Le texte qui suit est dû à la plume d'Arthur Savaète, alors directeur de la Revue du Monde catholique. Ce texte est extrait de son livre Le drame de Mayerling, deuxième tome de ses Soirées franco-russes, que nous avons reproduit dans notre recueil Rodolphe. Les textes de Mayerling (pp. 254 à 256).
Un couple amoureux et complice |
L'archiduchesse Stéphanie et le comte de Lonyay
Stéphanie estimait que la vie de la femme consiste dans son amour, et qu'une femme ne se prenait à vivre qu'en commençant à aimer. Elle avait vécu ainsi et elle en était morte. Il semble que la rencontre du comte Lonyay fit sur elle l'effet d'un chaud soleil. En effet, quoique rose presque fanée dont les épines s'étaient usées au contact d'un impitoyable malheur, l'amour sut s'emparer d'elle et la rendre encore à la vie.
Le comte de Lonyay, protestant hongrois,
se convertit au catholicisme, ce qui fit tomber les dernières des résistances
qui furent opiniâtres et nombreuses. Stéphanie renonça à tous les droits et
avantages que lui conféraient son rang et son titre, et dut se résigner à
n'être que ce qu'elle était de naissance : une Altesse royale, si
cependant Léopold II n'y trouve jamais d'inconvénient. L'apanage annuel d'un
million de francs qu'assurait l'empereur d'Autriche à sa belle-fille fut
abaissé à 250,000 francs, alors que le roi des Belges, exaspéré autant par
cette mésalliance que par l'inconduite de Louise de Cobourg, internée en Saxe,
déshéritait ses filles aînées en faisant donation à la Belgique de sept de ses
châteaux et de divers domaines. Léopold II alla, dit-on, jusqu'à inviter
François-Joseph à modérer les élans de sa générosité et à faire valoir les
raisons de l'intérêt auprès de Stéphanie, qui n'écoutait ni celles du cœur, ni
celles de la raison.
François-Joseph, se rendant compte de ce que la
malheureuse avait souffert, se montra plus généreux. Il ne lui tint point
rigueur. Quand Stéphanie quitta Vienne pour se rendre à Miramar, où elle devait
se préparer à son mariage prochain, l'empereur voulut aller la saluer à la
gare.
Il y resta pendant un quart d'heure, dans le salon
d'honneur des princes, en tête à tête avec celle qui fut pendant huit ans
l'épouse de Rodolphe. Il accompagna jusqu'au wagon la princesse et sa petite-fille.
Au moment du départ, Stéphanie s'inclina profondément devant le vieux souverain
en lui baisant la main ; l'empereur l'embrassa sur le front et resta sur le
quai jusqu'au départ du train.
L'un et l'autre paraissaient fort émus ; l'empereur
de remuer tout le triste passé de son fils, l'archiduchesse de quitter pour
toujours la cour de Vienne.
La jeune archiduchesse Elisabeth n'assista pas au
mariage de sa mère avec le comte Elemer Lonyay; elle ne quitta cependant sa
mère que la veille de la cérémonie.
Le comte Elemer Lonyay de Nagy-Lonyay et
Vasaros-Nanieny, le mari de Stéphanie, est un gentilhomme appartenant à une des
plus anciennes familles du royaume de Hongrie, jusqu'en 1896, il ne portait que
le titre de baron, mais, à cette date, il fut élevé à la dignité comtale et
appelé à la Chambre des magnats comme membre héréditaire. Né le 23 août 1863,
ce qui lui fait un an de plus à peine que l'archiduchesse, il entra, en 1885,
dans la carrière diplomatique et a le titre de secrétaire de légation.
Protestant, il a dû se convertir au catholicisme ; il y avait été longuement
préparé par un missionnaire en renom. Le comte Lonyay est un homme qui, par ses
manières affables, sa courtoisie bienveillante, son élégance de bon ton, s'est
fait partout des amis : à Bucarest, à Rome, à Dresde, à Londres, il ne compte
que des sympathies.
Vienne a perdu par ce mariage une de ses plus aimables princesses. On ne verra plus au Prater, les jours de Corso, la victoria aux roues dorées dans laquelle une jeune femme et une jeune fille étaient assises côte à côte, saluant gracieusement la foule empressée à se découvrir. Mais jusque-là la destinée avait été rude pour cette fille de roi qui, femme d'un prince appelé à régner sur un grand pays, pouvait espérer les plus hautes destinées.
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