© photo via le site de la BSO |
La Bayerische Staatsoper reprend à partir du 6 avril Tristan und Isolde dans la déjà légendaire mise en scène de Krzysztof Warlikowski, qui fut présentée en clôture de l'ère Bachler. Les amants sont interprétés par Elena Pankratova et Stuart Skelton. Jamie Barton chante Brangäne, Iain Paterson Kurwenal, le compagnon de Tristan, et René Pape le roi Marke. Le chef slovaque Juraj Valcuha assure la direction musicale.
Le travail de Krzysztof Warlikowski est fort apprécié à l'Opéra d'État de Bavière où il a mis en scène Eugène Onéguine, Die Frau ohne Schatten, Die Gezeichneten, Salomé, Tristan und Isolde et récemment Dido and Aeneas ... Erwartung. Dans la saison 2023/24 il mettra encore en scène la nouvelle production du Grand Macabre qui ouvrira le festival d'été de Munich.
Voici en guise d'introduction à la reprise de Tristan und Isolde la traduction des réflexions du metteur en scène telles que présentées dans le programme du Bayerische Staatsoper
" L'amour de Tristan et Isolde pourrait être décrit comme un coup de foudre, étant donné qu'Isolde, déterminée à se venger, épargne la vie de Tristan lorsque leurs regards se croisent. Mais ce n'est pas seulement cela qui compte. Ils sont peut-être amants, mais ils sont d'abord ennemis, des inconnus qui se rencontrent par hasard. Ce qu'ils rencontrent, c'est leur destin, auquel ils ne peuvent échapper.
Pourtant, leur rencontre est liée dès le départ à la mort. Et à la guerre, même si dans l'œuvre de Wagner la guerre fait d'abord partie de la pré-histoire et apparaît dans l'intrigue davantage par ses conséquences : Tristan et Isolde appartiennent à une génération traumatisée. Je peux imaginer une rencontre aussi fatidique que la leur dans les guerres de notre époque ou dans l'Europe du XXe siècle : un homme est gravement blessé au combat, il est dans le coma ou mourant. Une femme le trouve et le soigne. Elle le ramène à la vie, et grâce à elle, il est virtuellement ressuscité.
En raison de la guerre, tout cela se passe en secret, dans une cachette. La femme ne se rend pas au poste de police, elle n'appelle pas une ambulance ou un médecin à l'aide. Et à un moment donné, elle découvre que cet homme appartient à ses ennemis. Pourtant, un lien indissoluble se crée : la femme prend soin de l'homme qui lutte contre la mort, elle suit le rythme de sa respiration. D'une manière paradoxale, elle a même vécu une libération à travers lui, elle a été libérée de son fiancé. De nombreux films mettent en scène des amours transgressives, brisant les tabous, pendant la guerre : un soldat allemand et une fille de la résistance polonaise, un Russe et un Allemand, une Polonaise et un Russe. À travers l'impensable dans cette relation, l'Autre joue soudain un rôle énorme, plus que dans toute relation "normale", socialement acceptée. Peut-être que la conscience transgressive de soi nécessite aussi quelqu'un d'étranger.
Il peut même s'agir d'une condition préalable pour s'ouvrir véritablement, pour faire remonter à la surface des choses profondément cachées, ainsi que pour affronter l'inattendu. C'est ce qui se produit pour Isolde, qui est soudainement incapable de se venger de la mort de son fiancé, alors que rien ne pourrait être plus tentant. Ou devons-nous croire ses paroles selon lesquelles seule la vengeance sur un Tristan rétabli et en bonne santé lui aurait vraiment donné satisfaction ? Était-ce vraiment sa motivation de rendre la vie à Tristan si c'était pour la lui reprendre plus tard ? Ou bien cette déclaration à Tristan fait-elle partie de ses provocations pour que le silencieux Tristan se confesse enfin ? Dans cet opéra, le passé joue un rôle comme dans pratiquement aucun autre opéra. Peu à peu, des moments de l'histoire qui a immédiatement précédé l'action sont mis au jour, dont certains sont passés sous silence par les protagonistes, mais qui sont pourtant cernés de manière obsessionnelle. Jusqu'à ce que, dans le troisième acte, nous pénétrions dans la couche la plus profonde de la mémoire de Tristan : son existence d'orphelin, la mort précoce de ses parents.
La progression des deux protagonistes dans leurs antécédents communs révèle sans cesse des paradoxes: pourquoi Tristan devrait-il demander au roi Marke l'autorisation de lui amener Isolde comme épouse ? S'il ne l'avait pas fait, il aurait pu prendre sa retraite la guerre une fois terminée. Alors qu'est-ce qui le motive ? Veut-il la revoir pour la mettre immédiatement entre les mains de quelqu'un d'autre ? Veut-il affronter quelque chose en lui-même ? Veut-il simplement avoir l'occasion de passer quelques heures avec Isolde ? Sur le bateau, il n'attend rien d'autre que de recevoir de ses nouvelles, mais il évite de la rencontrer. Plus tard, il affirme à Isolde qu'il a été forcé par Marke de l'amener en Cornouailles, puis à nouveau Tristan accuse son compagnon d'armes Melot de l'avoir poussé à arranger le mariage entre Marke et Isolde. Isolde, à son tour, imagine comment il l'a présentée à Marke comme un objet de convoitise qu'on pourrait dérober.
Elle se sent humiliée par le fait que Tristan, l'amour de sa vie, lui revienne pour la donner en mariage à un autre homme. Il s'agit de conflits qui ne peuvent être résolus — il en découle que l'idée de la potion magique est en soi superflue puisque Tristan et Iseult sont complètement concentrés l'un sur l'autre dès le début et aveugles à tout ce qui se passe autour d'eux.
Les incohérences n'ont pas de fin, même après qu'ils se soient déclarés leur amour l'un pour l'autre. Tristan est un personnage destructeur qui veut se détruire, tandis qu'Isolde cherche à préserver sa vie et prend soin de lui. Son amour pour Isolde a-t-il transformé Tristan ? Peut-être est-ce l'inverse : il a peut-être simplement eu peur de ne pas vivre quelque chose avant sa mort. Marek Edelmann, un des instigateurs et dirigeants du soulèvement du ghetto de Varsovie contre les forces d'occupation allemandes en avril et mai 1943, a raconté après la guerre que juste avant le début de répression, la sexualité jouait un rôle extrêmement important parmi les insurgés. Lorsqu'on a peur de la mort, on veut une fois de plus faire pleinement l'expérience de sa vitalité et de ses sentiments.
Wagner se concentre radicalement sur ses deux protagonistes et les entoure seulement de quelques autres personnages qui ont tous un lien avec eux.
Si, comme c'est le cas dans notre mise en scène, le chœur est placé en off de la scène et que l'on renonce aux détails réalistes (bien que symboliques) du décor tels que le bateau, le jardin, etc., nous observons avant tout deux personnes qui sont à la merci l'une de l'autre sur un terrain de jeu, dans un lieu sans issue. Leur rencontre devient soudain obsessionnelle, insupportable, sombre, tendue. Alors, qu'y a-t-il entre eux ? De l'amour ? Des reproches ? De la douleur ? Des manipulations ?
Il y a un certain nombre de moments d'une extrême et surprenante honnêteté dans cet opéra. C'est une honnêteté qui ne fait que miner les personnages. Dans ces moments-là, ils se mettent à parler parce qu'ils ne peuvent pas s'en empêcher, parce qu'il leur faut dire les choses et que les confessions se déversent d'elles-mêmes. Des confessions sur des choses que tous deux ont longtemps gardées cachées afin de ne pas offrir à l'autre un terrain d'attaque. Cette défense se dissout peu à peu.
Pourtant, la solitude constitue à mes yeux le thème central de cet opéra. La solitude en chacun de nous. Wagner accorde une plus grande importance à la solitude de Tristan qu'à celle d'Isolde. C'est Tristan qui est responsable de la solitude d'Isolde, elle est en lien avec lui. Nous suivons Tristan dans une solitude existentielle beaucoup plus ancienne, qui provient de l'absence d'amour parental. La vie de Tristan est pourtant riche, il fait carrière et devient le deuxième homme du pays après le roi. Il a dû faire ses preuves parce qu'il n'avait pas de famille. Les personnes sans famille sont fortes, mais d'un autre côté, elles sont très vulnérables. Tristan a besoin d'Isolde pour franchir la frontière entre la vie et la mort, à un moment où il n'attend plus rien de la vie, si ce n'est cet amour. À la fin, cependant, il le fait sans Isolde. Il meurt seul. Dans leurs réflexions sans fin sur le jour et la nuit, la vie, la mort et l'éternité, peut-être génèrent-ils entre eux une notion qu'ils trouvent convaincante de quelque chose qui serait une existence commune au-delà de la vie, un espace où ils peuvent se retrouver. Mais ce qui se trouve au-delà de la frontière de la mort, si nous pouvons la transcender ou si elle n'est pas simplement une extinction, ils ne peuvent le savoir. Il est certain que si l'on veut franchir cette frontière par lassitude de la vie, il peut être utile de le faire avec quelqu'un d'autre. Et croire qu'il s'agit d'un destin commun.
Lors de deuxième scène de l'acte II, dans laquelle Tristan et Isolde envisagent l'abolition possible des frontières de l'être individuel, tout comme la musique transcende les frontières, il semble que tous deux aient convenu dès le départ d'un franchissement définitif et irréversible de la frontière. Tout conflit, tout antagonisme, toute différence dans l'attachement à la vie est effroyablement gommé, ou plutôt tout cela est voilé par Wagner et par les deux protagonistes au profit d'un énorme désir d'auto-dissolution lascive et enivrante.
Parfois, on préfère abandonner plutôt que de continuer. La vie en tant que confrontation perd alors son sens. Les histoires de suicide alimentent cet opéra. Une forme obscène d'alimentation, mais d'une manière sublime ! C'est presque immoral : présenter aux gens une œuvre dans laquelle on propage que le suicide est la seule issue. En tant que réalisateur, on doit avoir peur de Tristan et Isolde, notamment pour cette raison. En raison de ma propre peur, je comprends la peur de tous ceux qui ont affaire à la pièce. "
Agenda
Les 6, 10 et 15 avril 2023 au Théâtre national de Munich.
Trois autres représentations lors du festival d'été, les 21, 24 et 29 juillet dans une distribution en partie modifiée : Anja Kampe chantera Isolde et Wolfgang Koch le rôle de Kurwenal.
Réservations via le site de la Bayerische Staatsoper
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