dimanche 23 janvier 2022

L'archiduchesse Stéphanie et le comte de Lonyay au regard d'Arthur Savaète

Le texte qui suit est dû à la plume d'Arthur Savaète, alors directeur de la Revue du Monde catholique. Ce texte est extrait de son livre Le drame de Mayerling, deuxième tome de ses Soirées franco-russes, que nous avons reproduit dans notre recueil Rodolphe. Les textes de Mayerling (pp. 254 à 256). 

Un couple amoureux et complice

L'archiduchesse Stéphanie et le comte de Lonyay

Stéphanie estimait que la vie de la femme consiste dans son amour, et qu'une femme ne se prenait à vivre qu'en commençant à aimer. Elle avait vécu ainsi et elle en était morte. Il semble que la rencontre du comte Lonyay fit sur elle l'effet d'un chaud soleil. En effet, quoique rose presque fanée dont les épines s'étaient usées au contact d'un impitoyable malheur, l'amour sut s'emparer d'elle et la rendre encore à la vie.

Le comte de Lonyay, protestant hongrois, se convertit au catholicisme, ce qui fit tomber les dernières des résistances qui furent opiniâtres et nombreuses. Stéphanie renonça à tous les droits et avantages que lui conféraient son rang et son titre, et dut se résigner à n'être que ce qu'elle était de naissance : une Altesse royale, si cependant Léopold II n'y trouve jamais d'inconvénient. L'apanage annuel d'un million de francs qu'assurait l'empereur d'Autriche à sa belle-fille fut abaissé à 250,000 francs, alors que le roi des Belges, exaspéré autant par cette mésalliance que par l'inconduite de Louise de Cobourg, internée en Saxe, déshéritait ses filles aînées en faisant donation à la Belgique de sept de ses châteaux et de divers domaines. Léopold II alla, dit-on, jusqu'à inviter François-Joseph à modérer les élans de sa générosité et à faire valoir les raisons de l'intérêt auprès de Stéphanie, qui n'écoutait ni celles du cœur, ni celles de la raison.

François-Joseph, se rendant compte de ce que la malheureuse avait souffert, se montra plus généreux. Il ne lui tint point rigueur. Quand Stéphanie quitta Vienne pour se rendre à Miramar, où elle devait se préparer à son mariage prochain, l'empereur voulut aller la saluer à la gare.

Il y resta pendant un quart d'heure, dans le salon d'honneur des princes, en tête à tête avec celle qui fut pendant huit ans l'épouse de Rodolphe. Il accompagna jusqu'au wagon la princesse et sa petite-fille. Au moment du départ, Stéphanie s'inclina profondément devant le vieux souverain en lui baisant la main ; l'empereur l'embrassa sur le front et resta sur le quai jusqu'au départ du train.

L'un et l'autre paraissaient fort émus ; l'empereur de remuer tout le triste passé de son fils, l'archiduchesse de quitter pour toujours la cour de Vienne.

La jeune archiduchesse Elisabeth n'assista pas au mariage de sa mère avec le comte Elemer Lonyay; elle ne quitta cependant sa mère que la veille de la cérémonie.

Le comte Elemer Lonyay de Nagy-Lonyay et Vasaros-Nanieny, le mari de Stéphanie, est un gentilhomme appartenant à une des plus anciennes familles du royaume de Hongrie, jusqu'en 1896, il ne portait que le titre de baron, mais, à cette date, il fut élevé à la dignité comtale et appelé à la Chambre des magnats comme membre héréditaire. Né le 23 août 1863, ce qui lui fait un an de plus à peine que l'archiduchesse, il entra, en 1885, dans la carrière diplomatique et a le titre de secrétaire de légation. Protestant, il a dû se convertir au catholicisme ; il y avait été longuement préparé par un missionnaire en renom. Le comte Lonyay est un homme qui, par ses manières affables, sa courtoisie bienveillante, son élégance de bon ton, s'est fait partout des amis : à Bucarest, à Rome, à Dresde, à Londres, il ne compte que des sympathies.

Vienne a perdu par ce mariage une de ses plus aimables princesses. On ne verra plus au Prater, les jours de Corso, la victoria aux roues dorées dans laquelle une jeune femme et une jeune fille étaient assises côte à côte, saluant gracieusement la foule empressée à se découvrir. Mais jusque-là la destinée avait été rude pour cette fille de roi qui, femme d'un prince appelé à régner sur un grand pays, pouvait espérer les plus hautes destinées.

Rodolphe. Les textes de Mayerling

Les diverses versions du drame de Mayerling sont présentées dans le recueil  Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).

Texte de présentation (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
   Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, AmazonHugendubel, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8).

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