lundi 3 mai 2021

Le roi Benoiton, un article de janvier 1886 sur le roi Louis II de Bavière

Le roi en 1882

Comment la légende du roi Louis II s'est-elle constituée en France ? Et, partant, dans les nouvelles qui ont été diffusées du vivant même du souverain bavarois, comment séparer le bon grain de l'ivraie ?

Je vous propose aujourd'hui de participer au jeu du vrai et du faux : je vous livre sans commentaires préalables un article tiré du journal parisien L'Événement du 9 janvier 1886 en vous proposant d'y réfléchir en mobilisant vos connaissances historiques ; je vous propose ensuite des éléments d'analyse qui vous permettront d'apprécier la véracité du texte. 

En 1886, le directeur-rédacteur en chef de L'Événement était Edmond Magnier, il était aussi le fondateur de ce journal qu'il avait créé en avril 1872. En 1886, ce quotidien était dans sa quinzième année. Le journal porte le numéro 5039. L'article, intitulé Le roi Benoiton et signé du pseudonyme Mirliton, est situé en première (deux dernières colonnes) et deuxième pages (haut de la première colonne).

1. L'article

LE ROI BENOITON

    C’est du roi Louis de Bavière que je veux parler. Il est toujours sorti, comme Mme Benoiton : hier, on annonce qu'il est à Paris, incognito, sous le nom de comte de Berg ; aujourd’hui, l’on est forcé de constater que le comte de Berg est un monsieur comme vous ou moi, n'ayant rien de commun avec le roi
Louis, qui est en Bavière.
   Demain on annoncera que dans une rue de Munich il a donné du feu à un passant. Point: il sera à Paris. De fait, lorsqu’on le cherche, on ne le trouve point ; lorsqu'on ne le cherche pas, on le trouve. Grâce à ce système, il échappe à Bismarck et aux reptiles, et c’est à ses allures de Protée, à ses façons de Benoiton qu’il doit d'occuper encore une situation puissante dans l’empire d’Allemagne ; Guillaume compte avec lui et le chancelier le tient en défiance. A-t-on en effet une pièce diplomatique à faire signer à notre souverain in partibus, " allez voir s’ils viennent ", il est sorti.
    Où est-il donc en ce moment? À Paris, à Munich, chez sa nourrice, dans la montagne ? Je l’ignore, et la diplomatie tout entière avec moi. Déclarons qu’il est sorti, et que tout soit dit.
    Puisqu’aussi bien l’occasion est venue de parler de lui, je veux le faire en détail. Il m’a ôté donné de voir ce monarque étrange ; de plus, nous en avons souvent bavardé avec Catulle Mendès, cet auteur exquis du Roi Vierge, le roman si curieux écrit à l’intention de Louis de Bavière.
    Le Roi Vierge! Eh ! sans doute, c’est bien cela. Ce grand garçon de trente-sept ans ignore la femme et les femmes ; on l’étonne fort lorsqu’on lui parle du beau sexe, de ses vices, de ses qualités, de ses maux spéciaux, périodiques ; il ne pouvait comprendre certaine impossibilité matérielle qui empêcherait de chanter à huit jours de là une des prime donne dans une représentation dont il avait lui-même fixé la date.
    — Une femme, disait il furieux, ne saurait prévoir une semaine d’avance qu’elle sera malade !...

   Je glisse sur ce sujet pour en arriver bien vite à une remarque curieuse : le roi Louis de Bavière se trouve, volontairement ou non, être le portrait, le personnage exact si vous voulez, en chair et en os, d’un personnage de Goethe ; il est la copie parfaite du prince Oronaro dans le Triomphe de la sensibilité qui date de 1780. Mendès, en écrivant le Roi Vierge, ignorait cette particularité.
    Je copie textuellement les phrases de Gœthe :

MERKULO (suivant du prince Oronaro) : — Mon prince, ne voulant interrompre ni retarder ses jouissances, s’est fait, par d’habiles artistes, créer un monde dans sa chambre. Son palais est décoré on ne peut plus agréablement ; ses chambres semblent des berceaux, ses salons des forêts, ses cabinets des grottes ; c’est aussi beau, c'est plus beau que dans la nature, si vous ajoutez toutes les commodités que peuvent fournir les machines et les ressorts..
SORA.  — Ce doit être charmant!
MERKULO. — Comme Son Altesse est accoutumée à trouver dans chacun de ses châteaux une nature particulière, nous avons aussi une nature de voyage que, dans nos tournées, nous emportons toujours avec nous. Il (le prince) a toujours avec lui un grand nombre d’artistes... La seule chose qui nous manque, ce sont les doux zéphyrs. On n’a encore rien essayé en ce genre qui ne soit imparfait ; mais nous espérons bientôt recevoir de France des procédés pour combler cette lacune... Ce coffre renferme les sources écumantes... Celui-ci contient le chant et les plus doux concerts des oiseaux... Et là, dans cette grande caisse, est emballé le clair de la lune.
SORA. — Est-il possible ? Montrez-nous le donc !
MERKULO. — C'est une chose qui n’est pas en mon pouvoir. Le prince seul sait donner à ces merveilles le mouvement et la vie... Lui seul doit les sentir...

   De fait, le roi Louis a des châteaux machinés comme des théâtres de féerie, et mieux encore : les merveilles de son palais de Sternberg, dont l’entrée est interdite aux profanes, sont légendaires ; mais Louis en jouit seul, " lui seul doit les sentir ". Sa mère entre un jour à l’improvise pendant qu’il se laissait aller à sa rêverie dans un grand salon tapissé d’un feuillage pâle, doucement caressé par une brise légère et parfumée, au murmure d’une source jaillissante, avec, dans les branches, des oiseaux aux mille couleurs gazouillant leurs chansons ; le roi, furieux d’être dérangé, se retourne et fronce les sourcils ; les oiseaux aussitôt cessent de chanter, la fontaine de couler, la brise d’agiter les verdures tendres ; la présence d’un étranger semblait avoir entassé le songe féerique.
    S’il n'emporte point avec lui en voyage des malles pleines de forêts, du moins ne va-t il jamais sans une caisse qui contient, à ce que croit son fol esprit, son clair de lune, le clair de lune d’Oronaro.
   C’est comme Oronaro aussi que Louis de Bavière dédaigne les femmes et les repousse ; Oronaro chasse loin de lui les dames d’honneur les plus séduisantes ; il aime une poupée rembourrée de son qu’il habille suivant son idéal : " Mais il est d’autres plaisirs, lui dit Merkulo, d’autres plaisirs plus... immédiats... " Le prince feint de ne pas comprendre ; Merkulo l'entraîne, le jette dans les filets d’une personne aussi belle qu’habile ; mais Oronaro s’esquive, retourne à son mannequin :
    — Tous les biens, lui crie-t-il, que les dieux ont accordés aux hommes pour embellir la vie, j’en jouis près de toi.

      Mendès m'a fait du roi ce portrait :
    — La première fois que je le vis, c’était à Lucerne, en 1868 : Louis avait vingt-deux ans. Il était blond, très beau svelte, charmant ; une seule chose déparait son visage, ses oreilles; leur grandeur semblait encore exagérée par la coiffure 1830 qu’il portait : la raie à gauche, très basse, les cheveux ondulés s’élevant en une mèche arrondie à droite. II était d’une extrême timidité qu’il n’a jamais perdue: il n’osait point regarder les femmes et ne leur donnait jamais la main. Avec cela, il était cruel, presque sauvage. Les exemples de la sécheresse de son cœur sont nombreux. Il est tyrannique comme un poltron, dur, sournois et mélancolique ; en d’autre temps, il eût été un Néron... »

    Cette cruauté du roi me remet en mémoire une anecdote bien typique. C’était le soir de la première représentation de Tristan et Yseult. Wagner, sur les conseils de Liszt, avait engagé comme ténor un certain Schnorr, rempli de talent ; par une pudeur ordinaire en Allemagne, le rôle si passionné d’Yseult était tenu par Mme Schnorr, la femme du ténor : ainsi, leurs enlacements amoureux semblaient moins... shoking.
    Mme Schnorr était d’une grande beauté : elle fit sur le roi une impression profonde : qui plus est, le roi fit sur elle une impression analogue. Oubliant son mari, elle en devint éperdument amoureuse. Donc, le soir de la première, Louis demanda à la cantatrice de l’accompagner sur le lac dans sa barque Elsa. La dame accepte avec bonheur ; puis, au loin, bercé par les eaux tranquilles, enivré sans doute par la nuit, la lune, la poésie du moment, les souvenirs de la soirée, le roi prie Mme Schnorr de chanter certains passages de l’opéra ; celle-ci s’exécute et donne de la voix dans le nocturne silence ; tout à coup, elle s'aperçoit que les yeux du souverain sont mouillés de larmes: elle-même se sent animée plus que de raison, elle se jette à genoux, passe ses bras autour du cou du maître et... et le maître, se dégageant, précipite Mme Schnorr au milieu de l’étang : puis le roi retourne au rivage en faisant force de rames et rentre au palais.
    — Allez donc voir, dit-il alors, du côté du lac ; je crois qu’il y a une femme qui se noie, repêchez-la si cela vous plaît !
    Mme Schnorr savait nager, elle fut sauvée.
    Les personnages auxquels le roi a accordé sa protection ont tous payé cher cette faveur : Wagner, dont il était le protecteur déclaré, l’appui et l’ami, eut souvent à subit de lui de cruels chagrins.
    Le musicien touchait, on le sait, de Louis de Bavière une pension annuelle de trente mille florins, à condition qu’il donnerait au théâtre de Munich la primeur de toutes ses œuvres. Un jour, il venait de terminer le Rheingold (l’Or du Rhin) qui est le prologue des Niebelungen ; il le dit au roi sans songer à mal. Louis exige la représentation immédiate du morceau : Wagner proteste ; le roi n’en veut démordre ; Wagner se retire, déclarant qu'il n’assistera ni aux répétitions ni à la représentation. Le souverain despote passe outre.
    M. Mendès se trouvait alors près de Wagner, à Lucerne ; il s’offre à surveiller les répétitions ; Wagner consent ; Mendès arrive à la répétition générale, à Munich : décors piteux, sales, sans goût ; mise en scène grotesque ; costumes affreux, et une lumière mal réglée, tombant à faux. Jouer le Rheingold de cette façon, c’est perdre l’œuvre ; Mendès, fanatique de la musique wagnérienne, proteste. Que faire ? Un télégramme fait accourir Wagner. Mais celui-ci est prévenu, dès la gare, par M. Dufflip, intendant du roi, qu'il ait à quitter Munich s’il ne veut être jeté en prison.
   M. Mendès supplie alors Richter, la chef d’orchestre, de donner sa démission ; il faudra ainsi vingt nouvelles répétitions et tout pourra s’arranger. Par amour pour Wagner, Richter accepta et perd de gaieté de cœur une position de 6,000 florins.
    Mais Dufflip veillait. " Tartufflip ", comme l’appelait Wagner, amène un autre chef d’orchestre qui s’engage à conduire l’opéra nouveau dès le lendemain.
    D'accord avec Richter, Mendès se décide alors à prier certains artistes indispensables de rendre leurs rôles ; ceux-ci n'hésitent pas. Mais Mendès, Richter et les autres protestataires n’eurent que le temps de quitter Munich. Les Niebelungen ne furent cependant représentés que longtemps après, et, cette fois, terminés.
    Wagner ne gardait pas rancune au prince de ses taquineries ; lorsqu'ils étaient mal ensemble, Wagner criait, avec le joli accent que l’on sait: " Bobre carson ! bovre carson ! "  Lorsqu’ils étaient bien, il disait: " Pon carson ! tutte même, pon carson " Et c'était tout.
   
     Le roi Benoiton a eu cependant une passion dans sa vie, une passion profonde, presque folle. C’était en 1867, pendant l’Exposition ; il arriva à Paris, vit l’impératrice et conçut pour elle un amour violent. Il resta à Paris jusqu’à ce que l’Exposition fût terminée, ne quittant pas les Tuileries, se consacrant au culte de la souveraine, l‘adorant pieusement, avec d’autant plus d'ardeur qu'il savait sa passion sans espoir. Napoléon lui-même souriait de cette comédie innocente ; lorsque le moment fut venu pour le roi Louis de retourner en Allemagne, l'impératrice l’accompagna à la gare ; l'amant désolé l’embrassa à plusieurs reprises et s'enfuit en sanglotant sans regarder en arrière.
   D'autres femmes essayèrent de captiver ses hautes faveurs : aucune n'y réussit. Il entretint bien pendant longtemps une correspondance amoureuse avec la fille du comte Max ; mais lorsque vint le jour des fiançailles... il était sorti.
   Toutes ces coquetteries d'homme adulé, ces espiègleries de souverain fantaisiste et fantasque lui seyaient assez lorsqu’il était jeune. Aujourd’hui, cet intrépide vide-bocks approche de la quarantaine ; il est lourd, épais, et c’est ainsi que je l’ai vu, il y a deux ou trois ans, avec ce cou court, cette grosse face lippue, ces yeux petits, grotesque maintenant dans ses caprices et ses folies qui le ruinent.
    Il n’est point le seul détraqué de sa famille. Un de ses oncles a la manie de s’habiller en archevêque ; un autre, vêtu en Hongrois, conduit des chevaux dans un cirque et, chambrière en main, fait tourner au galop un coursier de labour sur lequel sa douce moitié, en robe de gaze, se livre à des exercices d’écuyère, traversant des ronds de papier et sautant des girandoles.
   Le roi Louis est musicien, on le sait, poétique, sentimental, cruel et fou ; il est surtout rêveur; il a, certains jours, la manie du suicide. N’est-ce pas lui qui, une fois, dans une de ses représentations de la Passion, si populaire en Allemagne, voulait absolument jouer le rôle de Jésus et le jouer au naturel ; il tenait à ce qu'on le crucifiât « pour de bon » et à ce qu'on l’achevât d’un coup de lance dans le flanc. On eut mille peines à arracher de son cerveau ce sot caprice.
   Depuis quelque temps, il se prend pour Louis XIV ; il se ruine en représentations des pièces de Corneille, de Racine et de Molière, — avec privilèges ; au besoin, il tient les rôles.
    Tout cela l'a mis sur la paille, et voici notre Louis XIV de derrière le Rhin, bien marri : Oronaro n’a plus le sou ; son clair de lune s'éteint ; si les Rothschild refusent une pension au roi Louis, eh bien... nous avons Sainte-Anne.

Mirliton.

2. Éléments d'informations — Distinguer le vrai du faux

Magnier (Pierre, Joseph, Edmond) (1841 à Boulogne-sur-Mer - 1906 à Paris). Il fut directeur du journal L'Événement à partir de 1872 et sénateur du Var de 1891 à 1895.
Magnier débute de bonne heure dans la presse départementale, collabore au Figaro quelque temps avant la guerre de 1870 et en dirige la rédaction en l’absence de Villemessant. Il rédige un article par lequel il apporte un soutien total à la proposition de paix du nouveau gouvernement provisoire pour mettre fin à la guerre. Chassé du Figaro, car il avait rejoint la République en 1870, il dirige à Amiens le journal La Somme.
Il collabore avec Jules Barin au Bulletin de l'instruction républicaine tandis que Gambetta l'appelle à son cabinet de chef du gouvernement à Toulouse et à Bordeaux.
Le 6 avril 1872, à Paris, il crée l'Evénement qu'il n'a cessé de diriger depuis cette époque.
Il est actif en politique et se présente à plusieurs reprises aux élections dès 1876. Régulièrement battu, il ne sera élu au Sénat qu'en 1891 comme sénateur du Var. Il appartient aux groupes du centre gauche et de la gauche républicaine. Suite à diverses affaires, le Sénat prononcera sa déchéance en décembre 1895.
Magnier avait publié deux études d'ordre très différent : Dante et le Moyen Age (1860), Histoire d'une commune de la France : Boulogne-sur-Mer au XVIIIe siècle (1875).
Sources : Wikipedia et le Dictionnaire des Parlementaires français de Jean Jolly (1960/1977)

Mirliton, pseudonyme du journaliste, auteur dramatique, romancier et, à partir de 1896,  médecin Guillaume Livet (1856-1919), rédacteur à l'Evénement et au Gil Blas
Un mirliton est un tube creux de roseau garni par les deux bouts avec une pelure d'oignon ou avec un morceau de peau de baudruche, et autour de laquelle s'enroule souvent un papier contenant un rébus ou des devises ; on a pratiqué, aux extrémités, deux ouvertures latérales, sur l'une desquelles on applique la bouche, en chantant un air populaire ; la vibration des pelures d'oignon donne à la voix un son nasillard et ridicule, qui fait que le mirliton n'est employé que par plaisanterie et pour faire rire ; on le nomme à cause de cela flûte à l'oignon.
Sources : Dictionnaire des pseudonymes recueillis par Georges d'Heylli (1887) et Dictionnaire Littré.

La date de l'article, le 9 janvier 1886, est intéressante car cet article sur le roi Louis II de Bavière nous le présente tel qu'il est perçu (et ici caricaturé) en France à peine cinq mois avant son décès tragique du 13 juin 1886.

Benoiton. Nom commun datant de 1866. Du nom de famille Benoîton utilisé dans une pièce de théâtre de 1865 écrit par Victorien Sardou, La Famille Benoîton. Le sens provient de la comédie qui met en scène une famille de nouveaux riches bourgeois pour qui l’argent a compromis la notion des valeurs. De là le terme désigne une personne bourgeoise qui se comporte de manière excentrique.

Le comte de Berg. Un des pseudonymes employés par le roi Louis II de Bavière lorsqu'il souhaitait voyager incognito. À noter que l'incognito, en parlant de princes et de grands personnages voyageant en pays étranger, signifie simplement que ces personnes ne voulaient pas être connues ou traitées selon leur rang et, désirant voyager sans train ni marques ni distinctions, prenaient un autre nom que le leur pour échapper aux lourdeurs du protocole. Le château de Berg était une des résidences favorites du roi Louis II, situé sur la rive nord-est du lac de Starnberg. 

Échapper à Bismarck et aux reptiles. Le chancelier Bismarck était parvenu à unifier les divers états d'Allemagne sous la couronne impériale dès la fin de la guerre franco-allemande commencée en 1870. Les reptiles, évoquent les fonds reptiles, un surnom donné aux fonds Welfs (Welfenfonds en allemand), qui désignent un ensemble de biens confisqués par la Prusse au Royaume de Hanovre. Ces fonds servirent de véritable caisse noire au gouvernement prussien de l'époque dirigé par Bismarck. Un de ses usages les plus célèbres est la corruption du roi Louis II en 1871. Ce dernier était en manque de fond pour financer ses projets de construction de châteaux, accepta entre 4 et 5 millions de marks en échange du retrait de ses réserves concernant l'unification. De plus, Bismarck fit signer au roi de Bavière une lettre qu'il avait lui-même rédigée, la fameuse Kaiserbrief, dans laquelle le monarque bavarois demanda au roi de Prusse d'accepter la couronne impériale allemande. C'est le comte Holnstein qui fut chargé par Bismarck de faire recopier et signer la lettre par Louis II.

Guillaume désigne familièrement Guillaume Ier, empereur d'Allemagne et roi de Prusse.

Protée. Dans la mythologie, divinité de la mer qui, lorsqu'on la saisissait endormie pour lui faire prédire l'avenir, se changeait en toute sorte de formes effrayantes. Par extension, au figuré, Homme qui joue toutes sortes de personnages.

In partibus, du latin in partibus infidelium (« dans les contrées des infidèles »). Cette locution adjectivale qualifiait, dans le catholicisme, les évêques titulaires de diocèses situés en pays non chrétiens. Au figuré, elle qualifie par extension une personne sans fonction réelle.

Chez sa nourrice. Le roi Louis II ne resta pas en contact avec sa nourrice, mais bien avec sa gouvernante Sybill(e)a  Meilhaus (ensuite par mariage baronne de Leonrod), qui fut chargée  de l'éducation du prince héritier Louis à partir de 1846 jusqu'à son neuvième anniversaire. Le prince resta ensuite en contact avec sa gouvernante par voie épistolaire. Leurs lettres ont été conservées. À sa mort en 1881, Louis II fit ériger son monument funéraire.

Catulle Mendès. Que le chroniqueur Guillaume Livet (Mirliton) ait côtoyé Catulle Mendès (1841-1909) peut être tenu pour assuré. Mendès est ici présenté comme l'auteur du Roi vierge (le roman à clé consacré inspiré du roi Louis II que Mendès publia en 1881) et comme une personne qui a eu l'occasion de voir le roi Louis II et eut l'occasion de fréquenter Wagner. En 1869, Mendès faisait, en compagnie de sa femme Judith Gautier et de leur ami Villiers de l'Isle-Adam,  le voyage de Lucerne pour y rencontrer Richard Wagner. Ils se rendirent ensuite à Munich pour y assister aux répétitions puis à la création mondiale du Rheingold. ( Voir à ce propos Les Voyageurs de l'or du Rhin, le livre que j'ai consacré à la réception française de la création munichoise de l'Or du Rhin).
L'article de Mirliton s'écarte de la réalité des faits : Catulle Mendès était bien présent à Munich à l'été 1869 lors des événements qui ont conduit  au report de la première de l'Or du Rhin. Les époux Mendès ont bien télégraphié à Lucerne pour avertir Wagner des événements, mais ce n'est pas Mendès qui est à l'origine de la cabale qui a conduit Richter et certains chanteurs à démissionner. On ne pourra pas déterminer si c'est ici Livet/Mirliton qui gonfle le rôle de Catulle Mendès ou si c'est Mendès qui s'est vanté d'avoir joué ce rôle auprès du chroniqueur. 
Notons ensuite que l'allégation selon laquelle Louis II aurait voulu jouer le rôle de Jésus et se faire réellement crucifier en scène dans le Jeu de la Passion d'Oberammergau n'est en aucun cas réelle, mais est inspirée de la fin du roman Le Roi Vierge de Mendès.

Le triomphe de la sensibilité de Goethe. C'est la première fois dans ma carrière de chercheur que je lis cette comparaison entre Louis II et le prince Onorano, le protagoniste de la pièce de Goethe. Et c'est ma foi fort bien vu de la part de Mirliton ! À propos de cette pièce de théâtre, on pourra lire avec intérêt le très intéressant article Un Goethe fantaisiste : Le Triomphe de la sensibilité publié sur Brumes, le blog d'un lecteur. 

Malvina Schorr von Carosfeld. L'anecdote de la chanteuse précipitée par le roi dans le lac de Starnberg est fausse. À ma connaissance, Louis II n'a précipité personne dans le lac où il a trouvé la mort. Cette historiette s'inspire d'un épisode peut-être réel qui s'est déroulé dans la grande serre que Lois II avait fait construire sur le toit d'une des ailes de la résidence munichoise. La serre renfermait un lac artificiel sur lequel se trouvaient des cygnes et une barque. Le roi y faisait parfois se produire des chanteuses ou des chanteurs. Il arriva qu'une chanteuse tomba à l'eau, peut-être dans l'espoir que le roi la repêcherait. Mais Louis II se contenta de donner l'ordre qu'on lui portât secours. Dans notre article, cette histoire emprunte un autre potin qui court sur le roi : une actrice appelé pour une représentation privée aurait essayé de le séduire, osant s'offrir en enserrant le corps du roi , qui la repoussa brutalement. 

La création munichoise du Rheigold. Elle est assez bien rendue, sauf que l'article attribue à Catulle Mendès un rôle actif de premier plan, que Mendès n'a jamais joué. Dufflipp n'a par ailleurs pas trouvé au pied levé un remplaçant pour le chef d'orchestre Richter. La première du Rheingold, prévue pour la fin août 1869, dut être reportée à la fin du mois de septembre.

L'amour de l'impératrice. Autre légende. Lors de sa visite de l'exposition internationale de Paris en 1867, Louis II ne rencontra pas l'impératrice Eugénie, qui à son arrivée venait de s'embarquer pour le Royaume-Uni. Louis II dut interrompre son séjour parisien et rentrer rapidement à Munich car son oncle, l'ex-roi de Grèce, venait de décéder. Le roi rentra dans sa capitale pour les funérailles. 

Rothschild. À la fin de son règne, le grand bâtisseur que fut Louis II avait bien des soucis financiers et chercha à emprunter tous azimuts, sans succès. Il fit certainement solliciter de grands financiers.

Il se prend pour Louis XIV. Louis II avait une passion pour l'histoire des rois Bourbons, qu'il révérait particulièrement. 

Sainte-Anne. Hôpital psychiatrique de Paris dont la fondation remonte à 1651. L'auteur de l'article termine sur une allusion à la folie supposée du roi.

3. Conclusion

L'article de Guillaume Livet, alias Mirliton,  a contribué comme tant d'autres à former la légende du roi Louis II de Bavière, une légende dont la littérature française s'était emparée en 1881 avec la publication du roman Le roi vierge de Catulle Mendès, et que les écrivains, les poètes, les dramaturges et les historiens allaient perpétuer dès la mort du roi.

Le roi Benoiton est un article de persiflage, comme le souligne la signature Mirliton. On ne peut donc ni le prendre au sérieux ni l'accuser de diffuser des fake news, car la médisance et la calomnie constituent le fonds de commerce du persiflage. On peut par contre regretter qu'il ait contribué à la désinformation des lecteurs français du temps, qui ne disposaient  sans doute pour beaucoup pas de la distance et de l'information nécessaires pour distinguer le vrai du faux. Soulignons cependant les qualités d'érudition de cet article et ses références littéraires de qualité. 

Pour aller plus loin

Sur la création de l'Or du Rhin et les événements munichois de l'été 1869, je vous renvoie à mon ouvrage Les voyageurs de l'Or du Rhin.

Sur la constitution de la légende de Louis II et de ses troublantes amours, je vous invite à lire Le roman d'un roi. Les troublantes amours du roi Louis II der Bavière

Sur la réception du roi Louis II dans la poésie française, voir Le roi Louis II de Bavière dans la poésie française.

Ces livres se commandent en ligne via Amazon, la Fnac, le Furet du Nord, Decitre, etc.
En Allemagne p.ex. via Hugendubel.

ISBN : 9782322255139

ISBN : 9782322208371

Pour lire un extrait 
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Le roman d'un roi. Les troublantes amours de Louis II de Bavière : https://www.bod.fr/librairie/le-roman-dun-roi-auteur-anonyme-9782322255139

Les voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise du Rheingoldhttps://www.bod.fr/librairie/les-voyageurs-de-lor-du-rhin-luc-henri-roger-9782322102327

Le roi Louis II de Bavière dans la poésie française : https://www.bod.fr/librairie/le-roi-louis-ii-de-baviere-dans-la-poesie-francaise-luc-henri-roger-9782322208371

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