dimanche 22 août 2021

La Fille Wagner, un article de l'homophobie ordinaire en 1887


Cet article de persiflage signé Léon Serizier parut dans le Voltaire du 19 avril de 1887, un journal dont les journalsites républicains revendiquaient l'anticléricalisme et l'esprit satirique. Le journaliste, dont "la pudeur est alarmée", présente Richard Wagner comme un pervers efféminé. Cet article publié à l'occasion du Lohengrin parisien de 1887 nous rappelle un article du Aurélien Scholl (directeur du même journal) de la même année que nous avons déjà évoqué sur ce blog :  Écouter du Wagner peut-il rendre homosexuel ? Un conte de l'homophobie ordinaire à Paris en 1887. (Cliquer sur le lien pour accéder à l'article). Ces articles, qui sont du même tonneau, sont à verser au dossier de l'homophobie et du machisme ordinaires. Il n'est par ailleurs aucun historien sérieux pour avancer que Wagner ait jamais entretenu une relation sexuelle avec le roi Louis II de Bavière dont les préférences sexuelles sont, par contre, généralement admises pour bien réelles. Quant à Wagner, la liste de ses passions et de ses liaisons féminines est bien établie, tout autant que son amour de la soie et du velours. 

La Fille Wagner

    À la veille des représentations du Lohengrin, la vie de Richard Wagner vient de s'éclairer pour nous d'un lustre tout nouveau. 
    Des correspondances ont été publiées qui jettent une lueur étrange sur les moeurs intimes du célèbre compositeur allemand. On lira plus loin quelques-uns de ces délicats morceaux, et les thuriféraires du maître pourront, si le cœur leur en dit, y puiser pour l'auteur des Niebelungen [sic] un nouveau sujet d'admiration.
    C'est un art décidément bien supérieur que celui qui en arrive à détraquer les cerveaux au point de faire perdre à ceux qui en sont possédés jusqu'à la notion et à la dignité de leur sexe. Lisez les lettres écrites par Wagner au sujet du roi Louis de Bavière, de celui qu'il qualifiee, dans un style qui confine à l'érotisme, de « royal et céleste jeune homme », et, à moins que vous ne soyez un de ces wagnériens que rien n'ébranle, vous en demeurerez stupéfait.
    De quelles ivresses mystérieuses était donc faite la troublante et louche amitié qui unissait ces deux hommes, pour que Richard Wagner puisse parier en termes si violemment exaltés de la beauté du jeune roi, de sa grâce, de ses mines, de ses rougeurs, de ses émotions, de ses pressements de main, du charme de ses yeux et de son commerce adorable ? pour qu'il dise que Louis II l'aime avec l'ardeur et la sincérité d'un premier amour » et que lui-même se rende aupres de son « ange gardien » comme on vole à une maîtresse.
    Pour nous qui ne sommes point wagnérien, nons avouons ne rien comprendre à ces amitiés-là ; et , au risque de passer pour pudibond, nons ajouterons qu'elles sont de celles dont notre pudeur s'alarme. Une bonne et solide amitié, même de celles qui peuvent naître d'une profonde communion dans l'art, ne parle point ce langage extatique et efféminé. Elle a des accents plus graves et plus virils.
    On prétend qne la musique adoucit les mœurs ; mais, à en juger par de telles épitres, celle de Wagner les adoucit vraiment trop. À ce compte, il est à souhaiter que le wagnérisme n'exclut point trop de ravages dans le cœur de nos jeunes générations. A l'heure présente ce sont des hommes qu'il nous faut !
Qu'on n'essaye point d'ailleurs de mettre sur le compte de la musique et des ivresses paradisiaques qu'elle procure les écarts de langage de maître Richard Wagner. Les mots ont leur signification et l'on sait ce que parler veut dire.
    Et puis, à côté de ces lettres, il en est d'autres qui nous montrent un Wagner plus extraordinaire encore ; un Wagner qui s'habille en femme, porte chez lui des robes à traine et des corsages en velours rose ; un Wagner qui écrit à sa couturière pour l'entretenir de ses toilettes, la féliciter des soufflets qu'elle a mis à sa jupe et se plaindre des bouffants dont elle a surchargé la poitrine. Sans doute le jeune roi n'avait pas été content !
    On voit par là que, si Wagner avait d'étranges amitiés, il avait aussi de singuliers passe-temps. Mais que n'eût-il pas fait pour son jeune prince qui s'enthousiasmait si bien pour sa musique, que de l’œuvre son amour s'étendit à l'ouvrier. Ils se comprirent, s'aimèrent et, en bons musiciens qu'ils étaient, connurent ensemble toutes les extases, parcoururent toute la lyre. 
    Tels Charlotte et Werther ! Tels Hermann et Dorothée! Voilà, n'est-ce pas ? qui est édifiant et beau. Salut ! Allemagne, à ton chaste génie!


L. Serisier.
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