Un texte publié en 1904 dans la revue Armée et marine : revue hebdomadaire illustrée des armées de terre et de mer.
[...] Il y a aux portes de Vienne, à dix minutes [en voiture] du château de Schonbrunn, un parc immense, si on peut nommer ainsi une étendue de seize mille hectares de bois, entourée de murs, et où des milliers de sangliers, de cerfs, de cerfs de Virginie, de moulions, de daims, de chevreuils vivent dans la plus cordiale entente : c'est Lainz, le Thiergarten impérial. Le nombre des sangliers y dépasse le chiffre de quatre mille ; celui des cerfs est à peu près égal. Tout ce gibier nourri hiver comme été, trouvant dans l'immense étendue les plus favorables conditions d'existence, peuple abondamment les magnifiques réserves, des bois, des prairies coupées de lacs et de cours d'eau, un paysage des plus variés et des plus mouvementés. Des collines boisées séparées par de frais vallons, le tout traversé par des allées et des chemins très bien entretenus, mais gardant quand même un certain cachet de sauvage solitude, bien approprié à ses habitants, mais qui surprend et étonne quand par moments, l'écho vous apporte les sourdes rumeurs de la capitale. C'est un luxe vraiment souverain, que de posséder aux portes d'une capitale, dans une situation où chaque mètre de terrain se paye des prix énormes, un domaine de cette importance, réservé uniquement au gibier qu'on y élève avec tant de soin. L'Empereur n'y chasse jamais. C'est une tuerie qu'il dédaigne. La dernière grande chasse qui y fut donnée en l'honneur d'un souverain étranger était lors de la visite du roi Humbert en l'année 1880. En une battue de quelques heures à laquelle douze fusils ont pris part, on a tué 2,600 pièces de gibier, principalement sangliers et cerfs. Depuis, on y fait deux battues par an, en automne et en hiver, et c'est généralement le prince héritier, l'archiduc François-Ferdinand, qui les préside. Il y chasse parfois aussi à l'affût. L'empereur Nicolas 11 de Russie, lors de sa visite à Vienne à son avènement au trône, y est allé aussi chasser à l'affût un matin et a tué six grands cerfs.
Au point de vue historique, le souvenir le plus intéressant du Thiergarten de Lainz, est celui des chasses fameuses qu'y donnait l'empereur François, pendant le Congrès de Vienne et qui réunissaient tous les souverains de l'Europe et leurs brillants cortèges de diplomates et d'autres célébrités contemporaines.
11 y a une quinzaine d'années, l'Impératrice, voulant, à proximité de Vienne, avoir une résidence où son goût pour la solitude et le beau paysage pourrait être satisfait, a fait construire au centre môme du parc de Lainz, sur la lisière d'un bois, devant une prairie immense et un lac qui ajoute à la beauté du site, un château, ou plutôt une villa très vaste, où elle passait généralement le printemps, depuis son retour d'un voyage dans la Méditerranée jusqu'à son départ pour Ischl, où elle accompagnait l'Empereur, au mois de juillet et d'août.
Le château de Lainz, pas remarquable comme style, a gardé dans son arrangement intérieur l'empreinte du goût artistique de la souveraine. De nombreux objets d'art, rapportés de tous les pays qu'elle traversait en son incessant besoin de mouvement et d'oubli, témoignent de son goût sûr et éclairé. L'Impératrice a légué le château à sa fille l'archiduchesse Marie-Valérie, qui vient souvent l'habiter avec sa nombreuse petite famille. L'Empereur est alors un hôte assidu du parc de Lainz, ne passant aucune journée sans venir rendre visite à ses délicieux petits-enfants, qui adorent leur grand-père. Quittant son cabinet de travail de la Burg ou de Schonbrunn, cabinet de travail dans la plus stricte acception du mot, où, depuis cinq heures du matin jusqu'à huit heures du soir, un labeur continu le retient à son bureau, il vient se délasser un moment au milieu de l'auguste marmaille, s'associant à leurs jeux et subissant de la meilleure grâce leurs caprices. [...]
Photos / Bilder © Luc-Henri Roger 2022
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