreux rebondissements conduisent le prince à renoncer presque malgré lui à Aglaïa pour tenter de sauver l'âme de Nastasia Filippovna en l'épousant. Nastasia finira par retourner à Rogojine qui l'assassine en utilisant le couteau avec lequel il voulait tuer Mychkine. La fin de l'opéra diffère de celle du roman : Rogojine avoue à Mychkine avoir tué Nastasia. Les deux hommes se réconcilient. Ils viennent s'allonger de part et d'autre de Nastasia dans le lit où elle git assassinée. Une vidéo de cette scène est projetée en direct sur l'écran.


Le prince, Nastasia morte, Rogojine

La musique tonale de Mieczysław Weinberg a d'exquises qualités narratives et émotionnelles, une musique lyrique nerveuse et insistante, aux cordes cadencées, qui nous raconte le monde intérieur exalté, exacerbé, paroxystique des personnages, dans une langage qui ne manque pas de similitudes avec celui  de Chostakovitch qui fut le mentor, l'ami et le protecteur du compositeur. Son opéra moderne,  quasi contemporain, — il date de 1986/87 mais la première version scénique n'eut lieu qu'en 2013, —  est immédiatement accessible en première écoute. À l'instar de bien des compositions modernes, Weinberg fait la part belle aux instruments de percussion: le célesta, les timbales, le  triangle, les tambours, la cloche, le glockenspiel, le xylophone, le marimba. La cheffe lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla, une des meilleures spécialistes de Weinberg, a contribué à faire redécouvrir sa musique depuis 2019 (un CD chez Deutsche Grammophon) puis en dirigeant au printemps dernier Die Passagierin au Teatro Real de Madrid, un opéra que la Bayerische Staatsoper avait également programmé presque au même moment. Elle dirige avec une précision et une clarté rigoureuses, une sensibilité et une beauté gestuelle qui charment le regard. Très réceptif à la direction, l'Orchestre philharmonique de Vienne déploie les harmonies sonores, la sensualité intense, les vents tempétueux et les orages émotionnels menaçants de la partition.

Une distribution de haut vol contribue à la réussite triomphale d'une soirée grandiose. Le ténor lyrique ukrainien Bogdan Volkov dans le rôle du prince Myschkine donne une des plus belles compositions de personnage qu'il nous ait jamais été donné de voir à l'opéra. Il incarne cet être au physique extrêmement affaibli, à la démarche incertaine et parfois chancelante, mais à la fois doté d'un charisme et d'une naïveté innocente, d'une force intérieure et d'une foi brûlante, d'un mysticisme dostoïevskien. Son jeu d'acteur est stupéfiant, notamment dans l'interprétation du grand mal épileptique. L'expressivité émouvante de son piano, de ses longues notes flûtées et la délicatesse de son lyrisme n'ont d´égal que l'intensité d'une voix qui parvient à passer les déchaînements de l'orchestre. On trouve de mêmes qualités expressives dans le jeu et le chant de la soprano dramatique lituanienne Ausrine Stundyte qui campe avec sa voix aux couleurs sombres et chaudes, parfois incandescentes, le personnage de Nastasia, dont la flétrissure sociale date de la prime adolescente. La blessure de l'incessant viol par le tuteur abuseur est inguérissable, et a sans doute conduit à l'impulsivité, à la volonté d'indépendance et aux attitudes provocatrices passionnées de la femme adulte. Le rôle antagoniste d'Aglaïa demandait en contraste une voix claire et lumineuse, c'est ce qu'offre avec talent la mezzo-soprano australienne Xenia Puskarz Thomas, qui fait actuellement partie de l'Opera Studio munichois. Le baryton biélorusse Vladislav Sulimsky, qui avait fait ses débuts salzbourgeois en Tomski en 2018, prête les beautés sombres de sa voix et son jeu solide à la rudesse alcoolisée de Rogojine, un homme contrasté malade de désir et captif de forces obscures mais capable de réconciliation. Les rôles secondaires sont fort bien distribués, épinglons le Lebedev comploteur du baryton ukrainien Iouri Samoilov, l'excellent Gania de Pavol Breslik ou la dominante matrone de la mezzo-soprano russe de Margarita Nekrasova qui chante le rôle d'Yelisaveta Prokofievna Epantchina, une femme qui désespère de ne pouvoir jamais marier ses trois filles. 

Après Munich et Madrid, la production salzbourgeoise de Mirga Gražinytė-Tyla et Krzysztof Warlikowski, couronnée d'un énorme succès, contribue à faire connaître et apprécier les opéras de Mieczysław Weinberg et à donner à ce grand compositeur la place qui lui est due.


L'Idiot, opéra de Mieczysław Weinberg (1919 - 1996))en quatre actes op. 144 (1986/87), créé en 2013 à Mannheim. Livret d'Alexander Medvedew d'après le roman de Fiodor Dostoïevski

Mirga Gražinytė-Tyla Direction musicale 
Krzysztof Warlikowski Mise en scène 
Małgorzata Szczęśniak Décors et costumes 
Felice Ross Lumières 
Kamil Polak Vidéo 
Claude Bardouil Chorégraphie 
Christian Longchamp Dramaturgie 

Distribution du 15 août 2024

Bogdan Volkov Prince Lev Nikolaïevitch Mychkine 
Ausrine Stundyte Nastasia Filippovna Barachkova 
Vladislav Sulimsky Parfion Semionovitch Rogojine
Iouri Samoilov Loukian Timofeevitch Lebedev 
Clive Bayley Ivan Fiodorovitch Epantchine, général 
Margarita Nekrasova Yelisaveta Prokofievna Epantchina, sa femme 
Xenia Puskarz Thomas Aglaïa Ivanovna Epantchina 
Jessica Niles Alexandra Ivanovna Epantchina 
Pavol Breslik Gavrila (Gania) Ardalionovitch Ivolgin 
Daria Strulia Varvara (Varia) Ardalionova Iwolgina 
Jerzy Butryn Afanassi Ivanovitch Totzki 
Alexandre Kravets Affûteur de couteaux
 
Konzertbereinigung,  Chœur d'hommes de l'Opéra d'État de Vienne 
Pawel Markowicz Préparation du chœur 
Orchestre philharmonique de Vienne 

Crédit photographique © SF/Bernd Uhlig

mercredi 14 août 2024

Médaille d'or pour la nouvelle production salzbourgeoise des Contes d'Hoffmann


Benjamin Bernheim (Hoffmann), deux figurants à tête d'oeil 

Le Festival de Salzbourg a confié sa nouvelle production des Contes d'Hoffman à un trio parisien : Mariame Clément, qui fait ses débuts à Salzbourg, pour la mise en scène, Marc Minkowski pour la direction musicale et Benjamin Bernheim dans le rôle-titre pour la dernière œuvre d'Offenbach, un Parisien d'adoption qui est mort avant de l'avoir vue jouer à l'Opéra Comique de Paris. L'opéra n'avait plus été joué sur les bords de la Salzach depuis 2003. La production salzbourgeoise utilise l'édition critique de Jean-Christophe Keck, sur laquelle Marc Minkowski avait travaillé avec ce grand expert d'Offenbach pour la version en concert qu'il avait dirigée à la Salle Pleyel en 2012. Le choix de confier les quatre rôles des femmes aimées par Hoffmann à une seule chanteuse est conforme aux intentions d'Offenbach. Minkowski souligne qu'il s'agit d'une nécessité dramaturgique : l'opéra tourne autour de l'obsession d'Hoffmann pour une seule femme, Stella, qui réapparaît dans chacune de histoires amoureuses sous une autre forme, mais avec la même voix. Ce rôle demande une soprano dramatique colorature, une voix chaleureuse et intense qui soit capable de produire une pyrotechnie de coloratures. Le choix s'est porté sur la soprano américaine Kathryn Lewek, célèbre pour ses coloratures et qui a déjà chanté le quadruple rôle au Palm Beach Opera en Floride.

Mais qui est donc Hoffmann ? C'est la question qui se trouve au centre de la mise en scène. Mariame Clément en fait un artiste, un cinéaste. Devant un haut mur de béton qui emplit tout le fond du cadre de scène on voit un clochard endormi la tête posée sur un coussin disposé sur la plateau inférieur d'un chariot de supermarché qui semble rempli de matériel cinématographique. C'est Hoffmann, boit-sans-soif hagard et mélancolique, qui semble visiter les tréfonds de la dépression. On se trouve sur les lieux de la production d'un film, dont tous les travailleurs se retrouvent pour se restaurer. Hoffmann, le réalisateur, est incité à raconter l'histoire de ses amours. Un film ou une vidéo est montrée aux participants regroupés à droite de la scène, dont l'action, filmée par Hoffmann se déroule sur la gauche du plateau. Hoffmann est à la fois le cinéaste et également un acteur prenant partie prenante à l'action. La mise en scène  explore la manière dont la création artistique et la vie s'entremêlent. Les trois récits que filme Hoffmann correspondent à trois étapes de sa vie : ce seront les épisodes de la poupée, de la chanteuse ,qui se voit interdire de chanter, et de la courtisane. Si  Olympia, Antonia et Giulietta sont de pures projections d'Hoffmann, une fantaisie de l'auteur, la mise en scène leur attribue une vie indépendante.

Benjamin Bernheim (Hoffmann), Kathryn Lewek (Olympia), choeur et figurants

L'Olympia de Salzbourg n'est pas seulement la poupée mécanique représentée traditionnellement. Elle est aussi un personnage de chair et d'os, une fille pulpeuse qui chante habillée en Barbarella, l'héroïne du film que tourna Vadim en 1968. Hoffmann la filme dans un décor lunaire à la Méliès, avec les indispensables soucoupes volantes. Lorsqu'elle quitte le décor du tournage, on la voit coiffée à la Sheila, avec deux couettes, et portant une jupe écossaise fort courte. Pour l'épisode d'Antonia, les travailleurs du cinéma ont disparu, toute la scène est occupée par la confortable maison du père de la jeune femme, à la décoration romantique. La mémoire de la mère défunte de la jeune femme est partout présente. Aux fantaisies de la scène de la  poupée succède des éléments de fantastique. La mort rôde menaçante. La dernière scène passe à un échelon supérieur, c'est la fantasmagorie qui s'installe. Dans cette évolution, on perçoit bien combien il est essentiel que les trois femmes soient interprétées par une seule chanteuse. De même pour le personnage de Lindorf et de ses trois homologues dans les trois contes. Hoffmann, qui subit le contrecoup des actions menées contre Spalanzani puis contre le conseiller Crespel et sa fille, devient la victime principale dans le troisième épisode amoureux. Le quadruple diable le devient de plus en plus : d'abord porteur de cornes, on lui voit ensuite des mains gigantesques et crochues, une queue lui pousse et il devient de plus en plus obèse. Le fantastique atteint son paroxysme lorsqu'on voit apparaître des humains hybrides : deux figurants ayant un gigantesque œil à la place de la tête, ce sont les yeux qu'avait vendus le charlatan Coppelius, puis des figurants dont la tête est remplacée par une grande caméra de tournage et qui circulent en bande. La grande mise en abyme organisée par Mariame Clément n'est pas un collage d'effet comme c'est souvent le cas lorsqu'un tournage est introduit dans une mise en scène d'opéra, elle fait sens et elle est efficace, rend bien compte de l'artiste qu'est Hoffmann, de même que l'est son dédoublement dans sa fonction de réalisateur venant acteur.

L'immense scène de la grande salle du Festival fait l'objet d'une spatialisation des décors particulièrement réussie, un travail remarquable de la décoratrice et costumière Julia Hansen. Ses costumes remplissent parfaitement leurs fonctions de définition des personnages. Un travail non dénué d'humour. Les déplacements du magnifique choeur viennois font l'objet d'une chorégraphie soignée orchestrée par Gail Skrela. Élément essentiel de la mise en scène, les projections cinématographiques réussies de films anciens ou de grands portraits projetés notamment de Hofmann sont l'oeuvre d'Étienne Guiol. Tout le travail de mise en scène s'appuie sur un décodage textuel en profondeur du livret. Sans doute une bonne connaissance de la langue française, de ses atours et de ses détours, est-elle nécessaire pour goûter la substantifique moelle du travail de Mariame Clément. Pour les autres, le travail du dramaturge Christian Arseni expose clairement dans le programme les enjeux de la production. 

Christian Van Horn en Dr Miracle

Benjamin Bernheim adule le rôle d'Hoffmann pour lequel sa voix semble parfaitement taillée. Il rend avec un talent théâtral et vocal consommé les multiples facettes et les couleurs multiples de l'Hoffmann amoureux, naïf, stupide, colérique, dépressif, créatif, ou cela tout ensemble. Il exhale le bonheur d'être en scène et nous le partage. Quelle finesse, quelle sensibilité, quel kaléidoscope de couleurs, quel somptueux ténor. Un Hoffmann d'anthologie. Mais un bonheur ne vient jamais seul, ses partenaires de scène appartiennent au même panthéon chantant. L'Américaine Kathryn Lewek crève l'écran, avec son soprano colorature dramatique, des qualités d'actrice qui la font passer de la jeune femme sensuelle à l'érotisme guerrier à la romantique douloureuse, puis à la manipulatrice putassière, ces trois femmes qui se confondent en une, Stella, l'étoile qui a touché le coeur d'Hoffmann. Américaine elle aussi, Kate Lindsey brûle les planches en Muse/Niklausse avec son mezzo-soprano profond, une voix de gorge émouvante et pleine, une intensité dramatique qui touche les âmes. Le baryton-basse américain Christian Van Horn, à la voix puissante et impérieuse, dotée d'un timbre séduisant et bien projetée,  a des allures de maquereau pour jouer Lindorf , se métamorphose en un repoussant Coppélius, un infâme qui se délecte du mal qu'il fait, en un mauvais génie en Docteur Miracle qui prétend guérir pour mieux tuer, une dénomination qui cache un parfait escroc, puis en Dapertutto, le diable en personne qui collectionne les ombres des hommes qu'il capte grâce à son miroir magique. Quatre diables, c'est beaucoup pour un seul homme, mais pas pour Christian Van Horn, qui portait ce soir bien son nom, les germanophones comprendront.

Pour l'anecdote : Léo Vermot-Desroches, finaliste des Voix nouvelles, est la doublure de Benjamin Bernheim au Festival de Salzbourg pour le rôle d'Hoffmann. Il a déjà rempli son office lors de la répétition générale. Benjamin Bernheim s'était rendu à Paris pour y chanter l'Hymne à Apollon de Fauré lors la cérémonie de clôture des JO. Il est revenu interpréter Hoffmann ... dans une forme olympique !


Distribution de la première du 13 août 2024

Marc Minkowski Chef d'orchestre
Mariame Clément Metteuse en scène
Julia Hansen Décors et costumes
Paule Constable Éclairage
Étienne Guiol Vidéo
Gail Skrela Chorégraphie
Christian Arseni Dramaturge

Benjamin Bernheim Hoffmann
Kathryn Lewek Stella / Olympia / Antonia / Giulietta
Christian Van Horn Lindorf / Coppélius / Le docteur Miracle / Dapertutto
Kate Lindsey La muse / Nicklausse
Marc Mauillon Andres / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio
Géraldine Chauvet La voix de la mère
Michael Laurenz Spalanzani
Jérôme Varnier Crespel / Maître Luther
Philippe-Nicolas Martin Hermann / Pierre Schlémil
Paco Garcia Nathanaël
Yevheniy Kapitula Wilhelm

Choeur du Konzertverein de l'Opéra d'État de Vienne
Jörn Hinnerk Andresen Maître du choeur
Orchestre philharmonique de Vienne

Crédit photographique © SF/Monika Rittershaus

lundi 12 août 2024

Ottavio Dantone ressuscite Cesare in Egitto de Geminiano Giacomelli au Festival de musique ancienne d' Innsbruck

Cleopatra (Emőke Baráth) et Achilla (Filippo Mineccia)

Les Semaines festives de musique ancienne d'Innsbruck (Innsbrucker Festwochen der Alten Musik) ont depuis septembre 2023 une nouvelle direction tripartite : Eva-Maria Sens en est la directrice artistique, Ottavio Dantone le directeur musical et Dr. Markus Lutz le directeur commercial. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre pour le prestigieux festival, dont Alessandro De Marchi fut le directeur artistique de 2009 à 2023.

Un grand opéra baroque ouvre traditionnellement le Festival dans le Tiroler Landestheater (Théâtre du Land du Tyrol) dont l'ancêtre fut construit au même endroit en 1654. Une des traditions bien ancrées du Festival réside dans la redécouverte d'oeuvres tombées dans l'oubli, alors même qu'elles avaient rencontré le succès lors de leur création. Pour sa première production scénique, Ottavio Dantone a choisi l'opéra Cesare in Egittto de Geminiano Giacomelli. Il dirige les musiciens virtuoses de l'Accademia bizantina, le nouvel orchestre en résidence du festival.

Geminiano Giacomelli

Le compositeur italien Geminiano Giacomelli (Piacenza 1692-Loreto 1740) fut de 1719 à 1727 maître de chapelle à la cour ducale de Parme et également de la Basilique de Santa Maria della Steccata. Il partageait la responsabilité de ce poste avec son maître Giovanni Maria Capelli, compositeur à la Cour ducale, qui lui avait enseigné le chant, le contrepoint et le clavecin. En 1727 le duc Francesco Farnese le fit nommer maître de chapelle à vie de l'église San Giovanni de Plaisance (Piacenza), un poste doté d'un salaire confortable. Il obtint également l'avantage de s'absenter comme il le désirait, charge à lui de se trouver un remplaçant et de fournir la musique nécessaire. À cette époque, il composa toute une série d'opéras destinés aux plus importantes maisons d'opéra d'Italie, sans toutefois délaisser ses obligations auprès de la cour ducale. En 1738, il devient maître de chapelle de la Santa Casa di Loreto. Ses compositions comprennent des œuvres lyriques et de la musique sacrée. On lui connaît une bonne vingtaine d'opéras (dénommés dramma per musica ou intermezzo).

Geminiano Giacomelli, une caricature de Pier Leone Ghezzi

Giacomelli vécut à l'apogée de la virtuosité du bel canto et fut en contact avec des interprètes de renommée internationale. Son sens théâtral aigu allié à un langage musical simple et traditionnel lui valut d'acquérir une vaste popularité dans toute la péninsule. La clé du succès à cette époque où prévalait le vedettariat résidait dans l'art de satisfaire les besoins spécifiques des chanteurs en leur fournissant des airs qui leur permettaient de faire la démonstration de leur habileté. Giacomelli s'appliqua à composer des airs expressément modelés sur leurs capacités vocales de manière à les mettre en valeur : légers  pour Faustina Bordoni, pathétiques pour le célèbre castrat contralto Francesco Bernardi (dit Senesino, qui créa le rôle de César dans le Cesare in Egitto de Haendel ), sentimentaux ou de bravoure pour Farinelli. Dans son Histoire générale de la musique (A General History of Music) publiée en 1789 Charles Burney évoque " la vivacité de son imagination qui lui a permis de faire des envolées [flights] agréables qui, par leur nouveauté, ont procuré tant de plaisir qu'elles ont considérablement contribué à propager et à fixer le goût des époques suivantes." Les mélodies de Giacomelli sont généralement fluides et spontanées, résolument cantabile, agrémentées de vocalises et de coloratures selon la pratique de l'époque ; l'harmonie est sobre, colorée par une variété de modulations qui animent la dynamique. Dans son opéra La Merope (1734) trois de ses airs les plus réussis, dont l'air d'Epitide "Sposa, non mi conosci", ont été réutilisés dans le pasticcio de Vivaldi, Bajazet (aussi appelé Il Tamerlano). Vivaldi a légèrement modifié l'entame de l'air d'Epitide en  "Sposa son disprezzata" ("Je suis femme et je suis bafouée"). 

Son opéra Cesare in Egitto connut sa première le 24 novembre 1735 au Teatro San Giovanni Grisostomo de Venise. Le sujet de cet opéra avait été abordé dès 1675 par Bussani qui avait fourni le livret d'un opéra éponyme composé par Sartorio représenté à Venise. Il inspira ensuite le Giulio Cesare de Haendel créé à Londres en 1724. Le jeune Carlo Goldoni participa à l'écriture du livret du Cesare de Giacomelli. À cette époque il s'essayait à la tragédie avant de se rendre bientôt compte que sa véritable vocation était la comédie ; il allait par la suite devenir le créateur de la comédie italienne moderne. 


La mise en scène de Leo Muscato

L'action se déroule entre une série de murs en ruine entièrement recouverts d'hiéroglyphes et de bas-reliefs représentant les dieux de l'Égypte antique, qui rappellent les mastabas de Saqqarah. Andrea Belli a disposé ces parois en un ensemble de chambres communicantes placées sur un plateau tournant en mouvement constant tout au long de la première partie. Cinq statues colossales de légionnaires romains stylisées (des mannequins surdimensionnés placés sur  des plateaux à roulettes)  sont d'abord installées en avant-scène avant de venir entourer en demi-cercle le plateau tournant. Leurs armures et leurs équipements (énormes boucliers incurvés et rectangulaires, casques à chenille en crin écarlate et pilums)  habillent des armatures métalliques. Les statues symbolisent la domination romaine sur l'Égypte. La couleur rouge domine. Leur éclairage variera au gré de l'action : il illumine de plein feu les statues dominantes lorsque les armées de César ont le dessus, il diminue d'intensité lorsque Ptolémée tente de reprendre le pouvoir, la couleur rouge pâlit, on ne voit plus que les casques qui prennent une couleur violette. Lorsque en seconde partie, Ptolémée se croit victorieux et que l'on croit César mort par noyage, les statues sont retournées et on n'en voit plus que l'armature vide. Au retour de César victorieux, elles reprennent leur aspect conquérant. La mise en scène privilégie le placement frontal des protagonistes, qui favorise le chant, mais le plateau en rotation constante donne vite le tournis.  

Les costumes composites de Giovanna Fiorentini parcourent plusieurs époques de l'histoire : si les statues évoquent l'antiquité, César et ses soldats sont en uniformes de combats renforcés contemporains, avec des armes récentes : fusils mitrailleurs ou brownings. Ptolémée et Achille portent des costumes qui rappellent le temps des khédives, avec le port du fez et des vestes encombrées de décorations et d'un grand cordon. Ils prisent du tabac alors que César fume le cigare. Les robes longues de Cléopâtre soulignent sa beauté et pourraient être de toutes les époques.

Les statues veulent peut-être rappeler les colosses de l'Égypte ancienne mais leurs armatures font plutôt penser à des géants de carnaval. Les costumes convoquent deux mille ans d'histoire. L'intention du metteur en scène est peut-être de faire comprendre que les conflits militaires, la folie du pouvoir, le chantage à l'amour et le mariage sous contrainte sont de toutes les époques. 

Cesare (Arianna Venditelli) et Cleopatra (Emőke Baráth)

La mise en scène de Leo Muscato s'est surtout attachée au travail sur la définition des personnages et la gestuelle qui doit en rendre compte. Chacun des personnages est fort bien campé. Au départ César apparaît comme un jeune chef d'État plutôt inexpérimenté et peu diplomate, un chef de guerre assez fanfaron, pompeux et martial, avant qu'il ne soit touché par l'amour pour Cléopâtre. Cléopâtre a beaucoup plus d'assurance que sa jeunesse ne le laisse supposer et fait preuve de discernement et de finesse face aux conflits avec son frère Ptolémée, à sa la liaison problématique avec César, à l'hostilité de Cornelia et aux avances non désirées d'Achille. Le couple antagoniste de Ptolémée et Cornelia est nettement plus complexe : Ptolémée s'avère être un monstre sanguinaire qui use des manipulations les plus odieuses  pour arriver à ses fins avant de devenir un lâche obséquieux qui abandonne toute fierté lorsqu'il est vaincu ; Cornelia est une femme d'une force intérieure extraordinaire prête à tout sacrifier, — y compris sa propre vie et celle de son fils, — pour préserver son honneur. Le sénateur romain Lépide, amoureux de Cornelia, fait preuve de grandeur en toutes circonstances et parvient à faire face aux aléas de l'intrigue. Achille, le général de Ptolémée, fait davantage office de larbin au service de son maître, puis d'amoureux éconduit dans son désir d'union avec Cléopâtre, qui n'hésite pas à user de ses charmes pour le manipuler.

Lepido (Federico Fiorio) et Cornelia (Margherita Maria Sala)

L'opéra  Cesare  in Egitto de Giacomelli est un exemple d'opéra hautement virtuose du baroque tardif, influencé par ce qui était à cette époque le style napolitain moderne. Le couple de César et Cléopâtre demande des voix de soprano aiguës. Il est interprété par deux sopranos lauréates du Concours international de Chant Baroque Antonio Cesti à Innsbruck : Emőke Baráth (Cléopâtre), primée en 2011, et Arianna Vendittelli (César), en 2015. Dans ce rôle en pantalon, Arianna Venditelli rend bien compte de la fougue juvénile et de l'impétuosité du jeune César. Elle excelle aussi à rendre la douceur d'un César attendri par l'amour dans "Bella tel dica amore". Emőke Baráth brille par son talent dramatique et sa composition séduisante et radieuse du rôle de Cléopâtre. Elle semble se jouer des difficultés des arias virtuoses de la reine d'Égypte, notamment dans le très bel aria "Chiudo in petto" à la fin du premier acte ou dans l'air de bravoure «Son qual nave da due venti». La contralto Margherita Maria Sala, lauréate du prix Cesti en 2021, fait de Cornelia une déesse de la colère outragée. Quelle puissance, quelle énergie, quelle rage s'exhale de la formidable chanteuse qu'est Margherita Maria Sala qui nous donne une interprétation magistrale de son personnage, une épouse meurtrie au plus profond de ses chairs par la meurtre infâme de son époux Pompée à qui Ptolémée a fait couper la tête pour l'offrir en trophée à César, une mère prête à laisser assassiner son fils plutôt que de céder à l'ignominieux chantage de Ptolémée qui tente de lui imposer le mariage en échange de la vie de son enfant. Le chant est profond, la projection de la voix imposante. On est subjugués par le talent de la contralto, plus spécialement dans les récitatifs. Face à cette éclatante personnalité, qui, alors même qu'elle est prisonnière et qu'elle a les mains liées, clame sa juste haine, Ptolémée, interprété par Valerio Contaldo fait bien pâle figure. La voix manque de volume, le ténor valaisan reste en retrait du rôle. Le sopraniste Federico Fiorio incarne le sénateur romain Lepido qui a tout d'un jeune amoureux transi et bien peu l'allure sénatoriale. Virtuose exceptionnel, le chanteur paraît se jouer des difficultés techniques. Il semble très exactement disposer de l'agilité vocale de haute voltige qui faisait la fortune des castrats à l'époque du baroque tardif. Le contre-ténor Filippo Mineccia rend pleine justice au personnage versatile d'Achille dont il décline avec subtilité sa psychologie complexe. Son phrasé est superbe, il fait ici et là de remarquables descentes dans le grave, qui mettent en relief la beauté de son timbre.

Figurant et Tolomeo (Valerio Contaldo)

Cet opéra pour virtuoses, dont la construction fait la part belle aux arias en solo, se termine par un happy end, une " clemenza di Cesare ", qui accorde le pardon aux plus infâmes même : l'aria de César qui clôture son dernier grand récitatif "A un cor forte, a un’alma grande sorte ria non fa spavento"  ("Le destin ne fait pas peur à celui qui a un coeur fort et une grande âme.") Le finale est chanté par le choeur des six chanteurs : " la paix, qui émane du sein de Jupiter, descend sur la terre, la paix immaculée qui dispense la joie et le plaisir. " Ce dernier choeur est aussi le premier.

Les musiciens de l'Accademia Bizantina et au clavecin leur directeur artistique Ottavio Dantone  ont rendu le monde émotionnel complexe imaginé par le compositeur avec un talent consommé, alliant l'intensité expressive à la rigueur interprétative de la musique passionnée et suggestive de Giacomelli. C'est avec le chant la plus grande richesse de cette soirée découverte d'un opéra que les musiciens, que l'on sent captivés et stimulés par l'exécution de cette musique, ont littéralement ressuscité.

Cesare in Egitto, opéra en 3 actes de Geminiano Giacomelli
Livret de Carlo Goldoni & Domenico Lalli
Première représentation au Teatro S. Giovanni Grisostomo de Venise le 24 novembre 1735
Édition : Édition critique de Bernardo Ticci & Ottavio Dantone

Distribution du 11 août 2024

Arianna Vendittelli | Soprano Giulio Cesare
Emőke Baráth | Mezzo-soprano Cléopâtre | Reine d'Égypte, sœur de Tolomeo
Valerio Contaldo | Ténor Tolomeo | roi d'Égypte
Margherita Maria Sala | Contralto Cornelia | Veuve de Pompeo
Federico Fiorio | Soprano Lepido | Sénateur romain, amant de Cornelia
Filippo Mineccia | Contre-ténor Achilla | Général de Tolomeo

Leo Muscato | Mise en scène
Andrea Belli | Décors
Giovanna Fiorentini | Costumes
Alessandro Verazzi | Lumières

Ottavio Dantone – clavecin et direction d'orchestre
Accademia Bizantina
Alessandro Tampieri – premier violon

Crédit photographique © Birgit Gufler

Synopsis (traduit du programme des Innsbrucker Festwochen derAlten Musik)

Le contexte

Après sa défaite contre Jules César (Cesare) à la bataille de Pharsale (48 av. J.-C.) lors de la guerre civile romaine, le général romain Pompée (Pompeo) s'enfuit en Égypte avec sa femme Cornelia et leur fils Sesto. Il y cherche l'aide de Ptolémée (Tolomeo) et de sa sœur Cléopâtre (Cleopatra), qui gouvernent ensemble le pays, pour lutter contre César. Comme Ptolémée craint une attaque de César sur l'Égypte, ilt fait prisonnier Pompée et sa famille.

Acte I

   César a poursuivi Pompée en Égypte. Dans le port d'Alexandrie, Achille (Achilla), le général de Ptolémée, réserve un accueil festif à la flotte romaine. En guise de "cadeau de bienvenue", il remet les prisonniers à César. Consterné par le fait que des citoyens romains soient traités comme des esclaves, il leur rend leur liberté. Achille a un autre cadeau : la tête de Pompée !
    Cornelia reproche à César le meurtre de son mari. Il jure de venger la mort de son ancien ami. Achille se vante auprès de Lépide (Lepido) de la supériorité de l'Égypte sur Rome. Lépide aime Cornelia et voit là l'occasion de la conquérir.
   Ptolémée et Cléopâtre discutent des derniers développements politiques. Cléopâtre est convaincue que la mort de Pompée a mis l'Égypte dans une situation dangereuse et qu'elle aurait mieux fait de régler la situation avec César. Achille rapporte également sa réaction inattendue aux "cadeaux" de Ptolémée.
   Cornelia se met à la recherche de Ptolémée et l'accuse de la mort de son mari. Ptolémée lui propose de l'épouser, mais elle le rejette avec indignation. Lépide avoue à son tour son amour pour Cornelia. Il est également rejeté.
  César menace Ptolémée, furieux d'avoir reçu l'ordre d'assassiner Pompée. Cléopâtre implore la clémence de César. C'est la première fois qu'il la rencontre, il est aussitôt subjugué par sa beauté.
  Cornelia demande justice à César, tandis que Ptolémée l'accuse d'être ingrat. César est d'avis que Ptolémée a commis un crime contre l'État romain et qu'il doit donc être jugé à Rome.
  Cornelia, qui déteste à la fois César et Ptolémée, exige que les deux hommes soient tenus pour responsables du meurtre de son mari. Mais César, aveuglé par sa passion naissante pour Cléopâtre, pardonne à Ptolémée. Cléopâtre triomphe.

Acte II

   Achille aide Ptolémée à attirer César dans un guet-apens. En retour, il exige la main de Cléopâtre. Ptolémée accepte, car cela lui permettrait de régner seul sur l'Égypte. Il propose à nouveau à Cornelia de l'épouser, mais elle le rejette. Lorsque Lépide lui demande à nouveau de l'épouser, elle accepte mais à condition qu'il tue à la fois Ptolémée et César. Lépide croit voir l'accomplissement de ses rêves.

- entracte -

   Cléopâtre avertit César de la conspiration de Ptolémée. Il lui répond qu'il est déjà au courant, puis s'endort. Cléopâtre se cache lorsqu'elle voit Cornelia et Lépide s'approcher. Cornelia pousse Lépide à assassiner César endormi, mais Cléopâtre intervient.
   Lorsque César se réveille, Lépide prend sur lui la responsabilité du projet de son meurtre. César comprend que Cornelia est à l'origine de la tentative de meurtre. Cléopâtre et Lépide tentent de calmer Cornelia, mais sa haine est sans limite.
  Cléopâtre demande à Lépide de regrouper tous les Romains en une armée pour protéger César de Ptolémée.
   Achille se vante auprès de Cléopâtre de la future capture de César. César sera bientôt capturé et elle deviendra alors sa femme. Mais Cléopâtre préfère mourir plutôt que de se marier. Ptolémée rassure Achille : dès que César sera mort, Cléopâtre sera à lui et il épousera Cornelia.
   Les armées de César et de Ptolémée s'affrontent. En infériorité numérique, l'armée de César, est repoussée vers la côte. César se jette à la mer.

Troisième acte

   Ptolémée, victorieux, revendique le pouvoir absolu sur l'Égypte et exige l'obéissance de Cléopâtre et de Cornelia. Toutes deux refusent. Achille réclame alors sa récompense, à savoir la main de Cléopâtre. Mais Ptolémée a d'autres projets : Cléopâtre doit mourir. Achille est furieux, mais Cléopâtre le calme. Elle lui promet de l'épouser s'il tue Ptolémée.
  Ptolémée est furieux du refus de Cornelia d'accepter sa main. Il menace de tuer son fils si elle n'obtempère pas. Mais elle se déclare prête à sacrifier son fils pour son honneur. Lépide, qui a toujours l'intention d'épouser Cornelia, lui révèle qu'il projette d'assassiner Ptolémée avec l'aide d'Achille.
  César a survécu à sa plongée dans la mer. Avec d'autres soldats romains, ils se sont déguisés en Égyptiens et se sont secrètement rassemblés au temple.
   Cornelia se recueille sur la tombe de son mari lorsque Ptolémée arrive avec des prêtres pour célébrer la. cérémonie de mariage. Achille et Lépide attaquent Ptolémée, mais César et ses partisans interviennent. Cornelia incite Lépide à éliminer les deux hommes, mais Lépide ne veut pas lever la main contre un Romain. Aigrie et pleine de haine pour César, Cornelia quitte l'Égypte.
   Ptolémée demande grâce à César et laisse le trône à sa sœur. Romains et Egyptiens célèbrent la paix durement gagnée.


L'opéra de Giacomelli fut joué au San Bartolomeo de Naples
à partir de 1735. 

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