lundi 24 octobre 2022

Adam Cooper met en scène The Rake's Progress de Stravinsky au Théâtre de la Gärtnerplatz de Munich

Oeuvre de la maturité, The Rake’s Progress d'Igor Stravinsky fut composé entre 1948 et 1951. Une série de huit gravures sur cuivre de William Hogarth (1697-1764) qui retracent les aventures du libertin Tom Rakewell ont inspiré la partititon de Stravinsky et le livret écrit par W. H. Auden et Chester Kallman. Stravinsky a conçu un collage musical dans la veine néoclassique des années 50, où l'on reconnaît ci et là des citations d'oeuvres du 18ème siècle, notamment mozartiennes, avec des arias, comme "Vary the tune" de Tom Rakewell  ou "Quietly night" d'Ann Trulove, reliés par des récitatifs accompagnés au clavecin, la partititon donnant cependant pas mal d'importance à la mélodie. 


L'opéra fut créé fut créé à la Fenice de Venise le 11 septembre 1951, dans le cadre de la biénnale, où il reçut un accueil froid et sceptique. L'oeuvre connut ses moments de gloire pour avoir été produite à Stockholm en 1961 par Ingmar Bergman et surtout pour la création des décors et des costumes par David Hockney dans la production du festival de Glyndebourne en 1975, que reprit plus récemment Portland en 2015. À Munich, le Theater-am-Gärtnerplatz la produisit une première fois en 1953. Cette saison, la nouvelle production a été confiée au metteur en scène et chorégraphe Adam Cooper, qui avait déjà collaboré à plusieurs productions munichoises, où il remporta un franc succès pour son excellente mise en scène de la comédie musicale Candide de Leonard Bernstein.

Le bonheur à la campagne. Gyula Rab (Tom Rakewell), 
Mária Celeng (Ann Trulove) © Jean-Marc Turmes

Adam Cooper déplace l'action dans le West End londonien des années 1980, qu'il connut au temps de son adolescence où il côtoyait au quotidien des hordes de punks et de mods. La mise en scène semble suivre le regard d'Anne Trulove qui débarque à Londres de sa campagne, où elle était tombée éperdument amoureuse de Rakewell, et se sent déplacée et mal à l'aise au milieu de ces groupes londoniens dont les styles de vie s'affrontent. Tom Rakewell, qui n'aime pas le travail, veut devenir rapidement célèbre, une star de la pop. Pour le personnage du diable, déguisé en manager sous le nom de Nick Shadow, Adam Cooper s'est inspiré surtout de Phil Spector, —  un producteur de musique à succès qui a travaillé entre autres avec les Ronettes, les Crystals, les Righteous Brothers ou les Speakers, qui fut aussi un personnage douteux, emprisonné pour meurtre et mort en prison, — et pour quelques traits de Robert de Niro dans le film "Angel Heart", avec sa canne à pommeau d'argent et ses deux comparses, deux anges déchus qu'on retrouve ici  sous la forme de deux danseuses diaboliques aussi aguichantes qu'inquiétantes. Adam Cooper fait se produire Tom Rakewell et sa femme à barbe Baba la Turque au Marquee Club à Soho, un club qui fut l'un des principaux lieux de représentation de la pop, du rock et du heavy metal du début des années 1950 à la fin des années 1980. Pour le final, Adam Cooper modifie le scénario : Tom devenu fou est enfermé à l'asile dont le médecin chef n'est autre que le diable, Nick Shadow en tablier blanc.  Le diable n'a pas disparu comme le voulait le livret d'origine, mais emporte finalement l'âme de Tom, après que ce dernier ait reçu un dernier réconfort de sa première fiancée, Anne Trulove, qui lui chante une berceuse. Tom terminera son parcours comme il a vécu sa vie, en balayeur de l'enfer, comme l'indique aussi à une lettre près son nom " Rake hell ", celui qui ratisse l'enfer.

Un succès éphémère dans le West End
Gyula Rab (Tom Rakewell) © Jean-Marc Turmes

La mise en scène ne tient pas les promesses de son projet et manque d'authenticité et de dynamisme, surtout pendant les deux premiers actes qui se tirent en longueur. Les chorégraphies sont peu abouties et décevantes tout comme les déplacements du choeur, Adam Cooper n'est pas parvenu à restituer l'ambiance interlope du Londres des années 80. Tout cela manque d'énergie, d'entrain, de vigueur, de punch et de tonus, en un mot la production manque de peps Cependant le troisième acte joué en deuxième partie, sauve quelque peu la mise sans pour autant la donner gagnante. Le scénographe Walter Wogelweider réussit quant à lui à merveille les nombreux changements de décors et permet aux scènes de se succéder sans interruption. L'équipe des costumiers (costumes d'Alfred Mayerhofer) et des maquilleurs réalise des prodiges pour la rapidité de la transformation de Tom, qui est telle qu'il est quasi méconnaissable au passage des deux premières scènes du premier acte : le campagnard s'est métamorphosé en  rockstar au costume rutilant.

Côté musique, le chef Rubén Dubrovsky n'est pas parvenu non plus à donner de l'élan à la partition de Stravinsky et à faire mentir cette réputation de musique ennuyeuse qui la suit depuis la première vénitienne. On a trop l'impression d'être entre la chèvre d'une composition néoclassique trop peu soulignée et le chou d'une comédie musicale non aboutie. 

L'internement psychiatrique
Gyula Rab (Tom Rakewell), figurants © Jean-Marc Turmes

Ce sont les chanteurs de la  troupe qui remporteront finalement le suffrage d'un public clairsemé.  Mária Celeng se montre excellente tout au long de l'opéra dans son interprétation d'Anne Trulove avec la clarté lumineuse et la fraîcheur de son beau soprano, son solo de la  scène finale du premier acte est remarquable. Gyula Rab se montre inconstant dans le rôle principal de Tom Rakewell :  inconsistant  dans le solo du début du deuxième acte,  manquant de substance et en retrait, il se rattrape ensuite en donnant meilleure mesure de son talent et particulièrment tout au long de la seconde partie. Matija Meić donne son Nick Shadow tout en puissance et avec un aplomb de bon aloi.  La mezzo-soprano grecque Anna Agathonos joue avec brio l'ego démesuré de la femme barbue. Les seconds rôles sont fort bien distribués, la Mère Goose d'Ann-Katrin Naidu, le Sellem de Juan Carlos Falcón et le père Trulove d'Holger Ohlmann.

Le spectacle se termine par un bref épilogue qui interpelle le public et l'incite à se mettre à l'ouvrage " For idle hands / And hearts and minds / The devil finds / A work to do. A work, dear Sir, fair Madam / For you and you " « À mains, têtes et cœurs oisifs, le diable a tôt fait de trouver de l’ouvrage. De l’ouvrage, cher Monsieur, belle dame, pour vous, et pour vous »

Prochaines représentations les 11, 15 et 17 février 2023.

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