lundi 26 avril 2021

Sissi et la mort du roi Louis II — La barque magique de l'île des roses.

  En 1941, Madeleine Jean-Mariat publiait un charmant petit roman intitulé L'amour blanc de l'impératrice Elisabeth : la destinée a frappé toute famille Wittelsbach à coups redoublés ; Elisabeth a été l'innocente victime de cette malédiction exemplaire. Madeleine Jean-Mariat en fait admirablement ressortir la continuité. 
    On sait que Louis II et Sissi aimaient à se retrouver dans l'île aux roses fort proche de Possenhofen. L'autrice donne une version romancée de la mort du roi en inventant l'épisode d'une barque magique. En voici l'extrait, au début du cinquième chapitre :

L'île aux roses vue du parc de Feldafing. Photo de Reinraum.

    Le 11 juin 1886 Elisabeth apprit que Louis venait d'être interné au château de Berg, sur le lac de Starnberg, et qu'un conseil de régence gouvernait la Bavière. Le soir même elle était à Munich mais personne ne pouvait voir le roi. Tel était l'ordre formel des médecins traitants. L'impératrice partit immédiatement pour Possenhofen, espérant que l'interdiction serait bientôt levée. Elle erra comme une âme en peine dans le vieux manoir, témoin des jeux joyeux de son enfance. Tout lui rappelait Louis: les arbres, les fontaines, les massifs, les fleurs qu'il aimait... Elle avait peine à retenir ses larmes. Elle sortit le lendemain dans le parc, gagna les bords du lac Starnberg. Au loin, l'on apercevait l'île des Roses. La vieille barque était toujours à l'embarcadère. Elle la décrocha et rama vigoureusement vers leur île. L'été naissant y répandait ses senteurs. Elle cueillit une brassée de roses, les plus belles qu'elle trouva, puis revint au rivage. Elle sauta lestement sur les marches de pierre polie par le baiser des flots, et penchée un instant en arrière, elle regarda la vieille barque avec sa forme si caractéristique et l'inscription Le Cygne en lettres d'or que son cousin s'était amusé à peindre lui-même. Alors elle répandit les roses un peu partout dans la bar que et la poussant du pied, elle murmura:
    — Va-t'en vers lui. Dis-lui que ces fleurs ont fleuri pour lui.
    Comme pour obéir aux paroles de l'impératrice, le vent se leva et la barque s'éloigna doucement du rivage, puis un peu plus vite, guidée sans doute par un de ces courants qui parcouraient les eaux du lac. Elle dépassa l'île des Roses et disparut au loin dans la direction de Berg.
    Cependant Louis, après s'être révolté un jour et une nuit, se montra plus calme au matin du 13 juin. Son médecin traitant, le professeur Gudden, résolut de l'apaiser complètement par douceur. En vérité le roi témoignait ce jour-là d'une extraordinaire égalité d'humeur. Il fit une partie de cartes avec le docteur, déjeuna de bon appétit, demanda des nouvelles de son frère Otto en fermé à Fustenried. Il daigna même s'intéresser aux ouvrages savants de Gudden.
    — Si je vous avais toujours connu, ou plutôt si vous m'aviez toujours soigné je ne serais pas ici, dit-il, j'espère que vous accepterez de prendre le thé avec moi. Flatté, le Herr Professor s'attarda et pénétré de l'influence lénifiante qu'il exerçait sur son malade il lui offrit de faire une promenade avec lui dans le parc, sans gardiens.
    Les deux hommes sortirent en devisant amicalement devant les infirmiers stupéfaits. Tout alla très bien jusqu'au bord du lac, mais là il vint soudain à Louis l'envie de marcher sur l'eau jusqu'à l'île des Roses. Il était sûr qu'Elisabeth s'y trouvait et qu'elle saurait le sauver de lui-même, et des docteurs. Il se maîtrisa cependant et dit d'une voix indifférente :
    — J'allais souvent sur le lac autrefois avec ma cousine l'impératrice.
    — Sa Majesté est justement à Munich, répliqua Gudden. 
    À ce moment un souffle de vent assez fort fit lever la tête au roi qui aimait la caresse des éléments sur son visage. Il poussa aussitôt un cri de surprise. Voici qu'il distinguait au milieu du coucher de soleil une barque fleurie de roses qui s'avançait vers lui et cette barque, il la reconnaissait : c'était celle de Sisi ; il vit scintiller les lettres d'or aux derniers rayons du soleil.
    — Elisabeth! cria-t-il, et il bondit dans l'eau. Le docteur Gudden s'y jeta à son tour pour rattraper son malade mais le dément devenu furieux se débattait. Soudain les belles mains royales se nouèrent à la gorge du professeur et serrèrent, serrèrent... Il y eut un peu de remous au milieu duquel disparurent les deux corps enlacés et gesticulants. Ils reparurent un peu plus loin, puis s'enfoncèrent à nouveau. La nuit tomba tandis que la brise s'étant soudain calmée, la barque fleurie s'arrêtait à la place où venaient de se noyer les deux hommes.
    Le lendemain, les journaux racontèrent cette double mort à leur manière: « Le roi et son médecin avaient voulu faire une promenade en barque. Un faux mouvement avait fait chavirer le frêle esquif. Le médecin avait tenté de sauver l'auguste malade mais le roi à demi noyé s'était cramponné machinalement à la gorge de son sauveur, l'entraînant dans la mort. »
    Cette version officielle fut publiée partout dans le monde et nul ne se demanda d'où venaient les roses qui fleurissaient la barque...
    Seule l'impératrice eût pu parler. Mais elle ne savait que gémir entre les bras de son fils Rodolphe :
    — Mon pauvre petit, mon pauvre petit, nous somme maudits, que va-t-il encore nous arriver

Romans historiques sur le roi Louis II de Bavière


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