LOUIS II DE BAVIÈRE est un des monarques dont la légende s'est le plus emparée. Malgré la quantité d'encre qui a coulé sur sa personne et sur sa vie romantique, malgré les nombreux ouvrages consacrés à ses rapports avec Richard Wagner, rapports affectueux et protecteurs, le mystère de la tragédie du lac Starnberg demeure aussi brumeux que celui de Mayerling. Tout à tour, des historiens, poètes, artistes, philosophes et même des psychiatres se sont penchés sur son génie, sans nous apporter pour cela l'entière vérité sur cet étrange monarque de la Forêt Noire [sic]. Les causes de son suicide, mises en relief par Jacques Bainville, sont encore de nos jours discutées et contestées. Quant à la plupart des auteurs qui parlèrent de lui, ils s’attaquèrent davantage au Louis II, ami de l’auteur de Parsifal, se bornant à nous révéler ses relations musicales avec le maître de Bayreuth sous l’angle d'un généreux mécène et d'un admirateur enthousiaste du « dieu ».
Certes, la vie de Louis II a mis en mouvement toute une armée de rats de bibliothèques, d’exégètes et de fouilleurs d’archives. Mais le travail de compilation est beaucoup moins intéressant, je veux dire semble beaucoup moins «neuf», qu’une espèce de reportage fait sur place par un voyageur. En classant de vieux bouquins poussiéreux, je suis tombé l’autre jour sur le récit d'un Français revenant de Bavière, autour de l'an 1880. Ce témoignage n'apporte pas énormément de lumière ou de « nouveauté » sur le royal batelier de Berg mais il nous entretient de certaines anecdotes recueillies à cette époque par ce voyageur, de la bouche même de ceux qui vivaient aux alentours des six châteaux du roi de Bavière.
Louis était aimé de toutes les femmes de son royaume, mais ne s'était donné à aucune d'elles. Jamais un frou-frou de robe, un sourire, un parfum ou une chevelure, n'avait retenu l’attention du royal Adonis. On raconte qu’une fois, une cantatrice reçut l’insigne honneur de se promener avec lui dans son parc et de monter dans sa gondole. La cantatrice soupirait près de lui et croyait déjà être aimée. Elle chanta une romance en le regardant dans les yeux, la poitrine gonflée de sanglots, quand tout à coup, elle perdit l’équilibre et tomba à l’eau en s’écriant : « Ô mon bien-aimé, sauvez-moi ! » Mais le roi fut pris d’un fou-rira interminable. Il laissa aux jardiniers le soin de retirer l'infortunée cantatrice, qui revint chez elle trempée, et surtout « douchée » pour toujours !
On sait que Louis II avait fait de ses demeures et de ses parcs, des lieux enchantés, dont il changeait l’aspect comme un magicien. Tantôt il passait des heures entières, voir même des journées dans son jardin indien rempli de bambous, de cactus et d’orchidées, tantôt il rêvait dans sa grotte artificielle en jouant du piano au clair de lune. À Hohenschwangau, il avait fait élever une tour au milieu d’une vallée, pour jouir de l’écho de trompettes, et se promenait en conque sur un lac peuplé de cygnes, de canards cochinchinois et de poissons rouges. Ses folies et ses dépenses alarmaient les bons Munichois. Lors de l'éruption du Vésuve, il en fut tellement jaloux qu’il voulut avoir la sienne. Il appela près de lui deux professeurs de géologie, et leur commanda... un volcan ! Ils durent s’exécuter. Après avoir creusé une montagne. il s remplirent les trous de poudre, de soufre, de pétrole et de houille. Le spectacle fut paraît-il grandiose. On dut faire appel aux pompiers à dix lieues à la ronde, et on répétait que le château du roi avait été miné par les Prussiens !
Louis adorait Schiller. La chronique de l’époque raconte qu’un jour, le roi rencontra un jeune homme sur son chemin et lui demanda qui il était :
— Je suis de Suisse, répondit-il ; j’étudie à l'Université de Munich.
— Ah ! vous êtes Suisse, fit le roi, d’un air bienveillant ; vous devez savoir par cœur le Guillaume Tell de Schiller ?
Il emmena le jeune homme, qui ne reconnut en lui le roi qu’un fois arrivé au château ! Après l’avoir invité à dîné, il s'habilla en Guillaume Tell et fit déclamer la tragédie par l’étudiant. Au bout du troisième jour, il renvoya son hôte en voiture, et lui fit remettre quelques jours après, une montre en or, avec la scène du Grutli gravée sur la boîte.
Louis II commandait de toutes pièces des « atmosphères » propices à ses rêveries. Il possédait des rochers mangés de mousse, sur lesquels des eaux tumultueuses, descendant en cascades, venaient s'y écraser en un fracas épouvantable. Dans une allée, il avait fait planter des palmiers qui aboutissaient à un pavillon mauresque décoré de tentures multicolores et meublé de divans bariolés. C e pavillon s’appelait « le kiosque des délices ».
Il n’en franchissait le seuil qu’habillé en Turc, et passait des après-midi à fumer le narguilé, les yeux perdus dans les volutes de tabac et l’âme emportée par les mélodies arabes de son orchestre à remontoir.
Louis II avait aussi ses ciels étoilés. Par une habile machinerie, il commandait à la foudre, aux éclairs et au tonnerre. Un jour, il demanda à une des premières cantatrices de l’Opéra, de venir lui chanter la ballade du roi de Thulé, sur son lac suspendu. Lorsque la chanteuse arriva au second couplet, le roi pressa le bouton de la sonnerie électrique qui le met en communication avec son machiniste : aussitôt la foudre gronda, le lac souleva des vagues tumultueuses et la nacelle faillit chavirer. Quelques minutes après, la tempête s'apaisa. Le ciel devint plus bleu. Un soleil inondait le lac, en éclairant les paroi s des grottes, tandis que des niches laissaient échapper des vagues d’encens et que des oiseaux se posaient sur des nénuphars, aux grands cris de dragons, de tritons, de dauphins et de sirènes, naturellement truqués...
Le roi solitaire possédait également une forêt d’arbres exotiques, peuplée de perroquets apprivoisés. Cette forêt était une réplique de la végétation luxuriante des îles des mers du Sud. On y trouvait des oiseaux de toute s les couleurs, des plantes tropicales, et même un lac bleu et transparent, dont le fond laissait apercevoir des bancs de coraux. Il n’y manquait que des atolls, des femmes-fleur s et des pirogues ! Une chaîne de montagnes en ciment, représentait celle de l’Hymalaya. Dans ce cadre magnifique, on eût pu croire que Louis II avait déjà prévu cet étrange film intitulé Les Horizons perdus, qui nous fit tant rêver, avec le Voleur de Bagdad.
Les écrivains ont été bien injustes avec Louis II d e Bavière. On lui a beaucoup reproché les dépenses dont le Trésor royal souffrait. Mais ne nous-est il jamais arrivé de penser à réaliser sur terre un peu de ce paradis tant promis ? Parfois, ne voudrions-nous pas faire des pâtés dans le sable et construire des châteaux de rêves? Ah ! s'il nous était possible d’oublier la guerre en nous réfugiant dans une petite Europe miniature, avec des lacs et des forêts enchantés, des palais et des villages tous blancs, le tout dans une atmosphère de beauté et de lumière, de musique et de fraternité !
Mais Louis II n’ a pas été qu’un rêveur. En aidant Wagner, en lui donnant les moyens de réaliser son acte gigantesque et son théâtre, il a favorisé la naissance d’un des chants les plus grands que le monde musical ait connu. Sans son protecteur le grand Allemand n'eût peut-être pas pu laisser derrière lui ce message si ardent et surtout si actuel : la rédemption du monde par le courage et la volonté. Et le roi-vierge, le Tristan sans Yseult, a servi une cause qui efface toutes ses folies, celle du wagnérisme, c’est-à-dire celle du national-socialisme, entièrement contenue dans la Tétralogie, dont Adolf Hitler lui-même n’a pas manqué d’en souligner la profonde identité.
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