samedi 18 mai 2024

La grassette, une jolie criminelle

Fleur de grassette
LA GRASSETTE.

La grassette étale en rosette élégante ses larges feuilles, molles et vernissées. Du milieu de cette rosette s'élèvent deux tiges droites et fines, couronnées de fleurs violettes.

Elle est très jolie, la grassette, et je la comparerai volontiers à ces criminels hypocrites qui, sous des dehors charmants, cachent des instincts abominables.

Laissons la fleur de la grassette et observons ses feuilles.

Quelles que soient la sécheresse du sol et l'ardeur du soleil, le bord de ses feuilles est toujours humide et brillant, couvert d'une liqueur onctueuse, que sécrète la plante elle-même.

Si vous regardez attentivement ces feuilles, vous apercevrez, çà et là, des dépouilles informes, des débris épars, des pattes, des ailes, des carapaces d'insecte...

Que veut dire ce carnage ? que s'est-il passé ? un meurtre, un assassinat ! eh bien, oui ; un véritable assassinat, une série de meurtres, aggravés de guet-apens.

La coupable, la grande coupable, c'est la jolie grassette aux tiges élancées, qui mériterait la mort qu'elle a donnée, si les fleurs passaient en cour d'assises.

En face des pièces à conviction, reconstituons le drame : le pauvre insecte, qui se hasarde étourdiment sur les feuilles visqueuses et brillantes de la grassette, est aussitôt pris, et rien ne saurait le délivrer : il fait corps avec la feuille qui va devenir son tombeau.

Alors, tout doucement, la feuille se recourbe sur sa proie, qui se trouve en même temps engluée et emprisonnée. Gomment voulez-vous qu'elle échappe? La feuille se recourbe encore, comme si une main invisible la roulait lentement sous des doigts irrésistibles. On ne voit plus rien ; la feuille redevient impassible, et la victime a disparu dans cette sorte de cornet.

Mais, au bout de quelques heures, un nouveau prodige s'opère. Peu à peu, la feuille se déroule, s'étale, toujours visqueuse et brillante ; vous regardez. Plus d'insecte ! quelques débris informes rejetés par la grassette, et dont la feuille n'a pas voulu. Le reste a été dévoré par la plante, qui, pourtant, a des racines pour se nourrir.

La grassette. a dîné, mais elle n'est point rassasiée : elle tend ses feuilles gluantes à de nouveaux insectes, qui viendront y mourir et disparaître.

La grassette ne chasse pas pour l'amour de l'art ; elle vit de son gibier ; elle tue et mange sa victime.

Source du texte : Fulbert-Dumonteil (1831-1912), Les fleurs à Paris, Firmin-Didot (Paris), 1890












Photos © Luc-Henri Roger
Mittenwald (Bavière), Laintal (entre 920 et 1000 mètres), 18.05.2024




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La Sylphide dans la version de Pierre Lacotte au Ballet d'État de Bavière — Quatrième partie

Maria Taglioni (1804-84) in  La Sylphide, Souvenir d'Adieu  (6 lithographies d'Alfred-Édouard Chalon, 1845) Nous poursuivons notre e...