jeudi 12 septembre 2024

L'Orlando furioso de Vivaldi au Festival Bayreuth Baroque

Giuseppina Bridelli  (Alcina) @ Clemens Manser Photography

Le Festival Baroque de Bayreuth présente pour deux soirées l'Orlando Furioso d'Antonio Vivaldi (RV 728), en coproduction avec le Teatro Comunale de Ferrare et le Teatro Comunale Pavarotti-Freni de Modène. Le Dramma per musica continuera ensuite son voyage en Corée du Sud où il sera joué au Festival international d'opéra de Daegu en octobre. Il avait connu sa première à Ferrare en avril dernier sous la direction du Federico Maria Sardelli, éminent spécialiste de Vivaldi à qui l'on doit la dernière édition critique de cet opéra, éditée l'an dernier en collaboration avec Alessandro Borin chez Ricordi.

Alcina, sa suivante et Angelica, les couturières sur fond de forêt enchantée

L'histoire de cet opéra est liée à la ville de Ferrare. Le livret en a été composé par Grazio Braccioli, avocat dans cette ville et librettiste à Venise, sur base de l'épopée en vers composée par L'Arioste qui avait été au service d'Alphonse d'Este, duc de Ferrare, et avait terminé ses jours dans sa maison ferraraise. Le livret de Braccioli, habilement construit sur le plan dramatique, a été deux fois mis en musique par Vivaldi pour le Teatro Sant'Angelo de Venise. C'est sur la seconde version, celle de 1727, qu'ont porté les recherches de Federico Maria Sardelli, spécialiste de la musique du Prêtre rouge. Comme de juste, le maestro Sardelli a eu la primeur de la direction de la version de 1727 au Communale de Ferrare, avec l'orchestre et le choeur baroques Accademia dello Spirito Santo. Il considère cet opéra comme le chef d'œuvre théâtral absolu de Vivaldi par sa force musicale et sa rigueur dramatique. Dans sa direction il a cherché à reconstruire philologiquement les us et coutumes musicaux de cette période. Ainsi il ne divise pas comme on l'a fait jusqu'ici la représentation en deux parties, coupant un peu artificiellement l'opéra en deux sections de longueurs égales, mais a conservé les trois parties correspondant aux trois actes, avec deux entractes. L'ensemble instrumental prévoit deux clavecins, ce qui est typique de la structure théâtrale baroque, il évite les guitares et les archiluths, que l'on retrouve souvent dans les ensembles baroques mais qui n'étaient plus utilisés en 1727. L'ouverture de l'Orlando furioso étant perdue, Federico Maria Sardelli l'a remplacée selon le principe de l'auto-emploi que Vivaldi avait lui-même pratiqué, par celle de Giustino, un opéra composé en 1724.

Yuriy Mynenko (Orlando) et Arianna Vendittelli (Angelica)

Le metteur en scène Marco Bellussi, qui se passionne depuis 30 ans pour l'opéra baroque, a su extraire avec des moyens contemporains, la substantifique moelle de l'Orlando furioso. La mise en scène s'organise autour de la magicienne Alcina, qui est de facto le personnage principal de l'opéra. Toute l'action se déroule dans l'espace imaginaire de son palais, un espace soumis aux mystifications de la magie qui en dilate et en estompe les contours. Pour en illustrer les effets, Marco Bellussi s'est concentré sur l'utilisation des miroirs : le scénographe Matteo Paoletti Franzato a conçu un palais dont les murs latéraux, le plafond et le toit sont constitués de miroirs qui renvoient des reflets déformés du réel et dont l'effet multiplicateur déstabilise les personnages et les insécurise. C'est dans ce lieu merveilleux, improbable et bizarre, que s'articulent les multiples trames narratives d'un texte extrêmement complexe. La plupart du temps la scène ne comporte que peu d'objets : quelques tabourets curules aux pieds entrecroisés, un fauteuil récamier pour la magicienne. Mais ce vide s'emplit d'images illusoires tridimensionnelles générées par les projections de vidéo mapping de Fabio Massimo laquone sur un écran translucide d'avant-scène et un écran de fond de scène : une forêt illusoire aux saisons changeantes avec des arbres bercés par les zéphyrs ou agités par l'orage, une forêt printanière, estivale, automnale ou hivernale, traversée parfois par des nuées d'oiseaux ou, la nuit, par des nuées stellaires ou
astrales. Une réalité augmentée qui finira par disparaître lorsque la magicienne perd ses pouvoirs suite à l'action coalisée de ses victimes. À deux reprises, alors qu'Orlando est pris de folie furieuse, l'air s'emplit physiquement des mots du texte qu'il chante. Orlando est pris dans un tourbillon de mots qui virevoltent, l'entourent et l'emprisonnent. Cela rappelle l'épisode des paroles gelées de Rabelais, sauf qu'ici les mots sont faits de projections lumineuses. Au terme de l'opéra ne reste plus qu'une scène plongée dans la pénombre puis baignée dans les lumières de Marco Cazzola pour marquer une fin heureuse.

Les costumes d'Elisa Cobello définissent nettement les personnages, ce qui a pour heureux effet d'apporter de la clarté dans une action passablement emberlificotée. Alcina est habillée de robes moulantes belle époque en lamé bleu nuit ou noir, et affuble une coiffure de vamp et un maquillage aguichant, ce qui convient bien à cette mangeuse d'hommes, dont le pouvoir de séduction est la cause de la perte de ceux qu'elle séduit. Par contraste, la fidèle Angelica, qui veut croire au retour de Medoro que l'on croit noyé, est tout de blanc vêtue dans une élégante robe de mariée assez stricte. Alcina convoquera dès leur rencontre une armée de couturières pour lui faire confectionner sur mesure une robe plus déshabillée et sexy, blanche elle aussi. Bradamante, une rousse combative, porte une tunique d'un rouge éclatant. Ruggiero, son amant qu'a ensorcelé Alcina, est vêtu d'un rouge plus sombre. Orlando en chemise blanche et pantalon noir, porte un surtout damassé bleu sans manches et à pans multiples qu'il fait souvent virevolter. Medoro est vêtu comme un chevalier espagnol avec une chemise en dentelles. Comme Ruggiero, le malheureux Astolfo ressemble à un garde suisse.

À Bayreuth, c'est au fameux ensemble baroque Il Pomo d'Oro et à son premier chef invité le claveciniste Francesco Corti qu'a été confiée l'interprétation musicale. Un ensemble dont les musiciens, qui jouent sur instruments d'époque, comptent parmi les meilleurs spécialistes dans le domaine de la pratique de l'interprétation historique. Ainsi du stupéfiant solo de flûte traversière par le  flûtiste péruvien Marcello Gatti. La direction de Francesco Corti est confondante d'une beauté vigoureuse et parfois sauvage, elle s'attache à rendre la vivacité électrisante et scintillante de l'opéra par des attaques incisives, une direction intense, précise et rigoureuse, avec une gestuelle souple, élégante, joyeuse ou sensuelle. Un orchestre stellaire au firmament de la musique baroque.

Orlando halluciné dans la forêt enchantée

Magnifique interprète d'Alcina, la mezzo-soprano Giuseppina Bridelli prête sa voix de belcantiste rompue à la musique baroque et ses charmes athlétiques à la magicienne et compose le portrait d'une femme libérée qui ne peut trouver le bonheur dans sa consommation effrénée de tigresse affamée. Face à elle, Arianna Vendittelli, très célébrée depuis des années aux Fêtes de musique ancienne d'Innsbruck, compose une princesse Angelica de son soprano très assuré au phrasé et á la projection impeccables avec une présence scénique imposante qui définit clairement son rôle de fiancée chaste et pure qui sait résister aux assauts amoureux d'un Orlando désespéré avant de paraître céder à ses avances. La révélation d'une soirée qui n'en manque pas revient au contre-ténor Yuriy Mynenko doté d'une voix d'une étendue exceptionnelle, qui va du soprano au baryton. Il joue de cette ampleur en passant d'un registre à l'autre, passe du registre de poitrine à la voix de tête. L'humour est bien présent dans la composition de son personnage qui fait des sorties de scène un peu queer en faisant virevolter les pans de sa tunique. Ses scènes de la folie au cours desquelles il est pris dans le tourniquet de ses paroles sont des plus réussies. Le couple de Bradamante et Ruggiero est interprété par la mezzo-soprano Sonja Runge qui campe une Bradamante, très décidée et suffisamment masculine pour changer de sexe au moment opportun, et un Ruggiero infidèle malgré lui, interprété avec beaucoup de drôlerie par Tim Mead. Son aria "Sol da te mio dolce amore", accompagné par le flûtiste, constitue un des moments les plus émouvants de la soirée. Chiara Brunello donne une belle prestance à Medoro. L'Astolfo de José Coca Loza reste vocalement un peu en retrait du rôle.

Empruntons la conclusion à la musicologue ferraraise Annalisa Lo Piccolo : 

" Dans Orlando furioso, Vivaldi reste fidèle à son propre modèle de théâtre musical : la ligne vocale est soutenue par un orchestre vibrant, qui évoque en images musicales graphiques les forces de la nature, l'atmosphère onirique et les nuances des sentiments. Dans « l'intemporalité féerique » de l'intrigue, les airs s'approprient le tumulte des récitatifs, concentrent et subliment l'émotion authentique au milieu du va-et-vient chaotique des personnages. Elles explorent l'infinie variété des humeurs vacillantes qui servent d'impulsion à toute histoire mettant en scène des personnages réels." (Traduit du programme du Festival de Bayreuth)

Le public a réservé de vibrants applaudissements aux interprètes et à l'équipe de production de cette soirée exceptionnelle.

Tableau final

Orlando furioso. Dramma per musica en trois actes d'Antonio Vivaldi, RV 728. Livret de Grazio Braccioli. Nouvelle édition critique éditée par Federico Maria Sardelli et Alessandro Borin, Ricordi 2023. Première Venise, Teatro Sant'Angelo, automne 1727.

Distribution du 10 septembre 2024

Francesco Corti Direction musicale et clavecin
Marco Bellussi Mise en scène
Matteo Paoletti Franzato Décors
Elisa Cobello Costumes
Marco Cazzola Lumières
Fabio Massimo laquone Vidéo

Yuriy Mynenko Orlando
Giuseppina Bridelli Alcina
Arianna Vendittelli Angelica
Sonja Runge Bradamante
Tim Mead Ruggiero
Chiara Brunello Medoro
José Coca Loza Astolfo

Il Pomo d'Oro
Coro dell'Accademia del Santo Spirito

Crédit photographique © Clemens Manser Photography (première photo) et Marco Castelli Nirmal. (autres photos, prises à Ferrare). 

mercredi 4 septembre 2024

Festival baroque de Bayreuth— Ifigenia in Aulide de Nicolò Porpora ou la renaissance d'une partition virtuose

Mayaan Licht (Achille), Jasmine Delfs (Ifigenia) et Marina Diakoumakou  (Ifigenia)
© 
 Clemens Manser Photography

Une juste fureur s'empare de mon âme.            
Vous allez à l'autel, et moi, j'y cours, Madame.
Si de sang et de morts le Ciel est affamé,          
Jamais de plus de sang ses autels n'ont fumé.   
À mon aveugle amour tout sera légitime,          
Le prêtre deviendra la première victime           
Achille in Racine, Iphigénie, V, 2         

Tantum religio potuit suadere malorum            
Lucrèce, De Rerum Natura           

L'Iphigénie en Aulis d'Euripide (vers - 405) a inspiré de nombreux opéras et pièces de théâtre à l'époque classique et au temps des Lumières. Tout comme l'Iphigénie de Racine (1674), le livret de l'Ifigenia in Aulide de Nicolò Antonio Porpora (1735), dû à la plume Paolo Antonio Rolli, reste proche de l'esprit du théâtre antique tout en égrenant des vers à la composition raffinée. Cet opera seria (melodrama)  a marqué la vigoureuse entrée en scène londonienne  de Porpora comme un digne rival de son collègue Georg Friedrich Haendel, qui venait de créer son pasticcio Orestes à Covent Garden en décembre 1734, un opéra dont l'inspiration lointaine puise à la même source euripidienne. La concurrence de Porpora, avec des stars comme Farinelli dans le rôle d'Achille et Senesino dans le rôle d'Agamennone, avait dû être redoutable : le compositeur s'était taillé une réputation des plus flatteuses comme professeur de chant, Farinelli commença à recevoir ses leçons alors qu'il n'avait que douze ans et s'appelait encore Carlo Broschi, le rôle d'Achille avait été créé sur mesure pour le célèbre castrat.

Clitennestra, Ifigenia menacée et son double, Agamennone @ Falk von Traubenberg

Le Festival d'opéra baroque de Bayreuth a demandé au musicologue Dragan Karolic de se plonger dans les archives pour redonner vie à l'Ifigenia in Aulide de Porpora. Le fruit de ce travail rend à nouveau possible, après l'époque de Farinelli, de faire résonner aujourd'hui la partition virtuose de Porpora. 

La mise en scène de Max Emanuel Cenčić s'inscrit directement dans la tradition de l'opéra baroque tout en s'attachant à rendre compte de l'universalité et de l'actualité thématique du mythe d'Iphigénie. «Combien une religion maléfique (ou la superstition) a pu susciter de malheurs !» Dans De Rerum Natura, Lucrèce révèle la nature du monde et des phénomènes naturels. Dans la même ligne, l'opéra de Porpora oppose les lumières de la raison défendues par Achille à la superstition et à la manipulation des masses orchestrées par Calcante et les rois grecs Ulisse et Menelaos. Voici comment Max Emanuel Cenčić présente sa vision de l'œuvre : 

" Ifigenia in Aulide traite du fanatisme religieux, des décisions politiques imposées par l'hystérie de masse et de la destruction désastreuse de la nature par l'homme. La pièce tourne également autour du sacrifice qu'un père orgueilleux et égoïste exige de sa fille. Elle invite à réfléchir sur la foi et la superstition des hommes et sur la responsabilité personnelle et les conséquences des prises de décisions qui s'opposent aux lois de la nature. Ce drame préfigure celui du monde contemporain. Agamemnon est l'archétype d'un humain imparfait : avide, cupide, orgueilleux, corrompu et menteur, et, à la fois, fragile, manipulable, peu sûr de lui et faible. Figure tragique centrale de l'action, il est à l'origine du désastre et doit à présent assumer les conséquences de ses actions non réfléchies. Ce drame fut extrêmement populaire à l'époque des Lumières durant laquelle il  fut le sujet de nombreux opéras et pièces de théâtre. Il adresse la question de l'hystérie collective religieuse qui conduit à des actes contre nature comme le meurtre de sa propre fille, le cannibalisme et d'autres actes contraires à la civilisation. Il adresse aussi les problèmes résultant du fait que les humains défient les lois de la nature et sont confrontés aux conséquences de leurs actes. Appliquée à nos problématiques contemporaines la mise à mort du cerf sacré décidée par le roi Agamemnon pour nourrir l'armée affamée est l'équivalent de la destruction de la nature par nos dirigeants. Pour assurer la survie de l'humanité, la déesse Diane, en d'autres termes la Nature, riposte et contraint les vents à s'arrêter de souffler, laissant les hommes de l'armée grecque abandonnés sur le rivage. On peut dire que le changement climatique est la réponse aux ravages causés par l'humanité. En réponse aux violations des lois de la nature, Diane demande le sacrifice de la fille d'Agamemnon. Ainsi aujourd'hui la destruction de la nature conduit à la mort de nos enfants. Ajoutons à cela que le fanatisme religieux et la superstition entraînent les masses à acculer Agamemnon à une alternative extrême : soit il sacrificie sa propre fille, soit il assume la conséquence de ses actes et risque la perte de son pouvoir et de sa vie. C'est ce qui se passe aujourd'hui avec les médias sociaux : la superstition et l'hystérie de masse font pression sur nos dirigeants et les conduisent à des actions extrêmes. C'est pour cela que le drame d'Euripide reste une pièce captivante et une source d'inspiration pour de nombreuses générations. " (Traduction libre de la présentation vidéo du metteur en scène).

La dépouille du cerf sacré de Diana @ Clemens Manser Photography

Giorgina Germanou a encadré la scène de miroirs obliques qui réfléchissent, en partie du moins, les scènes qui se déroulent au sol. De vigoureux guerriers musclés aux corps nus, harnachés et masqués portent en scène la dépouille du cerf consacré à la déesse Diane, un animal naturalisé par taxidermie qui provient de la production d'Ariodante (2018) à l'Opéra de Vienne, qui a été gracieusement mis à la disposition de la production bayreuthoise. Le rouge, l'or et le noir forment le décor de ce sanglant tableau que considèrent les rois et le devin Calcante richement vêtus de somptueuses capes. Des piliers triangulaires mobiles et rotatifs s'assemblent pour former des fonds de décor aux images et aux éclairages changeants. Le plus souvent ce sont des marbrures de différentes couleurs qui créent diverses atmosphères : ici le sang de l'exécution du cerf sacré et l'or de la puissance royale, là des marbrures blanches striées de noir qui semblent indiquer que la nature est figée par l'action de la divinité. Les guerriers ramperont bientôt pour s'abreuver du sang et se nourrir de la chair crue du cadavre animal. Plus avant, les piliers s'assembleront pour présenter l'esquisse du Sacrifice d'Iphigénie de Carle Vanloo (1755, sans doute l'étude préparatoire conservée à New York). De fins squelettes d'arbres morts dorés évoquent peut-être la mort d'une nature au sol infertile infligée par la déesse. Des mannequins blancs de foetus féminins aux corps adultes et porteurs de cordons ombilicaux, enfermés dans des poches matricielles transparentes suspendues aux cintres, laissent place à diverses interprétations : ils rappellent que Diane, pas seulement chasseresse, est aussi la déesse de la fertilité du sol et de l'enfantement ; dans son aria "Lasciar bramo" (Acte II, 2), Ifigenia évoque sa mort qui pourra être favorable aux entreprises de son père et se dit prête à offrir les mille vies qu'elle pourrait porter en son sein ("mille vite pronto e forte a lasciar il petto avró"), peut-être celles de la descendance que son sacrifice rendra impossible. 

Max Emanuel Cenčić en Agamennone. Photo © Falk von Traubenberg

Les couleurs des costumes participent de la symbolique. La couleur rouge de la toge d'un Calcante terrifiant et son grimage facial de la même couleur évoquent le sang versé et la cruauté manipulatrice. L'or de la chemise d'Agamemnon est le signe du pouvoir suprême du commandeur des armées. La blancheur de la tunique d'Iphigénie nous parle la demeure chaste et pure qu'est la jeune fille. Deux acteurs sont venus compléter le plateau pour des rôles muets : George Zois donne un imposant Menelaos et la jeune Marina Diakoumakou offre les charmes et la beauté de sa jeunesse à Ifigenia, dont la voix est transférée à une dame en noir au masque d'argent et à la coiffure boisée. Le dédoublement du personnage d'Ifigenia en dénote la complexité : elle est la jeune fille amoureuse qui s'offre au sacrifice, elle est aussi la biche dont la déesse se contentera, elle est enfin la déesse Diane elle-même. C'est à Jasmine Delfs qu'a été confié le double rôle d'Ifigenia et de Diana, une chanteuse allemande à la carrière fulgurante qui fut membre de l'Opéra Studio de l'Opéra de Munich de 2021 à 2023 et qui la saison dernière a interprété Poppea à Toulon et la Reine de la nuit à la Berliner Staatsoper. Le jeune soprano fait des débuts remarqués au Festival baroque de Bayreuth, elle allie ici les clartés lumineuses de la jeune fille aux tonalités plus vindicatrices de la déesse. Une grippe estivale malencontreuse est venue frapper Max Emanuel Cenčić qui a sauvé la production en montant sur les planches : l'opéra étant inconnu au répertoire, un Agamennone ne se trouve pas au débotté. La jeu théâtral de ce grand artiste est époustouflant, il campe un  Agamennone au profil complexe, un colosse aux pieds d'argile brisé de douleur par ce qu'il a provoqué, mortellement blessé tant dans son ego en perte de puissance que dans l'amour qu'il a pour sa fille. On est sous le charme de sa voix à la douceur veloutée, aux couleurs chaleureuses, aux accents dramatiques. Riccardo Novaro dresse  de son baryton doté de graves séduisants le portrait d'un Calcante parfaitement odieux. Mary-Ellen Nevi joue avec maestria une Clitennestra fabuleusement costumée par Giorgina Germanou et arbore de fantastiques coiffures inspirées peut-être des statues de Tanagra dues au talent de Pavlos Katsimichas. Le jeune contre-ténor Nicolò Balducci fait lui aussi ses débuts bayreuthois en Ulisse, un rôle dans lequel il déploie des capacités vocales impressionnantes, une grande clarté, des attaques incisives, une technique impeccable et du raffinement dans les variations.

Mayaan Licht en Achille. Photo © Falk von Traubenberg

La plus exceptionnelle révélation d'une soirée qui en comporta beaucoup fut l'Achille de Mayaan Licht, un sopraniste israélien qui s'est spécialisé dans le répertoire virtuose baroque. Achille est le spiritus movens de l'opéra, celui qui par son amour et par sa force de persuasion dans l'affirmation de la bonté des dieux parvient à changer le cours des événements, à retourner la situation apparemment insoluble dans laquelle est englué Agamemnon, pris au piège du devin Calcante soutenu par Menelaos et Ulisse. Par sa colère amoureuse, l'Achille du livret de Paolo Antonio Rolli rappelle celui de l'Iphigénie de Racine. Mayaan Licht touche à la perfection dans son incarnation passionnée du héros amoureux de la fille d'Agamemnon : sa maîtrise dans l'expression de la palette émotionnelle se marie à une grande profondeur narrative dans la manière de donner vie au récit. Sa voix avec des aigus pointus et tranchants a de l'éclat et de la puissance et cette vaillance qui convient aux personnages héroïques des opéras baroques. Dès la troisième scène du premier acte, il plonge le public dans un ravissement ébahi à l'écoute du « Nel gia bramoso petto », notamment dans la séquence qui comporte un enchaînement de trilles qui exprime le languissement. C'est ici le cas de le dire, Mayaan Licht donne le la dans la séquence « quest'alma ov'ei non è, langue d'affanno ». Et cet émerveillement silencieux du public va se répéter lors de chaque aria jusqu'au fameux air du troisième acte « Le limpid'onde » que le sopraniste chante avec un raffinement gracieux. On reste suspendu à ses longues tenues de notes, au flûté de sa voix mélodieuse. Sa virtuosité se marie avec la sincérité de son jeu d'acteur, avec une musicalité et une justesse sans aucune fioriture superflue : la beauté lyrique du phrasé, la perfection de la diction, une maîtrise de la langue qui touche à une italianité impeccable, tout est remarquable et arrache des bravi sonores. Avec Mayaan Licht, l'Achille aux pieds légers d'Homère s'est transformé en un Achille à la voix ailée avec des envols stratosphériques. 

Depuis la fondation des Talens lyriques en 1991 Christophe Rousset et son orchestre se passionnent pour la redécouverte du patrimoine musical européen. Ils ont contribué à remettre en honneur les compositions napolitaines, et notamment l'oeuvre de Nicolò Porpora dont ils ont largement contribué à la redécouverte. On se souviendra que lors de la réalisation de la bande son du film  Farinelli de Gérard Corbiau (1994), ils avaient proposé un air du Polifemo de Porpora, « Alto Giove ». Cette année, Christophe Rousset et Les Talens lyriques ont été invités comme Orchestre en résidence du Festival baroque de Bayreuth, un choix on ne peut plus heureux. Dans Ifigenia in Aulide, l'orchestre et son chef apportent leur expertise pour exprimer le lyrisme de l'oeuvre, et, toujours attentifs aux chanteurs, accompagnent et soutiennent les lignes et la virtuosité du chant. Ils réalisent un travail aussi passionné que précis salué avec enthousiasme par un public aux anges. 

L'intelligence d'une mise en scène qui éclaire notre actualité à la lumière des gestes antiques, la beauté des décors, des costumes et des éclairages, une distribution choisie avec pas moins de trois contre-ténors exceptionnels, un orchestre des plus talentueux qui porte bien son nom, le cadre somptueux de l'Opéra de la Margrave, tout a contribué à rendre mémorable la soirée d'ouverture du Festival baroque de Bayreuth, que le public a saluée d'une standing ovation.

Ifigenia in Aulide 
Nouvelle mise en scène
Melodramma en trois actes
Livret de Paolo Antonio Rolli

Direction musicale et clavecin Christophe Rousset
Mise en scène Max Emanuel Cenčić
Décors et costumes Giorgina Germanou

Lumières Romain de Lagarde
Assistant réalisateur Constantina Psoma

Distribution du 5 septembre 2024

Ifigenia / Diana Jasmin Delfs
Achille Maayan Licht
Agamennone Max Emanuel Cencic
Clitennestra Mary-Ellen Nesi
Ulisse Nicolò Balducci
CalcanteRiccardo Novaro

Les Talens Lyriques - Orchestre en résidence du Bayreuth Baroque Opera Festival 2024

Représentations les 5, 7, 13 et 15 septembre 2024 à l'Opéra de la Margrave. Un enregistrement sera effectué lors de la dernière représentation. Il sera ensuite disponible sur Arte Concert.

SYNOPSIS

L'armée grecque s'est réunie à Aulis avant de mettre le cap sur Troie. Agamemnon, le chef de l'armée, a tué un cerf sacré dans la forêt de Diane et s'est moqué de la déesse. Furieuse de ce blasphème, Diane fait tomber les vents afin que les Grecs ne puissent pas prendre la mer. Le prêtre Calchas prophétise que seul le sacrifice d'Iphigénie, la fille d'Agamemnon, pourra apaiser la colère de la déesse. Sous prétexte qu'Iphigénie doit épouser le héros Achille, elle est envoyée à Aulis avec sa mère Clytemnestre.

Acte I

Une lettre a été remise au guerrier Ulysse pour avertir Clytemnestre que le mariage supposé d'Iphigénie et d'Achille doit être retardé ; il leur est conseillé de fuir tous deux à Argos. Le prêtre Calchas est déterminé à respecter l'ordre de Diane, mais il décide qu'Achille - le futur époux - ne doit rien savoir du futur sacrifice. Le sage Ulysse fait l'éloge de la prudence : elle est la plus haute vertu, plus encore que le courage téméraire.

Agamemnon a appris que Clytemnestre ne peut pas se rendre à Aulis pour des raisons de santé. Cela lui donne l'espoir que Diane est satisfaite de sa volonté de faire le sacrifice. Mais Calchas l'avertit de ne pas prendre à la légère la fureur divine. Clytemnestre et Iphigénie arrivent à l'improviste à Aulis et s'étonnent de ne pas être reçues avec les honneurs dus à leur rang. Sans être reconnues, elles rencontrent Achille. Iphigénie et le héros tombent amoureux l'un de l'autre avant de se reconnaître mutuellement pour leur plus grande joie. Les retrouvailles d'Agamemnon avec son épouse et sa fille le mettent au supplice car son amour pour sa famille dépasse de loin sa crainte des dieux. Achille se rend compte de la détresse d'Agamemnon. Lorsqu'il apprend la vérité, il proclame qu'il croit en la sagesse des dieux et non en leur cruauté.

Acte II

La situation s'aggrave. Ulysse met en garde contre la colère de l'armée, qui n'est pas prête à tolérer que l' le départ pour Troie soit différé et il insiste pour que le sacrifice d'Iphigénie soit instamment exécuté. Achille se fait le champion d'Iphigénie et la place sous la protection de sa garde, les Myrmidons. L'alliance avec Agamemnon commence à se fissurer. Calchas continue de faire craindre la vengeance de Diane. Les deux idéologues s'affrontent dans une furieuse guerre des mots : Achille oppose aux convictions cruelles de Calchas sa foi en la bonté et la sagesse des dieux.

Acte III

Achille a élaboré un plan pour faire sortir clandestinement Iphigénie d'Aulis. Escortée par une troupe de Myrmidons, elle doit être embarquée sur un navire. En chemin, le groupe rencontre Calchas et ses prêtres - une fois de plus, un conflit éclate entre le monde des armes et celui de la foi. Iphigénie souhaite mettre fin au conflit en acceptant volontairement son sacrifice. Peu avant l'exécution de l'acte par Calchas, Achille fait irruption, l'épée dégainée. La déesse Diane elle-même apparaît avec une biche morte et proclame que l'animal a racheté par l'offrande de sa vie la mort du cerf sacré. L'abnégation héroïque d'Iphigénie et sa volonté d'être sacrifiée, dit la déesse, valent pour elle plus que le sang. Achille loue la clémence des dieux et tous se joignent à la liesse.

Source du synopsis : traduit du synopsis du programme du Festival baroque de Bayreuth.

lundi 2 septembre 2024

‘Dido, reina de Cartago’ de Christoph Graupner en el Festival de Música Antigua de Innsbruck

Dido (Robin Johannsen)

La primera ópera conocida de Christoph Graupner, Dido, Königin von Carthago (Dido, reina de Cartago), es la tercera producción operística que se presenta este verano en Innsbruck en el marco de las Semanas Festivas de Música Antigua ( Innsbrucker Festwochen der Alten Musik). Esta ópera, estrenada en 1707 en la Ópera de Hamburgo, en Gänsemarkt, fue redescubierta recientemente en versión de concierto. En abril de 2010 se grabó en la Konzerthaus de Berlín una interpretación de la Orquesta Barroca Elbipolis dirigida por Florian Heyerick. En febrero de 2024, la orquesta barroca La Cetra, dirigida por Andrea Marcon, interpretó una versión de concierto en Ámsterdam y Basilea, antes de recalar en la capital tirolesa este verano.

La gran novedad de esta producción del Festival de Innsbruck es que ofrece Dido, reina de Cartago en versión escénica, algo que no ocurría desde hace casi doscientos años. Para deleite de los festivaleros, la puesta en escena ha sido confiada a la talentosa Deda Christina Colonna, especializada tanto en ópera de los siglos XVII y XVIII como en danza renacentista y barroca. Cabe destacar que tanto el director de orquesta como la regista, ambos de origen italiano, hablan alemán con fluidez, lo que no es poco si se tiene en cuenta que el libreto de Dido es bilingüe: el libreto de Heinrich Hinsch tiene el alemán como lengua principal, pero de la treintena de arias que contiene trece están en italiano. Esta combinación de alemán e italiano era habitual en Hamburgo en aquella época. Por su parte, los recitativos estaban todos escritos en alemán, lo que facilitaba la comprensión de la acción por el público.

El compositor

Christoph Graupner (*13 de enero de 1683; † 10 de mayo de 1760) nació en Kirchberg, Sajonia, en 1683 o 1684. Aprendió el abc del lenguaje musical en la escuela pública y recibió algunas lecciones de piano del organista Kuester. Cuando este organista fue llamado a Reichenbach, Graupner le siguió y continuó trabajando allí bajo su dirección durante dos años. A continuación ingresó en la Escuela de Santo Tomás de Leipzig, donde pasó nueve cursos enteros. Mientras estudiaba literatura y derecho, Schell, el kantor, le hizo seguir estudiando clavicémbalo, y Kubnau le enseñó composición. En 1706, la invasión sueca de Sajonia obligó a Graupner a huir a Hamburgo. Cuando llegó a Hamburgo, sólo tenía dos táleros (escudos prusiano-sajones). Afortunadamente, el puesto de clavecinista acompañante en la orquesta de la Ópera estaba vacante en ese momento debido a la marcha de Johann Christian Schieferdecker. Graupner lo obtuvo, y los tres años que pasó en este cargo fueron los más útiles para su formación musical, ya que el teatro de Hamburgo estaba entonces bajo la dirección del ilustre compositor Reinhard Keyser. Este maestro se convirtió en el modelo de Graupner, y las obras que escribió posteriormente para la escena de Hamburgo (Dido en 1707, Hércules y Teseo, Antíoco y Estratónice y Belerofonte en 1708 y Sansón en 1709) seguían el estilo del famoso compositor hamburgués. La angustia le hizo tomar a Graupner la decisión de alejarse de la ciudad. En 1710 le ofrecieron el puesto de vicemaestro del landgrave de Darmstadt, que aceptó. Diez años más tarde fue ascendido a primer maestro. En 1722, por recomendación de Georg Philipp Telemann, Christoph Graupner solicitó el puesto de Thomaskantor en Leipzig (director artístico del coro de la iglesia de Santo Tomás de Leipzig), pero bajo la imperiosa presión de su empleador, el Landgrave Ernst Ludwig von Hesse-Darmstadt, que le ofreció aumentar su ya elevado salario, tuvo que negarse a ser nombrado sucesor de Johann Kuhnau. De este modo, el que se convertiría en el Thomaskantor más famoso, Johann Sebastian Bach, pudo obtener el puesto. Graupner murió en Darmstadt el 10 de mayo de 1760, a la edad de 76 años. Toda su obra se conserva en la biblioteca de la universidad de Darmstadt, ya que no se cumplió el último deseo del compositor de que se destruyeran todas sus composiciones. Compositor prolífico, además de sus óperas escribió más de 1.400 cantatas, 112 sinfonías y 85 suites orquestales.

Eneas (Jacob Lawrence) y Dido (Robin Johannsen)

El libreto

La historia de los amores entre Eneas, que huye de la destruida Troya hacia Cartago, y Dido, y el trágico final de la reina de Cartago, ha inspirado a unos 90 compositores. La Didone de Cavalli, estrenada en Venecia en 1641, popularizó el tema. En 1688 o 1689, Henry Purcell compuso una versión particularmente dramática. En 1707, cuando se celebraba el centenario del nacimiento de la ópera, Graupner realizó una versión musical particularmente alegre e innovadora de la historia de amor entre estos dos personajes, basada en un libreto escrito con el objetivo declarado de excitar los sentidos del público con una extraordinaria sucesión de números (122 en el libreto original, que cuenta con no menos de 15 personajes principales). Hinsch había cubierto el núcleo dramático con tramas secundarias y paralelas e introducido nuevos personajes con un considerable potencial dramático y parejas en diferentes constelaciones emocionales, aún más complejas por los ukases de las diosas y los dioses y por la tiranía de Cupido sobre los sentimientos de los protagonistas, todos ellos de ilustre cuna y alto linaje. Cabe señalar que en la época barroca un lieto fine, un final feliz, era parte integrante de la dramaturgia de la acción. Por tanto, la ópera no podía terminar con la muerte de Dido en escena. Heinrich Hinsch escenifica el acceso de Ana a la realeza y la paz ofrecida por Hiarbas a la nueva reina, unida en el amor a Juba, príncipe de Tiro.


Anna (Alicia Amo) y Dido (Robin Johannsen)

Tragedia dell'arte

Deda Christina Colonna regresa a Innsbruck, donde ya puso en escena en 2015 la Armide de Lully. Sucesivamente bailarina, actriz y coreógrafa, utiliza las múltiples facetas de su trayectoria vital y profesional para instrumentar una puesta en escena históricamente informada en sus métodos, estructura, estilo interpretativo y uso de la maquinaria, que ha hecho las delicias de los amantes de la ópera barroca. De acuerdo con el director de orquesta Andrea Marcon, que calificó su colaboración de idílica, Deda Christina Colonna ha acortado algunas escenas y suprimido un personaje secundario sin afectar a la estructura de la trama. Señala que estas supresiones responden a las necesidades del público moderno, ahora congelado en el tiempo por la invención de la «cuarta pared» (consistente en el público inmerso en la oscuridad, inmóvil y silencioso), que ha disminuido enormemente, si no borrado, la comunicación entre el público y el escenario en comparación con las prácticas de los siglos XVII y XVIII.

La escenografía de Domenico Franchi refleja una de las principales características de la ópera barroca al crear efectos asombros con medios sencillos. Toda la zona de bastidores está ocupada por un gran tabique dorado que recuerda a un shoji, la tradicional puerta corredera japonesa con su elegante rejilla de ebanistería utilizada en las casas para separar espacios. Las grandes puertas se abren en diferentes momentos, y el tabique también puede abrirse en el centro sobre un fondo de un color uniformemente cambiante, a veces rojo, a veces azul intenso. El sencillo mobiliario escénico, también dorado y ribeteado con volutas, representa el trono de Dido así como el altar de sacrificios de Mitra bajo el árbol sagrado. Las complejas subtramas del libreto nos llevan dentro y fuera del palacio, a través de una red de habitaciones, a la orilla del mar, al puerto y a los templos. Todos estos lugares están esbozados simplemente por el decorado. Los dei ex machina descienden de la pasarela. Una cabeza monumental que yace sobre el escenario evoca a la diosa Venus. Dido aparece encaramada a un elefante dorado. Oro por todas partes, y de nuevo para recordar la grandeza, el poder y la opulencia de Cartago, como subraya el prefacio del libreto de Hinsch: «La ciudad de Cartago, como Babilonia, tenía 360 estadios dentro de su perímetro, razón por la cual es llamada por Suidas la ciudad más grande y poderosa del mundo, y por Solino, después de Roma, la segunda ciudad más bella de la tierra».


Dido (Robin Johannsen)

El suntuoso vestuario, de una elegancia sencilla y refinada, también fue diseñado por Domenico Franchi. Evoca a los poderosos hombres de la antigüedad ataviados con sedosas túnicas o togas en las que predomina el oro, con combinaciones de colores que caracterizan a los personajes: dorado para Dido, mezclado con marrón para Ana, blanco ribeteado de oro para Eneas y Achates, dorado y púrpura para Hiarbas, dorado y verde para el príncipe Juba. Un gran collar recuerda que Menalippe es una princesa egipcia. Como tocados se utilizan coronas de follaje dorado, cascos y turbantes. Los figurantes que sirven a los altos personajes o cambian el decorado van todos vestidos de blanco.

Los colores del decorado, del mobiliario e incluso del vestuario: todo el montaje gira en torno al personaje de Dido, y todo está hecho para representar las múltiples facetas de este personaje caleidoscópico y ciclónico que nos arrastra en la vorágine de sus emociones, a lo que contribuyen también los cambios de decorado, sobre todo a medida que se acerca su muerte, señalada por la mayor velocidad de estos cambios. En comparación con la intensidad y el poder de Dido, Eneas parece muy débil y carente de sustancia; no es más que un personaje colateral que no controla el curso de los acontecimientos de su vida, sino que es manipulado por las divinidades.


José Antonio Lopez (Juba), Jone Martinez (Menalippe),
Andreas Wolf (Hiarbas), Alicia Amo (Anna)

El trabajo visual y coreográfico de Deda Christina Colonna es espectacular. Al principio está la palabra del libreto, y con ella la palabra toma forma y se hace carne. Deda Christina Colonna hace de las palabras y la música la sustancia de la que brota el gesto, que adorna con las bellezas del teatro antiguo. Entiende la interpretación de los actores como una respuesta física a los estímulos contenidos en el texto, y está atenta a la relación que los cantantes mantienen con el espacio. La mímica, los gestos y la cercanía o lejanía de los personajes se trabajan de forma diferente cuando los personajes evolucionan en la intimidad de su esfera privada o cuando actúan en la vida oficial. Esto se ve claramente en la relación entre las dos hermanas, Dido y Anna, que interactúan de forma diferente cuando están solas, en su sororidad, que cuando están en presencia de otros personajes. Los conjuntos, cuartetos y sextetos están magníficamente coreografiados. La combinación de tonalidades en el vestuario y la belleza hierática de los movimientos resultan de gran efecto.


Jone Martinez (Juno), Robin Johannsen (Dido)

Música y canto

La orquesta La Cetra (Cetra Barockorchester Basel), dirigida por Andrea Marcon, visitó el escenario tirolés hace dos años con el Vespro veneziano. Vuelve a Innsbruck para esta producción de Dido, que, al igual que la puesta en escena, interpreta de manera históricamente informada y con un gran sentido de la teatralidad. La introducción instrumental comienza con un trueno que anuncia desde el principio la cólera de Juno. Andrea Marcon domina admirablemente los tempi de la música, que se acoplan íntimamente al texto del libreto y a la expresión de los estados emocionales y los impulsos de los protagonistas. La armonía entre el foso y el escenario fue evidente. Los timbales pedidos por Dido y la trompa están en su mejor momento en esta ópera, con ocasionales toques humorísticos como la perfecta imitación por parte del trompista de los repetidos barritos que anuncian la llegada a escena del elefante montado por la reina de Cartago. La dirección de Andrea Marcon es inspirada, celebra la inventiva musical de Graupner y saca a relucir todas las facetas de esta joya barroca demasiado tiempo olvidada, en perfecto equilibrio con los cantantes y el excelente conjunto vocal tirolés NovoCanto, de vuelta para su tercera temporada en el Festival de Innsbruck.


José Antonio Lopez (Juba)

El reparto es de buen nivel y, en el caso de varios cantantes, incluido el papel titular, afortunadamente se ha perfeccionado en conciertos en Amsterdam y Basilea. La soprano estadounidense Robin Johannsen, que interpreta a Dido, es bien conocida por el público. Ya ha participado en cinco producciones del festival tirolés. Su papel, lleno de emociones complejas y trampas, requiere una gran resistencia. Cautiva con su chispeante voz de soprano y su dicción alemana. La soprano española Jone Martínez debutó de forma notable en Innsbruck en el doble papel de Juno y Menalippe. Primera dea ex machina de la velada, aporta vigor a la cólera de la diosa, pero es sobre todo su Menalippe la que encanta con la ornamentación de su canto lírico y el virtuosismo flexible de su coloratura. La soprano catalana Alicia Amo interpreta también un doble papel, ofreciendo una Anna y una Venus muy seductoras, bien merecedoras de la coronación final de su personaje. Comienza cantando las alabanzas de Cupido («Nume alato, arcier bendato»), imitando el rápido batir de alas del dios del amor, una escena dotada de ligera comicidad. Al tenor Jacob Lawrence le faltó amplitud dramática en el papel de Eneas. El bajo-barítono alemán Andreas Wolf nos regaló un Hiarbas sólido y bien interpretado. El barítono español José Antonio López, recién llegado de sus éxitos en Viena y Bruselas, aportó a Juba, el Príncipe de Tiro, el calor oscuro de su voz potente y bien proyectada y la impresionante presencia escénica de su estatura. También hay que destacar la excepcional belleza de los conjuntos, especialmente el cuarteto de Hiarbas, Menalippe, Juba y Anna que abre el segundo acto: comienza con un aria en alemán a cuatro voces, pasa a pasajes a solo y dúo que se van construyendo para terminar con una larga aria en italiano a cuatro voces. Una maravilla de la composición.

El público estaba encantado de descubrir esta ópera en escena en esta nueva producción, tan bien realizada. La carismática Deda Christina Colonna y su equipo fueron recibidos con un atronador aplauso. Ella se había vestido para la ocasión con un deslumbrante conjunto de seda a modo de sari creado para la ocasión según el estilo del vestuario de la obra. Un último gesto barroco para cerrar una velada que había ofrecido tanto.


Reparto para el 25 de agosto de 2024

Robin Johannsen | Soprano Dido | Reina de Cartago
Andreas Wolf | Bajo-barítono Hiarbas | Rey de Numidia
Alicia Amo | Soprano Ana | Hermana de Dido y Venus | Diosa del amor
Jacob Lawrence | Tenor Eneas | Príncipe de los troyanos
José Antonio López | Barítono Juba | Príncipe de Tiro
Jone Martínez | Soprano Menalippe | Princesa de Egipto y Juno | Diosa protectora de la ciudad de Cartago
Jorge Franco | Tenor Achatès | Amigo de Eneas
Derek Antoine Harrison | Tenor Disacles | Sacerdote de Mitra y Mercurio | Mensajero de Venus
Simon Unterhofer | Bajo Elgabal | Mago
Matthias Kofler | Bajo Bomilcar | Un noble

Andrea Marcon | Dirección musical
Deda Christina Colonna | dirección escénica
Domenico Franchi Escenografía y vestuario
Cesare Agoni Iluminación
NovoCanto Coro
Orquesta Barroca La Cetra

Crédito de la foto @ Birgit Gufler

Referencias

El resumen biográfico está tomado de la Biographie universelle des musiciens, de François Joseph Fétis, 1837-1844. Ver también el excelente programa, todos cuyos artículos son fascinantes e inspiradores.


dimanche 1 septembre 2024

Opera Incognita met en scène Mazeppa dans les bâtiments historiques de l'Université de Munich

 Robson Tavares (Kotchoubeï )/ Torsten Petsch (Mazeppa) / Ekaterina Isachenko (Maria) / 
Carolin Ritter (Lioubov) / Choeur d'Opera Incognita

Mazeppa est le septième opéra de Tchaïkovski. Cet opéra, le plus sombre du compositeur, est plein de bruit et de fureur, tout est y mis à feu et à sang et les valeurs les plus sacrées y sont foulées aux pieds. Comme pour Eugène Onéguine ou La Dame de pique, le livret est basé sur un œuvre de Pouchkine, Poltava, un grand poème épique qui relate la bataille historique qui eut lieu le 8 juillet 1709 entre l’armée de Pierre le Grand et celle de Charles XII de Suède avec qui le cosaque Mazeppa avait fini par s'allier. Tchaïkovski composa son opéra entre juin 1881 et avril 1883. Il fut créé en 1884 au théâtre Bolchoï. Le livret de Bourenine fut constamment révisé, y compris après la création de l’opéra, car le compositeur n'en était pas satisfait. Une histoire d'amour tragique est imbriquée dans les combats pour la conquête des territoires de l'Ukraine. 
 
Cet opéra est une rareté. L’ouvrage ne fut pour la première fois joué en France qu'en 1978, en version de concert. La première mise en scène française eut lieu à Lyon en 2006. Dans les pays germanophones, le Berliner Philharmoniker dirigé par Kirill Petrenko en a donné une version de concert remarquée en 2021. Cet été le Festival de Erl en a monté une version scénique très acclamée. En cette fin d'été, c'est à la compagnie Opera Incognita que le public munichois doit de pouvoir le découvrir dans un arrangement scénique pour ensemble de chambre.

Torsten Petsch (Mazeppa) / Ekaterina Isachenko (Maria)

Opera Incognita est connu pour choisir ses lieux de représentation en accord avec la thématique de l'opéra. Comme pour Rienzi en 2016, le choix s'est porté sur l'Université de Munich, cette fois pour un opéra à public itinérant. Le public prend d'abord place dans le grand atrium avec pour scène les grandes volées d'escaliers qu'encadrent les statues du Roi Louis Ier de Bavière, qui déplaça l'Université bavaroise à Munich et lui fit construire de nouveaux bâtiments, et du Prince-Régent, sous le règne duquel les bâtiments furent agrandis. Très vite, dès après le choeur des jeunes paysannes qui jettent des guirlandes de fleurs dans la rivière, le public est invité à se déplacer dans l'Aula Magna, construite en 1840, et dont une importante série des rangs inférieurs est utilisée aux fins du spectacle. Retour à l'atrium pour le troisième acte. L'Aula Magna, que les destructions massives de la dernière guerre épargnèrent, est un lieu de la démocratie bavaroise, c'est entre autres là que se déroulèrent les délibérations qui conduisirent à l'instauration de la nouvelle constitution bavaroise. L'Université fut aussi un lieu de la résistance au nazisme. 

C'est surtout pour installer  un parallèle entre l'opéra et l'histoire de la problématique ukrainienne que les lieux sont utilisés. Un homme élancé aux cheveux grisonnants vêtu d'un élégant costume veut s'adresser au public installé dans l'atrium en attente du spectacle. Comme on ne l'entend guère, il se fait chahuter par le public : " Plus fort, on n'entend rien !". On le retrouve un peu plus tard dans la grande Aula, il joue le rôle d'un professeur muet très enthousiaste qui gesticule et articule un texte qu'on ne peut entendre, il fait un cours sur l'histoire des territoires ukrainiens. Il se sert du tableau noir (vert aujourd'hui) et du texte de son ordinateur retransmis par prompteur. Il interviendra à plusieurs reprises, au moment des passages orchestraux de l'opéra. À la fin de l'opéra, il semble exténué, il est entouré de quatre sbires en uniformes, il fait alors un cours sur la globalisation et la montée des dictatures. Il tente d'écrire un grand Z sur le tableau, cette lettre latine qui est abondamment utilisée par le gouvernement russe comme motif de propagande pro-guerre. C'en est trop, les sbires l'emmènent. Nul doute qu'il sera condamné à plus de 15 ans de prison. Alors que l'opéra de Tchaïkovski présente Mazeppa de manière très négative, —  un traître à la patrie qui fait exécuter son beau-père, après avoir séduit et épousé sa fille,  une jeune fille dont il était le parrain, et qui par ses agissements l'a fait plonger dans la folie, — le professeur apporte des explications sur l'histoire de l'Ukraine, un pays qui a fait en 1991 de Mazeppa un héros national qui avait voulu constituer l'Ukraine en une entité souveraine. Il contrebalance l'engagement pro-russe de l'opéra de Tchaïkovski et, par les truchement d'un cours d'histoire, dénonce la propension totalitaire de la Russie à travers les âges. Plus encore, il dénonce tous les totalitarismes.

 Karo Khachatryan (Andrei), Robson Tavares (Kotchoubeï ), Carolin Ritter (Lioubov)

La mise en scène d'Andreas Wiedermann utilise les deux lieux de la représentation de manière très ingénieuse. Les jeunes ukrainiennes descendent les escaliers de l'atrium vers la rivière, elles conduisent les spectateurs vers la deuxième salle. Wiedermann a un sens aigu des tableaux. Ainsi lors de la décapitation de Kotchoubeï, alors que le peuple est davantage émoustillé par le spectacle qu'affligé, il dispose les cosaques et leurs femmes qu'il fait défiler en serpentin dans les rangées inférieures de l'amphithéâtre et installe une grande échelle double sur laquelle viennent se jucher trois ou quatre cosaques, pour symboliser l'excitation du peuple qui s'installe au mieux pour profiter du spectacle de l'exécution. On ne la verra pas, Kotchoubeï  est trainé au bout d'une longue corde, ses gardiens lui font traverser tout l'espace de l'amphithéâtre, il disparaît par une porte de côté, une issue fatale et sans retour. Le final de la scène de la folie se déroule sur l'escalier de l'atrium,  Andreï est à l'agonie couché dans les bras de Maria qui lui chante une berceuse sur les marches du grand escalier. Autant de tableaux vivants bien agencés. La mise en scène réussit l'installation progressive de la tension dramatique et du monde émotionnel paroxystique des personnages. L'audience est rapidement captivée par le déroulement tragique des événements. La couleur locale et l'inscription temporelle sont donnés par les costumes dessinés par Aylin Kaip qui rendent bien compte du vestimentaire ukrainien et cosaque du début du 18ème siècle.

Ernst Bartmann, bien connu à Munich par ses arrangements d'opéras, donne ici un nouvel échantillon de son savoir-faire. Le chef et l'ensemble orchestral de 13 instrumentistes rendent bien les couleurs et les atmosphères de la partition. L'orchestre est plus à l'aise dans l'expression du lyrisme que dans celui des passages épiques, mais cela tient à sa taille qui ne peut dégager l'ampleur sonore que donnerait un ensemble de cuivres. Les 32 choristes sont une des plus belles parures de la soirée : ils font preuve d'un bel unisson et d'une belle clarté et excellent tant dans les parties bucoliques, comme celles du chœur des guirlandes de fleurs, que dans les parties élégiaques, comme dans le chœur final de la repentance. Lors de l'exécution de Kotchoubeï, le chœur dresse le portrait du peuple indécis partagé entre l'excitation du spectacle et la douleur lancinante que comporte cette scène. 

Carolin Ritter (Lioubov) / Choeur de femmes d'Opera Incognita

Mazeppa et Kotchoubeï s'engagent dans un combat des chefs où il n'y a pas de gagnant. Torsten Pech, qui combine les métiers de psychothérapeute et de chanteur lyrique, prête au rôle-titre son baryton profond et doté de couleurs sombres et sa connaissance des noirceurs de l'âme humaine. Son jeu de scène nous décrit un personnage machiste et sans scrupule, corrupteur de l'innocence juvénile de Maria, lâche au moment de la défaite, un être qui paraît privilégier l'intérêt personnel à celui de son peuple. Le bayryton-basse brésilien Robson Bueno Tavares incarne Kotchoubeï avec un volume sonore époustouflant, une  projection et un phrasé remarquables et une théâtralité exceptionnelle dans la représentation de la dignité ulcérée d'un père ou de la souffrance d'un homme fidèle à sa morale, soumis à la torture avant d'être exécuté.  L'arménien Karo Khachatryan prête son ténor d'une belle intensité au désespoir amoureux d'Andreï dont il exprime avec talent le déchirement. Le baryton basse Florian Dengler rivalise de noirceur avec l'hetman Mazeppa qu'il sert avec férocité. La russe Ekaterina Isachenko offre sa beauté nordique à Maria, amoureuse rebelle et blessée, elle chante avec un soprano parfois strident dans les notes élevées et de belles modulations dans le medium, très émouvante dans la berceuse finale de la scène de la folie. Enfin la mezzo-soprano Caroline Ritter incarne Lioubov avec une ligne de chant impeccable et des graves élégants, elle est impressionnante lors de son apparition finale dans la dignité du veuvage et la maternité blessée d'une femme qui a vu l'exécution de son mari et doit à présent constater la folie de sa fille.

Une énorme ovation a salué tous les acteurs de cette passionnante production.

Distribution du 31 août 2024

Mazeppa Torsten Petsch
Kotchoubeï Robson Bueno Tavares
Lioubov Carolin Ritter
Maria Ekaterina Isachenko
Andrei Karo Khachatryan
Orlik Florian Dengler

Une production d'Ernst Bartmann et Andreas Wiedermann, dans un arrangement pour orchestre de chambre réalisé par Ernst Bartmann. Choeur et orchestre d'Opera Incognita.

Crédit photographique © Aylin Kaip

Prochaines représentations  les 06, 07, 13 et 14 septembre 2024.  Les représentations auront lieu dans l'atrium du bâtiment principal et dans l'Audimax de l'université Ludwig-Maximilian à Munich.  
Adresse : LMU, Geschwister-Scholl-Platz, 1 à Munich.


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