dimanche 10 janvier 2021

Asiles, un poème de Léo Larguier

C'est en 1944 que Léo Larguier (1878-1950) publia chez Albin Michel un recueil de poésies intitulé Mes vingt ans et moi. Le poème Asiles évoque brièvement Louis II de Bavière, l'impératrice Elisabeth, Wagner et Liszt.

Louis II de Bavière, qui n'apparaît ici qu'au détour d'un vers, est une figure importante dans l'oeuvre de Larguier qui, outre quelques poésies, lui consacra une pièce de théâtre, L'heure des tziganes, et un roman, Le roi sans reine.

ASILES

Chambres d'étudiants que connurent Balzac, 
Baudelaire et Nerval, vous sentiez le tabac,
le musc de quelque amour de passage, la suie,
la maison délabrée, une automnale pluie,
et surtout le papier fané de ce placard 
où jadis, dans le deuil d'un triste soir qui tombe, 
Chateaubriand tirait, de sa main de vieillard,
les lourds cahiers de ses Mémoires d'outre-Tombe, 
vous m'êtes à présent chartreuses, prieurés
 ou salons aux miroirs pleins de flambeaux dorés, 
car je sus me donner des fêtes étoilées 
entre vos pauvres murs, vieilles chambres meublées...

Vous m'étiez en ce temps, une principauté,
un château grand'ducal où j'étais invité 
aux soupers d'un vieux prince artiste et romantique
dont le père jadis avait connu Werther,
et, la grande duchesse adorant la musique,
on voyait, vers minuit, entrer Richard Wagner 
qu'accompagnait Louis, le roi fou de Bavière, 
Elisabeth d'Autriche, un prêtre broussailleux 
au visage à la fois sublime et monstrueux,
le vieil abbé Franz Liszt, son singulier beau-père...

Refuges, prieurés, asiles, oasis,
au milieu du tumulte et des bruits de Paris !
Nuits qu'enchantait l'amour, qu'ennoblissait l'étude
dans les livres peuplant ma jeune solitude 
je découvrais alors des pays inconnus,
puis, quelquefois, dans l'eau d'une glace banale,
je voyais une épaule, un sein pur, des bras nus, 
un chignon écroulé sur une nuque pâle,
et maintenant, en y songeant, je ne sais plus si la fille au miroir était, rieuse et belle,
une amante d'un soir ou la Muse immortelle !

J'ai d'autres souvenirs auxquels je tiens encor 
comme aux plus chers bijoux de mon secret trésor. 
Le même rêve alors m'ouvrait la vieille porte 
d'une propriété presque ruinée et morte...
Les feuilles sèches demeuraient dans ses jardins,
le toit du pavillon y fumait sous des pins, 
d'immobiles cyprès l'allée était bordée,
et dans la salle basse où j'écrivais mes vers,
Et ma table toujours je trouvais, accoudée,
la même rousse triste et pensive aux yeux verts. 
Taciturne, farouche, ardente, inconsolée,
elle avait toujours l'air d'une étrange exilée,
et quand elle passait au jardin hivernal 
dans son manteau fourré que mouchetait la neige, 
mélancolique Altesse au fond d'un parc royal,
elle semblait une princesse de Norvège fuyant les invités, 
la musique et le bal...

Je n'ai peut-être aimé que la femme irréelle
qui venait dans mon songe en robe de gala, 
et je la vois encor souvent quand je l'appelle : 
Sylviane... Daphné... Raphaële... Stella !


Posts précédents sur le sujet 
Le roi Louis II de Bavière dans la poésie française



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