vendredi 31 mars 2023

Le pavillon de chasse impérial du Mürzsteg — Une chute de cheval de l'impératrice Élisabeth

 

Pavillon de chasse du Mürzsberg — Photo © C.Stadler/Bwag

Sous la monarchie, le domaine de chasse impérial de Neuberg an der Mürz [en Styrie autrichienne] était considéré comme l'un des plus beaux territoires de la monarchie. Depuis le 18e siècle, l'empereur et ses invités disposaient de salles représentatives dans l'aile sud-est de l'abbaye cistercienne de Neuberg. L'empereur François-Joseph, en particulier, appréciait beaucoup la région. En 1869, il fit construire de sa fortune personnelle un petit pavillon de chasse de style suisse à Mürzsteg, sur le Lanauberg tout proche. Les plans étaient signés August Schwendenwein qui, avec son partenaire Johann Romano, devint l'architecte le plus employé pour la construction du Ring de Vienne. Il considérait la commande impériale comme un grand honneur et choisit le prédicat "von Lanauberg" lors de son anoblissement. Le pavillon de chasse avait été conçu comme une maison de campagne bourgeoise. Mais il s'avéra immédiatement beaucoup trop petit, de sorte qu'il dut être considérablement agrandi au cours de deux autres phases de construction, en 1879 (aile nord-ouest) et en 1903. Au printemps et à l'automne avaient lieu les chasses de la cour, auxquelles l'empereur François-Joseph se rendait avec une grande suite. En 1883, pour l'impératrice Elisabeth, qui ne participait jamais aux chasses mais était une bonne cavalière, un sentier équestre fut aménagé, menant du Kuhhörndl au Hocheck. En 1886, le parc fut aménagé et une conduite d'eau fut installée dans la maison. La vie sociale au château était très modeste, elle était uniquement placée sous le signe de la chasse - pas de représentation, pas de soirées. Ce n'est qu'après les derniers travaux d'aménagement que des invitations politiquement importantes ont eu lieu. Ainsi, en 1903, l'empereur François-Joseph y reçut le tsar russe Nicolas II. Dans les " protocoles de Mürzsteg ", la réorganisation des Balkans fut définie, la Russie obtenant le libre passage par les Dardanelles.

Source du texte : traduction d'un paragraphe du site burgen-austria

Une chute de cheval  de l'impératrice
in Le Gaulois 31 août 1883

    Dans les cercles de la cour on parle beaucoup d'une série d'accidents arrivés depuis quelques jours à plusieurs membres de la famille impériale, accidents sans suites fâcheuses, heureusement.
    L'impératrice Elisabeth a eu le malheur de tomber avec son cheval, juste au moment où elle passait sur un petit pont au-dessus d'un torrent dans les Alpes styriennes, près de Mürzsteg. Une planche céda sous le sabot du cheval, celui ci trébucha et s'abattit, lançant l'auguste écuyère par dessus sa tête. Des bûcherons qui se trouvaient près de là, accoururent à temps, pour sauver Sa Majesté, dont la vie s'est trouvée, pendant un instant, exposée à un véritable danger.

jeudi 30 mars 2023

Reprise du Tristan und Isolde de Warlikowski à la Bayerische Staatsoper— Les réflexions du metteur en scène

© photo via le site de la BSO


La Bayerische Staatsoper reprend à partir du 6 avril Tristan und Isolde dans la déjà légendaire mise en scène de Krzysztof Warlikowski, qui fut présentée en clôture de l'ère Bachler. Les amants sont interprétés par Elena Pankratova et Stuart Skelton. Jamie Barton chante Brangäne, Iain Paterson Kurwenal, le compagnon de Tristan, et René Pape le roi Marke. Le chef slovaque Juraj Valcuha assure la direction musicale.

Le travail de Krzysztof Warlikowski est fort apprécié à l'Opéra d'État de Bavière où il a mis en scène  Eugène Onéguine, Die Frau ohne SchattenDie GezeichnetenSaloméTristan und Isolde et récemment Dido and Aeneas ... Erwartung. Dans la saison 2023/24 il mettra encore en scène la nouvelle production  du Grand Macabre qui ouvrira le festival d'été de Munich.

Voici en guise d'introduction à la reprise de Tristan und Isolde  la traduction des réflexions du metteur en scène telles que présentées  dans le programme du Bayerische Staatsoper 

" L'amour de Tristan et Isolde pourrait être décrit comme un coup de foudre, étant donné qu'Isolde, déterminée à se venger, épargne la vie de Tristan lorsque leurs regards se croisent. Mais ce n'est pas seulement cela qui compte. Ils sont peut-être amants, mais ils sont d'abord ennemis, des inconnus qui se rencontrent par hasard. Ce qu'ils rencontrent, c'est leur destin, auquel ils ne peuvent échapper.

Pourtant, leur rencontre est liée dès le départ à la mort. Et à la guerre, même si dans l'œuvre de Wagner la guerre fait d'abord partie de la pré-histoire et apparaît dans l'intrigue davantage par ses conséquences : Tristan et Isolde appartiennent à une génération traumatisée. Je peux imaginer une rencontre aussi fatidique que la leur dans les guerres de notre époque ou dans l'Europe du XXe siècle : un homme est gravement blessé au combat, il est dans le coma ou mourant. Une femme le trouve et le soigne. Elle le ramène à la vie, et grâce à elle, il est virtuellement ressuscité.

En raison de la guerre, tout cela se passe en secret, dans une cachette. La femme ne se rend pas au poste de  police, elle n'appelle pas une ambulance ou un médecin à l'aide. Et à un moment donné, elle découvre que cet homme appartient à ses ennemis. Pourtant, un lien indissoluble se crée : la femme prend soin de l'homme qui lutte contre la mort, elle suit le rythme de sa respiration. D'une manière paradoxale, elle a même vécu une libération à travers lui, elle a été libérée de son  fiancé. De nombreux films mettent en scène des amours transgressives, brisant les tabous, pendant la guerre : un soldat allemand et une fille de la résistance polonaise, un Russe et un Allemand, une Polonaise et un Russe. À travers l'impensable dans cette relation, l'Autre joue soudain un rôle énorme, plus que dans toute relation "normale", socialement acceptée. Peut-être que la conscience transgressive de soi nécessite aussi quelqu'un d'étranger.

Il peut même s'agir d'une condition préalable pour s'ouvrir véritablement, pour faire remonter à la surface des choses profondément cachées, ainsi que pour affronter l'inattendu. C'est ce qui se produit pour Isolde, qui est soudainement incapable de se venger de la mort de son fiancé, alors que rien ne pourrait être plus tentant. Ou devons-nous croire ses paroles selon lesquelles seule la vengeance sur un Tristan rétabli et en bonne santé lui aurait vraiment donné satisfaction ? Était-ce vraiment sa motivation de rendre la vie à Tristan si c'était pour  la lui reprendre plus tard ? Ou bien cette déclaration à Tristan fait-elle partie de ses provocations pour que le silencieux Tristan se confesse enfin ? Dans cet opéra, le passé joue un rôle comme dans pratiquement aucun autre opéra. Peu à peu, des moments de l'histoire qui a immédiatement précédé l'action sont mis au jour, dont certains sont passés sous silence par les protagonistes, mais qui sont pourtant cernés de manière obsessionnelle. Jusqu'à ce que, dans le troisième acte, nous pénétrions dans la couche la plus profonde de la mémoire de Tristan : son existence d'orphelin, la mort précoce de ses parents. 

La progression des deux protagonistes dans leurs antécédents communs révèle sans cesse des paradoxes: pourquoi Tristan devrait-il demander au roi Marke l'autorisation de lui amener Isolde comme épouse ? S'il ne l'avait pas fait, il  aurait pu  prendre sa retraite la guerre une fois terminée. Alors qu'est-ce qui le motive ? Veut-il la revoir pour la mettre immédiatement entre les mains de quelqu'un d'autre ? Veut-il affronter quelque chose en lui-même ? Veut-il simplement avoir l'occasion de passer quelques heures avec Isolde ? Sur le bateau, il n'attend rien d'autre que de recevoir de ses nouvelles, mais il évite de la rencontrer. Plus tard, il affirme à Isolde qu'il a été forcé par Marke de l'amener en Cornouailles, puis à nouveau Tristan accuse son compagnon d'armes Melot de l'avoir poussé à arranger le mariage entre Marke et Isolde. Isolde, à son tour, imagine comment il l'a présentée à Marke comme un objet de convoitise qu'on pourrait dérober.

Elle se sent humiliée par le fait que Tristan, l'amour de sa vie, lui revienne pour la donner en mariage à un autre homme. Il s'agit de conflits qui ne peuvent être résolus — il en découle que  l'idée de la potion magique est en soi superflue puisque Tristan et Iseult sont complètement concentrés l'un sur l'autre dès le début et aveugles à tout ce qui se passe autour d'eux.

Les incohérences n'ont pas de fin, même après qu'ils se soient déclarés leur amour l'un pour l'autre. Tristan est un personnage destructeur qui veut se détruire, tandis qu'Isolde cherche à préserver sa vie et prend soin de lui. Son amour pour Isolde a-t-il transformé Tristan ? Peut-être est-ce l'inverse : il a peut-être simplement eu peur de ne pas vivre quelque chose avant sa mort. Marek Edelmann, un des instigateurs et dirigeants du soulèvement du ghetto de Varsovie contre les forces d'occupation allemandes en avril et mai 1943, a raconté après la guerre que juste avant le début de  répression, la sexualité jouait un rôle extrêmement important parmi les insurgés. Lorsqu'on a peur de la mort, on veut  une fois de plus faire pleinement l'expérience de sa vitalité et de ses sentiments.

Wagner se concentre radicalement sur ses deux protagonistes  et les entoure seulement de quelques autres personnages qui ont tous un lien avec eux. 

Si, comme c'est le cas dans notre mise en scène, le chœur est placé en off de la scène et que l'on renonce aux détails réalistes (bien que symboliques) du décor tels que le bateau, le jardin, etc., nous observons avant tout deux personnes qui sont à la merci l'une de l'autre sur un terrain de jeu, dans un lieu sans issue. Leur rencontre devient soudain obsessionnelle, insupportable, sombre, tendue. Alors, qu'y a-t-il entre eux ? De l'amour ? Des reproches ? De la douleur ? Des manipulations ?

Il y a un certain nombre de moments d'une extrême et surprenante honnêteté dans cet opéra. C'est une honnêteté qui ne fait que miner les personnages. Dans ces moments-là, ils se mettent à parler parce qu'ils ne peuvent pas s'en empêcher, parce qu'il leur faut dire les choses et que les confessions se déversent d'elles-mêmes. Des confessions sur des choses que tous deux ont longtemps gardées cachées afin de ne pas offrir à l'autre un terrain d'attaque. Cette défense se dissout peu à peu.

Pourtant, la solitude constitue à mes yeux le thème central de cet opéra. La solitude en chacun de nous. Wagner accorde une plus grande importance à la solitude de Tristan qu'à celle d'Isolde. C'est Tristan qui est responsable de la solitude d'Isolde, elle est en lien avec lui. Nous suivons Tristan dans une solitude existentielle beaucoup plus ancienne, qui provient de l'absence d'amour parental. La vie de Tristan est pourtant riche, il fait carrière et devient le deuxième homme du pays après le roi. Il a dû faire ses preuves parce qu'il n'avait pas de famille. Les personnes sans famille sont fortes, mais d'un autre côté, elles sont très vulnérables. Tristan a besoin d'Isolde pour franchir la frontière entre la vie et la mort, à un moment où il n'attend plus rien de la vie, si ce n'est cet amour. À la fin, cependant, il le fait sans Isolde. Il meurt seul. Dans leurs réflexions sans fin sur le jour et la nuit, la vie, la mort et l'éternité, peut-être génèrent-ils  entre eux  une notion qu'ils trouvent convaincante de quelque chose qui serait une existence commune au-delà de la vie, un espace où ils peuvent se retrouver. Mais ce qui se trouve au-delà de la frontière de la mort, si nous pouvons la transcender ou si elle n'est pas simplement une extinction, ils ne peuvent le savoir. Il est certain que si l'on veut franchir cette frontière par lassitude de la vie, il peut être utile de le faire avec quelqu'un d'autre. Et croire qu'il s'agit d'un destin commun.

Lors de deuxième scène de l'acte II, dans laquelle Tristan et Isolde envisagent l'abolition possible des frontières de l'être individuel, tout comme la musique transcende les frontières, il semble que tous deux aient convenu dès le départ d'un franchissement définitif et irréversible de la frontière. Tout conflit, tout antagonisme, toute différence dans l'attachement à la vie est effroyablement gommé, ou plutôt tout cela est voilé par Wagner et par les deux protagonistes au profit d'un énorme désir d'auto-dissolution lascive et enivrante.

Parfois, on préfère abandonner plutôt que de continuer. La vie en tant que confrontation perd alors son sens. Les histoires de suicide alimentent cet opéra. Une forme obscène d'alimentation, mais d'une manière sublime ! C'est presque immoral : présenter aux gens une œuvre dans laquelle on propage que le suicide est la seule issue. En tant que réalisateur, on doit avoir peur de Tristan et Isolde, notamment pour cette raison. En raison de ma propre peur, je comprends la peur de tous ceux qui ont affaire à la pièce. "

Agenda 

Les 6, 10 et 15 avril 2023 au Théâtre national de Munich. 
Trois autres représentations lors du festival d'été, les 21, 24 et 29 juillet dans une distribution en partie modifiée : Anja Kampe chantera Isolde et Wolfgang Koch le rôle de Kurwenal.

Erzsi, fille unique du prince-héritier Rodolphe et de l'archiduchesse Stéphanie en 1888

Photo de 1888 reproduite en 1908

Quelques mois plus tard elle devint orpheline de père.

mercredi 29 mars 2023

Expo 'L'héritage de Wahnfried' au Musée Richard Wagner de Bayreuth

 

L'héritage de Wahnfried - 50 ans de la fondation Richard Wagner à Bayreuth.
Du 1er avril au 18 juin 2023 (de 10 à 17 heures, fermé le lundi)

À l'occasion du 50e anniversaire de la fondation Richard Wagner, le musée Richard Wagner présente, dans le cadre d'une exposition spéciale, l'histoire, la structure et le travail de la fondation qui, depuis sa création le 2 mai 1973, s'est donné pour mission d'entretenir l'héritage de Richard Wagner et de préserver durablement le Festspielhaus de Bayreuth pour la représentation de ses œuvres. L'exposition "L'héritage de Wahnfried - 50 ans de la fondation Richard Wagner-Bayreuth" sera présentée du 1er avril au 18 juin 2023 dans le nouveau bâtiment du musée Richard Wagner.

L'exposition présente une sélection de documents d'archives et d'objets qui, au fil des années, ont rejoint les collections des Archives nationales grâce aux acquisitions de la fondation et aux donations, dont la base est constituée par les successions de Richard et Cosima ainsi que par l'héritage artistique de Siegfried Wagner.

Richard Wagner lui-même avait déjà envisagé de créer une fondation afin d'assurer et de financer durablement le festival de Bayreuth. Ce projet a toutefois échoué, tout comme l'éphémère "Fondation allemande du festival de Bayreuth", née d'une idée de Siegfried Wagner. Même après la Seconde Guerre mondiale, la maison du festival et l'héritage restèrent dans un premier temps la propriété de la famille, et le festival resta une entreprise privée même après le nouveau départ en 1951.

Ce n'est qu'après la mort de Wieland Wagner en 1966 que l'idée d'ancrer le festival dans une base institutionnelle plus large par le biais d'une fondation a été reprise et finalement réalisée en 1973.

La famille Wagner céda à cet effet le Festspielhaus à la fondation, qui le loua en tant que propriétaire à l'organisateur du festival. Ce fut d'abord Wolfgang Wagner, puis, plus tard et jusqu'à aujourd'hui, la Bayreuther Festspiele GmbH. Les archives Wahnfried ont été vendues à parts égales à la République fédérale d'Allemagne, à la Fondation du Land de Bavière et à la Fondation de Haute-Franconie, qui les a mises à disposition en tant que co-fondateur des Archives nationales ainsi créées, sous forme de prêt permanent.

Avec la location du Festspielhaus et l'exploitation du "Musée Richard Wagner avec archives nationales et centre de recherche", la fondation poursuit aujourd'hui encore le but qu'elle s'était fixé il y a 50 ans.

Pièces exposées

Cosima Wagner, photo Hanns Hanfstaengl, vers 1860, acquise en 2022.

Dessin  dans les tons bruns (huile et craie) par Franz von Stuck (1902),
acquis en 1991.

Œuvre pour orchestre en mi mineur, Richard Wagner, 1830,
acquise en 1986. 

Source du texte et des images : traduction de la présentation de l'expo sur le site du musée







Bayerische Staatsoper : Willkommen, bienvenue, welcome au cabaret de la Calisto de Cavalli

Les chasseresses de Diane

L'Opéra d'Etat de Bavière a repris cette saison un opéra baroque de son répertoire, La Calisto de Francesco Cavalli, dans une mise en scène créée dans la maison en 2005 par David Alden, avec au pupitre Christopher Moulds, un spécialiste renommé de l'opéra du 17ème siècle italien,  qui dirige le Monteverdi-Continuo-Ensemble et quelques solistes de l'Orchestre d'Etat de Bavière.

Le parti pris de David Alden consiste à privilégier le divertissement et à mettre l'accent sur les aspects comiques de l'oeuvre plutôt que sur le pathos ou sur une réflexion sur les destinées de l'humanité. Sa façon de mettre en avant la représentation de la comédie humaine, — et dans le cas de la Calisto, de la divine comédie, — participe d'une vision philosophique pessimiste, celle qui considère la vie humaine comme un jeu dérisoire auquel on est bien obligé de participer. D'autres lectures de l'œuvre sont bien sûr possibles, mais une fois l'option arrêtée, les choix d'Alden tiennent la route et procurent au public trois heures d'un enchantement scénique extrêmement coloré et animé.

Life is a cabaret, old chum. L'Empyrée d'Alden, d'abord évoqué par la projection en plein écran d'avant-scène de sommets enneigés baignant dans une lumière rouge, tient davantage d'une grande boîte de nuit interlope que du séjour mythique des dieux, d'un grand bordel de luxe présentant un spectacle d'artistes de qualité et dont la nymphe Calisto deviendra la star. Le décor conçu par Paul Steiberg, avec ses vagues psychédéliques à la vulgarité tapageuses et ses innombrables lampes globulaires au plafond, renvoie aux années 60 ou 70. Les trois personnages du Prologue, la Nature (Dominique Visse), l'Eternité (Roberta Mameli) et la Destinée (Teresa Iervolino), avec leurs costumes fantastiques qui donnent le ton de l'ensemble, discutent de l'immortalité de Calisto dont ils souhaitent faire une nouvelle étoile. Mis en abyme, le spectacle est dans le spectacle, Calisto chante au micro sur une scène de cabaret, Jupiter descend le grand escalier en animateur de spectacle, Junon est habillée comme pour un défilé de mode flashy. Le travestissement est de rigueur, ainsi celui de la Nature en drag-queen grotesque avec sa longue barbe, de Jupiter qui se déguise en Diane pour séduire Calisto, ou de l'extraordinaire Linfea, chantée par un homme, qui parade dans son travesti ridicule. La Calisto devient une histoire d'amours lesbiennes, comme en témoigne  l'amour de la nymphe pour la fausse déesse ou de Linfea pour Diane, et d'amours perverses, comme celui de la déesse dans son amour secret pour Endymion : son idéal de vertu se fissure, elle endort son aimé avant de lui faire l'amour en le masturbant, car elle ne veut pas perdre sa réputation de vierge effarouchée. C'est un festival de toutes les sexualités, bestialité incluse, entre les dieux, les humains et les personnages mythologiques composites qui tiennent à la fois de l'humain et de l'animal. Les costumes participent largement du spectacle : Buki Shiff a produit des créations aussi fantastiques que remarquables, c'est un pur régal d'extraordinaires trouvailles, telles les deux paonnes qui accompagnent la déesse Junon dans tous ses déplacements, un magnifique centaure ailé, un Pan majestueux au masque de bélier, la cour des chasseresses qui entourent Diane, plus putes que vierges, le délicieux grimage de Satirino, il faudrait tous les citer. Un défilé incessant de costumes, une animation visuelle constante et toujours surprenante dans des décors volontairement criards. Les sens sont constamment sollicités avec un  crescendo qui s'accentue au fil des actes. 

L'exposition du premier acte est une succession d'étonnements avec la présentation du très grand nombre de protagonistes aux relations parfois compliquées et aux motivations souvent troubles. David Alden parvient à faire prendre cette sauce complexe et les deux actes suivants sont un enchantement scénique, avec à la fin du troisième acte un tableau de jeunes femmes habillées en de longues robes blanches féeriques qui viennent figurer la disposition des étoiles de la Grande Ourse, de cette ourse qu'est devenue Calisto magiquement transformée par l'épouse jalouse de Jupiter. L'ourse Calisto ne deviendra étoile qu'après sa mort.

Christopher Moulds

Au temps de Cavalli, l'orchestre était limité à 6 musiciens. Ce nombre est aujourd'hui triplé, ce qui permet de répondre aux nécessités acoustiques des salles d'opéra contemporaines : le Théâtre national de Munich fait six fois le volume du Teatro Sant' Apollinare de Venise où la Calisto fut représentée pour la première fois le 28 novembre 1651.

Christopher Moulds, très apprécié du public munichois, — il est invité dans la maison depuis plus de 20 ans, —  rend admirablement la musique de Cavalli, en lui apportant toute la maîtrise de son expertise de la musique baroque, il lui donne du relief avec de délicates précisions et de belles clartés. Avec ses musiciens, il en livre une interprétation remarquable portée aussi par de magnifiques chanteurs auxquels le chef prête une attention soutenue. La prestigieuse distribution offre au public munichois la découverte de six chanteurs et chanteuses qui font cette saison leurs débuts dans la maison. 

Aryeh Nussbaum Cohen, un Endimione d'anthologie

Ainsi du rôle-titre interprété par la soprano britannique Mary Bevan,  qui semble être faite pour le rôle de la Calisto tant est remarquable l'expressivité de son jeu de scène, à laquelle elle prête sa somptueuse beauté et la souplesse et les brillances d'un soprano au cristal clair et délicat.  Le baryton-basse Milan Siljanov, qui fait partie de la troupe du Bayerische Staatsoper, donne un Giove puissant, magnifiquement projeté, avec un jeu d'acteur amusant, très drôle dans son travesti en déesse Diana. Il est accompagné du Mercurio de bel aloi de Nikolay Borchev. La soprano Roberta Mameli fait des débuts munichois  remarqués en Giunone avec une interprétation en crescendo qui gagne en rage et en furie au cours de la soirée,  mais aussi avec des passages poignants, chargés d'émotions intenses. Son apparition précédée de deux paons majestueux est un des plus beaux moments scéniques de la représentation. Le Satirino du haute-contre Dominique Visse est tout simplement délicieux, son jeu d'acteur extrêmement subtil, nourri de plus de 40 ans d'une carrière prestigieuse. Il chante d'une voix de fausset tout à fait cocasse et fait ici et là des descentes vers les graves des plus amusantes. La mezzo Teresa Iervolino soutient le rôle de Diana avec beaucoup d'élégance stylistique dans l'interprétation, d'une voix patinée et sombre qui a les dorures d'un bronze ancien. Ici aussi un jeu de scène remarquable donne à voir une femme un peu vieillie et boiteuse, se soutenant de sa canne, avec de délicieux moments comiques lorsque craquèle la vertu farouche de la déesse. Une des meilleures compositions grotesques de l'opéra est celle du ténor Mark Milhofer qui amuse beaucoup dans son interprétation du rôle travesti de Linfea. Le ténor Anthony Gregory impressionne dans le rôle de Pane par son chant chaleureux et percutant. Il fait ses débuts dans la maison tout comme le baryton-basse Ashley Riches dans le rôle de Silvano, le centaure ailé. Enfin, last but not least, le contre-ténor américain Aryeh Nussbaum Cohen fait lui aussi sa première apparition au Bayerische Staatsoper avec son Endimione bouleversant de beauté, qui lui vaut les acclamations répétées d'un public séduit par ses accents justes et émouvants et la pureté de sa ligne vocale. Sans aucun doute la plus belle découverte de la soirée. Son long monologue de la première scène du deuxième acte, " Erme, e solinghe cime " laisse émerveillé et pantois. 

Cette Calisto est à voir et à revoir pour son inventivité, sa légèreté, ses trouvailles, sa drôlerie, pour la beauté de la composition musicale. Les rires fusent de partout dans la salle. Cette mise en scène n'a pas pris une ride et la production est renouvelée par l'apport et l'heureuse découverte de nouveaux talents, et l'orchestre est rien moins que sublime.

Distribution

Direction musicale Christopher Moulds
Mise en scène David Alden
Décors Paul Steinberg
Costumes Buki Shiff
Collaboration chorégraphique Beate Vollack
Lumières Pat Collins

La Natura Dominique Visse
L'Eternità Roberta Mameli
Il Destino Teresa Iervolino
Giove Milan Siljanov
Mercurio Nikolay Borchev
Calisto Mary Bevan
Endimione Aryeh Nussbaum Cohen
Diana Teresa Iervolino
Linfea Mark Milhofer
Satirino Dominique Visse
Pane Anthony Gregory
Silvano Ashley Riches
Giunone Roberta Mameli
Le Furie Jessica Niles / Dominique Visse

Orchestre d'État de Bavière
Monteverdi-Continuo-Ensemble

Crédit photographique Wifried Hösl

lundi 27 mars 2023

Maudite volupté ! L'exposition Verdammte Lust du Musée diocésain de Freising a des odeurs de soufre.

 

Pourquoi la religion et la sexualité sont-elles si souvent en contradiction l'une avec l'autre ? Il existe depuis toujours une différence apparemment insurmontable entre l'enseignement de l'Église et la réalité. Ce phénomène n'est pas nouveau, il accompagne l'histoire religieuse et morale du christianisme depuis ses débuts. En raison notamment du débat actuel sur les abus sexuels au sein de l'Église, sa doctrine sexuelle est aujourd'hui plus que jamais sous le feu des critiques. Ce qui peut être discuté ouvertement à l'heure actuelle était autrefois traité de manière cachée ou évidente dans l'art - et nous confronte à des faits littéralement mis à nu.

Pureté et abstinence, désir et luxure, devoir conjugal et fécondité, violence et blessure : le cadre apparemment dogmatique de l'imagerie chrétienne cache une multitude d'aspirations et de fantasmes humains. Les artistes n'ont cessé de sonder les limites du représentable pour mettre en image d'une part la sensualité et l'érotisme, d'autre part la double morale et l'échec. Qu'il soit ludique, jouissif ou tragique, le regard porté sur l'être humain - par exemple dans les récits bibliques, les légendes des saints ou la mythologie antique - a toujours été mis en image de manière variée, ambiguë et courageuse.
L'exposition "Maudite Volupté ! L'église. Le corps. L'art. nous invite à nous pencher sur ce terrain de tension entre l'art et la morale ecclésiastique. En huit chapitres, elle oppose l'homme en tant qu'être sexuel à un idéal théologique, le désir charnel impur à la pure dévotion à Dieu.

Des œuvres d'art uniques, de l'Antiquité au début du XIXe siècle, de Léonard de Vinci à Artemisia Gentileschi et Guido Reni, en passant par Tintoretto et Cranach, illustrent la difficile relation entre la sexualité et l'église. Les exigences et la réalité ainsi que les valeurs sociales et religieuses sont remises en question de manière subtile, voire révélatrice. Le musée diocésain de Freising participe ainsi à un débat actuel aussi stimulant qu'incontournable.

L'exposition est placée sous le patronage de S.E. le cardinal Reinhard Marx.
Un catalogue complet ainsi qu'un recueil d'essais avec des contributions de 20 auteurs sont disponibles en langue allemande.

Source du texte : traduction du texte de présentation de l'expo.
















































Photos @ Marco Pohle

 

La Sylphide dans la version de Pierre Lacotte au Ballet d'État de Bavière — Quatrième partie

Maria Taglioni (1804-84) in  La Sylphide, Souvenir d'Adieu  (6 lithographies d'Alfred-Édouard Chalon, 1845) Nous poursuivons notre e...