lundi 22 février 2021

La mère de mon colonel, une anecdote wittelsbacho-habsbourgeoise

Un courrier de Paris de Jules Noriac in Le Monde illustré, juillet 1875

     L'impératrice d'Autriche a quitté Paris l'autre jour. A l'heure présente, elle a goûté les joies du retour, qui sont bien les plus grandes joies que peuvent éprouver les rois et les épiciers.
   On est si heureux de revenir chez soi après un long temps d'absence, qu'on s'étonne toujours d'en être parti.
     La France adore tous les souverains, excepté les siens bien entendu ; il n'eût tenu qu'à l'impératrice d'Autriche de voir accourir sur ses pas la foule enthousiasmée, elle ne l'a pas voulu, d'abord parce qu'en son empire elle est habituée à ces comédies populaires, et aussi parce que Sa Majesté aime la tranquillité par dessus Joute chose.
     Il y a une dizaine d'années, nous avions été visiter le château de Schœnbrunn en compagnie de notre excellent ami le baron W.. qui était alors lieutenant ou quelque chose comme cela, au 2e régiment de l'artillerie impériale.
     Comme, en revenant, nous passions dans une des rues du village, nous aperçûmes une jeune femme mise avec une simplicité toute française.
    Vienne est peut-être la seule ville du monde où, en cherchant bien, on pourrait trouver des Parisiennes. Les femmes y sont jolies, élégantes, rieuses, et si n'était l'exagération dans les modes du jour, on s'y pourrait tromper; après un léger examen, c'est différent, les couleurs des robes sont trop vives, tout est exagéré. Si à Paris on porte des ceintures dont les bouts retombent jusqu'aux genoux, on retrouve à Vienne ces mêmes ceintures, mais les bouts traînant sur les chemins.
     Si la mode veut une plume autour d'un chapeau rond, la plume viennoise fait trois fois le tour du chapeau.
     A une époque, l'impératrice Eugénie avait mis à la mode le petit chapeau espagnol qu'on appelait le muletier. C'était un petit chapeau noir en feutre excessivement simple ; sur ses bords absolument contournés on ne voyait que deux petits pompons ronds en laine noire ; les femmes étaient charmantes là-dessous, à la condition d'être fort jolies avant d'être coiffées.
     Pour les femmes laides, elles étaient encore plus horribles sous le petit sombrero ; plus qu'horribles, elles étaient grotesques, mais c'était la mode.
    Le toquet espagnol fit vite son chemin ; quinze jours après son apparition, on le rencontrait à Londres, à Pétersbourg ; il y en avait déjà huit qu'il avait droit de cité à Vienne. Mais jamais, au grand jamais, on ne pourrait imaginer semblable métamorphose. C'était bien le même toquet, mais tout d'abord sa couleur noire avait été dédaignée; il était devenu rose, vert, bleu, gris, ponceau ou amarante, et ses deux mignons pompons de laine étaient devenus tout ce que l'on voudra; outre qu'ils s'étaient multipliés comme les petits pains de l'Évangile, ils étaient accompagnés d'aigrettes, de plumets, de panaches du plus détestable effet.
   Or, rencontrer dans ce beau pays, amant de l'exagération, une jeune femme élégante et simple comme une duchesse du faubourg Saint-Germain, c'était un événement bien propre à captiver notre attention. Nous ouvrions déjà de grands yeux indiscrets, lorsque W. nous poussa dans une ruelle et pressa le pas.
— Mais, lui dis-je, il me semblait que nous devions aller tout droit.
— En effet, répondit-il, je vous fais passer par là parce que je viens d'apercevoir une dame que je ne veux point saluer.
— Ah! ah! vous êtes brouillés?
— Non, on ne se brouille pas avec elle; c'est la beauté, la grâce et la bonté de l'empire.
— Diable!
— Si je ne la salue pas, c'est uniquement pour lui éviter la peine d'incliner sa belle tête en souriant.
    Je regardais W., il était fort sérieux, et son admiration était plus respectueuse que passionnée.
  Comme nous avions tourné la ruelle pour revenir sur la place du château, je hasardai une question.
— Oserais-je vous demander, mon cher W., quelle est cette gracieuse personne pour laquelle vous professez tant de respect et tant d'admiration?
— Cette dame?
— Oui.
— C'est la mère de mon colonel.
    Je demeurai abasourdi. Quelle apparence y avait-il que cette jeune et ravissante femme pût être la mère d'un colonel? Pensant que W. ne voulait pas répondre autrement à une question indiscrète, je me le tins pour dit et je parlai d'autre chose. Quelques jours après, ayant été, toujours avec W., voir exécuter des manœuvres, je vis tout a coup W. s'arrêter net et saluer militairement un petit bambin de sept à huit ans. 
    Je n'étais pas payé pour questionner W., mais je ne pus résister et je lui demandai en riant : 
— Qu'est ce que c'est donc que ce bébé que vous venez de saluer ? 
— Ce bébé, répondit gravement l'officier, c'est mon colonel, l'archiduc Rodolphe, prince impérial d'Autriche, prince royal de Hongrie et de Bohême.

Rodolphe et le drame de Mayerling

Les diverses versions du drame de Mayerling sont présentées dans mon recueil  Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).

Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
   Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook (ebook en promotion de lancement).

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)

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