dimanche 11 octobre 2020

L'hérédité des Habsbourg et des Wittelsbach — Un récit de Henri de Weindel (1ère partie)

En 1939, Henri de Weindel publiait en feuilleton dans le Populaire une biographie romancée de l'empereur François-Joseph. J'en extrais deux épisodes avec leurs illustrations, dans lesquels l'auteur s'intéresse aux problèmes résultant de la pratique des mariages consanguins dans les grandes familles régnantes. 


Le Populaire
du 21 juillet 1939

DE L'ÉPILEPSIE à LA FOLIE

    Dans certains grands théâtres de petites villes provinciales, on a coutume de faire représenter, par la même troupe, des œuvres disparates. On allie le plaisant au sévère et la comédie, pendant sept à huit heures consécutives, alterne avec le drame sur les planches de ces établissements où, pour la plus grande joie du public, évoluent de véritables forçats de l'art dramatique.
    Il semble que la famille de François-Joseph ait donné, ainsi, un spectacle divers et lamentable au public qui se pressait sur les gradins de son théâtre intime : la tragédie et le vaudeville s'y succédèrent pendant toute la moitié du dix-neuvième siècle, de manière ininterrompue et cruelle, provoquant, tour à tour, les quolibets et l'émotion des spectateurs. Quelques-uns de ces ouvrages, à représentation unique, furent donnés, en partie, devant la foule, mais la plupart ne rencontrèrent qu'un public restreint et, si l'on peut ainsi dire, de privilégiés.
     Considérons d'abord la tragédie.
    Le drame, dans la maison des Habsbourg, provient de la raison d'Etat, laquelle, ici, se trouve intimement liée à la question religieuse. L'Autriche, empire catholique, ne pouvait trouver d'alliance pour les rejetons de ses souverains que parmi les familles régnantes catholiques, toutes — comme les Habsbourg, et pour les mêmes causes — dégénérées et tarées. Les mariages, en effet, se devaient contracter entre proches puisque cinq familles seulement entraient dans le giron de l'Eglise catholique, apostolique et romaine : les Habsbourg d'Autriche, les Wittelsbach de Bavière, les Bourbons d'Espagne, les Savoie d'Italie, enfin les Saxe de la ligne Alber- tine. Il y avait bien encore les Cobourg, de Belgique, mais, à raison de leurs origines moins pures que celles des autres maisons royales catholiques, on répugnait, dans la fière lignée des Habsbourg, à toute union avec la famille de Léopold. Il convient de dire, car ces choses puériles représentent, pour des gens qui en vivent, une grosse importance, que les Cobourg de Belgique se contentent de trouver le début de leur fortune avec Léopold Ier, qui s'éleva au trône en 1831, alors que les Habsbourg font remonter leur origine à Everard III, qui régna sur le comté de Nordgau, en Basse-Alsace, dès l'an de pillage, de viol et de meurtre 898. De plus, pour des raisons politiques, aucune union ne put être conclue depuis plus d'un siècle entre les maisons de Habsbourg et de Savoie. Les deux maisons les plus touchées par la dégénérescence, parce que les membres de ces familles se sont le plus souvent unis lés uns aux autres, à travers les siècles, sont les maisons de Habsbourg et de Wittelsbach, celles-là mêmes auxquelles appartenaient, d'une part, François-Joseph et, d'autre part, Elisabeth.
    Les unions se conclurent avec une telle persistance entre ces deux maisons que le mariage de l'empereur d'Autriche et de la fille du duc Maximilien de Bavière peut être considéré comme une manière d'inceste, tant les liens du sang devenaient nombreux entre eux. François-Joseph et Elisabeth apportaient chacun, en offrande, un joli cadeau dans leur propre corbeille de noces : celle-ci, par hérédité, la folie ; celui-là, de même manière, l'épilepsie. On a mal élucidé le point de connaître si, pendant son dernier séjour à Corfou, l'impératrice Elisabeth ne fut pas atteinte d'aliénation mentale, mais il est nettement prouvé que l'empereur François-Joseph fut épileptique, comme le furent et l'empereur Joseph II et le propre grand-père de François-Joseph, S. M. François Ier. Il importe d'ajouter, pour clore temporairement ce cycle lamentable, que l'empereur actuel d'Autriche-Hongrie avait transmis son mal à son fils, le malheureux prince Rodolphe, et que sa fille cadette, l'archiduchesse Marie-Valérie, mariée elle aussi à un de ses cousins, François-Salvator, archiduc d'Autriche-Toscane, était épileptique, comme l'était son frère, comme l'était son père et comme le furent deux de ses aïeux.
    On conçoit, dans ces conditions, les soucis que sa propre famille causa au souverain. En exceptant même le pire de tous les drames, celui de Mayerling, dans lequel le prince héritier, Rodolphe, trouva la mort, les incidents tragiques apparaissent nombreux au cours de l'existence agitée de l'empereur. L'un de ceux qui la troublèrent le plus, du fait surtout de la terreur ineffaçable que l'impératrice en conçut, fut la mort mystérieuse, de Louis II de Bavière, cousin de l'impératrice, un Wittelsbach, et, par cela même, représentant la plus dégénérée de toutes les cours catholiques d'Europe.

    Ce qui rend le drame de Berg plus particulièrement effroyable, c'est qu'il semble à peu près certain que Louis II se donna la mort, mais encore qu'il commit un meurtre avant de se tuer. À la suite des excentricités auxquelles il se livrait, on dut bien constater que le détenteur de la couronne royale de Bavière se trouvait atteint d'aliénation mentale. Même, il fallut admettre que sa folie apparaissait d'un ordre tel qu'elle pouvait devenir dangereuse aux autres et qu'il devenait urgent d'interner le souverain. Sans doute on ne le mena point dans une maison d'aliénés. Ainsi qu'il se produit en semblable occurrence, on installa, successivement. le roi Louis dans ses châteaux favoris - où, en matière de chambellans et de gentilshommes de la chambre, on l'entoura d'un aliéniste réputé, le professeur von Gudden. et d'un certain nombre d'infirmiers. Même les infirmiers, afin de donner le change au royal interné, revêtirent une livrée de valets de pied. On arrivait mal, toutefois, à tromper Louis II, on y parvenait même si peu que, pour éviter qu'il ne s'enfuit — désir qui atteignit chez lui aux proportions de l'idée fixe, tant il avait conscience de son emprisonnement — on se voyait dans l'obligation de le garder de très près. Jamais il ne sortait, bien que le parc de ses châteaux lui demeurât libre d'accès, sans se voir suivi par deux infirmiers, vêtus en laquais, et pourvus de muscles respectables. Le roi Louis II rêvait, en effet, de se rendre soit en France, soit en Suisse, après s'être évadé de sa prison qui revêtait l'aspect d'une cour.
    Chaque soir, au cours de la belle saison, il accomplissait, après le diner, une promenade hygiénique, en compagnie du professeur von Gudden, que suivaient deux valets-infirmiers. Certain soir — le lendemain même de son arrivée au château de Berg — qu'il se montrait plus calme encore qu'à l'ordinaire, il se plaignit, non de la surveillance — les fous ne commettent point de ces fautes de logique et de bon sens !... — mais de la présence des deux valets de pied.
    Ces hommes me gênent — dit-il de telle façon que ceux-ci l'entendissent — pour admirer tranquillement la nature. Ne pensez-vous pas que nous pourrions dédaigner, pour un soir, le protocole qui les attache à notre personne et les renvoyer au château ?
— J'avouerai, Sire, que je n'y songeais guère et qu'ils ne me troublent nullement.
— Eh bien ! moi, ils m'ennuient et je vous prie de leur transmettre mon désir.
    Le roi Louis II était d'une rare force musculaire, mais le professeur von Gudden passait, non sans motif, pour un véritable athlète. Confiant dans ses biceps, il acquiesça donc au désir de son royal pensionnaire et renvoya les deux infirmiers.
    Ceux-ci, le docteur leur en ayant intimé l'ordre, revinrent au château de Berg, mais, malgré la dureté des journées de surveillance, ils ne se couchèrent point, car la folie du roi s'était accrue depuis peu.
(À suivre)

HENRI DE WEINDEL.

Invitation à la lecture

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