mercredi 21 septembre 2022

Le Teatro Olimpico de Palladio à Vicenza. Texte de présentation accompagné des photos de M. Marco Pohle.

LE « TEATRO OLIMPICO » DE PALLADIO À VICENCE

Au XVIe siècle, dans l'enthousiasme du mouvement humaniste, les Italiens qui avaient depuis longtemps découvert les monuments romains et lu les œuvres des auteurs latins, entreprirent de construire des théâtres fermés, dont la forme était inspirée de celle des théâtres grecs et latins. Le théâtre olympique de Vicence, théâtre d'intérieur dans lequel l'imitation de l'Antiquité est flagrante, a été construit par Scamozzi pour l'Académie Olympique de Vicenc sur les plans dessinés en 1583 par son maître Palladio récemment décédé.

L'Académie Olympique de Vicence, fondée en 1555, est une des plus anciennes académies d'Italie. Les membres de cette société, en faisant construire ce théâtre, chef d'oeuvre de Palladio, ont voulu donner l'idée des spectacles anciens. Palladio, qui avait fait une étude approfondie de Vitruve (traité d'architecture, 1er siècle AVJC), a donné à ce monument la forme et les proportions des théâtres anciens. Aau-dessus du proscenium, on lit cette inscription :

VIRTUTI AC GENIO
LYMPIORUM ACADEMIA THEATRUM HOC A FUNDAMENTIS EREXIT 
ANNO MCMXXIV
PALLADIO ARCHIT.

L'Académie était une sorte de conservatoire dramatique ; à l'étude et à la traduction des textes, elle ajoutait leur représentation. Chaque année ou presque, ses membres se transformaient en acteurs et si le répertoire italien contemporain dominait, on jouait aussi quelques comédies latines. Palladio, qui était du nombre de ses fondateurs, avait la charge des décors et des costumes. C'est à lui, naturellement, qu'on confia la construction d'un théâtre permanent quand celle-ci fut envisagée. Plein de son sujet, l'architecte travailla en archéologue. Vitruve lui fournit la documentation qui lui manquait, les murs des théâtres romains les exemples dont il s'inspira. 

Le proscenium a 26 mètres 30 centimètres de largeur et 7 mètres de profondeur. Il représente l'entrée d'une ville. On' y voit un arc de triomphe en l'honneur d'Hercule. Cinq espèces de rues partent du fond du théâtre et aboutissent au proscenium par trois portes. Les maisons de bois de ces rues sont bâties en en relief ou perspective fuyante ainsi que Serlio l'avait indiqué déjà en 1540 dans soin Traité d'Architecture. La partie de la façade du théâtre qui n'est point occupée par le proscenium est décorée de deux ordres de colonnes corinthiennes, surmontées d'un attique avec des niches et des statues en très-grand nombre. Quatorze rangs de gradins, qui forment les places des spectateurs, sont disposés sur une demi-ellipse, dont le grand axe est parallèle à la façade du théâtre. Ces gradins occupent un espace de 8 mètres de profondeur le rang inférieur a environ 27 mètres dans le contour de son ovale, et le rang supérieur 47 mètres. Au-dessus du dernier rang est une tribune décorée qui règne tout autour, et dont les colonnes ont 5 mètres, y compris l'entablement. Le grand diamètre intérieur de la salle est de 34 mètres, et la hauteur totale de 17 mètres et demi au-dessus du pavé. Cet édifice, dont Palladio avait fourni le plan général et tous les détails, ne fut construit qu'après la mort de cet artiste. Il est presque entièrement en bois.

Cette disposition en hémicycle supplantera celle du théâtre rectangulaire français (ancien jeu de paume dans la plupart des cas) et sera conservée en Europe pendant plus de trois siècles. Elle n'est pourtant pas sans inconvénients. D'abord, les places latérales n'offrent aux spectateurs qu'une visibilité médiocre. D'autre part, la scène n'est ouverte que d'un seul côté ; pour créer une impression de relief et de profondeur, il faudra inventer des dispositifs de décors en trompe-l'œil. Il faudra aussi éclairer artificiellement cette salle et cette scène, et aucune solution satisfaisante ne sera apportée à ce problème avant l'apparition de l'électricité à la fin du XIXe siècle.

On notera  le caractère luxueux de cet ensemble. C'en est fini du théâtre populaire, ouvert à tous vents et gratuite le spectacle s'adresse à une « élite » payante (c'est vers le XVe siècle qu'on a commencé à payer sa place) et cultivée (dans ce décor antique, ce sont les thèmes grecs et latins qu'on va reprendre : ils sont inintelligibles à qui n'a point fait d'études classiques). Le théâtre européen est en passe de devenir ce qu'il est encoreen grande partie : une fête mondaine réservée à une classe limitée.

Oedipe-Roi, « la tragédie la plus noble qu'on eût jamais écrite », est la première représentation qui y fut donnée le 3 mars 1585. La traduction en était d'un homme d'Etat humaniste, nommé Orsato Giustiniani ; la musique des chœurs avait été confiée à l'organiste de Saint-Marc à Venise, Andrea Gabrielli, et la mise en scène à l'un des plus célèbres hommes du théâtre de l'époque : Angelo Ingegneri.

Il est possible, à partir des souvenirs des témoins et des écrits d'Ingegneri, de se faire une idée assez nette de ce que dut être cet étonnant spectacle qui avait attiré une foule immense et qu'on dut donner une seconde fois, à quelques jours de distance, tant son succès avait été grand. Les acteurs étaient habillés à la mode grecque (telle du moins qu'on l'imaginait), c'est-à-dire à l'orientale : Œdipe était entouré d'une garde de vingt-quatre archers habillés comme ceux du sultan de Turquie et d'une quantité de pages et de seigneurs ; Jocaste était accompagnée de ses dames d'honneur ; Créon, enfin, avait également une suite proportionnée à son rang. Quinze acteurs constituaient le chœur. C'étaient, au total, cent huit personnes qui évoluaient sur la scène avec un ordre et une perfection qui firent l'admiration des spectateurs. Ceux-ci ne regrettèrent que l'étrange coiffure qui couronnait le chef de Tirésias et, parfois, la somptuosité des costumes qui pouvait surprendre dans un royaume si déchiré par le malheur.

Les photos de Marco Pohle












Crédoit photographique © Marco Pohle
Photos reproduites avec l'aimable autorisation du photographe.


Plan et coupe longitudinale de Scamozzi

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