dimanche 25 octobre 2020

Les souvenirs de Max Falk (Falk Miksa) sur la reine Elisabeth de Hongrie, impératrice d'Autriche

Falk Miksa (Max Falk) 1828-1908
Un article du Temps du 14 septembre 1898, qui fut repris sans citation de source et légèrement modifié par la Dépêche tunisienne du 22 septembre 1898. L'article reprend les souvenirs de Max Falk, dont le nom hongrois est Falk Miksa, un homme exceptionnel qui mourut le même jour que l'impératrice Elisabeth. Falk avait la connaissance de la reine Elisabeth de Hongrie et lui avait donné des cours de littérature hongroise. Il publia ses souvenirs sur la reine dans des mémoires qui furent publiés à Budapest en 1898 sous le titre Erzsébet királynéról -visszaemlékezések (réédition 2016 par Budapester Athenaeum Kiadó ). Max Falk savait s'y prendre pour organiser  la médiation entre la cour austro-hongroise et les hommes politiques hongrois. Il fut également été président de l'Association des journalistes hongrois.

QUELQUES TRAITS ET MOTS DE L'IMPÉRATRICE ÉLISABETH 

    Dans l'ouvrage intitulé François-Joseph et son temps et qui est actuellement sous presse, M. Max Falk, directeur du Pester Lloyd rappelle ses souvenirs de l'impératrice-reine, au temps où il lui donnait des leçons de langue et de littérature hongroises. La souveraine coupait ces leçons, qu'elle suivait avec le plus grand zèle, de conversations dans lesquelles elle surprenait son interlocuteur par des questions soudaines, comme celle-ci
    Nous lisions un jour dans je ne sais plus quel livre cette phrase "Toutes les puissances de l'enfer s'étaient conjurées contre moi! " Sa Majesté s'arrêta, me regarda droit dans les yeux et me demanda : "Croyez-vous à l'enfer?" Ce n'était pas chose aisée de répondre ; j'éludai le fond de la question en répliquant « Majesté, je n'ai pas encore réfléchi sur ce sujet. J'ai toujours conduit ma vie de manière à ne rien faire de mal sciemment et volontairement. Et je me dis S'il n'y a pas d'enfer, personne n'y entrera; st s'il y a un enfer, moi, du moins, je n'y entrerai pas. » L'impératrice se mit à rire et nous continuâmes notre lecture.
    Une autre fois, Sa Majesté me dit à brûle-pourpoint : "On m'a dit que la république était la forme de gouvernement la meilleure."  Je regardai autour de moi comme en rêve, pensant que les murs de l'antique palais impérial des Habsbourg allaient s'abîmer sur nos têtes. Certes, jamais de telles paroles n'étaient sorties de la bouche d'une impératrice et reine. Je lui demandai qui lui avait exposé ce point de vue. L'impératrice me dit « Mon précepteur, le comte Jean Majlath. » L'historien renommé que nous prenions tous pour un réactionnaire renforcé, avait été, en effet, un des premiers maîtres de la jeune princesse bavaroise.
    Au reste, l'impératrice, quand elle interrogeait quelqu'un, ne le tenait pas quitte de la réponse. Elle revint donc sur le thème de la république et voulut savoir ce que j'en pensais. « En théorie, lui dis-je, la république est certainement la forme de gouvernement la plus raisonnable mais dans notre patrie, où vivent ensemble des races si diverses et si différentes dans leurs degrés de culture, la dynastie seule peut former des liens qui retiennent ensemble ces éléments divergents. "
    Une autre fois, l'impératrice Elisabeth met dans l'embarras son professeur en lui parlant d'une brochure politique défendue dont, elle tenait à prendre connaissance.
    On ne pouvait se taire à l'idée que cet ouvrage fût lu par une impératrice d'Autriche. Je cherchai à m'en tirer par quelques phrases insignifiantes. " Possédez-vous ce livre ?" répéta l'impératrice. II est interdit dans toute la monarchie, répondis-je. Ce n'est pas cela que je vous demande ; mais si vous le possédez. » Je restai muet. « Bien, vous l'avez. Je vous prie de me l'apporter. – Mais, Majesté. Alors vous pensez que je ne peux pas lire d'ouvrages de ce genre? " Elle prit dans sa poche une petite clef, ouvrit un tiroir de son secrétaire, tira un petit volume et me le tendit. Je lus ce titre : La ruine de l'Autriche.
    Un rédacteur de la Nouvelle Presse libre a eu une conversation avec le docteur Christomanos, qui fut pendant plusieurs années le professeur de grec et un peu le médecin de l'impératrice Elisabeth. Le littérateur et savant hellène a raconté au journaliste viennois quelques entretiens analogues et tracé de la défunte impératrice un portrait d'une poésie enthousiaste.
    Elle savait que la mort la guettait : « Quand le désir fle vivre a cessé, me disait-elle un jour, on a déjà quitté la vie. » Depuis longtemps déjà elle avait donné congé à son désir de vivre. Une autre fois, tandis que son yacht luttait sur les côtes d'Algérie contre les flots soulevés, elle ramena la conversation sur ce point : « Etes-vous prêt, vous aussi, à mourir? Croyez-moi, il n'est pas besoin d'héroïsme. Il y a dans la vie pour tout homme un moment dans lequel il meurt au dedans de lui-même, et souvent ce n'est pas le moment de sa mort matérielle. J'attends la mort à chaque minute. Vous, comme philosophe, vous devriez en faire autant. Si vous l'aviez déjà fait, on pourrait dire peutêtre un jour de vous que vous êtes mort avec l'impératrice. Vous seriez alors un héros. » 
    Un jour, à Madère, je m'approchais trop près d'une falaise à pic audessus de la mer. L'impératrice me rappela vers elle. " Il n'est pas nécessaire de chercher un genre de mort poétique, dit-elle en souriant, comme si elle avait deviné en moi quelque secret, il suffît d'avoir une belle mort au dedans de soi-même. "
    C'était une souveraine par la grâce et l'âme et non par le diadème. Alors même qu'elle se parait de ses insignes du pouvoir, telle que nous l'avons vue dans Ses anciens portraits, les froides pierres prenaient sur son corps la couleur, le parfum, la vie des fleurs. Elle appartenait à la race des elfes, non à celle des enfants des hommes.
    L'impératrice, a dit encore le docteur Christomanos, avait l'enthousiasme de la beauté, dont elle était elle-même une incarnation. Un jour, à Madère, un vieillard lui présenta un bouquet de camélias rouges; elle lui donna quelques pièces d'argent. Plus loin, sur la route, une jeune et belle fille, aux bras ronds et brunis, aux lèvres de fleur de grenade, aux yeux de diamant, lui offrît un second bouquet de camélias rouges; elle lui donna une pièce d'or. Comme je demandais à l'impératrice pourquoi elle avait donné au vieillard peu de chose et de l'or à la jeune fille, elle répondit gaiement : " C'est qu'elle est belle! "

in Le Temps, 14.09.1898





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