mercredi 14 octobre 2020

L'impératrice d'Autriche — Un portrait du Figaro (1875)

 

Gravure du château de Sassetot en 1875 de M.G. Bordèse
Parue dans l'hebdomadaire Le Monde illustré du 31 juillet 1875

Un article du Figaro du 31 juillet 1875 signé " Une cravate blanche". Ce pseudonyme se réfère au code vestimetaire employé sur les cartons d'invitation pour préciser le type de tenue adapté à l'événement. Le code vestimentaire cravate blanche requiert le port de l'habit, avec queue-de-pie et noeud papillon blanc, par les hommes et de la robe longue par les femmes. Il est plus formel que le code cravate noire (smoking, et noeud papillon noir). "Une cravate blanche" était le pseudonyme de M. Marie Escudier (1819-1880) qui fut éditeur musical, journaliste et critique, et écrivit aussi des articles relatifs à  des questions internationales et diplomatiques. Il dresse ici un beau portrait de l'impératrice qui vient s'installer pour l'été à Sassetot.

L'IMPÉRATRICE D'AUTRICHE 

    L'impératrice d'Autriche arrive aujourd'hui, avec sa fille, au château de Sassetot en Normandie. Souhaitons respectueusement la bienvenue à la souveraine, dont la beauté est proverbiale, et qui a dans le caractère tant de séduction et de poésie.
    L'impératrice Elisabeth, née le 24 décembre 1837, est la fille de Maximilien Joseph, duc en Bavière. Elle fut élevée à Possenhoffen, dans un vieux château tout patriarcal, où elle reçut une éducation aussi simple que sérieuse. Jusqu'à son mariage, elle vécut à la fois comme une princesse et comme une paysanne, loin du luxe et du tumulte des villes. Elle eut de bonne heure cette passion de la nature et de la campagne qui ne l'a jamais quittée.
    Son mariage a été, de part et d'autre, un mariage d'inclination. C'était sa sœur aînée, depuis princesse de La Tour et Taxis, que l'on destinait comme femme à l'Empereur François-Joseph. Mais du moment où le jeune souverain — il avait alors vingt-trois ans — eut aperçu la princesse Elisabeth, il se jura à lui-même qu'il n'aurait pas d'autre compagne. L'Empereur a tenu son serment. L'Autriche fut enthousiasmée de l'Impératrice de seize ans, qui lui apparut comme la personnification de la jeunesse et de la grâce.
    La souveraine, qui avait l'instinct de sa séduction personnelle, se donna pour tâche de faire la conquête de tout un peuple, le peuple hongrois. Ce n'était pas chose facile de rattacher au sceptre des Habsbourg, cette nation chevaleresque, mais querelleuse et fière, qui était encore pleine des souvenirs irritants de la gigantesque guerre de 1848. Le comte Andrassy — celui-là même qui est actuellement premier ministre d'Autriche-Hongrie —  avait été condamné à mort, et les Magyares frémissaient encore de colère. C'est une femme qui devait les calmer. L'Impératrice-Reine — elle est impératrice de ce côté de la Leitha, reine de l'autre — parle la langue des Magyares aussi bien que celle des Allemands. Elle adopta comme résidence d'été le château de Godolo (Gueudeleu), l'une des résidences les plus pittoresques de Hongrie. Elle y fit tant de bien, s'y montra si aimable, y eut de telles attentions pour le patriotisme des Magyares que la nation tout entière se passionna pour elle, comme autrefois pour la grande Impératrice Marie-Thérèse, celle dont on disait Moriamur pro rege nostro Maria-Theresa (Mourons pour notre roi), car cette reine-là avait le génie d'un grand roi.
    Aujourd'hui la réconciliation entre l'Autriche et la Hongrie est complète, et la couronne de Saint-Etienne est aussi solide sur la tête de François-Joseph que le diadème des Habsbourg. Ce résultat est dû non seulement aux qualités personnelles du souverain, mais encore au charme de sa gracieuse compagne. Dés que l'Autriche et la Hongrie se furent sérieusement donné la main, l'Impératrice-Reine, qui avait accompli sa tâche, se promit à elle-même de ne plus faire de politique. Elle se contente d'être la femme la plus charitable, la plus artiste et la plus séduisante de son empire et de son royaume.
    C'est un bonheur pour les Viennois de la voir assister aux séances d'ouvertures du Reischrath. Même dans ces occasions solennelles, elle porte une robe noire ou lilas, sans aucun ornement, parce qu'elle a fait, depuis la mort de sa fille aînée, le vœu de ne mettre ni couleurs voyantes, ni bijoux. Sa magnifique chevelure brune ne vaut-elle pas la plus belle des couronnes, et y aurait-il des diamants plus resplendissants que ses yeux?
    Aucune femme n'est plus bienfaisante. Il faudrait un volume tout entier pour retracer tous ses actes de bonté et de générosité.
    L'an dernier, elle se promenait à cheval dans les environs de Godolo, lorsque elle rencontra une vieille femme qui se lamentait en faisant marcher devant elle une vache. L'Impératrice descendit de cheval pour s'enquérir de la cause des sanglots que poussait la vieille. Hélas ! s'écria la paysanne, je suis obligée de conduire à la foire et de vendre cette pauvre bête, ma dernière ressource, et cela me fait grand'peine de m'en separer mais il le faut, mon mari et ma fille sont malades, et il n'y a plus de pain à la maison.Alors l'Impératrice lui dit : — Gardez votre vache et retournez tranquillement chez vous tendez votre tablier, — et l'impératrice, comme une bonne fée, y fit tomber une pluie d'or.
    Pendant la dernière crise économique à Vienne, la haute société autrichienne, s'est toujours distinguée par ses sentiments chrétiens et charitables, montra un zèle vraiment évangélique. On organisa ce qu'on appelle la cuisine du peuple (Volksküche). Les pitances étaient remises aux malheureux par les plus grandes dames, heureuses de servir elles-mêmes les pauvres, et se rappelant que le Pape lui-même lave les pieds des mendiants pendant la Semaine Sainte. Princesses, duchesses, comtesses, baronnes se transformaient en sœurs de saint Vincent-de-Paule. Un jour, parmi ces belles aumonières se glissa modestement une femme qui éclipsait toutes les autres par sa beauté, malgré son vêtement plus que simple, c'était l'Impératrice.
    Comme Marie-Antoinette, l'auguste compagne de François-Joseph n'aime ni l'étiquette, ni la pompe  ; elle se promène seule, à pied, suivie à distance par un valet de chambre, et tient bourgeoisement à la main un parapluie. Le croirait-on, ce parapluie fit d'abord scandale à la cour. L'archiduchesse Sophie, mère de l'Empereur, n'admettait pas qu'une Impératrice pût échanger, ne fût-ce qu'une minute, son sceptre contre un parapluie. Peut-être pensait-elle, d'ailleurs, que la pluie de Schœnbrunn ne mouillait pas. Elle en fit l'observation à sa bru qui venait de se marier, et la jeune impératrice ayant replié le parapluie, retourna tristement au château. Pendant quelques jours elle fut mélancolique et ne voulut pas sortir. L'Empereur, inquiet, la croyait malade. Enfin, tout s'éclaircit, excepté le temps, et l'Empereur décida que désormais le parapluie n'aurait plus rien de contraire à l'étiquette. L'ombre de Louis-Philippe a dû en tressaillir de joie !
    Le père de l'Impératrice lui a enseigné cette bonhomie familière qui n'exclut pas la majesté et qui est un si grand charme dans les anciennes dynasties. Un jour il se rendait de Bavière en Autriche, dans un wagon ordinaire, comme le commun des mortels. Il se mit à causer avec un bon négociant qui faisait route avec lui. Les deux pères de famille qui ne se connaissaient pas, causèrent bientôt de leurs petites affaires comme s'ils eussent été de vieux amis. — Je vais à Vienne, dit le marchand. — Moi aussi, dit le prince. — Et qu'allez-vous y faire ? — Voir mon gendre. — Et moi aussi. — Que fait votre gendre ? —Des affaires. — Le mien aussi. — Vont-elles bien? — Pas trop mal, dit le prince. — Quelle est sa profession? — Empereur. Le marchand, ébahi, se confond en protestations respectueuses mais le bon prince le met tout de suite à l'aise, et les deux beaux-pères continuent tranquillement leur conversation jusqu'à Vienne.
    L'Impératrice est une amazone consommée. Elle manie un coursier fougueux comme une véritable Clorinde. Elle a pris des leçons de haute école d'une écuyère dont elle avait remarqué l'adresse au cirque Renz. Cette écuyère était une très honnête fille, et l'Impératrice ne crut pas déroger en la faisant venir au château, où elle donna plusieurs jours de suite des leçons d'équitation à auguste souveraine. L'écuyère avait admiré à plusieurs reprises, dans les écuries de son impériale élève, un superbe cheval noir dont les fières allures étaient vraiment exceptionnelles. — Il vous plaît, lui dit l'Impératrice, eh bien ! je vous le donne.
    C'était un cadeau de 20,000 francs. Nous espérons, pour les personnes qui habitent les environs du château de Sassetot, qu'elles auront la bonne fortune d'apercevoir à cheval l'Impératrice. Au point de vue de l'art, il n'y a pas de plus beau spectacle que cette amazone couronnée, dont la grâce et l'audace ont quelque chose de fascinateur.

UNE CRAVATE BLANCHE.

Invitation à la lecture

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