mardi 31 janvier 2023

Dido and Aeneas de Purcell et Erwartung de Schönberg à l'Opéra de Munich

Dido and Aeneas 

Krzysztof Warlikowski et son équipe reviennent à Munich pour une nouvelle production*, pour laquelle il a assemblé deux œuvres en les associant en une soirée intense sans entracte et en un récit : l'opéra baroque Dido and Aeneas de Henry Purcell (composé vers 1688/89) et le monodrame Erwartung op. 17 (L'attente), une œuvre importante du modernisme musical (1909). Les deux pièces sont reliées musicalement par un interlude électronique composé pour ce spectacle par Paweł Mykietyn. Comme souvent, le metteur en scène polonais recourt abondamment aux moyens cinématographiques avec un fond de scène rendu par vidéo et un écran accroché aux cintres souvent utilisé pour des gros plans ou pour rendre une perspective supplémentaire.

Le livret de Dido and Aeneas d'Henry Purcell dû à la plume de Nahum Tate reprend des motifs du quatrième chant de l'Enéide de Virgile. Dido and Aeneas est la première œuvre scénique complète de Henry Purcell, alors âgé de 30 ans — et la seule à porter le titre générique "An Opera". A l'époque, l'Angleterre ne disposait pas d'une tradition d'opéra indépendante. Purcell a fusionné des influences des traditions scéniques italienne, française et anglaise, des éléments de danse et d'opéra, pour créer une forme tout à fait originale : un récit condensé en une heure seulement. Le drame domine dans sa musique, les affects et les émotions des personnages et des situations de l'intrigue succincte sont au premier plan par rapport à la pure virtuosité du chant. L'oeuvre fut représentée en 1689 à Chelsea sous la direction du maître de ballet Josias Priest, célèbre à l'époque.

À l'été 1909, environ 200 ans plus tard, Arnold Schönberg fut présenté à Marie Pappenheim, une future docteure en médecine viennoise, qui prit le pseudonyme de Maria Heim pour signer son oeuvre poétique. L'idée d'une pièce de théâtre musical est très probablement née d'une conversation commune. Pappenheim rédigea le texte d'Erwartung en quelques jours.  C'est avec Erwartung que Schönberg rompit avec la tradition historique de la musique : il s'affranchit des régulations de la musique tonale, se libère des structures traditionnelles en matière de motifs thématiques, de mélodie, d'harmonie et de forme. Le genre du monodrame, une pièce de théâtre (musical) porté par une seule interprète, est également une nouveauté.  Schönberg retraçait les états d'âme d'une femme dans une tonalité totalement libre. Erwartung ne fut représenté pour la première fois que 15 ans après l'achèvement de la composition, les nombreuses tentatives que fit Schönberg pour la faire jouer ayant échoué. Alexander von Zemlinsky l'a finalement inscrite au programme de la fête musicale de la Société internationale de musique nouvelle à Prague le 6 juin 1924.

Les deux œuvres sont relativement peu mises en scène, et cela tient sans doute à leur durée reltivement courte, environ une heure pour la première et une demi-heure pour la seconde. L'idée de les associer pour les présenter en une soirée n'est cependant pas neuve. Elles avaient été réunies en 2007 dans une mise en scène de Christian Tombeil au théâtre de Krefeld Mönchengladbach. Ce metteur en scène avait déjà créé une passerelle entre les deux récits : à la fin de l'opéra de Purcell, Didon est rejointe par une deuxième femme, l'ombre de la reine de Carthage, habillée de la même manière qu'elle, mais adoptant un comportement différent : elle ne tient pas Énée à distance comme Didon, mais se jette à son cou. Cette Didon-ombre de la première partie est la femme sans nom (die Frau) de l'Erwartung de Schönberg, qui suit après l'entracte. 

Virgile nous apprend que la reine Didon est une étrangère qui vient de Phénicie, le Liban actuel. Dans la mise en scène de Warlikowski, l'action se passe à la lisière d'une forêt : une femme nommée Didon habite une maison qui ne lui appartient pas, c'est une réfugiée, dont on ne sait rien, si ce n'est qu'elle vient de loin. Le passé et le présent, la réalité et l'imagination se mêlent tellement chez elle qu'on ne sait pas si les personnages mystérieux et les mauvais esprits qui apparaissent par moments habitent la forêt ou sont des émanations de sa psyché. Derrière le tronc dénudé des arbres de la forêt on voit se profiler des êtres encagoulés et dont les yeux sont lumineux. Didon aime Énée, qui est tout comme elle un étranger dont le navire (ici une voiture, type Humber super snipe des années 60 ?) a jeté l'ancre près de Carthage. Belinda, la compagne de Didon, joue également un rôle dans cette histoire qui devient une histoire d'amour triangulaire. La soirée s'articule autour des thèmes de la jalousie et de la solitude, et raconte l'histoire d'une femme à la recherche d'elle-même. 

Dido et Belinda

Pour cette première partie, le choeur est placé dans la fosse d'orchestre aux côtés des instrumentistes de l'orchestre de chambre. Pour les décors, Małgorzata Szczęśniak, qui a aussi conçu les extravagants costumes de la décadence post-hippie des années 1970, a placé un bungalow modulaire sur pilotis, constitué de deux pièces, à l'orée ou dans la clairière d'une forêt hivernale faite de troncs dénudés. Les deux pièces en enfilade, un salon et une salle à manger cuisine, sont très simplement meublées. Au-dessus du bungalow se trouve un écran qui diffuse la vidéo en temps réel de ce qui se passe dans les deux pièces, ce qui permet aux spectateurs de bénéficier d'une double perspective sur l'action. Une grosse voiture de fabrication anglaise, — le volant est à droite — est arrivée sur scène. Symbole du voyage, elle est le vaisseau d'Aeneas que l'on voit s'affairer à la réparer.

Les couloirs du temps de l'intermède

Suit l'intermède musical contemporain, qui sonne comme de la musique rave. Les danseurs du Ballet de Bavière **  exécutent des mouvements complexes et parfois acrobatiques de break dance sur la musique minimaliste de Paweł Mykietyn. Une vidéo happe le regard des spectateurs, elle les fait circuler rapidement dans un long tunnel temporel dont les parois sont recouvertes de graffitis colorés, ce qui leur donne l'impression d'être entraînés dans les couloirs du temps. À la fin du tunnel,  Erwartung, le second volet du spectacle peut commencer. Le voyage temporel de la soirée nous fait circuler entre trois points d'ancrage de l'histoire de la musique, ceux de l'opéra baroque de Purcell, de l'opéra atonal de Schönberg, et l'époque actuelle, celle de la musique électronique de Paweł Mykietyn. Captivés tant par la danse que par la vidéo, les spectateurs ne se sont pas rendu compte que le choeur quittait la fosse et que le grand orchestre est venu s'y installer.

Erwartung, le rêve éveillé de la femme

"Dans Erwartung, l'intention est de représenter ce qui se déroule en une seconde d'excitation psychique maximale, pour ainsi dire au ralenti, étendu à une demi-heure". C'est ainsi que Schönberg présentait son opéra. Et ce qu'il en dit justifie pleinement la mise en scène psychologisante et onirique de Krzysztof Warlikowski. Dans un premier temps on voit la femme tuer son amant et sa deuxième maîtresse, mais on se rendra compte par la suite qu'il ne s'agit peut-être que d'un rêve car en fin de monodrame on verra la femme sans nom s'habiller en tenue de soirée pour un dîner romantique aux chandelles en compagnie d'un homme en habit. Toute l'action n'est que le déroulé de ce qui se passe en un instant dans le cerveau de la femme. Mille idées s'y bousculent, il ne faut sans doute pas chercher à comprendre mais à se laisser prendre de manière empathique par ce qui est donné à voir sans s'ingénier à y trouver une logique, par ailleurs inexistante dans le monde des associations libres d'idées. Les deux modules du bungalow sont séparés en cette deuxième partie du spectacle, dans le premier se déroule la scène du meurtre, dans le second celle du dîner. En arrière-plan, un grand cervidé, un mâle solitaire, va et vient dans la forêt hivernale projetée en vidéo. Sur la toile tendue au-dessus du bungalow, une seconde vidéo présente en gros plan le haut du visage de l'interprète, ses yeux aux paupières fermées, plus rarement ouvertes. Elle nous indique que la scène donne à voir  la représentation d'un film intérieur, celui du rêve de la femme.

Le chef Andrew Manze fait des débuts remarqués à l'Opéra national de Bavière. Il a fait le choix de faire interpréter ces différentes musiques en n'utilisant que des instruments modernes. Il parvient à rendre  admirablement les lignes expressives qui fleurissent dans la musique de Schönberg dont la volatilité et la densité de l'atmosphère expriment sur le plan dramaturgique l'errance obsessionnelle et sans but de la femme. La soprano lituanienne Aušrinė Stundytė, qui interprète tant Dido que la femme, remporte tous les suffrages. Spécialiste des rôles extrêmes, — on se rappelle sa superbe interprétation de Jeanne dans Les diables de Loudun, — elle donne une Dido intense et vibrante et excelle encore davantage dans Erwartung, avec une présence scénique paroxystique pour exprimer les tensions déchirantes, les nerfs à vif de la femme trahie et délaissée. Günter Papendell, affublé de longs cheveux et de pantalons à pattes, fournit une belle prestation pour un rôle qui nous a semblé bien moins défini que celui de Dido.  Il est entouré de sorcières aux vêtements extravagants qui ont juré la perte des amoureux. L'impressionnante sorcière claudiquante de l'excellent contre-ténor Key'mon Murrah, lunettes noires et manteau rouge, est très appréciée. Victoria Randem magnétise avec sa Belinda expressive et sensuelle.

Une première saluée par les applaudissements nourris d'un public unanime.

* Il y a mis en scène Die Frau ohne Schatten, Die Gezeichneten, Eugen Onegin, Salome et récemment Tristan und Isolde.
** Aaron Amoatey, Ahta Yaw Ea, Amie Georgsson, Moe Gotoda, João da Graca Santiago, Serhat Perhat et The Thien Nguyen.

Distribution

Direction Andrew Manze
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Choeur Stellario Fagone
Dramaturgie Christian Longchamp et Katharina Ortmann

Dido and Aeneas

Dido Ausrine Stundyte
Aeneas Günter Papendell
Belinda Victoria Randem
Venus Rinat Shaham
Sorceress Key'mon W. Murrah
First Witch Elmira Karakhanova

Erwartung

Eine Frau Ausrine Stundyte

Bayerisches Staatsorchester
Extra choeur du Bayerische Staatsoper

Crédit photographique © Bernd Uhlig

dimanche 29 janvier 2023

Le mariage de l'empereur d'Autriche, un article de L'Illustration avec les portraits du couple impérial

 


Mariage de l'empereur d'Autriche.

Nous empruntons à un journal allemand, en la résumant, la notice suivante, dont la partie historique est exacte, dont la partie sentimentale peut l'être ; mais nous ne saurions garantir celle-ci autrement qu'il ne convient à des traducteurs fidèles :

« C'est le 24 avril dernier que l'Eglise a béni l'union de deux cœurs princiers qui se sont rencontrés presque par hasard dans le chemin de la vie, et qui se sont aimés sans calcul, sans intervention de la froide raison d'Etat ni d'aucune des graves formules d'une majestueuse étiquette; et tous ceux qui sont encore assez hommes pour éprouver du plaisir à voir un mariage d'amour feront des vœux pour une alliance qui promet un si heureux avenir. Désormais la voie jusqu'ici, hélas ! trop semée d'épines du jeune monarque autrichien ne manquera pas de roses. François-Joseph n'est plus seul sur le faite étourdissant où l'a fait monter si tôt l'inflexible volonté du destin ; un génie paré de toutes les grâces de la parfaite beauté, un génie aimant se trouve à ses côtés, et va dissiper les nuages soucieux qui assombrissent parfois son front.
« Il n'est pas bon que l'homme soit seul, » a dit le Créateur aux premiers jours du monde. Cette parole divine est aussi vraie de nos jours qu'elle l'était dans le paradis terrestre ; elle est vraie surtout dans la position élevée du chevaleresque souverain. Ceux auxquels est échu un sort plus modeste, et qui croient à un soleil éternel et à un bonheur sans nuages sur les hauteurs du pouvoir, enviées quand elles ne sont pas connues, et pourtant recherchées encore par ceux qui en ont été précipités ; ceux-là savent-ils que l'isolement là-haut est doublement douloureux?
« Ce mariage est le vingt-quatrième, depuis 580 ans, qui unit entre eux les descendants des Habsbourg et ceux des Wittelsbach. »

in L'Illustration du 29 avril 1854

Spaziergang durch Freising / Freisinger Dom — 18 Bilder von Marco Pohle



















© Marco Pohle

 

Rodolphe. Les textes de Mayerling.

† Mayerling, 29 janvier 1889

Depuis plus de 130 ans, le drame de Mayerling a fasciné et fertilisé les imaginations, enflammé les esprits et fait couler beaucoup d’encre. C’est un peu de cette encre que nous avons recueillie ici en retranscrivant une série de textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d’une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d’une vérité historique définitive, continue de planer le doute.

En constituant ce recueil, nous avons cherché à rendre compte de la diversité des approches et des modes d’écriture d’une série d’auteurs dont les textes, publiés dans la première moitié du 20ème siècle, sont devenus pour la plupart introuvables. Ces récits relèvent de plusieurs genres littéraires : mémoires ou souvenirs de personnalités qui furent des témoins indirects contemporains du drame, dialogue politique, roman historique, roman d’espionnage, articles de presse. Ils ont contribué à la constitution de la légende de Mayerling et témoignent de la pérennité et de la force d’un mythe qui a pris forme dès l’annonce de la mort des deux amants.

Ce sont, pour certains, des récits de légende qui ont pris forme parce que les faits ont été volontairement maquillés dans les balbutiements effarés des premiers communiqués de la Hofburg à la presse. Le drame de Mayerling a été reconstruit plutôt que reconstitué, le palais s’étant essayé à plusieurs maquillages au mieux —croyait-il — des intérêts de l’empire. Même si les auteurs des récits de Mayerling ont le plus souvent tenté de proclamer leur vérité et de prouver l’authenticité de leurs propos, ils ont en raison même de la diversité de leurs approches contribué à créer la légende de Mayerling.

Ce recueil n’a d’autre ambition que de rendre compte de la mosaïque des points de vue et des témoignages. Il est le résultat d’un travail de recherche de textes moins connus ou tombés dans les oubliettes de la mémoire.   

Nous avons d’abord retranscrit les articles contemporains du drame publiés par le Figaro, un des plus grands quotidiens français de l’époque, qui rendent bien compte de la manière dont les versions successives des communications officielles de la Hofburg, constamment amendées ou modifiées, ont plongé le public dans la plus grande des confusions et ont contribué à alimenter les rumeurs les plus diverses.

Cette diversité s’est perpétuée au travers des âges et des récits que nous présentons ; leurs auteurs se disent pour la plupart bien informés, témoins nécessairement indirects d’un drame : l’empereur s’est en effet assuré du silence de toutes les personnes présentes à Mayerling à la fin du mois de janvier 1899, auxquelles il a fait prêter les serments les plus solennels, quand il ne les a pas éloignés en achetant de surcroît leur silence. Mais qu’à cela ne tienne : des princesses appartenant au premier cercle affirment connaître la vérité, des journalistes ont retrouvé des documents ou ont pu contacter des personnalités qui prétendent pouvoir prouver leurs assertions ; tous les auteurs proclament la sûreté de leurs sources, tous éléments qui n’ont fait que multiplier les variables du drame.

Les modalités de l’endroit et du moment de la première rencontre entre le prince héritier et Mary Vetsera différent d’un texte à l’autre. Les motivations amoureuses des deux amants varient d’une plume à l’autre : le prince héritier est-il ce débauché cynique et pervers, un morphinomane alcoolique atteint de maladies sexuelles inguérissables qui a contaminé sa femme au point de la rendre stérile et qui abuse d’une jeune fille follement enamourée, ou est-il, comme le suggère Claude Anet dans son roman célèbre, ce débauché repenti qui touché par la grâce tombe éperdument amoureux d’une jeune fille exaltée prête à tous les sacrifices pour l’homme auquel elle s’est liée d’un attachement indéfectible ; a-t-il été touché par la grâce d’une demeure chaste et pure ? Mary Vetsera est-elle cette âme romantique enamourée ou tout au contraire une petite arriviste qui, se rendant compte que le prince héritier va renoncer à son amour au motif de la raison d’état, est prise d’une folie meurtrière, achète un rasoir chez le meilleur coutelier de la ville pour se transformer en furie castratrice ? La baronne Hélène Vetsera est-elle cette femme intéressée, complice des amours de sa fille qu’elle pousse dans les bras du prince héritier dans l’espoir de pallier son impécuniosité, ou ignore-t-elle tout des rencontres de sa fille avec l’héritier du trône et du scandale qu’elles occasionnent ? Et que faut-il croire des récits très construits de la comtesse Larisch qui tente à l’évidence de minimiser son rôle dans l’affaire qui a précipité sa disgrâce ?

Les amants se sont-ils suicidés, le poison a-t-il été utilisé, ou s’agit-il d’un meurtre déguisé en suicide ? La thèse de l’assassinat se trouve défendue par plusieurs auteurs, mais de quel assassinat s’agit-il ? D’aucuns croient savoir que Rodolphe de Habsbourg a été la victime d’un mari ou d’un prétendant jaloux : un inspecteur des forêts a abattu le prince impérial qui avait séduit sa femme, un cousin de Mary Vetsera qui devait l’épouser bientôt a eu vent des amours du prince et de sa promise et s’est rendu à Mayerling pour les surprendre et assassiner le prince. Le prince héritier Rodolphe aurait-il eu le crâne fracassé au moyen d’une bouteille de champagne suite à une soirée trop arrosée qui s’est fort mal terminée, version qui côtoie la thèse un moment défendue par la Hofburg d’un malheureux accident de chasse.

La mort du prince héritier résulte-t-elle d’un assassinat politique ? Le credo libéral et démocrate du prince héritier, son antipathie profonde pour les visées hégémoniques de l’Allemagne, sa francophilie enfin ont-ils été la cause d’une attaque des services secrets allemands ? Bismarck a-t-il comploté contre le prince, corrompant ses proches au moyen des fonds reptiles pour qu’ils favorisent sa vie de débauche, ou pire, a-t-il ordonné son exécution et le maquillage du meurtre ? Thèse plus folle encore : est-ce l’empereur lui-même qui a ordonné l’assassinat de son fils et de sa compagne ?

À tout cela viennent s’ajouter les supputations relevant de l’observation du corps du prince dans la chapelle ardente : le bandage qui entoure son crâne, la reconstitution d’une partie de la tête en cire, le fait même que, contrairement à l’usage, les mains du défunt aient été gantées, la distance imposée entre le catafalque et le public, les plantes interposées comme pour empêcher une observation trop rapprochée, sont autant d’éléments qui sont venus alimenter les affabulations sur les circonstances de la mort.

Les hypothèses s’affrontent et nous entraînent jusqu’en absurdie. Les rumeurs populaires, la ferveur, l’engouement les alimentent, au point que le mythe et la légende l’emportent souvent sur l’analyse critique des faits et des sources et rendent très ardu le travail des historiens, qui ont bien du mal à avancer le résultat de leurs recherches, et encore davantage à les faire accepter. 


Pour découvrir les différentes versions du drame de Mayerling, je vous invite à lire le recueil de textes présentés dans mon recueil :

Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).


  Quatrième de couverture

Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)

In Deutschland : Amazon.de, Hugendubel (Portofrei), usw. 

vendredi 27 janvier 2023

1854 - Sissi en robe de mariée dans l'Illustrirte Zeitung

in Illustrirte Zeitung, Leipzig, 22. 04. 1854

 



 

La Grande-duchesse de Gérolstein d'Offenbach au Theater-am-Gärtnerplatz de Munich

Juan Carlos Falcón (Großherzogin) © Jean-Marc Turmes

Josef E. Köpplinger, le directeur général du Theater-am-Gärtnerplatz de Munich, s'est spécialisé dans la mise en scènes d'opérettes, un domaine qui le passionne.  Il présente cette saison Die Großherzogin von Gerolstein d'Offenbach en version allemande (sans surtitrage), un spectacle qu'il a monté en coproduction avec le Semperoper de Dresde, où l'opérette fut jouée en 2020.

L'opérette est ainsi faite qu'elle se prête bien à une actualisation des dialogues en fonction de la situation géo- et sociopolitique du moment. C'est une des lois du genre qui veut que les metteurs en scène introduisent des situations et des réparties qui illustrent de manière parodique et amusante les polémiques qui agitent le bel aujourd'hui. Et force est de constater que ce qui était vrai en 1867, lorsque Offenbach monta la Grande-duchesse de Gérolstein au Théâtre parisien des Variétés, l'est tout autant en l'an de disgrâce 2023. Le Tout-Paris du second empire, celui de Napoléon III et de l'impératrice, se pressait aux portillons de l'Exposition universelle et le soir se rendait au spectacle. L'empereur  invita les grands du monde d'alors et toutes les têtes couronnées affluèrent à Paris. Nombreux furent ceux qui succombèrent aux charmes capiteux d'Hortense Schneider qui créa le rôle de la Grande-duchesse. Et la presse de l'époque s'amusa de voir certains souverains assister plusieurs soirs de suite à la représentation aguichés par les charmes de la talentueuse interprète. Paris fut de nombreux mois en fête. Mais cette fête ne rendait pas compte des tensions internationales. L'empire autrichien venait l'année précédente de subir l'humiliante défaite de Sadowa dans la guerre qui l'opposait à la Prusse, qui cherchait déjà alors à étendre son pouvoir à l'ensemble des états allemands. Les tensions entre la France et la Prusse étaient déjà fort perceptibles. Trois ans plus tard ce fut la guerre franco-allemande qui entraîna l'unification de l'Allemagne, la terrible défaite de la France et la fin du second empire. Dans ce contexte Offenbach se garda bien  de s'attaquer aux grandes puissances dans son opérette. La censure ne l'aurait pas permis. Mais ses librettistes Meilhac et Halévy trouvèrent le moyen de mettre en scène une guerre d'opérette, avec  pour champ de bataille un micro état fantoche, et d'ainsi échapper aux foudres des censeurs. En avril 1867, Ludovic Halévy écrivait dans son journal : "Cette fois nous nous moquons de la guerre, et la guerre est à nos portes." Sa remarque est hélas de nouveau très actuelle, la guerre fait rage aux portes de l'Europe.

Pour les représentations du Semperoper de Dresde et du Gärtnerplatztheater, Thomas Pigor a introduit des répliques faisant référence au mouvement de la droite populiste allemande Pegida*, un mouvement qui dénonce constamment l'islamisation de la société allemande et la presse mensongère (Lügenpresse). Les journalistes en prennent pour leur grade ! La mise en scène est par ailleurs teintée par la démarche de réflexion des études de genre.**  Le prince Paul est ici un homosexuel aux vêtements évocateurs : costume rose sur un gilet au rouge audacieux, pantalon golf sur des bas à motif écossais rouge et bleu. Tout comme la grande-duchesse à laquelle son père veut le marier, il a une préférence marquée pour les beaux militaires. Pour les représentations bavaroises, cela devait immanquablement attirer une évocation du roi Louis II dans une réplique qui rappelle la passion du  roi pour son grand maître des écuries. Alors qu'à Dresde le rôle-titre était interprété par Anne Schwanemils, à Munich il a été confié à un ténor, qui le chante dans sa tessiture. À la fin de l'opéra, le prince Paul se dit soulagé de se voir finalement accepté comme époux par la grande-duchesse, car ce mariage va calmer les inquiétudes de son Herr Papa. Sur le même thème, notons encore que le général Boum punit un soldat en lui faisant porter un tutu rose, dont il restera affublé jusqu'à la fin de la représentation. 

Matteo Ivan Rašić (Fritz), Gunnar Frietsch (Baron Puck), Juan Carlos Falcón (Großherzogin),
Sigrid Hauser (Erusine von Nepomukka) 
© Jean-Marc Turmes

Le choix surprenant de l'attribution du rôle-titre à un ténor est pour Josef E. Köpplinger la réalisation d'un rêve ancien. Au début des années 1990, il avait déjà voulu confier ce rôle à un ténor alors qu'il montait la Grande-duchesse dans la petite ville de Baden près de Vienne. À cette époque, le directeur du théâtre n'avait pas accepté. Le metteur en scène avait alors fait appel à une chanteuse norvégienne qui avait une voix de basse. Il explique ce choix d'un ténor comme une tentative d'exposer " la réalité absurde de cette opérette, où il est question de fétichisme de l'uniforme, de militarisme, de favoritisme et de petit État. Il voit en la grande-duchesse un monstre androgyne et solitaire, un être détruit, un personnage qui n'a jamais connu l'amour." ***

Pendant l'ouverture, une vidéo projetée sur un écran d'avant-scène nous fait découvrir non sans humour l'état nain du Grand-Duché de Gérolstein, qui fait tout au plus 4 kilomètres carrés et comporte 270 habitants. Ce pseudo-état  de l'Eiffel volcanique avait déjà été évoqué, pour la première fois semble-t-il, dans Les Mystères de Paris d'Eugène Sue (1842-1843), où le souverain du petit État est Rodolphe, mystérieux héros du récit séjournant incognito à Paris. Un tel état n'a évidemment pas les moyens de faire la guerre, mais la grande-duchesse qui le gouverne éprouve une attirance particulière pour la soldatesque. Aussi le décor est-il constitué de grands tableaux aux motifs guerriers : une immense toile représente une charge de cavalerie sabre au poing, les parois de fond de scène sont recouvertes de gigantesques fresques, trouées par des impacts d'artillerie qui reproduisent un tableau pompier à l'antique avec un corps d'armée conduit par un superbe guerrier quasi nu, sans doute le dieu Mars, doté d'une impressionnante musculature. Plus tard on verra aussi quatre toiles représentant des hommes en armure, avec toujours le même corps reproduit sur lequel on a placé des têtes différentes qui semblent déformées. Ainsi, avec ces guerriers de l'antiquité grecque ou romaine, ces chevaliers en armure médiévale et une cavalerie du début du 19ème siècle, le somptueux décor de Johannes Leiacker entremêle-t-il diverses époques. Le livret place l'action vers 1720, mais qu'importe ! Le général Boum est vêtu à la Bismarck et la grande-duchesse porte une tenue de combat rouge et or avec une cape doublée d'un tissu au bleu profond et d'imposantes bottes de cuir noir à hauts talons. La conseillère intrigante Erusine von Nepomucca porte une étonnante perruque en forme de brosse hérissée qui lui donne un aspect fort inquiétant. Les costumes sont dus au talent du costumier attitré du Gärtnerplatztheater, Alfred Mayerhofer.

Josef E. Köpplinger et son coéquipier et chorégraphe Adam Cooper nous ont offert une mise en scène virevoltante orchestrée comme du papier à musique. Le jeu des déplacements des personnages, la gestuelle parfois caricaturée comme dans la commedia dell'arte, tout cela est millimétré et parfaitement réussi. Les tableaux se succèdent au propre comme au figuré, car souvent les encadrements de tableaux sont utilisés pour créer une arrivée en scène, comme celle de la grande-duchesse qui descend des cintres dans un tel cadre, comme une déesse ex machina. C'est une fascination de tous les instants qui a ravi le public. Cette Grande-duchesse de Gérolstein est un succès, et un grand succès. Meilhac et Halévy s'en sont donné à cœur joie dans la peinture de la cour de cet état lilliputien, La fantaisie et la gaieté sont poussés au paroxysme dès le premier acte, modèle de bouffonnerie, où l'esprit pétille et où la musique fait rage. La parodie de la guerre est des plus amusantes et la mise en scène la rend encore plus cocasse et actuelle en introduisant un groupe de touristes armés d'appareils photos venus visiter le grand-duché sous la houlette d'une guide, jouée par Ulrike Dostal.  Comme il n'y a pas d'ennemis, le soldat Fritz, qui monte rapidement en grade grâce à l'appétit sexuel de la grande-duchesse et devient général à la place du général Boum à qui on a enlevé son bâton de commandement, fait procéder à l'arrestation des malheureux visiteurs.

Michael Balke au pupitre et l'orchestre du théâtre font des merveilles pour rendre la grâce, l’entrain, l'inventivité et ce diable au corps qui donne la vie à l'oeuvre d'Offenbach. On retrouve avec grand plaisir  les mouvements de valse, de contredanse et de polka qui constituent l'esprit du genre offenbachien, sa marque de fabrique. Le ténor Juan Carlos Falcón donne les couplets de la Grande-duchesse avec naturel, sans rechercher l'effet. Son " J'aime les militaires " est donné avec beaucoup d'esprit et de goût. La lecture de la gazette de Hollande est un autre moment charmant. La scène du finale où la grande-duchesse remet à Fritz le sabre de son père, qui descend des cintres dans un cadre doré empoussiéré par les ans, est habilement mise en œuvre. Le quatuor des trois conjurés, dont le baron Puck de Gunnar Frietsch et le baron Grog d'Alexander Franzen,  auxquels s'est joint la grande-duchesse, est un petit bijou de la mise en scène.  Daniel Prohaska, un des meilleurs ténors d'opérette qui soit, est magnifique dans le rôle du prince Paul. Sigrid Hauser, en Erusine, la dame de compagnie intrigante, est magistrale dans un jeu de scène qui n'a d'égal que sa vigoureuse interprétation. Matteo Ivan Raši donne un Fritz très fougueux, au caractère spontané et impulsif, avec une voix bien projetée et claire. Julia Sturzlbaum donne une Wanda pétillante de fraîcheur juvénile. Alexander Grassauer impressionne en général Boum, dont il rend avec un art consommé une caricature de bravache. Enfin les superbes choeurs et la troupe des danseurs participent de l'excellence générale. Aussi excellents que soient les interprètes, ce qui fait la véritable réussite de la soirée, c'est l'esprit de corps qui anime la troupe du Theater-am-Gärtnerplatz.

Une des meilleures productions munichoises de la saison que l'on se plaira à voir ou à revoir.

Prochaines représentations le 28 janvier, les 4, 5, 9 et 19 février,  et les 9,11 et 17 mars 2023.

Notes

Les Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident (en allemand Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, en abrégé PEGIDA) sont un mouvement allemand de droite populiste (rechtspopulistisch), qui défend le nationalisme allemand, est anti-islam, d'extrême droite et opposé à l'immigration.
** Les études de genre répertorient ce qui définit le masculin et le féminin dans différents lieux et à différentes époques, et s’interrogent sur la manière dont les normes se reproduisent au point de sembler « naturelles ». 
*** Citation traduite d'une interview accordée à l'Abendzeitung.

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