Georges et Albin tiennent une boîte de nuit à Saint-Tropez — l'un comme gérant, l'autre comme diva. Et ensemble, ils mènent une vie de couple heureuse. Mais tout bascule lorsque le fils de Georges veut se marier — justement avec la fille d'un politicien ultraconservateur ! Georges et Albin se laissent convaincre de jouer une famille « tout à fait normale » pour un dîner avec les futurs beaux-parents. Il est clair que cela ne peut que mal tourner ...
Jean Poiret a écrit sa comédie à succès au plus profond des années 70, lorsque le mariage homosexuel était au-delà de toute réalité et que le fait d'être gay était loin d'être une « bonne chose ». Depuis 1983, ce plaidoyer turbulent et entraînant pour la tolérance, l'égalité des droits et la liberté individuelle a conquis les scènes du monde entier sous forme de comédie musicale, a joué 2423 représentations rien qu'à Broadway et est devenu un hymne du mouvement LGBTQIA+*, fidèle à la devise : « I am what I am !».
Ballet aérien en ouverture |
Soir de Rosenmontag, ce lundi des roses qui précède le mardi gras et est très célébré en Allemagne. Si le public du théâtre am Gärtnerplatz n'est pas accueilli dans le grand hall d'entrée par des comédiens surexcités déguisés en grandes folles poussant des cris aigus, ce qui attire l'attention, c'est d'abord le beau programme d'un format inhabituel réalisé par Michael Alexander Rinz, le dramaturge attaché à la Maison depuis 2012. Son contenu retrace les étapes du long chemin de nombreux pays occidentaux vers l'égalité et la légalité. Le soulèvement newyorkais de Stonewall en 1969 a ouvert la voie à un parcours du combattant qui a conduit à la dépénalisation de l'homosexualité, au partenariat enregistré puis au mariage pour tous, dès 2001 aux Pays-Bas, en 2017 en Allemagne. Le programme rappelle que de nombreux états de la planète sont virulemment opposés à cette vision d'un monde égalitaire : l'Afghanistan a rétabli la peine de mort pour les actes homosexuels en 2021, en 2023 la Russie a classé le mouvement LGBTQIA+ comme extrémiste, en ce début d'année les États-Unis viennent d'exclure les personnes transsexuelles de l'armée. En 1973, lorsque Jean Poiret écrivit sa pièce La cage aux folles, l'homosexualité était encore stigmatisée comme une plaie sociétale et ses manifestations publiques punissables comme attentats à la pudeur. Michael Alexander Rinz s'intéresse à la genèse de la pièce, puis au tournage du film franco-italien de 1978 et enfin à la comédie musicale de Jerry Hermann, Harvey Fierstein et Arthur Laurents créée à Broadway en 1983. Le dernier volet du programme se penche sur le phénomène des drags queens. Pour la nouvelle production, le metteur en scène Josef E. Köpplinger s'est assuré le concours et l'expertise de la drag-queen Janisha Jones, alias Jan Sabater Viñals. Une planche plus festive apporte des conseils pratiques aux personnes tentées par l'expérience de devenir une drag-queen. Un programme soigné et bien informé qui pourrait bien devenir un collector.
La périlleuse visite de la famille Dindon |
Pendant l'ouverture des vidéos extraites de documentaires sur les mouvements de libération gay des années 1970/80 sont projetées sur le rideau d'avant-scène. Des visuels rappellent les jalons des reconnaissances juridiques de la condition homosexuelle. La mise en scène, sobre et efficace, dessine très précisément les contours des personnages qui évoluent dans les décors de Rainer Sinell, qui rappellent ceux de la pièce de théâtre de Jean Poiret. Le cabaret est surtout évoqué par de grands rideaux dorés. Le séjour de l'appartement de Georges et Albin est encombré d'objets et de peintures érotiques. Le plateau tournant nous fait passer du séjour à la loge d'Albin. Une grande toile peinte évoque le village et le port de Saint-Tropez. La transformation du living en une pièce austère avec un immense crucifix appendu au mur, un prie-dieu et des chaises funèbres s'effectue en un tournemain. Tout est prêt pour la réception de la famille du très réactionnaire député ultraconservateur Dindon. Josef E. Köpplinger a travaillé en étroite collaboration avec le chorégraphe Adam Cooper, le théâtre, la musique, le chant et la danse se combinent constamment pour proposer un spectacle d'une dynamique entraînante. Le talentueux Alfred Mayerhofer s'est une fois de plus dépassé dans la création d'une foison de costumes plus originaux les uns que les autres. D'entrée de jeu, toutes ces composantes se trouvent réunies dans un ballet aérien magique. La touche française ne pouvait manquer, elle est bleue blanc rouge, des couleurs qui apparaissent récurrentes dans les décors et dans les costumes. Et pour la photo finale, on voit Albin et Georges poser dans l'encadrement d'un modèle réduit de l'Arc de triomphe parisien posé sur un podium de cabaret.
Albin et Georges triomphants et unis pour la vie |
Passionné par la comédie musicale dont il est un des meilleurs spécialistes, le chef Jeff Frohner revient au Theater-am-Gärtnerplatz où il avait déjà dirigé Jesus Christ Superstar, Singinʼ in the Rain et Hair. Il conduit l'orchestre à un rythme entraînant pour un public qui ne demande qu'à l'être. Armin Kahl, qui avait déjà interprété avec succès le rôle-titre travesti dans Tootsie, réalise une composition fascinante d'Albin qui s'éloigne du cliché habituel de la diva hystérique. Il nous fait découvrir un personnage certes particulier et hypersensible mais débordant d'humanité et qui garde sa masculinité dans son travestissement. Remarquable transformiste, Armin Kahl passe rapidement du costume de la diva à celui de la prétendue maman pour bientôt revenir à la complexité de sa vraie nature dans un extraordinaire jeu de scène. Daniel Prohaska donne un George plus classique, presque trop policé pour un patron de boîte de nuit. On retrouve avec plaisir son ténor impeccable à la ligne de chant très pure. Jean-Michel, le fils de George qu'a couvé Albin d'un amour tout maternel, est interprété par le ténor Paul Clementi, qui a la voix et le physique d'un jeune premier très amoureux, mais qui manque d'assurance face à la famille de son futur beau-père. Christoph Schleinzer endosse tous les costumes d'un Jacob / Claudine polymorphe, dont le personnage si dévoué à sa maîtresse Zaza ferait tout pour pouvoir monter un jour sur la scène du cabaret. Jacob se donne à voir dans toutes les apparences qu'il aimerait interpréter. Anne Oberbeck a pris l'apparence de Mireille Mathieu pour jouer la patronne de restaurant Jacqueline, qui n'a pas la langue dans sa poche pour remettre les montres à l'heure et pour affronter le député Dindon qu'interprète qu'Erwin Windegger. Notons encore les très amusantes Cagelles qui entourent Zaza à l'heure du spectacle, une série de travestis qui apparaissent sur scène chacune avec les attributs de sa spécialité. Méfiez-vous d'Hannah, un travesti domina hambourgeois dont le fouet pourrait laisser de fâcheuses traces.
De nombreux numéros ou encore des traits particulièrement réussis de la mise en scène furent longuement applaudis et acclamés pendant le spectacle. En fin de partie, la salle s'est levée comme un seul homme pour une standing ovation très méritée. Ce spectacle n'est pas seulement divertissant, cela va bien plus loin et bien plus en profondeur, ce spectacle est libérateur, grandiose et émouvant. Une production peaufinée dans les moindres détails par Josef E. Köpplinger qui peut ajouter une nouvelle étoile à son palmarès brillamment constellé.
Distribution du 3 mars 2025
Direction musicale Jeff Frohner
Mise en scène Josef E. Köpplinger
Chorégraphie Adam Cooper
Scène Rainer Sinell
Costumes Alfred Mayerhofer
Lumières Peter Hörtner / Josef E. Köpplinger
Dramaturgie Michael Alexander Rinz
Georges Daniel Prohaska
Albin Armin Kahl
Jean-Michel Paul Clementi
Anne Dindon Florentine Beyer
Édouard Dindon Erwin Windegger
Marie Dindon Anja Clementi
Jacob Christian Schleinzer
Jacqueline Anna Overbeck
Francis Frank Berg
Babette Frances Lucey
Chantal Diego Federico
Hanna Alexander Findewirth
Mercedes Peter Neustifter
Phèdre Michael B. Sattler
Odette Fabian Koller
Nicole Johannes Summer
Angélique Riccarda Schönerstedt
Marika David Hegyi
Dermah Alexander Quetell
Bitelle Alexander Hille
Lo Singh Amelie Lambrichts
Clo-Clo Marta Jaén Garcia
Monsieur Renaud Holger Ohlmann
Madame Renaud Tracey Adele Cooper
Paulette Shania Ochsner
Hercule Joël Zupan
Madame de Colette Ann-Katrin Naidu
Figurants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz
Crédit photographique © Markus Tordik
*Par L, on entend « Lesbiennes », par G « Gays », par B « Bisexuel·le·s », par T « Trans », par Q « Queers », par I « Intersexué·e·s », par A « Asexuel·le·s » ou « Aromantique·s » et le + inclut les nombreux autres termes désignant les genres et les sexualités.
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