Jules Herbette |
M. HERBETTE (1) , AMBASSADEUR DE FRANCE À BERLIN, À M. GOBLET, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
D. n° IX. Berlin, 31 janvier 1889.
(Reçu: Cabinet, 4 février; Dir. pol., 6 février.) La nouvelle de la mort subite du Prince impérial d'Autriche a commencé à se répandre à Berlin hier vers quatre heures. Dès que j'en ai trouvé la confirmation dans les journaux du soir, c'est-à-dire vers cinq heures et demie, je me suis rendu chez le comte Széchényi (2), pour lui présenter mes compliments de doléance. L'Empereur Guillaume II venait de lui apporter un télégramme désolé qu'il avait reçu quelques instants auparavant, de François-Joseph. Ce télégramme, que j'ai eu sous les yeux, annonçait en termes intimes et fraternels le malheur qui atteint la maison de Habsbourg.
Ici on manifeste une très vive douleur. Guillaume II annonce l'intention de se rendre aux funérailles de son «intime ami Rudolph». On sait pourtant qu'il y avait entre ces deux Princes fort peu d'inclination réciproque. Lors de la visite de l'Empereur d'Allemagne à Vienne, le Prince impérial d'Autriche s'est abstenu avec affectation de lui tenir compagnie, et s'en est allé à des chasses séparées avec le Prince de Galles. Faisant de lui-même allusion à ces dissentiments, le comte Széchényi m'a dit hier : « C'étaient là des brouilles de camarades».
Au fond, la disparition du Prince Rodolphe n'est pas faite pour affliger le prince de Bismarck ni pour affecter les intérêts de l'Empire d'Allemagne.
On prétend, il est vrai, et l'Ambassadeur d'Autriche me l'a confirmé, que le nouvel héritier de la couronne d'Autriche, l'Archiduc Charles-Louis, n'a ni goûts, ni aptitudes militaires ; il s'est consacré tout particulièrement aux expositions et à l'œuvre de la Croix-rouge. Ce n'est pas là ce qui peut le désigner à la sympathie des Allemands. Mais il n'a que trois ans de moins que François-Joseph et c'est vraisemblablement son fils, l'Archiduc François, qui sera appelé au trône impérial. Quelles sont la valeur, les idées et les tendances de ce jeune Prince qui n'a que vingt-six ans ? C'est ce que tout le monde ignore.
Aura-t-il l'autorité nécessaire pour maintenir l'assemblage disparate de tempéraments et de nationalités qui composent la monarchie austro-hongroise?
L'avenir permettra seul de répondre à cette question.
P.-S. 2 février 1889. — L'Empereur est retourné hier matin chez l'Ambassadeur d'Autriche, pour lui annoncer lui-même que l'Archiduc Rodolphe s'était suicidé ; il ne se rendra pas aux obsèques, François-Joseph désirant qu'elles gardent un caractère intime.
Je tiens du Ministre de Belgique, qui est naturellement en situation de connaître le dessous des cartes, la version suivante de la mort du Prince impérial d'Autriche, version qu'il ne m'a d'ailleurs donnée que sous toutes réserves : «Des pourparlers étaient engagés depuis quelque temps pour amener une réconciliation entre l'Archiduc Rodolphe et la Princesse Stéphanie. C'est pour se venger de cette réconciliation qui était sur le point de se réaliser qu'une femme aurait tué son amant. La Cour de Vienne dissimulerait cet attentat pour éviter le scandale inutile d'un procès et des révélations pénibles qu'il entraînerait. »
Source : Documents diplomatiques français. 1871-1914. 1e série, 1871-1900. T. 7, 1e janvier 1888-19 mars 1890, pp.313 et 314 / Ministère des affaires étrangères. Commission de publication des documents relatifs aux origines de la guerre de 1914 ( Commission de publication des documents diplomatiques français. )
(1) Ambassadeur de France en Allemagne (1886-1896)
La nomination de Jules Herbette au poste d’ambassadeur de France à Berlin en 1886 participe du mouvement d’introduction dans le monde diplomatique de républicains d’origine bourgeoise dans un milieu traditionnellement aristocratique. La longue ambassade de Jules Herbette s’inscrit dans une période d’équilibre diplomatique qui doit tenir compte de l’application du Traité de Francfort consécutif à la fin à la guerre de 1870-1871, et du refus de la part de la classe politique comme de l’opinion française de l’annexion par l’Allemagne des provinces d’Alsace-Lorraine.
La nomination de Jules Herbette au poste d’ambassadeur de France à Berlin en 1886 participe du mouvement d’introduction dans le monde diplomatique de républicains d’origine bourgeoise dans un milieu traditionnellement aristocratique. La longue ambassade de Jules Herbette s’inscrit dans une période d’équilibre diplomatique qui doit tenir compte de l’application du Traité de Francfort consécutif à la fin à la guerre de 1870-1871, et du refus de la part de la classe politique comme de l’opinion française de l’annexion par l’Allemagne des provinces d’Alsace-Lorraine.
(2) Graf Emmerich von Szechenyi
Rodolphe. Les textes de Mayerling
Pour découvrir les différentes versions du drame de Mayerling, je vous invite à lire le recueil de textes que j'ai présentés dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).
Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.
Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :
1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger
Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.
Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.
Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)
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