lundi 27 septembre 2021

Bayreuth 1876 — Was dich nicht brennt, das blase nicht ! / Ne te mêle pas des choses qui ne te touchent pas !

 

Karikatur / Caricature, Kikeriki, 27.08.1876

[DE] Wieder hast das alte Sprichwort dich bewährt : " Was dich nicht brennt, das blase nicht. "

[FR] Une fois de plus le vieil adage a fait ses preuves : " Ne vous mêlez pas de choses qui ne vous touchent point, qui ne vous regardent pas. "


La veuve et l'orpheline — Les archiduchesses Stéphanie et Elisabeth après le drame de Mayerling

 

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Rodolphe. Les textes de Mayerling.

Les diverses versions du drame de Mayerling sont présentées dans mon recueil  Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).

Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
   Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, AmazonHugendubel, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8). 

samedi 25 septembre 2021

Das Rheingold — Wiener illustrirte Extrablatt — 15.08.1876

 

“Die Rheintöchter: Haltet den Räuber, rettet das Gold (..) ".
Wiener illustrirte Extrablatt


Holzstich, 1876, nach Zeichnung von Ludwig Burger (1825–1884). Aus der Serie: Wagner’s Der Ring des Nibelungen.
Die Zeichnung war zuerst in der Illustrirte Zeitung publiziert, 67. Bd., Nr. 1728, Leipzig, 12. August 1876, S. 138.

Illustrirte Zeitung Leipzig


König Ludwig Kugeln und Pastete

König Ludwig Kugeln von Reber
Tüte mit 8 König Ludwig-Kugeln. 
Gefüllt mit Orangenmarzipan und Haselnuss-Nougat, 
umhüllt mit Alpenmilch-Schokolade. 


König Ludwig Pastete von Reber Zartbitter-Schokolade, 
Alkoholhaltig, Eierlikör-Trüffel, Orangenmarzipan, Edelmarzipan. 

vendredi 24 septembre 2021

Les cures d'eau de l'Abbé Kneipp, un article à charge de Maurice de Fleury pour le Figaro (18 août 1891)

Article précédent sur le sujet  : Les cures pittoresques de l'Abbé Kneipp — Silhouettes et récits d'un touriste (cliquer sur le lien)


Les cures d'eau de l'Abbé Kneipp

   Il se passe, depuis quelques années, dans un petit, bourg de Bavière appelé Woerishofen, des choses extraordinaires, dont l'Allemagne entière est occupée, et qui commencent à avoir du retentissement parmi nous, si j'en crois les demandes de renseignements qui me parviennent au journal.
   Il y a là-bas un brave homme de prêtre catholique, l'abbé Sébastien Kneipp, parfaitement désintéressé, m'assure-t-on, qui soigne et qui guérit, sans autre remède que l'eau et quelques simples, 30,000 malades de tous genres, bon an mal an.
   Les ouvrages d'hygiène et de thérapeu-tique qu'il a dictés se tirent et se vendent au chiffre énorme de 180,000 exemplaires rien que pour l'édition allemande, sans compter les traductions en français, en anglais, en polonais, en russe, en langue tchèque, en hongrois, en hollandais, en suédois, en italien et en espagnol ! Notez qu'ils coûtent assez cher, les éditeurs, sûrs de leur vente, ne faisant pas la remise habituelle aux libraires.
    Le curé de Woerishofen compte parmi ses clients des archiducs et des princesses par douzaines — un bon tiers du Gotha — le Rothschild de Vienne et un ambassadeur persan, des princes de l'Eglise et des prêtres du monde entier — et tous les pauvres qui lui viennent.

   
 Sa popularité est telle que tout, à présent, est à la Kneipp, comme tout a été longtemps à la Wagner. Il y a du pain Kneipp,du café Kneipp, de la farine, de la toile, des cigares, des almanachs Kneipp ; une soupe célèbre, parce qu'il en mange tous les jours : Kneippsche Krafsuppe, et un journal : Kneipp- Blatter. Tout cela, né spontanément, sans organisation industrielle de réclame.    Un peu partout, dans l'Allemagne catholique, à Munich, à Augsbourg, à Wurzbourg, il s'est formé des associations pour vulgariser ses idées.
    Les praticiens allemands ne déragent pas d'après lui, car il leur prend leur clientèle et gâte le métier en n'exigeant pas d'honoraires.
    Et cela se propage partout, même en France. Pas plus tard qu'hier, de l'impériale du tramway de Versailles, en traversant Chaville, j'ai aperçu dans un jardin un vieux monsieur paralytique, qui se traînait, nu-pieds, dans l'herbe humide de rosée : c'était un client à distance de l'abbé Kneipp !
    Il est tout à fait impossible de passer sous silence un guérisseur si répandu.
   J'ai donc fait ma petite enquête, aussi sérieusement qu'il se peut d'aussi loin, aidé, d'ailleurs, par les renseignements d'un docteur bavarois de passage à Paris, et voici ce que j'ai appris.
   

    Le chemin de fer vous dépose à Turckheim: il reste sept à huit kilomètres à faire en voiture. En approchant de Woerishofen, on a tout de suite un avant-goût fort pittoresque du traitement.
    Dans les prés riants qui avoisinent le village, au bord des routes, dans les jardins, partout où il y a de l'herbe, des centaines de gens très bien se promènent, frôlant le sol à pas glissants, dames, messieurs et prêtres, d'un sérieux imperturbable, et tous faisant le même geste pour élever leurs robes, retrousser leurs soutanes ou maintenir à mi-mollet leur pantalon.
    De loin, cela produit l'effet étrange d'un bal champêtre silencieux, d'une valse glissée sans musique, d'un immense « boston », cavalier seul, droit devant soi... Quand on approche, on s'aperçoit que tous ces gens troussés s'en vont nu-pieds dans la rosée. Et leur air convaincu, leur aspect de malades démontre bien qu'ils ne sont pas ici pour s'amuser.
    Au village, rien qui annonce une station fréquentée, si ce n'est le grand nombre des étrangers, dans les cinq ou six rues. Pas un hôtel, et pas d'établissement médical. Si, pourtant : un vaste hangar, infiniment peu confortable, où sont aménagées un tas de méchantes salles de bains. Il a fallu construire ça, la vieille buanderie qui servait jadis étant devenue cent fois trop exiguë. Et on loge chez l'habitant, ou bien encore en gare de Turckeim, dans un wagon-lit, quand on est riche.
    Dès huit heures du matin, au presbytère, la consultation commence.
    Une vaste salle au rez-de-chaussée. Dans cette salle, une très grande table. Autour de cette table, une quinzaine de médecins qui, n'ayant pu rivaliser, se sont faits apprentis. Au milieu d'eux, un grand vieillard vêtu de la soutane : soixante-dix ans, l'air robuste, un très grand front, des cheveux blancs, deux énormes broussailles noires en guise de sourcils, et dans leur ombre, deux yeux bleus flamboyants: c'est le Maître, « der Vater Kneipp ». On entre là à la douzaine, tant qu'on peut tenir dans la salle.
    Pas d'examens minutieux, pas d'auscultations, ni de « déshabillez-vous, que je voie ! » On n'aurait pas le temps, et l'abbé Kneipp affirme qu'il n'a pas besoin de tout ça. Un seul coup d'oeil, un regard acéré, il ne lui en faut pas davantage :
  — Toi, je connais ton mal !... pas bien difficile à guérir. Appliquez à ce bon ami (il appelle très volontiers ses malades ses bons amis) le manteau espagnol, ou le maillot inférieur. Alimentation ordinaire... boire de l'eau courante ou de la bière : ne pas dépasser une moyenne de huit à dix litres par jour...
    Voilà, sans plaisanterie et sans exagération, comment il donne ses consultations.
   Résultat : ces gens-là le quittent, au bout de quelques jours, en manifestant l'admiration la plus enthousiaste. L'abbé Kneipp est considéré comme un médecin de génie, le grand rénovateur de la thérapeutique.

    Cette, manière de traiter ses malades -— tous ses malades, qu'ils souffrent du poumon, du foie ou du coeur — l'abbé Kneipp l'a très longuement exposée dans un livre, Ma Cure d'eau, qui vient d'être traduit en français. Le public ne peut guère gagner à le lire, n'ayant aucun moyen d'en contrôler les affirmations. En voici, du reste, un résumé très impartial et très suffisant :
L'homme n'est jamais malade que pour l'un de ces deux motifs : ou bien, parce que son sang n'est pas distribué comme il devrait l'être dans toutes les parties du corps ; ou bien, parce que le sang est vicié par des éléments nuisibles.
    Par conséquent, l'eau, ce présent du ciel, symbole de toute pureté, peut et doit, à elle seule, répartir le sang où il faut, et le laver de ses souillures.
    Comme on peut voir, ça n'est pas compliqué.
    Et le long défilé commence des observations de malades guéris : maladies des os, des articulations, des muscles, du tissu cellulaire, de la peau, du sang, du cerveau, des nerfs, des ganglions lym- pathiques, des yeux, des oreilles, du nez, du larynx, de la gorge, des bronches, des poumons, du coeur, de l'estomac, de l'intestin, de la vessie, du foie, des reins... Il y en a 560 pages, que je viens de lire consciencieusement, pour vous en éviter la peine.
    Pour tout, le même traitement, sauf de légères variantes : on vous mouille le cou, les pieds, le thorax ou les jambes, ou tout ensemble, selon les cas. Ça dure peu et l'on ne s'essuie pas. Et cela vous sauve du cancer et du choléra, de la variole et du typhus, des rhumatismes et des paralysies, de la diphtérie ou du rhume de cerveau.
    Notez que l'abbé Kneipp ne se pose ni en sorcier, ni en saint inspiré de Dieu, ayant reçu du ciel le don de lire dans les corps et d'en chasser les maladies. Bien plus modeste, bien plus simple, il prétend seulement avoir assez vu de clients pour deviner, rien qu'à les regarder un peu, ce dont ils souffrent, et il affirme les guérir, sans autre moyen que l'eau pure, chaude ou froide, appliquée là ou là.
   — Je ne supprime pas la mort, dit-il, mais j'éloigne la maladie, par un moyen si simple, que l'homme eût dû s'en aviser 4,000 ans plus tôt. Que peut-on me reprocher ? Je ne soigne guère que ceux dont les médecins désespèrent, et il faut croire qu'ils s'en trouvent bien,puisqu'ils m'envoient tant de monde ! »

*         *
*
    Ce qu'en pensent les médecins, je vous le laisse à deviner.
    « La théorie initiale est puérile : l'hydrothérapie agit puissamment sur la circulation sanguine, mais cela nous le savions déjà depuis beau jour ; quant à l'affirmation que l'eau lave et purifie le sang, c'est tout de même un peu trop enfantin ; inutile de vous rappeler que l'eau est très souvent le véhicule des microbes.
    » Pas une des observations de ce livre, Ma Cure d'Eau, ne repose sur un diagnostic avéré ; pas une ne supporte la critique. Pas un malade n'est examiné ; on les soigne tous au juger : s'ils toussent, ce sont des phtisiques ; s'ils ont un bouton sur la langue, ce sont des cancéreux; un mal de gorge avec beaucoup de fièvre est nécessairement le croup.
    » Les ecclésiastiques s'indigneraient avec raison, s'il nous prenait l'étrange fantaisie de vouloir dire les offices. Alors, pourquoi diable se mêlent-ils de médecine, et en fait de « cure », pourquoi ne pas s'en tenir à leur presbytère ? »
    
    Mais les médecins ne sont pas assez impartiaux dans la question. Et le mauvais jeu de mots ci-dessus n'est point une réponse suffisante à ceux qui m'écrivent : « Dois-je, oui ou non, faire le voyage de Woerishofen?... »
  Si vous avez une maladie organique du coeur, absolument non. Les maladies du coeur et l'hydrothérapie ont fait toujours mauvais ménage.
    Si vous avez des rhumatismes, des maux de gorge chroniques, etc., consultez la Saison de notre ami Heulhard. Il y a des eaux minérales françaises qui valent amplement l'eau pure de Bavière.
    Si vous êtes un anémique, un débilité, un nerveux, si vous souffrez de l'estomac ou de la tête, si vous avez des fièvres intermittentes rebelles, l'abbé Kneipp vous fera du bien, mais pas beaucoup plus, croyez-moi, que tel ou tel médecin de Paris ayant à sa disposition un bon établissement hydrothéra- pique.
    Si vous avez la foi, si vous croyez d'avance aux merveilleuses cures du Vater Kneipp, allez vite à Woerishofen, mais ne lisez pas cet article qui ne pourrait qu'atténuer en vous la « confiance », cette forme de suggestion qui entre pour beaucoup dans tant de guérisons. Lisez plutôt le remarquable article publié dans le Correspondant du 10 juillet. La vie de Sébastien Kneipp y est contée d'une façon touchante, et la charité de son âme y est célébrée dans des termes qui vous disposeront à guérir vite entre de telles mains.
   Moi, je suis obligé de m'en rapporter aux statistiques médicales, lesquelles constatent qu'à Woerishofen on ne guérit pas plus d'un cinquième des malades traités : c'est à peu près la proportion dans nos établissements hydrothérapiques parisiens. Puis, rien de tout cela ne diffère de ce que faisait, dès 1825, Priessnitz, ce paysan de la Silésie autrichienne, qui créa l'hydrothérapie, et qui croyait tout guérir, lui aussi.
    Pourtant, dans ce traitement empirique , et beaucoup moins merveilleux qu'on ne dit, il doit y avoir tout de même quelque chose à glaner.
    Evidemment, chez nous, on n'use pas assez des affusions d'eau, dans l'hygiène et la thérapeutique. Je serais Béni-Barde, Keller ou Duval, que j'irais tout de suite- là-bas, étudier de près les cures de l'abbé Kneipp. Les spécialistes ne pourraient qu'y gagner, en accrois- sant leur domaine d'action, en variant leurs procédés, en multipliant leurs moyens.
    Jusqu'ici, l'hydrothérapie, dont l'idée première est venue d'Allemagne il y a plus de soixante ans, a surtout été appliquée en France. Voici trois ou quatre ans, un médecin français appelé en consultation à Francfort, pour une maladie nerveuse, a dû commander à Paris un appareil à douches : il n'y en avait pas là-bas !
    Actuellement encore, on vient, des quatre coins du monde, à Paris se faire doucher. Inutile de laisser à un petit bourg bavarois cette suprématie thérapeutique.
    Un médecin français intelligent qui passerait trois mois d'études à Woerishofen, et qui publierait ses recherches, aurait tout de suite à Paris une très grosse clientèle cosmopolite. Car enfin, une fois fini l'engouement nécessaire pour la cure d'eau de l'abbé Kneipp, les malades aimeront toujours mieux se confier à un vrai médecin qu'au plus digne et au plus saintement charitable des curés allemands. La science ne gâte pas ce que l'empirisme a trouvé.

Maurice de Fleury

jeudi 23 septembre 2021

Les cures pittoresques de l'Abbé Kneipp — Silhouettes et récits d'un touriste

Abbé Sebastian Kneipp

Sébastien Kneipp est né le 17 mai 1821 à Stephansried dans le Royaume de Bavière et mort le 17 juin 1897 à Bad Wörishofen. Mais qui était donc ce fameux abbé Kneipp, une des figures les plus attachantes de l'histoire médicale bavaroise ? Nous avons retrouvé un texte d'un témoin de 1891 qui nous le présente tel qu'il a pu l'observer dans son fief de Bad Wörishofen.

Un article du Supplément littéraire du dimanche du Figaro (12 décembre 1891)

Ces fragments sont extraits d'une brochure des plus curieuses dont nous sommes heureux d'offrir la primeur aux lecteurs du Figaro. L'auteur, M. Ernest Goethals, a été le témoin oculaire des faits qu'il relate et des tableaux qu'il esquisse d'une plume alerte, en une série d'instantanés pittoresques destinés à en aviver encore l'intérêt. L'ouvrage, grand in-12, illustré de gravures très réussies, paraîtra sous peu à Paris, chez l'éditeur Victor Lecoffre, et à Bruxelles, à la Société belge de librairie.

Wörishofen

Wörishofen est un petit village en Bavière d'environ 800 âmes. On y arrive, de la gare de Türkheim, en vingt-cinq ou trente minutes de voiture, par une route inégale et mal entretenue. À droite, à gauche, à perte de vue, d'immenses prairies à l'aspect mélancolique dont la monotonie est à peine interrompue par quelques maigres bouquets de sapins jetés comme au hasard, de-ci, de-là, dans le lointain. L'impression est triste et le cœur se serre à cette solitude. Bientôt, cependant, on distingue des silhouettes de promeneurs. à mesure qu'on approche, on constate avec étonnement qu'ils n'ont ni souliers ni bas. Les hommes retroussent leur pantalon, les femmes leurs jupes, et tous marchent gravement ainsi sur la route pierreuse ou dans les prés qu'elle traverse. Et pourtant, ce ne sont là ni des mendiants, ni des vagabonds, ni même des campagnards. Leur aspect dénote des gens de la ville plusieurs ont une mise soignée. Ne vous étonnez pas ce sont des clients de l'abbé Kneipp !
Déjà un clocher se dessine à l'horizon; il grandit rapidement, et avec lui le nombre de gens nu-pieds augmente : on les compte à présent par groupes. Le premier étonnement passé, on se sent pris d'une douce gaieté à la vue de ces processions étranges, et, grâce à elles, c'est le sourire aux lèvres qu'on fait son entrée à Wörishofen.

L'Abbé Kneipp —L'oracle, l'idole, le palladium de la contrée

Grand, fort, épais de partout, une tête étrange sur un corps puissant ; des yeux perçants et mobiles sous des sourcils immenses, la lèvre épaisse, le nez charnu, le front puissamment bombé, les joues tombantes, le menton carré des épaules de débardeur et des mains d'hercule, tel est, au physique, le Pfarrer (curé) Sébastien Kneipp.Tout en lui respire la vigueur et l'énergie. C'est grâce, en effet, à une énergie indomptable qu'il est arrivé à se faire lui-même ce qu'il est devenu : il est bien un self-made man.Fils de pauvres tisserands de village, il devait, au gré de son père, devenir tisserand comme lui. Son rêve cependant était de devenir prêtre. Entre ce père têtu et ce fils obstiné autant que respectueux, quelles luttes de chaque jour ! Le, jeune homme se conformait ostensiblement à la volonté paternelle : le jour il faisait courir la navette avec ardeur, mais il étudiait en secret, la nuit, tout le monde couché. À la fin, cette vie le mina, et quand, à vingt ans passés, il fut reçu, pour y apprendre le latin, chez un vieux curé du voisinage qu'il était parvenu à intéresser à son sort, sa santé se trouva gravement ébranlée. Si bien que, sur le point d'entrer au séminaire, il s'en vit refuser l'accès pour cause de faiblesse de constitution. Tout autre eût désespéré. Kneipp, au contraire, fouetté par ce nouvel obstacle, se jura d'en avoir raison comme de tous les autres ! C'est alors qu'il imagina de se traiter à l'eau froide et de se guérir tout seul avec, pour seul guide, un vieux traité d'hydrothérapie découvert par hasard dans une bibliothèque publique à Munich. Il poussa le courage jusqu'à se baigner, chaque matin, pendant un hiver entier, dans la rivière dont il cassait la glace à grands coups de talon de botte. Le succès couronna si bien son ardeur que, reçu enfin au séminaire, il put, vers trente ans, recevoir l'ordination. Dès lors, l'hydrothérapie compta en lui un adepte fervent et l'étude des applications rationnelles et variées de l'eau, tant tiède que froide, fut son occupation favorite dans ses moments de loisir.
Débordé, aujourd'hui, par l'affluence de ceux qui accourent à lui des pays les plus divers, Kneipp mène, à soixante-dix ans, une vie à laquelle résisteraient peu d'hommes dans la force de l'âge. Levé avant quatre heures, il vaque à son ministère jusqu'à huit, puis, jusqu'à six heures du soir, il appartient à ses malades, ne se réservant qu'une heure, vers midi, pour recevoir à sa table frugale les évêques et les personnages de distinction de passage à Wörishofen. Le soir, il écrit, rédige, fait sa vaste correspondance, boit de l'eau. et se couche tard. Il vit avec ses deux nièces qui font autour de lui une garde sévère et empêchent les importuns de pénétrer jusqu'à leur oncle aux heures indues et de prendre sur les moments de repos et d'étude qu'il se réserve.
Kneipp est un paysan et il s'en fait gloire. Il a du campagnard la rudesse, la finasserie bonhomme, l'esprit caustique, la défiance et l'abord fruste. Vous le rencontrez sur la route, marchant de son pas un peu lourd, l'allure du bœuf sous le joug, jamais pressé. Vous vous découvrez s'il ne vous connaît pas, il vous regarde et passe. Vraisemblablement, cet homme n'aime pas qu'on le salue, cela le gêne de se découvrir. Si on l'aborde, il répond simplement, brièvement, mais avec bienveillance: À l'occasion il ne dédaigne pas le met drôle il aime le gros rire. Vous lui rendez un menu service quelconque : lui ramasser son mouchoir, par exemple, lui passer sa tabatière, lui offrir du feu pour son cigare, il ne vous dit pas merci. A quoi bon? Toujours le paysan !
Mais un paysan de beaucoup de cœur sous cette rude écorce se cachent des sentiments exquis. Sa charité est, dit-on, sans bornes et sa pitié pour les malheureux inépuisable. Il aime les plantes et les fleurs, chérit « les bêtes du bon Dieu » et se complaît au milieu des petits enfants. Kneipp possède un petit chien à poils longs, tout blanc, qui adore le curé et ne le quitte pas plus que son ombre ; peut-être l'a-t-il guéri, lui aussi ? L'histoire ne le dit pas. Spitz (c'est son nom) a pour mission spéciale d'éveiller son maître à heure précise avec une ponctualité d'horloge, chaque matin, à trois heures et demie, il se pend aux draps du curé, les arrache, se roule dessus par terre, puis attend bravement que le bon vieillard se lève et s'en aille dire sa messe de quatre heures au couvent d'à côté. C'est là seulement qu'il n'a pas le droit de le suivre. Et il le sait. Ailleurs il fait partie de l'escorte, et sa place est marquée partout. Aux audiences publiques, il se tient sous le fauteuil de son maître et n'en bouge pas. Qui veut faire sa cour à Kneipp caresse son chien. Mais, pour. pénétrer sûrement jusqu'à lui, le moyen le meilleur est encore de passer par Marichen (en allemand, petite Marie, Mariette).
Marichen est la petite nièce du curé, charmante blondinette aux pieds nus, que son oncle a recueillie et garde auprès de lui espiègle, éveillée et remuante, véritable écureuil en cage, elle est la joie du presbytère. Marichen a l'oreille du Pfarrer et sa mignonne protection est toute-puissante auprès du grand homme. A table, elle saute sur ses genoux et picore dans son assiette. Aux audiences où elle a ses entrées franches, elle le tire par le bas de sa soutane et l'avertit que l'heure vient de sonner, qu'il est temps de lever l'audience.

La consultation

Au rez-de-chaussée, deux petites pièces basses, séparées par un corridor. L'une tient lieu de salon d'attente les malades s'y entassent longtemps avant l'heure le corridor même en est encombré. Chacun tient à la main son numéro d'ordre ainsi qu'un livret à son nom, en tête duquel sa maladie est décrite et où l'on inscrira, à chaque consultation, le régime prescrit. Bientôt un appariteur pieds nus (il faut bien rester dans les traditions de la maison !) appelle les malades d'après leur ordre d'inscription et les introduit, par groupe de quinze à vingt, dans la seconde pièce qui est la salle d'audience. Pour beaucoup le moment est solennel ! Abandonnés des médecins, ayant suivi tous les traitements possibles et désespérant de la science, ils sont venus de loin, sur la foi d'une réputation immense et grandissante, consulter le curé bavarois qui seul, pensent-ils, pourra peut-être les guérir encore. Et ils attendent l'oracle en tremblant !
Des murs blanchis au lait de chaux, quelques chaises en paille, une longue table de bois blanc, voilà le cadre. Autour de la table, des médecins assis ; debout derrière eux, à l'arrière-plan, des prêtres et des moines, observant et prenant des notes : ils cherchent à surprendre la méthode du maître. Au centre, Kneipp, comme un bon bourgeois, dans son fauteuil, le cigare à la bouche, sa tabatière à la main, un verre d'eau devant lui, impassible.Et le défilé commence. Chacun à son tour s'approche de la table, tend son livret que le médecin de service commente brièvement, puis, à haute voix, il achève d'exposer son cas, mais dans le moins de mots possible, car il faut aller vite ; on n'a que trois minutes, Et il attend sa sentence.
Le cérémonial est le même pour tous les hommes faits, les enfants, les femmes même. Souvent les dames, intimidées et confuses, hésitent devant cette confession publique. Elles ont à révéler leurs petites ou grandes misères féminines, et à entrer parfois dans des détails d'un ordre si intimé que, dame ! cela ne va pas tout seul. Pensez donc, tous ces hommes autour d'elles, toutes ces oreilles tendues Que va-t-on dire ? Mais on ne dit rien du tou.t A Woerishofen, chacun pour soi et Kneipp pour tous, et nul ne songe à mal. D'habitude l'hésitation est de courte durée. À la guerre comme à la guerre, et d'ailleurs puisqu'il le faut ! Et ces dames baissent la voïx, une voix un peu tremblante d'émotion, et le cercle d'hommes s'élargit discrètement. Heureuses quand le curé, qui a l'oreille un peu dure, ne les interrompt pas pour leur dire : « Plus haut ! parlez donc plus haut! »
Si vous n'entendez pas l'allemand, la situation se complique encore, et le malheureux étranger se trouve bien penaud ! Le français seul est quelque peu compris par les deux médecins attitrés qui servent alors d'interprètes, mais l'explication est pénible, et les trois minutes fatales sont bien vite écoulées Pendant ce temps, Kneipp regarde peu son malade, ou plutôt semble le regarder peu, car il l'examine, le fouille, le scrute, paraît-il, sans en avoir l'air. Son œil mobile se promène sur l'assistance, sans s'arrêter sur personne. Il prend une prise de tabac, rallume son cigare, boit une gorgée d'eau. Puis il pose quelques questions d'une voix de basse-taille, lentement, méthodiquement et semble parfois consulter ses souvenirs, ou rappelle en peu de mots des cas analogues aux médecins présents qui en prennent note. Enfin, il indique le traitement à effectuer et le régime à suivre pendant un nombre de jours déterminé le docteur inscrit rapidement le tout dans votre livret qu'il vous rend. L'audience est terminée.
Et ainsi défilent de soixante à quatre-vingts malades en une seule séance Et il y en a de tous les âges, et affligés des maladies, des misères, des infirmités les plus diverses. Il y en a des sourds et des aveugles des rachitiques, des chlorotiques, des dyspeptiques ; il y a des poitrinaires il y a aussi des paralytiques, des surmenés, des épuisés de la vie ; certains ont un membre perclus, atrophié, contourné d'autres font voir des plaies anciennes, rebelles à toute cicatrisation ; d'autres sont porteurs de cancers, de lupus (1) répugnants. Une vraie cour des miracles!

Le système de l'abbé Kneipp

Régénérer le sang, l'enrichir, en assurer la circulation normale jusqu'aux extrémités du corps, voilà tout le secret de la méthode de Kneipp. Quarante années d'expérience, d'étude et de patiente observation l'ont amené à cette conclusion que, toute maladie étant causée par la présence dans l'organisme d'éléments nocifs, c'est dans le principe essentiel de l'organisme, dans le sang et non ailleurs, dans son altération, son appauvrissement et sa circulation anormale qu'il convient de rechercher la cause unique et l'origine de toutes les maladies. Et ce n'est pas seulement aux maladies inflammatoires ou autres nettement caractérisées que cette néthode s'applique; non seulement aux affections générales vagues, mal définies et persistantes, telles que troubles digestifs, ébranlements nerveux, etc. C'est même aux maux les plus localisés, aux accidents organiques qu'il va jusqu'à l'étendre la cécité, la surdité, la paralysie n'échappent pas à sa loi.
Le corps humain n'est pas une mécanique d'horlogerie où, tous les rouages étant bons moins un, il suffit de la réfection de celui-ci et de sa mise en place exacte pour que le mouvement tout entier devienne excellent et marche à souhait tout autre est la merveilleuse machine humaine Elle forme un tout indivisible, et chacun des organes qui concourent à son fonctionnement complexe est titulaire et dépendant d'un principe vital unique, qui est le sang. Partant de ce principe, la conclusion s'impose tout mal, quel qu'il soit, n'est que la résultante d'un désordre général, accidentellement localisé dans telle ou t'elle partie du corps ou affectant tel ou tel organe en particulier. Traiter cet organe, pris à part, peut le guérir sans aucun doute, grâce à l'habileté du praticien mais le principe du mal n'en est pas pour cela éliminé de l'économie générale et est susceptible de reparaître dans la suite, soit sous la même forme, soit sous forme nouvelle affectant des caractères différents.
Tout au contraire traiter l'organisme dans son ensemble, le renouveler de fond en comble par la restauration du sang, et, au moyen de celui-ci, assainir les organes du corps entier, les fortifier, les revivifier voilà, d'après Kneipp, la véritable voie à suivre. Et cela est logique. Et il ne semble pas qu'il se puisse élever quelqu'objection sérieuse contre cette théorie, qui, du reste, n'est pas nouvelle.
Mais où le curé bavarois bouleverse toutes les traditions d'Hippocrate et de Galien, c'est dans le moyen à employer et principalement dans la façon de l'appliquer. Kneipp, tout en préconisant fort la vertu trop ignorée des simples, des humbles petites herbes des prés et des bois, n'emploie généralement que l'eau L'eau, l'agent le plus simple, le moins coûteux, que nous ayons sous la main toujours et partout ; oui, l'eau tout uniment, parce que seule elle peut agir sur toutes les parties du corps simultanément, rapidement et d'une façon sûre. Mais, entre les mains de Kneipp, l'eau. n'est pas seulement un agent de réaction puissant, elle est de plus, — et c'est ici que le curé-médecin innove totalement, elle est dans son système un élément de pénétration et d'absorption. Il veut que le corps se sature, par voie cutanée, de la plus grande quantité d'eau possible et à des intervalles espacés. D'où la prescription formelle de ne se jamais essuyer, au sortir du bain froid, que les mains et la figure seulement.

Masques d'argile

Quelles sont ces ombres qui glissent et s'effacent en rasant les murailles ? Les femmes portent un voile épais et les hommes rabattent leurs chapeaux. La tête basse, ils marchent silencieux et mornes. Approchez-vous : leur face bouffie, barbouillée d'argile, ne laisse voir que des yeux clignotants et des lèvres tuméfiées sur une bouche entr'ouverte. Ce sont des infortunés atteints du lupus. Le lupus ! Ce mal rongeur et impitoyable qui mène sa victime lentement à la tombe après l'avoir défigurée. Ah! les malheureux ! vous écriez-vous, ils n'ont plus qu'à appeler la mort à leur aide !
Rassurez-vous, âmes sensibles, et gardez vos larmes pour une occasion meilleure : à Woerishofen, le lupus se guérit. Si incroyable que cela vous puisse paraître, le fait est vrai. Oui, là même où la pharmacopée avait en vain épuisé ses drogues et ses caustiques, où le bistouri ne pouvait enrayer les progrès du mal horrible, l'eau, l'argile et le vinaigre opèrent merveille. Vous refusez d'y croire ? Eh bien venez donc y voir vous-mêmes, nouveaux Thomas, mettez le doigt dans la plaie ! Je n'ai pas l'honneur d'être médecin, ni même docteur en quoi que ce soit, mais, simple touriste, je redis ce que j'entends et raconte ce que je vois. Et je vois des choses étonnantes et j'en entends de plus extraordinaires encore.
Parmi tous les maux qui viennent chercher remède à Woerishofen, il n'en est pas un, peut-être, dont la guérison y soit plus fréquente, plus assurée même que celle du lupus ; il n'en est pas de plus saisissant surtout. Que dire de gens qui s'en viennent n'ayant plus face humaine : les chairs décomposées des pustules purulentes sur tout le visage et jusque sur la gorge, les joues trouées de plaies saignantes et sans cesse grandissantes, le nez rongé, aux trois quarts disparu, les yeux et les oreilles attaqués à leur tour; et qui, après quelques semaines de traitement, voient leurs plaies se dessécher, les chairs s'assainir et les tissus se reformer rapidement? Déjà la douleur a fui et les cuissons n'existent plus à peine une démangeaison de bon augure, avant-coureur de la cicatrisation définitive Un peu de patience encore, un peu de persévérance et la guérison sera complète !
Des cures ont été obtenues en quelques semaines ; la plupart le sont en peu de mois : rarement, il faut une année, même pour les cas les plus avancés. Mais qu'importe l'attente si, presque dès le début, une amélioration chaque jour plus marquée vous donne la certitude du succès final !
II y a trente ans que le curé bavarois traite le lupus avec un succès qui ne s'est pas démenti. Mais, modeste et sans ambition, il n'en a jamais fait état. Alors que, dernièrement, la découverte soi-disant merveilleuse de Koch faisait pousser des cris d'admiration au monde entier et mettait en émoi la science, bien que la lymphe appliquée au lupus dût borner son action à en faciliter le diagnostic, le curé de Woerishofen, lui, gardait l'anonyme et continuait de guérir en silence.
Pour en répandre la nouvelle, il n'a fallu rien moins que le flot des malades que lui amène, depuis cinq ou six ans, le succès inattendu de son premier ouvrage. Les journaux de médecine qui se sont occupés des cures remarquables de M. l'abbé Kneipp n'ont guère signalé cette particularité des lupus guéris par lui. Et cependant, combien serait intéressante une communication scientifique bien faite sur ce sujet. Espérons que, d'ici peu, quelqu'un des médecins éminents qui passent chaque jour à Wörishofen voudra bien s'en occuper, et traiter, avec l'autorité d'un nom connu, cette question vitale pour tant d'infortunés. Le traitement employé est des plus simples : de l'eau, — toujours — comme base du système. Elle doit, dans ses applications diverses et alternées, servir à remuer le sang, à en activer la circulation et, ainsi, à chasser vers l'épiderme les humeurs qu'il charrie avec lui. Mais comme, pour les attirer tout à fait au dehors, l'eau seule serait insuffisante, on a, de plus, recours à un agent local externe : l'argile. Délayée longuement et avec soin dans de l'eau de pluie additionnée d'un dixième de vinaigre, on l'étend en couches épaisses sur tout le visage, et on répète l'opération deux fois par jour.
Avant chaque opération nouvelle, un lavage minutieux fait disparattre toutes traces d'argile de la fois précédente ; des lotions détersives et résolutives de décoction de « prêles des champs » viennent ensuite rafraîchir les chairs endolories. On a donc l'argile qui attire les humeurs malsaines et dessèche les plaies, le vinaigre antiseptique qui les assainit ; la prêle qui résout, adoucit et aide à la reconstitution normale des tissus. Parfois, quand la morsure du mal rongeur a été particulièrement profonde, et après que les premiers symptômes de cicatrisation commencent à se manifester, on ajoute sous l'argile un premier enduit de fromage blanc dont l'action calmante et rafraîchissante est un adjuvant précieux à cette période de la cure.
C'est dans un coin écarté de la salle d'audience et au cours même des consultations que s'opère ce badigeonnage d'un nouveau genre. Une charitable demoiselle à cheveux blancs y procède avec gravité. Du bout de son petit bâtonnet, elle étend, avec une complaisance visible, l'argile onctueuse sur les visages qu'on lui présente, les barbouille avec amour, entasse couche sur couche, puis se recule d'un pas pour admirer son œuvre, tandis que de l'autre côté de la salle, s'élève la voix de basse du Pfarrer Kneipp interrogeant ses malades et dictant ses ordonnances. C'est encore là, entre beaucoup d'autres, car on ne pourrait les citer tous, un des épisodes du Wörishofen pittoresque.Les airs pénétrés de la demoiselle, la passivité résignée des patients, non moins que le sérieux imperturbable de l'assistance devant ce tableau comique font, comme de juste, la joie des nouveaux arrivants. Mais, bientôt, ceux-ci ne rient plus ; on ne rit pas longtemps au spectacle des misères humaines. Et l'envie de rire fait place à l'admiration quand on constate de jour en jour les progrès de ceux que l'on avait vus, il y a peu de temps à peine, hideux et repoussants. Ils portent, il est vrai, toujours le masque, le sinistre « masque d'argile » mais déjà la joie luit dans leur regard et leur cœur est gonflé d'espérance. Le mal affreux qui les poursuivait depuis dix ans, vingt ans et souvent plus, dont les récidives incessantes, en dépit des médications les plus énergiques, les avaient plongés dans le désespoir et les idées de destruction de soi-même, ce rêve obsédant, cet épouvantable cauchemar de chaque jour, ils le voient disparaître, s'évanouir comme par enchantement. L'heure approche où ils pourront enfin regagner leurs foyers et tendre la main à leurs amis sans crainte de voir l'horreur et la pitié se peindre sur les visages autour d'eux.
Près de trois cents cas de lupus ont été traités par Kneipp cette année seulement, m'affirme le docteur Tacke, médecin attaché à la clinique de Wörishofen, homme aimable autant que praticien de mérite. Sur ce total de malades, plus de la moitié ont obtenu l'exeat après constatation formelle de leur guérison complète et définitive ; les autres, pressés de rentrer chez eux, sont partis un peu prématurément : ils étaient néanmoins tous en si bonne voie quand ils ont quitté qu'il n'y a pas de doute qu'ils ne soient aujourd'hui aussi bien portants que les premiers. D'ailleurs, ajoute M. Tacke, il n'est même pas indispensable de recourir à M. Kneipp pour se guérir du lupus d'après sa méthode. Le traitement est si simple que chacun peut se l'appliquer à soi-même. Il est, de plus, inoffensif : en effet, par une propriété singulière et remarquable l'argile, ainsi appliquée, n'attaque que les tissus contaminés, les chairs saines restent complètement à l'abri de son action. Enfin, il est d'une réussite assurée : les registres de Woerishofen ne mentionnent pas un seul cas d'insuccès !
On m'affirme que des personnes atteintes de cancers dûment constatés ont également recouvré la santé par le même traitement. Je me borne à enregistrer le dire, n'ayant pu suffisamment en vérifier l'authenticité.
Ces cures merveilleuses du lupus sont une des choses qui ont ici le plus excité ma curiosité sympathique. J'ai tenu à faire à ce sujet plusieurs enquêtes personnelles, ne voulant me contenter ni des affirmations des médecins ni même de ce que je vois de mes yeux aux consultations publiques j'ai causé, à diversses reprises, avec les malades eux-mêmes, avec les plus gravement atteints, et tous m'ont confirmé, dans des formes diverses, les dires des médecins et mes propres observations.
Atteints du mal rongeur depuis des périodes variant de cinq à vingt ans, ils n'avaient, en général, pas attaché d'importance à ses premières manifestations un bouton rouge-brun sur la face, dont l'origine leur était inconnue. Le bouton, devenu pustule, s'ulcérait et prenait de l'extension tout à l'entour ; parfois la plaie semblait se dessécher d'un côté pour s'étendre plus sûrement d'autre part et faire tache d'huile. Alors on avait eu recours aux hommes de l'art : ablations sèches, extirpations douloureuses, onguents caustiques, cautérisations, tout avait été essayé en vain, et la contagion gagnait toujours
Une femme de la Bohême a les yeux attaqués, le mal, remontant sans cesse, a dévoré les paupières inférieures et menace d'envahir l'orbite. Un prêtre polonais n'a plus de nez : le cartilage lui-même a presque entièrement disparu et, par l'ouverture béante, on voit des choses horribles ! D'autres ont les joues couvertes d'érosions sanguinolentes et des traces s'en répandent, comme une coulée de bave venimeuse, jusque loin sur le cou. D'autres enfin, mieux partagés ou dont l'affection n'en est encore qu'à son début, n'ont pas senti la morsure profonde, et le mal n'est encore que superficiel. Pour ceux-ci, la guérison sera prompte.
Mais tous, sous la glaise qui leur couvre la face, sentent les bienfaits de cet onguent d'un nouveau genre: les douleurs disparaissent, les cuissons diminuent graduellement et déjà, sous l'action d'un sang meilleur, les tissus commencent à se reformer.
Ah ! pauvres masques d'argile, sinistres cocons à la teinte d'ocre, que de misères vous aurez abritées avant de donner l'essor au brillant papillon de la vie reconquise !
Ernest Goethals.

(1) Le lupus érythémateux disséminé ou lupus systémique est une maladie auto-immune . Dans cette maladie, le système immunitaire , qui protège contre les microbes ou les substances étrangères à l'organisme, se dérègle et se retourne contre les propres cellules de l'organisme.

Kneipp-Anlage Kurpark Mittenwald — 8 Photos — Hydrothérapie Kneipp à Mittenwald







©Luc-Henri Roger

[DE] Kneipp-Anlagen können laut Kneipp-Bund in Form von Wassertretanlagen oder Armbecken vorliegen. Kneipp-Anlagen werden häufig künstlich angelegt. Derzeit sind 750 öffentliche Kneipp-Anlagen des gesamten Bundesgebiets erfasst

[FR] Une installation Kneipp est une construction ou un dispositif dans un spa ou un parc spécialement aménagé qui est utilisé pour l'hydrothérapie Kneipp : Bains d'avant-bras et bains de pieds. 750 installations sont actuellement répertoriées en territoire allemand.

La Sylphide dans la version de Pierre Lacotte au Ballet d'État de Bavière — Quatrième partie

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