samedi 5 octobre 2024

Le monument funèbre de Simon Mayr dans la basilique Santa Maria Maggiore de Bergame



Le monument funèbre  composé d'un groupe de trois anges en concert est une œuvre d'Innocenzo Fraccaroli inaugurée en mai 1852 et offerte par la ville en guise de remerciement au compositeur. Il se trouve dans la basilique Santa Maria Maggiore, non loin du monument funéraire de Donizetti, protégé du compositeur.

MAYER ou MAYR (Jean-Simon), né à Mendorf, près d’Ingolstadt le 14 juin 1763, mort à Bergame le 2 décembre 1845. Malgré son origine allemande, Simon Mayr peut être considéré comme un véritable compositeur italien. Après des études élémentaires de musique faites en Allemagne, il vint à Venise et travailla quelque temps avec Bertoni, puis se perfectionna lui-même. Il se destinait à la musique religieuse, protégé qu’il était par le chanoine Pesenti, lorsque celui-ci mourut. Ce fut alors que Mayr devint compositeur dramatique. Ses premiers succès furent l’oratorio Jacob a Labano fugiens (1791), et surtout l'opéra Saffo (1794) qui popularisa son nom. De 1791 à 1816, il écrivit plus de 71 opéras, bouffes,  sérieux, cantates, etc. Son bagage de musique religieuse comprenait une quinzaine d’œuvres environ. Retiré à Bergame comme directeur de l’Institut musical (1805), il eut un grand nombre d’élèves dont le plus brillant fut Donizetti. En même temps il composa plusieurs traités de composition restés manuscrits, une notice sur Haydn et une autre sur le violoniste Capuzzi. Le nom de Simon Mayr est aujourd’hui bien oublié ; cependant il doit avoir sa place dans l’histoire de la musique ; des maîtres illustres de la fin du 18ème siècle à Rossini, ce fut lui qui brilla avec le plus d’éclat. Son style plus ferme, son instrumentation plus colorée que le style et l’instrumentation des Italiens de race indiquaient déjà une révolution dans la musique dramatique en Italie. Cette révolution, ce fut Rossini qui l’accomplit, mais il n’en faut pas moins regarder Mayr comme le prédécesseur immédiat de l’auteur de Sémiramis.

Source : La grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts par une société de savants et de gens de lettres. Tome 23, H. Lamirault, [puis] Société anonyme de la Grande Encyclopédie (Paris), 1885-1902.

Crédit des photos © Luc-Henri Roger

vendredi 4 octobre 2024

Le monument funèbre de Donizetti dans la basilique Santa Maria Maggiore de Bergame


La Musique est en deuil. Son Allégorie, une armonia dolente (harmonie souffrante), une ravissante jeune femme munie d'une lyre, la tête penchée, accablée de tristesse et pensive dans la douleur, les cheveux ceints d'une couronne d'étoiles, les pieds nus. Elle pleure un génie mort trop jeune, il n'avait que cinquante ans. Entrevoit-elle entre ses larmes le beau visage de Donizetti, dont Alexander Erdan, un publiciste français qui a connu le compositeur, dit qu'il est très ressemblant. À gauche du visage  en demi-profil de Gaetano, le sculpteur a gravé le titre de quelques-uns de ses opéras les plus célèbres, Lucia, La Favorita, Anna Bolena,... et taillé quelques rouleaux porteurs de notes. À sa droite, on lit le mot melodie. Sous le visage, une paire d'ailes étendues au-dessus des touches ivoirines d'un clavier. C'est que sa musique donne des ailes, c'est que son âme s'est envolée vers un paradis belcantiste. Sous ce présentoir, un bas-relief met en scène sept putti munis de lyres qui personnifieraient les sept notes de la game. Le premier lève les yeux vers le ciel, en extase ou en prière, voit-il le musicien s'élever ? Au centre, deux putti sont en pleurs et accablés, les quatre autres en colère cherchent à briser leurs lyres. Plus bas encore, la dédicace des deux frères de Gaetano, les commanditaires du monument, puis au sol, surmontée d'une couronne de lauriers en fer forgé, le Hic Jacet simple dalle de marbre confirme que les restes de Gaetano Donizetti reposent sous son monument et nous invite au recueillement.
LHR



Histoire du monument (traduite du Wiki italien)

Le monument funéraire de Gaetano Donizetti (1797-1848) est une imposante œuvre de marbre réalisée par le sculpteur italo-suisse Vincenzo Vela (1820-1891) entre 1852 et 1855. Il est situé à l'intérieur de la basilique Santa Maria Maggiore de Bergame et abrite depuis 1875 la dépouille du musicien bergamasque Gaetano Donizetti.

Le monument a été conçu comme un cénotaphe à la mémoire de l'illustre musicien bergamasque, décédé dans la ville en 1848 et enterré alors  à Valtesse, et commandé au célèbre sculpteur Vincenzo Vela, un artiste estimé qui était déjà souvent actif dans la réalisation de monuments funéraires. La commande est passée par les frères du musicien, Giuseppe et Francesco, par l'intermédiaire du comte Andrea Maffei qui, en août 1852, informe Vela que le choix s'est porté sur l'une des deux esquisses que le sculpteur avait présentées à la famille de Donizetti. Après avoir obtenu l'approbation de l'esquisse, Vela se mit au travail et le monument fut solennellement inauguré le 16 juin 1855, sept ans après la mort du grand musicien. À l'origine, le cénotaphe, dont les esquisses et les différents dessins préparatoires sont conservés au musée Vela de Mendrisio (Suisse italienne), était placé dans une position différente de l'actuelle, c'est-à-dire exactement en face du monument funéraire à la mémoire du professeur de Donizetti, le compositeur allemand Simone Mayr. Le monument, d'une hauteur de trois mètres, a été érigé au centre de la ville.

Le monument, d'une hauteur de trois mètres, est fait de marbre blanc et de marbre gris sculpté : au sommet, une mince figure féminine en pleurs, couronnée d'étoiles et penchée sur une lyre, Armonia dolente ; dans la partie centrale, un clavier sculpté et le portrait de Gaetano Donizetti inclus dans une grande médaille ; en bas, sur le devant du sarcophage, une plaque sculptée représentant sept putti musicanti dans une attitude de deuil, représentant les sept notes de musique ; en bas, sur la base, l'inscription dédicatoire.

Le monument, initialement conçu à la mémoire de Donizetti, n'a accueilli la dépouille du musicien qu'en 1875, lorsque, après diverses vicissitudes, les restes du compositeur y ont été transférés, sans la calotte cranienne qui avait été enlevée après sa mort et conservée à la bibliothèque Angelo Mai, puis au musée Donizetti. La calotte n'a été réunie à la dépouille de Donizetti qu'en 1951.

Source des données historiques  : traduction du texte italien sur Wikipedia

Vu de France 

Dans la rubrique " Lettres d'Italie " publiée par Le Temps le 15 juillet 1866, A. Erdan évoque le tombeau de Gaetano Donizetti :

Vous savez que Bergame est le Leipzig de l'Italie. Il va sans dire, pourtant, que l'intérêt artistique et poétique est dans la vieille Cité de la colline. Là, à Sainte-Marie-Majeure, j'ai salué le tombeau de Donizetti, par Vela. C'est une jeune et belle muse de l'harmonie, avec une lyre, pleurant sur son fils. L'artiste a mis en bas-relief, parmi des lauriers et des roses ; le vrai portrait de Donizetti, très ressemblant : j'ai vu ce grand compositeur. Ce sont les deux frères du musicien qui ont élevé ce tombeau à leurs frais. L'inscription en est simple ; la voici : A Gaetano Donizetti trovatore feconda di sacre e profane melodie, i fratelli suoi Giuseppe e Francesco 1855.

La Liberté du 14 avril 1874, La France du 18 avril 1874 et Le Midi du 21 avril 1874 publient le même texte :

Les voyageurs, qui se rendaient à Bergame, se hâtaient de demander, en arrivant, le tombeau de Donizetti, l'auteur de la Lucia. Mais personne ne pouvait satisfaire une curiosité si naturelle. On ignorait où avaient été déposés les restes du grand compositeur. 
On vient enfin de retrouver le tombeau de Donizetti dans un caveau particulier, appartenant à une grande famille, et où l'on soupçonnait qu'il devait être. Le conseil municipal tout entier assistait à l'exhumation. Le corps, qui avait été enveloppé dans une tunique d'un vert sombre aussi fraîche que le premier jour, était encore reconnaissable. On déposera les restes de Donizetti dans un sarcophage de bronze qui sera placé à Sainte-Marie-Majeure.
C'est toujours l'histoire de Cicéron, retrouvant à Syracuse le tombeau d'Archimède, ignoré des habitants eux-mêmes.

La France du 20 avril 1874 apporte une précision à son texte du 18 avril :

En réponse à une note que nous avons publiée récemment au sujet du tombeau de Donizetti, à Bergame, un de nos abonnés nous adresse la rectification suivante, que nous accueillons d'autant plus volontiers qu'elle prouve que le célèbre musicien n'a pas été, comme nous le croyions, oublié par ses concitoyens :
Je ne sais ce qu'il peut y avoir de vrai, dans la découverte du corps de Donizetti ; mais ce que je puis affirmer de visu, c'est que déjà, en 1865, existait à Bergame, contre le premier pilier de la grande nef de Santa Maria Maggiore un beau mausolée consacré à la mémoire de l'auteur de la Lucia...
Le monument, ouvrage du sculpteur Vincenzo Vela, se compose d'un piédestal portant un bas-relief qui représente des Génies brisant leurs lyres, et plus haut un médaillon de l'artiste, au-dessus d'un clavier.
Sur le piédestal est une belle statue de la Musique, pleurant sur la mort de son favori.
On lit sur le soubassement :

A GAETANO DONIZETTI
Trovatore fecondo di sacre e profane melodie
I fratelli GIUSEPPE e FRANCESCO
Con memore affettuoso ponerano MDCCCLV.
Notre correspondant ajoute, et nous sommes de son avis :
Il me semble bien difficile d'admettre que les deux frères de Donizetti aient ignoré où se trouvait son corps et ne l'aient pas déposé dans le tombeau qu'ils lui préparaient.
Veuillez agréer, etc.

Le Ménestrel du 19 avril 1874

Le voyageur en Italie qui s'arrête à Bergame ne manque pas de visiter le tombeau de Donizetti à Santa-Maria-Maggiore, mais ce qu'il ne sait pas généralement, c'est que ce monument, dû au ciseau de Vêla, ne renferme pas les restes du célèbre compositeur. Jusqu'à ce jour les concitoyens mêmes de Donizetti ne savaient pas où se trouvait sa dépouille. Le syndic de Bergame après avoir fait faire des recherches pour la retrouver, vient de la découvrir dans le caveau de la famille Pezzofi. La cendre de l'auteur de Lucia sera recueillie dans une urne de bronze et placée dans le tombeau où son illustre nom était déjà inscrit d'avance.


Le Figaro du 22 avril 1874 croit bon d'ironiser.

Les touristes qui, en parcourant l'Italie, s'arrêtent à Bergame, ne manquent pas de visiter le tombeau de Donizetti a Santa-Maria-Maggiore. 
Pauvres touristes naïfs voyageurs ! Il paraît que ce monument ne renfermait pas du tout les restes du célèbre compositeur. Les Italiens eux-mêmes ignoraient où se trouvait la dépouille de leur compatriote. C'est le syndic de Bergame qui vient, après de nombreuses recherches, de la découvrir dans le caveau de la famille Pozzoli. La cendre de l'auteur de Lucia sera recueillie dans une urne de bronze et placée dans le tombeau où son illustre nom était déjà inscrit d'avance. 
Au moins, maintenant, les touristes ne seront plus volés.

Louis Rivière (1845-1922), En Vénétie O. Pic (La Rochelle), 1896, p. 206

[...] Dans cette église reposent deux musiciens célèbres, tous deux nés à Bergame, Donizetti et son maître Mayr. Sur le devant du tombeau de Donizetti, une frise d'enfants personnifie les sept notes de la musique. C'est une des premières œuvres de VincenzioVela, le célèbre sculpteur [...]

Source des textes : textes recherchés sur Gallica / BNF


Crédit photographique © Luc-Henri Roger

jeudi 3 octobre 2024

Cérémonie des International Opera Awards 2024 au Prinzregententheater de Munich

Le présentateur Petroc Trelawny

Ce 2 octobre 2024, les 11e International Opera Awards ont été décernés à Munich. L'Opéra d'État de Bavière a reçu l'année dernière le prix de la Compagnie d'opéra de l'année 2023 et est donc l'hôte de la cérémonie de cette année au Prinzregententheater. L'événement n'a été suivi in situ que par un public enthousiaste, quoique clairsemé. Il a également pu être suivi en direct par les amateurs de musique du monde entier.

Dans le cadre des International Opera Awards, des performances artistiques exceptionnelles sont récompensées et des fonds sont collectés pour l'Opera Awards Foundation.

L'Orchestre d'État de Bavière a joué sous la direction de son directeur musical, Vladimir Jurowski, qui a été élu chef d'orchestre de l'année lors des International Opera Awards 2018. La soirée a été présentée par le présentateur de la BBC Petroc Trelawny. Quelques-uns des lauréats de cette année ainsi que des solistes sélectionnés  de l'Opéra d'État de Bavière et de jeunes talents de l'Opera Award Foundation ont également contribué au programme musical, notamment le ténor mexicain Arturo Chacón Cruz avec une interprétation de « Cielo e mar » de La Gioconda de Ponchielli, la mezzo-soprano islandaise Arnheiður Eiríksdóttir avec « Que fais-tu » du Roméo et Juliette de Gounod, ainsi que Seonwoo Lee, Selene Zanetti, Thomas Mole et Sean Michael Plumb.

P. Heilker et Donna Leon

La romancière à succès Donna Leon, dont l'amour et la connaissance de l'opéra se manifestent également dans ses romans, a décerné le prix dans le domaine de la redécouverte. Elle a notamment évoqué avec émotion ses souvenirs amicaux avec Sir Peter Jonas, qui fut directeur général de la Bayerische Staatsoper de 1993 à 2006.

« Les Opera Awards ne comptent pas seulement parmi les récompenses les plus importantes dans le domaine des arts du spectacle. Outre les merveilleux artistes, la forme artistique qu'est l'opéra est également gagnante : en temps de crise, l'art est plus important que jamais et peut apporter une contribution décisive au dialogue et à la compréhension mutuelle » a déclaré Serge Dorny, directeur général de l'Opéra d'État de Bavière.

Un moment de grande émotion. José Van Dam reçoit des mains 
de Serge Dorny le prix consacrant sa carrière.

Les lauréats des International Opera Awards 2024
 
La sélection des nominés - elle-même établie à partir de plus de 16 000 nominations soumises par des amateurs d'opéra du monde entier - a été effectuée par un jury international d'artistes, de critiques d'opéra et de décideurs de 20 pays, présidé par John Allison, rédacteur en chef et critique classique du Daily Telegraph. Les gagnants des différentes catégories, à l'exception du prix des lecteurs, ont été désignés par le jury.

Chef d'orchestre Simone Young
Décorateur Rufus Didwiszus
Metteur en scène Christof Loy
 
Égalité des chances & impact Opera for peace
Chanteuse Lisette Oropesa
Festival Festival d'opéra de Savonlinna
 
Leadership Christina Scheppelmann
Carrière José van Dam
Chanteur Benjamin Bernheim
 
Nouvelle production Iphigénie en Aulide / Iphigénie en Tauride (Festival d'Aix-en-Provence)
Compagnie d'opéra Komische Oper Berlin
Philantropie The Stavros Niarchos Foundation für ihre Unterstützung der Greek National Opera
 
Prix des lecteurs Arturo Chacón Cruz
Enregistrement (Opéra complet) Louise Bertin, Fausto ; Label : Bru Zane
Enregistrement (Récital solo) Michael Spyres, In The Shadows ; Label : Erato
 
Oeuvre redécouverte Salieri, Kublai Khan (MusikTheater an der Wien)
Étoiles montantes  Justin Austin & Arnheiður Eiríksdóttir
Durabilité Opéra national de Finlande
 
Première mondiale  Péter Eötvös, Valuska (Opéra national de Hongrie)

Le ténor Arturo Chacón Cruz reçoit le prix des lecteurs
 
« Nous venons de célébrer quelques-uns des plus grands lauréats de l'histoire des International Opera Awards, qui existe depuis plus de dix ans. Ces lauréats - sans oublier tous ceux qui figurent sur les impressionnantes listes de présélection - sont la preuve que le monde de l'opéra est en pleine forme, malgré des défis très clairs. Ce fut un honneur de contribuer à mettre en lumière un art aussi exceptionnel, et je suis reconnaissant à notre distingué jury. Dans notre monde fracturé, l'opéra a le pouvoir unique de refléter nos vies et de raconter nos histoires, et je pense que nous l'avons encore une fois confirmé ici » a déclaré John Allison, membre du jury.
 
Jusqu'à présent, la fondation a aidé plus de 150 boursiers talentueux à réaliser pleinement leur potentiel artistique. La fondation soutient les talents sans distinction d'âge ou de nationalité et ne limite pas son aide aux seuls chanteurs : toute personne souhaitant faire carrière dans le domaine de l'opéra et ayant besoin d'un soutien financier est invitée à postuler pour une bourse afin d'atteindre ses objectifs de carrière.
 
Parmi les sponsors de l'édition 2024 des International Opera Awards figurent notamment la Deutsche Bank, le Good Governance Institute, le Nexus Media Group, Oberon Investments, River Global, ainsi qu'Opera Magazine, qui a contribué à lancer l'idée du prix.La Fondation des prix de l'opéra.

Source : traduction partiellement modifiée du communiqué de presse de la Bayerische Staatsoper.

Crédit photographique © Wilfried Hoesl

La joie d'Arturo Chacón Cruz 

Les remerciements émus de Benjamin Bernheim
en direct de New York

Le Prinzregententheater avant la remise des prix

Crédit des trois dernières photos Luc-Henri Roger

L'Orontea d'Antonio Cesti triomphe à la Scala de Milan

Orontea (Stéphanie d'Oustrac) dans son bureau

Avec l'Orontea , le Teatro alla Scala poursuit son projet visant à redécouvrir les origines italiennes de l'opéra et les richesses du baroque tel qu'il s'est développé à Naples, Rome et Venise. Il a récemment donné lieu à deux premières sur la scène milanaise : La Calisto de Francesco Cavalli et Li zite 'ngalera de Leonardo Vinci. 

L'Orontea d'Antonio Cesti avait été créé à Innsbruck le 19 février 1656, une ville qui célèbre chaque été depuis 15 ans la mémoire de ce compositeur en organisant le Concours de chant baroque Piero Antonio Cesti en clôture des Semaines festives de musique ancienne. Dans la seconde moitié du 17ème siècle, l'opéra avait été joué plus de 17 fois, avant de tomber dans l'oubli. La quasi-totalité de la partition avait ensuite été perdue. Plusieurs manuscrits ont été redécouverts dans les années 1950. La Piccola Scala de Milan l'avait remis à l'affiche en 1961 avec la mezzo-soprano Teresa Berganza dans le rôle-titre. René Jacobs avait dirigé une production concertante en 1982 à Innsbruck, et l'oeuvre fut encore mise en scène dans la capitale tyrolienne en 2014. En 2015, Ivor Bolton dirigeait l'Orontea à l'Opéra de Francfort. La nouvelle production de la Scala, dirigée par l'illustre spécialiste Giovanni Antonini, marque le retour du metteur en scène Robert Carsen avec un opéra baroque, après son interprétation triomphale du Giulio Cesare de Haendel, donné à la Scala en 2019. Comme aucune partition autographe de l'opéra n'a été conservée, le Teatro alla Scala a commandé une nouvelle édition à Alberto Stevanin, qui a analysé et comparé quatre partitions complètes et deux recueils d'arias, conservés dans diverses bibliothèques.

Robert Carsen situe l'action dans le bel aujourd'hui des milieux artistiques mondains milanais contemporains. Orontea, une reine de l'antiquité égyptienne d'après le livret, devient ici une femme d'affaires énergique et déterminée qui dirige une galerie d'art qui porte son nom et affirme à son conseiller Creonte n'avoir pas de temps à perdre pour l'amour. Gideon Davey a créé des décors et des costumes fascinants. Un vernissage va bientôt être organisé dans la galerie. On assiste à l'accrochage de grands tableaux aux cimaises de l'espace d'exposition, une grande salle concave dotée d'une mezzanine à laquelle on accède par un escalier latéral. Les tableaux sont en fait de grands barbouillages abstraits dans lesquels la couleur rouge domine. Au centre de la scène  un grand lit défait dont les draps ont des tonalités en harmonie avec les tableaux semble bien incongru dans une galerie d'art. On suppute sa fonction. Robert Carsen l'a-t-il placé en cet endroit déplacé pour accrocher l'attention sur la thématique des tumultueuses amours qui sont au centre de l'action ? Mais non, le lit est entouré d'un fil d'acier tendu entre de petits piquets, qui empêche les invités au vernissage de s'en approcher. Bon sang, mais c'est bien sûr ! Il s'agit d'une "installation", d'un objet trouvé à la manière de Marcel Duchamp. Peut-être Carsen s'est-il inspiré de la célèbre installation "My Bed" de l'artiste britannique Tracey Enim, une oeuvre d'art qui représente un lit défait entouré de déchets qui vient d'être vendue 2,8 millions d'euros au début du mois de juillet dernier à Londres. Dans sa récupération de l'idée, l'installation de Carsen a eu le bon goût de s'abstenir de l'exposition des déchets ! Une fois les tableaux accrochés, la galerie accueille les visiteurs très distingués et très fortunés, des figurants qui envahissent la scène magnifiquement accoutrés par le même Gideon Davey, dans des costumes hyper élégants et souvent hilarants qui rappellent que Milan est une capitale de la beauté et de la mode. Et justement, — est-ce un hasard ? —la capitale lombarde accueille en cette fin septembre la semaine de la beauté (la Milano Beauty Week, sponsorisée par des firmes cosmétiques) et la semaine de la mode. Le metteur en scène réussit là un des plus beaux tableaux d'ensemble de la soirée, avec une extraordinaire étude de la gestuelle du snobisme contemporain, une scène d'anthologie. Plus tard, on verra des figurants déménageurs venir soigneusement décrocher et emballer les tableaux et le lit avec tous les soins que requièrent des œuvres aussi cotées.

La galerie Orontea

Le grand bureau de la galeriste confirme son statut de brillante femme d'affaires. Un bureau dépouillé aux meubles designs dont l'immense baie vitrée et la terrasse donnent sur la ligne d'horizon (pardon, on dit plutôt la skyline) d'Isola, le fleuron urbanistique de la Milan moderniste avec ses gratte-ciels signés par les bureaux d'architecture les plus en vue, dont la tour UniCredit de César Pelli ou le Bosco Verticale (le bois vertical) de Stefano Boeri. Robert Carsen fait un usage modéré et judicieux du plateau tournant pour nous balader dans les sous-sols de la galerie, une bibliothèque avec des ouvrages de référence couplée avec un espace d'entreposage (avec des systèmes à haute densité modulaire) des tableaux en attente d'exposition, de vente ou d'expédition, ou, plus hilarant, un garage avec trois motos aux carénages rutilants qui côtoient des containeurs dans lesquels Aristea, reconvertie en femme de ménage, vient déverser les ordures. Un ascenseur relie tous les étages de l'immeuble.

La fin heureuse (le lieto fine) qui voit enfin réunis les couples volages qui s'étaient séparés a elle aussi lieu dans l'espace d'exposition lors d'un nouveau vernissage, celui des œuvres d'Alidoro. Plus d'art abstrait cette fois, mais des tableaux réalistes  dans lesquels le peintre très égocentrique se met en scène en train d'illustrer les différents épisodes marquants de sa vie. Les deux vernissages marquent le début et la fin d'un cycle.


La mise en scène suit très exactement l'histoire du livret, un récit qui place l'action dans une antiquité de convention dont les repères spatio-temporels sont totalement absents : on sait simplement qu'Orontea est reine d'Égypte, que Creonte est un philosophe, qu'Aristea est la femme d'un corsaire qui a enlevé le fils d'un roi, le prince Florindo, rebaptisé Alidoro par Aristea devenue sa mère nourricière. Le livret qui n'a rien d'historique  suit en fait les étapes de l'éducation sentimentale d'Orontea, une femme qui se refuse à toute relation amoureuse pour préserver sa liberté et qui par un coup de foudre s'éprend éperdument d'Alidoro, un artiste bohème effronté, un bellâtre trousseur de jupons qui fait le joli coeur. Carsen a bien perçu l'actualité de l'action : les personnages de l'opéra rompent leurs relations amoureuses dès qu'un objet plus tentant rencontre leurs regards. Le peintre Alidoro est un portraitiste toujours à la recherche d'un nouveau modèle, de nouvelles inspirations. Ainsi fait-il poser Silandra, qui s'entiche aussitôt de l'artiste et rompt d'un coup de bec sa relation avec Corindo. La vieille Aristea est à la recherche d'un amant introuvable, elle tente de séduire Giacinta, travestie en Ismero, et qui est elle aussi tombée amoureuse d'Alidoro. Le livret comporte également de nombreux passages dans lesquels on sent l'influence de la commedia dell'arte, dans l'accentuation du caractère des personnages, poussée parfois jusqu'à la caricature. Ainsi du personnage de Gelonte qui est ivre d'un bout à l'autre de l'opéra, ou de celui d'Aristea, une femme âgée prête à tout pour une aventure amoureuse, ou encore du serviteur Tibrino dont la passion est de faire la guerre. La troisième scène de l'acte III, du plus haut comique,  met en présence Gelonte et Tibrino qui tous deux clament leurs passions, le vin pour le premier, les armes pour le second. Enfin le livret a recours a des thèmes attendus et récurrents du théâtre des 16ème et 17ème siècles : les topos du barbon amoureux (ici la vieillarde), de l'amour révélé par une lettre et du lieto fine provoqué par une reconnaissance inattendue et abracadabrantesque la révélation de la véritable identité princière d'Alidoro. Pour ceux qui savent l'italien, soulignons encore la beauté de la langue du livret, tout à la fois poétique, dramatique et comique. L'italien du 17ème siècle comporte des termes et des formules qui ne sont plus d'usage, mais le double sur-titrage italien et anglais facilite la compréhension. La superbe qualité de prononciation et de projection de tous les chanteurs et chanteuses est aussi d'une aide précieuse pour l'appréciation du travail des librettistes. L'opéra de Cesti est d'une théâtralité telle qu'il exige que les chanteurs soient à la fois des experts du recitar cantando et d'excellents acteurs, d'autant que l'action change constamment et de manière très rapide. Leur interprétation doit serrer de près et souligner le contenu émotif et ses modulations.

Giovanni Antonini apporte son expertise de la recherche d'un style vocal rempli de vivacité. Il demande aux chanteurs de ne pas forcer sur la voix mais de privilégier l'expressivité et la légèreté. L'Orontea est une oeuvre de théâtre musical, le chant doit servir à augmenter le contenu émotif. L'orchestre de la Scala joue sur des instruments d'époque. Dans une interview menée par Cesare Fertonani, le maestro Antonini souligne que " la partie instrumentale étant essentiellement constituée de refrains, la part du lion revient au basso continuo, qui sera très étoffé, varié et timbré. L'ensemble comprend des luths, un théorbe, deux clavecins, une harpe, une dulciane, une viole de gambe, un violoncelle et un lirone. C'est précisément en raison de son importance que le basso continuo doit être très concertant. La liberté que cette musique permet dans le traitement de l'instrumentation à chaque exécution est peut-être l'aspect le plus fascinant de la concertation. Le vrai défi de faire une telle œuvre dans un grand théâtre comme la Scala consiste précisément à donner une identité d'affects et de situations liés à l'instrumentation, qui est absolument libre et ouverte." Antonini a parfaitement relevé le défi d'amplifier ce que propose la scène et de rendre avec grâce et élégance la légèreté diaphane et la rythmique de la musique de Cesti. 


Dans le rôle titre, Stéphanie d'Oustrac a apporté une présence scénique stupéfiante de vivacité, renforcé encore par un volume sonore adéquat. Brillante dans la scène de la jalousie du deuxième acte, elle apporte les modulations veloutées et la suavité gracieuse de son mezzo-soprano à son "Intorno all'idol mio", un des rares arias de l'opéra qui soit bien connue. Le contre-ténor Carlo Vistoli fait un début très acclamé à la Scala  dans le rôle voyou d'Alidoro, il incarne avec grand talent ce barbouilleur dont la belle gueule et la sensualité envahissante séduit toute la gent féminine au point qu'on s'étonne de la révélation finale de son statut princier tant ce personnage est égoïste, inconstant, imbu de lui-même et profiteur. Le contre-ténor de Carlo Vistoli a un aspect naturel rare, il a quelque chose d'inné proche d'une voix d'alto, il n'est jamais forcé et ne recherche pas l'effet spectaculaire. La voix a des douceurs séduisantes, des couleurs expressives. Au final du deuxième acte, après la lecture de la lettre d'aveu amoureux d'Orontea, ses "Care note amorose" charment l'oreille et le coeur. Au troisième acte, avec l'aria "Il mondo così va", dans lequel le personnage d'Alidoro se lamente de l'inconstance des femmes. le chanteur ravit définitivement l'adhésion d'un public déjà conquis. Étoile montante, la soprano Francesca Pia Vitale apporte le charme et les séductions de son brillant soprano au personnage volage de Silandra. Son "Addio, Corindo, addio", par lequel cette femme volage met brutalement fin à sa relation avec Corindo, est des plus réussis. Autre artiste de la nouvelle génération, le britannique Hugh Cutting donne un excellent Corindo, sans jamais forcer son contre-ténor chaleureux et vibrant qui lui aussi est d'un agréable naturel. Le rôle burlesque de Gelonte, l'amoureux inconditionnel des fruits macérés de la vigne, est magistralement joué et chanté par la basse Luca Titotto. La basse Mirco Palazzi interprète avec talent sa contrepartie sérieuse, le rôle du conseiller philosophe moralisateur Creonte. La soprano catalane Sara Blanch fait des débuts remarqués à la Scala dans le rôle en pantalon du valet Tibrino,  avec notamment une excellente interprétation de l'aria humoristique " Or se dir mi convien la verità, Per dipinger una donna, Del pittore uopo non è", particulièrement d'actualité à Milan en cette semaine cosmétique. "Pour peindre une femme, il n'est point besoin d'un peintre", un éloge drolatique du maquillage. La ravissante et talentueuse mezzo-soprano Marcela Rahal réussit une métamorphose radicale en se transformant en la vieille Aristea, autre personnage  éminemment burlesque de l'opéra qu'elle interprète avec une faconde étourdissante. Enfin la soprano colorature russe  Maria Nazarova prête son soprano cristallin à Giacinta/Ismero, la suivante d'Orontea, poursuivie par les assiduités d'Aristea.

Le succès d'un peintre princier

La soirée s'est déroulée comme dans un songe heureux, on ne sentait pas le temps passer tant le travail de l'orchestre et des chanteurs était fascinant, tant les trouvailles et la structuration de la mise en scène apportaient un étonnement enchanteur. Il est un mot italien intraduisible qui pourrait rendre compte de l'éclat lumineux d'une production qui a exigé un travail inouï de la part de chacun de ses contributeurs, c'est la sprezzatura. Tout était parfait et léger, tout était naturel, d'une italianité rêvée. 

L'Orontea, dramma per musica d'Antonio Cesti, à la Scala de Milan

Du 26 septembre au 5 octobre 2024 
Livret de Giacinto Andrea Cicognini et Giovanni Filippo Apolloni

Orchestre du Teatro alla Scala
Nouvelle production du Teatro alla Scala

Chef d'orchestre Giovanni Antonini
Mise en scène Robert Carsen
Décors et costumes Gideon Davey
Lumières Robert Carsen et Peter Van Praet

Distribution

Orontea Stéphanie d’Oustrac
Creonte Mirco Palazzi
Silandra Francesca Pia Vitale
Corindo Hugh Cutting
Gelone Luca Tittoto
Tibrino Sara Blanch
Aristea Marcela Rahal
Alidoro Carlo Vistoli
Giacinta Maria Nazarova

Retransmission

L'opéra sera retransmis en direct vidéo sur LaScalaTv le 5 octobre à partir de 19H45. Après la diffusion en direct, la vidéo restera disponible à la demande jusqu'au 12 octobre 2024.

Crédit photographique @ Vittorio Lorusso (photos 1,2,3 et 5) et Brescia e Amisano @ Teatro alla Scala (photo 4)

Pour les italianophones 

La Scala propose en ligne des articles intéressants du programme :
https://www.teatroallascala.org/static/upload/oro/orontea-libretto.pdf

Ainsi que le libretto :
https://www.teatroallascala.org/static/upload/oro/orontea-libretto.pdf

Synopsis (traduit du synopsis de la Scala)

Acte I

L'action se déroule dans un « village délicieux ». Orontea, reine d'Égypte, renouvelle dans un aria sa décision de ne jamais tomber amoureuse. Son tuteur, Creonte, tente en vain de la convaincre de se trouver un mari. À ce moment, l'attention d'Orontea est attirée par les cris du page Tibrinus qui vient de sauver d'une embuscade un peintre, jeune et beau, nommé Alidoro. Le jeune homme, accompagné de sa vieille mère Aristea, arrive en présence de la reine qui se sent aussitôt attirée par lui. C'est alors qu'entre en scène un vieil ivrogne, Gelone, le serviteur bouffon qui ne peut manquer dans un mélodrame du milieu du XVIIe siècle. Après avoir chanté les louanges du bon vin, il entame un dialogue avec deux amants : Silandra, la servante de la cour, et Corindo, le chevalier. Une nouvelle rencontre entre Alidoro et Orontea fait comprendre au premier les sentiments de la reine à son égard. Mais la beauté d'Alidoro a également frappé la frivole Silandra, qui s'intéresse à lui. L'acte se termine par un dialogue confus entre Gelone, toujours ivre, et Tibrino.

Acte II

Orontea reconnaît à part soi qu'elle est amoureuse d'Alidoro, à l'inverse de ce qu'elle avait affirmé au début du premier acte. Un nouveau personnage, Giacinta, qui a revêtu des vêtements masculins et prétend se nommer Ismero, fait son entrée sur scène. C'est elle qui a attenté à la vie d'Alidoro. L'indignation d'Orontea rend compte de ses sentiments. Pour compliquer les choses, Aristea, la vieille mère d'Alidoro, s'entiche de Giacinta, qu'elle prend pour un homme, ce qui donne lieu à de nouvelles scènes cocasses. La situation de la vieille femme séduisant un jeune homme est fréquente dans l'opéra du XVIIe siècle. Elle est d'autant plus paradoxale qu'Ismero est en fait une femme et que le personnage d'Aristea est confié à un ténor. Silandra, quant à elle, abandonne Corindo sans hésiter et Alidoro n'arrive pas à se décider entre les deux femmes. Alors qu'il s'apprête à incarner Silandra, il est attaqué par Orontea en furie : angoissé, il s'évanouit, ce qui donne à Orontea le courage de lui avouer son amour dans une lettre. L'aveu d'amour à l'être aimé qui ne sait pas entendre est également un topos de l'époque, largement dérivé du théâtre espagnol contemporain. La lettre ouvre les yeux de l'inconstant Alidoro, qui se réjouit de sa bonne fortune.

Acte III

Dans le dernier acte, le tourbillon des couples s'intensifie. Alidoro renie Silandra et se vante de ses amours royales. Cela sème le trouble à la cour et exaspère Orontea : le jeune homme est ainsi éconduit par ses deux amantes et se plaint de l'inconstance féminine. Tibrinus et Gélon ont pitié de tous les amoureux, l'un déclarant préférer la guerre à l'amour, l'autre le vin. Le bouffon est envoyé par Silandra pour se faire pardonner par Corindo, qui lui accorde son pardon, mais jure de tuer son rival. Entre-temps, Giacinta est également tombée amoureuse d'Alidoro, mais subit les avances d'Aristea qui lui offre une médaille précieuse. La jeune femme l'offre à Alidoro, espérant l'attirer à elle. Mais Gelone, qui a assisté à la scène, pense qu'Alidoro a volé une médaille similaire appartenant à Orontea et l'accuse. C'est précisément la médaille qui conduit à une heureuse conclusion. Elle démontre qu'Alidoro est en fait le prince Floridano, enlevé par des corsaires alors qu'il portait encore des langes. Alidoro peut ainsi épouser Orontea, tandis que Corindo épousera Silandra.

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