Quinta Vigia 1890 |
Intérieur — Photographie de Joaquim Augusto de Sousa (1853-1904) |
[...] De nouveaux nuages s'amoncellent sur la maison de Hasbourg. C'est la guerre d'Italie qui éclate, suivie des défaites de Magenta et de Solférino. François-Joseph perd la Lombardie, la plus riche de ses provinces. Il est accablé par la catastrophe; il devient sombre, ombrageux et méfiant. Il se voit déçu et trompé par son entourage. Une opposition très vive se forme contre l'incapacité des dirigeants : diplomates, généraux, intendants et de la bureaucratie. Au lieu de s'ouvrir à sa femme, qui eût été son plus sûr refuge, François-Joseph rentre en lui-même ; il ne veut pas avouer les erreurs commises, et à part quelques personnalités, rien n'est changé dans l'empire. Rien ne sera changé non plus dans l'existence de l'impératrice. Entre les époux, le désaccord s'envenime et Elisabeth s'y épuise rapidement. Elle retombe dans une nouvelle crise de dépression. On craint un début de tuberculose ; d'autres pensent à une affection gynécologique. Mais le moral de la souveraine est encore plus touché que le physique. Cette fois, le désenchantement est complet. L'empereur a perdu tout prestige aux yeux de sa femme. Il lui apparaît médiocre, inerte, irrésolu, incapable de de secouer la tyrannie maternelle, amoindri et comme empêtré dans son rôle de souverain. Il a perdu désormais, et d'une façon définitive, l'amour de sa femme et celle-ci se sépare de lui.
Sur le vaisseau qui l'emmène à Madère, Elisabeth se reprend. Elle est arrachée à son milieu déprimant, où on l'avait réduite au silence, à l'isolement, la traitant en enfant, ne voulant pas la prendre au sérieux. Son mari, par ordre de sa mère, devait toujours rester « l'empereur », même à l'égard de sa femme. Il la tenait donc constamment à une distance courtoise, sans un seul épanchement de confiance et d'intimité. On devine ce qu'une femme vibrante et sensible comme Elisabeth a pu souffrir de l'attitude de son mari et de son entourage.
Sous l'influence du climat merveilleux de Madère, elle ressuscite comme par enchantement. Elle fait de longues promenades en voiture, ou s'isole, dans un bosquet de mimosas, attenant à sa villa, avec ses auteurs préférés : Dante, Shakespeare, J.-J. Rousseau, Byron, Shelley, Keats, Schopenhauer, George Sand, Lamartine, Leopardi, Henri Heine, qu'elle lit dans le texte; car elle parle couramment cinq langues. Elle se complaît dans la lecture de ces écrivains qui ont fortement exprimé l'incurable misère de la destinée humaine, l'attrait décevant du monde invisible, la tragique énigme de la souffrance et de la mort, le néant des grandeurs sociales, la beauté des libres énergies, les droits imprescriptibles et sacrés de la conscience individuelle, enfin, l'obligation qui prime toutes les autres, celle de la sincérité à l'égard de soi-même.
Elle engage une correspondance active avec son cousin, Louis de Bavière, et reçoit, pendant son séjour la visite de sa sœur Hélène, princesse de Tour et Taxis, qui F apaise et la réconforte. La vie réserve bien des mécomptes, et les choses ne sont jamais ce qu'on les avait rêvées, lui dit sagement Hélène. Elle écoute avec calme les conseils de sa sœur.
Au bout de six mois, la cure de soleil, de repos et de liberté a fait son œuvre. Elle est rétablie et rentre à Vienne, qui lui fait une réception chaleureuse. [...]
Cet élégant portrait, réalisé par le peintre Franz Schrotzberg, a été offert par l’impératrice en 1861 à Richard Davies, le propriétaire de la Quinta Vigia, en remerciement de son accueil. |
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