dimanche 17 janvier 2021

Bal offert par la ville de Paris à Sa Majesté le roi de Bavière. Un article de Louise Colet. Mai 1857.

       
    
    C'est à la poétesse et femme de lettres Louise Colet que l'on doit cette charmante description du bal offert fin à la fin du mois de mai 1857 à l'Hôtel de Ville de Paris au roi Maximilien II de Bavière. Mme Louise Collet évoque aussi le crochet que fit le roi, débarqué au retour de son voyage italien à Marseille, pour visiter la ville d'Arles et ses antiques. L'article fut publié dans le Monde illustré du 30 mai 1857.

Bal offert par la ville de Paris à Sa Majesté le roi de Bavière.

    Ce beau palais de l'Hôtel de Ville, plus propice que le palais des Tuileries aux fêtes somptueuses, a reçu depuis deux ans bien des hôtes illustres. Ce fut d'abord le jeune roi de Portugal et son frère ; puis la reine d'Angleterre et le prince Albert. Après vint le roi de Piémont. A l'occasion de la naissance du prince impérial, l'empereur et l'impératrice, accompagnés du prince Oscar de Suède, alors à Paris, et entourés de toute leur cour et de tous les ambassadeurs étrangers, assistèrent à une fête dans ce splendide palais. Hier, c'était le grand-duc Constantin de Russie que l'hôtel de ville de Paris fêtait par une soirée de spectacle, où la féerie des décors prêtait à l'Armide de Gluck un cadre digne de cette immortelle musique. On eût dit les stances si harmonieuses et si colorées du Tasse mises en action. Aujourd'hui, c'est pour le roi Maximilien II de Bavière que l'Hôtel de Ville a repris sa façade d'illumination, ses effets surhumains de lumière électrique, et ses eaux jaillissantes au milieu de montagnes de fleurs.
    Dès deux heures, les plus riches équipages se déroulaient sur la longueur des quais et de la rue de Rivoli. On apercevait à travers les vitres des calèches et des coupés les belles et charmantes têtes couronnées de fleurs et de pierreries.
    Les salons et les galeries ont été bientôt remplis par des uniformes de toutes les nations et par les toilettes les plus fraîches et les plus distinguées. Ce n'était que broderies d'or et d'argent, que croix, crachats et grands cordons sur la poitrine des hommes ; perles, diamants, émeraudes, rubis, fleurs naturelles et fleurs artistiques d'une perfection idéale sur les jeunes fronts de vingt ans. À dix heures, le roi de Bavière,donnant le bras à la princesse Mathilde, et le prince Napoléon à la duchesse Hamilton, ont fait leur entrée dans la grande galerie des Fêtes ; ils étaient suivis par le prince et la princesse Murât, le baron et la baronne de Chassiron (née princesse Murat). M. et Mme Haussmann les ont reçus au bas du grand escalier d'honneur. La princesse Mathilde avait une toilette éblouissante. Sa robe, en tulle illusion blanc, avait trois tuniques parsemées d'une merveilleuse broderie dite jardinière en soie paille, verte et bleue de Chine. Les manches courtes et la draperie du corsage étaient décorées des mêmes broderies en plus petit. Autour du décolleté de la robe serpentait une magnifique rivière de diamants ; le collier assorti éclairait la blancheur du cou, des épaules et de la poitrine. Un diadème royal, tout en diamants, couronnait le front et était clos vers la nuque par un tout petit voile en tulle blanc diaphane, parsemé d'étoiles d'argent. Le roi de Bavière portait un uniforme bleu à collet jaune et le grand cordon de la Légion d'honneur sur la poitrine. Le roi est d'une taille élevée et svelte ; sa tournure est distinguée. Son visage est expressif. Sa vue est un peu basse (il se sert sans cesse d'un lorgnon), son front est très-haut, légèrement dénudé, et ses cheveux bruns sont rares. Le prince Napoléon portait l'habit de général et le grand cordon de l'ordre de Grèce. On sait que le roi de Bavière, Maximilien II, est frère du roi Othon. La duchesse Hamilton avait une robe en tulle cerise, relevée par des agrafes en émeraudes et diamants ; la parure était assortie. La baronne de Chassiron était en rose, avec une splendide parure de perles fines et de diamants. Sa mère, la princesse Murat, portait une toilette d'un goût tout nouveau. Sa robe, en crêpe vert d'Azof, était sillonnée de traînées de violettes de Parme d'une vérité admirable. La parure était en améthystes et aigues-marines. Mme Haussman avait une robe en tulle blanc avec des ornements ponceau et des bouquets de fleurs de grenade ; les mêmes fleurs composaient la coiffure. La parure était en rubis.
    Le bal a été ouvert par la princesse Mathilde dansant avec le roi de Bavière ; le prince Napoléon avec Mme Haussmann ; le maréchal Pélissier avec Mme de Chassiron, et l'ambassadeur de Bavière avec la duchesse Hamilton.
    Le roi Maximilien II a paru ravi de l'ordonnance de cette fête splendide ; il a parcouru tous les salons et toutes les galeries. Les peintures et les statues attiraient surtout ses regards, et les plafonds d'Ingres et de Delacroix les ont longtemps fixés. Comme son père le roi Louis, qui s'est retiré à Rome en abdiquant, le roi Maximilien aime les arts. Son voyage en Italie n'a eu pour but que de visiter les musées et les ruines de cette patrie du beau, et même après cette excursion à travers la terre sacrée, le goût très-vif du roi pour les vestiges de l'antiquité n'a point été rassasié. Débarqué à Marseille incognito, au lieu de prendre le chemin de fer de Lyon, il s'est fait conduire à Arles, cette colonie phocéenne qui possède de si précieux débris de la statuaire grecque et des monuments si grandioses de l'architecture romaine. Chère ville natale dont j'ai dit :  

Dans le théâtre assise entre les deux colonnes 
Où la ronce et le lierre enlacent leurs couronnes, 
Je voyais du vieux sol qu'on fouillait à mes pieds 
Remonter des autels, des urnes, des trépieds.

Si du béant sillon quelque blanche statue, 
Ou Minerve ou Phébé, se levait chaste et nue, 
Tout mon sang tressaillait, l'âme de mes aïeux 
Dans ces marbres brisés me révélait mes dieux.

    M. Honoré Clair d'Arles, l'archéologue profond et inspiré qui a ranimé pour nous ces ruines au milieu desquelles il a guidé tour à tour Chateaubriand, Lamartine, Mérimée, etc., etc., a servi de guide et pour ainsi dire d'initiateur au roi de Bavière, qui l'écoutait avec la grâce aimable d'un souverain et l'intelligence d'un artiste.
    L'art antique et l'art du moyen âge ont tour à tour captivé le roi de Bavière dans cette promenade à Arles, dont les journaux n'ont point parlé. Après avoir visité les Arènes, les ruines du théâtre, le musée, la tour de Constantin, il a voulu voir la cathédrale et le cloître de Saint-Trophime puis les Aliscamps, ce champ terrible et mémorable des morts, ce campo santo français du moyen âge, cette terre sainte du dernier repos où les rois et les princes des contrées les plus lointaines désiraient en mourant qu'on portât leur cercueil. Aujourd'hui ces tombes sont vides et brisées, les chapelles de ce vaste cimetière sont en ruine, mais l'aspect en est d'une grandeur funèbre vraiment sublime. Toutes les plantes et tous les arbustes du Midi s'enlacent aux sculptures des tombes, grimpent au murs, se suspendent aux ogives et remplacent par leur enchevêtrement les dômes éboulés. Il faut voir les Aliscamps à la lumière de pourpre d'un soleil couchant, quand l'atmosphère lourde et chaude rappelle le ciel d'Egypte. On rêve alors, comme à Thèbes, de générations disparues, car quelques siècles d'intervalle de plus, qu'importe devant l'infini qui engloutit tout. Mais nous voilà bien loin du bal de l'Hôtel de ville, des femmes parées et riantes, de la musique et des danses. Le roi de Bavière et les princes et princesses sont restés jusqu'à une heure au-milieu de ces féeries, la plupart des invités ont prolongé le bal jusqu'à quatre heures du matin.

Mme LOUISE COLET.

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