Pour apprécier pleinement la nouvelle production de la zarzuela Gran Via il convient d'avoir quelques notions historiques concernant cette artère majeure du centre de Madrid.
La Gran Via de Madrid, un peu d'histoire
Les premières esquisses connues de la Gran Via de Madrid datent de 1862. Il s'agit dès le départ de créer une grande artère dans le but d'assainir et de désengorger le centre de Madrid. Sa conception finale, due aux architectes José López Salaberry et Francisco Octavio Palacios, date de 1899. Sa construction ne commença qu'en 1910, sous le règne d'Alfonso XIII, et s’est achevée 19 ans plus tard. Pour réaliser ce projet hausmannien, il fallut détruire des rues entières de demeures souvent insalubres pour faciliter le trafic et aérer le centre de la ville. Cette artère attira rapidement les commerces de grands noms et les bâtiments que nous connaissons aujourd'hui : Metrópolis, Telefónica, Capitol, Palacio de la Prensa… Nombre de théâtres, de cinémas et lieux de divertissements ont fait de cette avenue l'une des plus animées de Madrid, dont le palais de la Musique, le Rialto ou le Lope de Vega, parmi d'autres. Plus récemment des cafés, des bars et des restaurants contribuèrent au succès de la movida.
La Gran Via n'a en tout que 1,3 kilomètre de longueur. Les travaux commencèrent aux abords de la Calle Alcalá. C'est en 1954 que le dernier immeuble a été construit, juste à côté de la Plaza de España, mais le gros oeuvre s'est terminé en 1932, sur la portion reliant Callao à la Plaza de España. Réalisée dans la zone la plus peuplée de Madrid, la Gran Via a également eu, à son époque, des vertus sanitaires : près de 100.000 habitants se trouvaient concentrés sur la zone, vivant dans des conditions d'hygiène les plus douteuses. L'ouverture de l'axe, aérant le centre ville, a permis de remédier à cette situation, tout en impulsant la construction des édifices les plus marquants de la capitale, ce qui fit de la Gran Via une prestigieuse vitrine de l'évolution de l'architecture madrilène de la première moitié du 20ème siècle. Il va sans dire que ce projet d'envergure n'alla pas sans contestations et que les débats, notamment politiques, entre ses partisans et ses détracteurs furent des plus vifs. Ils ne devaient pas laisser indifférents le monde du spectacle et c'est ainsi qu'il devint le sujet d'une zarzuela qui compte parmi les plus populaires de ce registre artistique
La zarzuela
La Gran Vía, revista cómica-lírica, fantástico-callejera en un acto (« revue madrilène comique-lyrique, fantastique-de-rue en un acte », tel est le titre original complet de l'œuvre) est une zarzuela en un acte et cinq scènes sur une musique des maestros Federico Chueca et Joaquín Valverde et un livret de Felipe Pérez y González. Elle fut créée au Teatro Felipe de Madrid le 2 juillet 1886, puis jouée longuement au Teatro Apolo. La renommée de la pièce est telle que certaines scènes durent être modifiées, car il s'agit d'une revue d'actualité qui doit être modernisée. C'est ainsi que de nouveaux tableaux sont apparus, comme « En la calle de Alcalá », ou « El bazar de juguetes ».
Il s'agit d'un exemple du genre chico porté sur le terrain de la revue d'actualité, dans laquelle les préoccupations sociales et politiques de l'époque sont exposées avec bonne humeur et sens satirique. Le livret, dû au grand auteur festif Felipe Pérez y González, dépeint avec habileté et satire les nouvelles du moment, montrant sur scène un grand défilé de types et de situations comiques de grand effet.
Pour la nouvelle production le directeur musical Néstor Bayona a adapté et réorchestré la partition. La musique témoigne de la facilité mélodique de Federico Chueca et Joaquín Valverde, créant des numéros qui touchent le public comme « La jota de los ratas », « El tango de la Menegilda » ou « La mazurca de los marineritos », avec des rythmes musicaux très souvent puisés aux sources espagnoles. La partition de la Gran Via est un bijou du style espagnol dont tous les motifs sont devenus populaires, ce qui ne les a pas empêchés de devenir classiques en même temps. Le public d'aficionados les a dans l'oreille et vient s'en régaler une nouvelle fois. Les membres de l'Orchestre National des Jeunes d'Espagne (Jonde) dirigés par Néstor Bayona se sont montrés excellentissimes et n'ont eu aucun mal à entraîner le public dans un feu d'artifice de rythmes entraînants.
De même que dans l'opérette, il est coutumier d'adapter le texte et les décors à l'actualité contemporaine. Lorsque la zarzuela Gran Via fut créée en 1886, l'artère nouvelle n'était qu'à l'état de projet mais était au coeur de toutes les discussions. Aujourd'hui, la mise en scène d' Enrique Viana s'est attachée à rendre compte des réalités et des problématiques madrilènes du 21ème siècle avec une ironie et un mordant mâtiné d'un caractère amusé et bon enfant. Si les prestigieux immeubles de l'avenue sont suggérés par une succession de panneaux latéraux les représentant en effet stylisé, Enrique Viana place également une partie de l'action sur le quai du métro de la station Gran Via, dans une scénographie due au talent de Carmen Castañón. Il introduit des personnages allégoriques comme la Gentrification, la Spéculation, l'Intelligence artificielle, la Contamination, l'Hébergement touristique ou le Fonds Vautour aux côtés des personnages du livret original, comme l'ensemble des Rues du coeur de Madrid. Les costumes de Gabriela Salaverri ne rendent pas vraiment compte du caractère populaire de la zarzuela, mais plutôt de la mode parisienne, à la manière des tenues très sages mais sophistiquées de Coco Chanel. Le Fonds Vautour ressemble à Karl Lagerfeld, ce qui n'est pas très aimable pour feu le grand couturier et styliste allemand. Cristina Arias a réalisé des chorégraphies simples, des progressions de groupe assistées par le plateau tournant.
Détail amusant, nous avons croisé les jeunes participants déjà grimés du Proyecto Zarza (voir notre article d'introduction) qui prenaient des rafraîchissements dans un bar faisant face à l'entrée des artistes. Sur scène ils ont fait preuve d'un professionnalisme du plus haut niveau. On a remarqué le Cabellero de Gracia d'Iago García, le fameux Tango de la Menegilda d'Iria Goti, un air périlleux parce que le public connaît son interprétation par les plus grandes voix et que la chanteuse de 27 ans, boursière de la Fondation Ópera actual, aborde de sa voix aux clartés limpides et avec un phrasé impeccable, Lucía Beltrán semblait quant à elle se jouer des difficultés vocales du Vals de la Seguridad.
Laissons la conclusion au philosophe Nietzsche, qui assista à une représentation de la Gran Via à Milan à la suite de laquelle il confia à un ami l'énorme impression que lui a faite la Gran Vía, et en particulier le numéro des trois rats (« Soy el rata primero. Y yo el segundo. Y yo el tercero./ Je suis le premier rat. Et moi le deuxième. Et moi le troisième. »), dont il note : « Un tercet de trois canailles géantes et solennelles, c'est ce que j'ai entendu et vu de plus fort, même comme musique : du génie, impossible à classer ! ».
Ce fut bien l'avis du public madrilène ravi qui salua chaque numéro d'une salve d'applaudissements.
Projet-Zarza (« zarzuela par les jeunes et pour les jeunes »).
Direction musicale, Néstor Bayona; mise en scène, Enrique Viana ; scénographie, Carmen Castañón; costumes, Gabriela Salaverri; lumières, Alfonso Malanda; chorégraphie, Cristina Arias; visuels, Alba Trapero.
Orchestre de chambre (membres de JONDE).
Avec Rosa Maria Abella, Lucia Beltran, Arantxa Cooper, Albert Diaz, Marina Fita, Yasmin Forastiero, Iago Garcia Rojas, Rosa Gomariz, Iria Goti, Luis Maesso, Alicia Moreno Royo, Alex Parra, Nacho Quiñonero, Adrian Quinones, Andrea Rey, Miguel Angel Roldan, Miriam Silva, Marcelo Solis, Rodrigo Turegano et Nacho Zorrilla.
Direction musicale, Néstor Bayona; mise en scène, Enrique Viana ; scénographie, Carmen Castañón; costumes, Gabriela Salaverri; lumières, Alfonso Malanda; chorégraphie, Cristina Arias; visuels, Alba Trapero.
Orchestre de chambre (membres de JONDE).
Avec Rosa Maria Abella, Lucia Beltran, Arantxa Cooper, Albert Diaz, Marina Fita, Yasmin Forastiero, Iago Garcia Rojas, Rosa Gomariz, Iria Goti, Luis Maesso, Alicia Moreno Royo, Alex Parra, Nacho Quiñonero, Adrian Quinones, Andrea Rey, Miguel Angel Roldan, Miriam Silva, Marcelo Solis, Rodrigo Turegano et Nacho Zorrilla.
Photos © del Real fotografía / Teatro de la Zarzuela
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