lundi 3 avril 2023

Schmetterling, deux chorégraphies de Sol León et Paul Lightfoot par le Ballet d'État de Bavière

Schmetterling —L. Summerscales, R. Strona © Carlos Quezada

La compagnie du Bayerisches Staatsballett présente jusqu'au 8 avril des représentations de son répertoire, avec notamment au programme sa dernière production, les Ouvertures de Tchaïkovski d'Alexei Ratmansky. C'est avec Schmetterling que le Bayerische Staatsballett a ouvert la semaine du Festival du ballet 2023.

Schmetterling, deux chorégraphies de Sol León et Paul Lightfoot

C'est la première fois que des chorégraphies de Sol León et Paul Lightfoot sont présentées à Munich. Le Bayerisches Staatsballett est aussi la première compagnie à représenter conjointement Silent Screen et Schmetterling en dehors du Nederlands Dans Theater (NDT). Depuis près de deux décennies, les deux chorégraphes ont forgé l'excellente réputation internationale de cette maison. 

Paul Lightfoot (1966, Angleterre) a rejoint le Nederlands Dans Theater en 1985, y commençant une carrière de danseur qu'il y poursuivra jusqu'en 2008. C'est au cours de cette période qu'il s'est mis à chorégraphier avec Sol León. De septembre 2011 à août 2020, il fut également directeur artistique de la compagnie. Sol León a rejoint le NDT après avoir obtenu son diplôme à l'Académie nationale de ballet de Madrid en 1987. Elle y dansa entre autres dans les ballets de Jiří Kylián, Hans van Manen, Mats Ek et Ohad Naharin. En 2003, León interrompit sa carrière de danseuse pour se consacrer entièrement à la chorégraphie, en collaboration avec Paul Lightfoot. De 2012 à 2020, León a également été conseillère artistique du NDT. La début du travail conjoint des deux chorégraphes remonte à 1989. Ensemble, ils ont créé plus de 60 ballets pour le Nederlands Dans Theater, dont ils furent résidents de 2002 à 2020. Les deux chorégraphes forment un couple tant à la scène que dans la vie, ils ont une fille, prénommée Saura. À ce propos, une particularité : la plupart de leurs ballets portent un titre commençant par la lettre 'S', qui renvoie au prénom de Sol León. La lettre 'S' leur sert de mascotte ou de porte-bonheur. Et ce fut aussi déterminant dans le choix du prénom de leur enfant.

Le spectacle en deux parties présente deux pièces fondatrices de leur travail de collaboration artistique dans un langage de danse qui participe d'une même conception : il se caractérise par une théâtralité particulièrement forte et l'expression de puissantes émotions qu'ils exposent dans leur langage de danse inimitable, excellant par sa finesse technique. Derrière chaque pas, geste et figure se cache une attitude émotionnelle, un contenu narratif ou un concept poétique. La vie humaine se déploie dans les deux ballets comme un espace d'expérience spécifique, dans lequel s'expriment tant la soif de vivre que la conscience de la mort.

Silent Screen a fêté sa première mondiale en 2005. Sol León et Paul Lightfoot se sont inspirés, entre autres, de films muets qui, comme dans le ballet, traitent de la communication interhumaine d'une manière non verbale. La scène dévoile le décor de trois grands écrans déployés comme un paravent où défilent les flots de la mer du Nord séparés par un brise-lame. Les silhouettes de trois personnages, deux hommes et une femme vus de dos se découpent sur le fond marin. Le plus grand des hommes appartient au film et se détache de l'alignement qu'il formait avec l'homme et la femme pour s'avancer sur le brise-lames. L'homme et la femme s'engagent dans un dialogue dansé, tournant autour des différentes phases de la relation d'un couple, dont la structure étendue est formée par un collectif composé d'individus totalement différents. L'amour sous ses formes changeantes comme la peau d'un caméléon et les relations — il s'agit toujours de relations, avance le couple de chorégraphes hispano-britannique. Les différentes scènes obéissent moins à une histoire cohérente qu'à une logique onirique, interprétée par l'ensemble sur les musiques du compositeur américain Philip Glass. Plus tard, dans le film muet, s'avancera une jeune fille vêtue d'un manteau rouge jusqu'au point d'un gros plan sur son visage puis sur ses yeux grands et magnifiques qui regardent le couple dansant ou qui nous fixent, ce que l'on comprendra, c'est selon. Un tourbillon se forme qui semble tout aspirer et nous font pénétrer dans une sorte de rêve dansé où des couples se forment, se déforment, s'aiment ou se déchirent. Le film de la fin de Silent Screen redessine le chemin parcouru en mode inverse : le tourbillon, les yeux, la petite fille qui s'en va vers la mer, l'homme et puis, pour finir,  " la mer, la mer, toujours recommencée ", — un procédé ouroborique,

Au retour d'entracte, un danseur accroché au rideau se met à battre des ailes simulées, une femme âgée et percluse en petite robe noire un peu courte traverse la scène les pieds nus (une spectatrice qui s'est trompée de porte ?). L'homme la remet sur le droit chemin la poussant vers les coulisses. Mais elle a perdu son sac et revient en scène... Un intermède typique du travail des deux chorégraphes.

Dans la seconde moitié du spectacle de ballet, le Bayerisches Staatsballett interprète la chorégraphie Schmetterling qui fut créée en 2010 au Nederlands Dans Theater. Le papillon du titre qu'on vient de voir simulé en fin d'entracte  est ici symbolique de l'éphémère, de la transformation et de la beauté. La pièce commence par la relation entre une femme âgée et son fils, confronté à la mort de sa mère. Autour de cela se forme un groupe de personnages supplémentaires, tout de noir vêtus, qui incarnent les différentes phases et aspects de l'existence humaine. Schmetterling est réglé sur la musique de Max Richter, avec certaines des 69 chansons d'amour du groupe de rock indépendant Magnetic Fields qui forment également le paysage sonore. Ils réverbèrent tout ce qui est absurde, triste, sarcastique, passionné, désirable et humain dans un monde d'émotions, dans lequel l'amour dans toutes ses nuances forme le noyau énergétique. " Panta rhei ", tout se transforme constamment, la vie humaine est mobile et éphémère comme la vie d'un insecte, elle côtoie constamment la mort avant d'y disparaître. Alors que Silent movies laissait encore entrevoir en son début tout au moins un amour possiblement harmonieux, un cocon protecteur, les relations de Schmetterling se passent dans l'espace réduit d'une succession de portiques noirs placés en emboîtement  au milieu de la scène. Les expressions des danseurs sont outrées, sarcastiques, empreintes d'un humour provocateur et ricanant, elle dérangent, mettent mal à l'aise, semblent évoquer le désespoir d'être vivant dans un monde insensé. Les amours sont volages, la vie transitoire, sans direction, ce que les danseurs et danseuses expriment par des mouvements syncopés, un comportement déréglé ou des visages grimaçants. C'est inquiétant et parfois à la limite du supportable. Sur la musique finale de Max Richter, les portes noires emboîtées, symboles peut-être de la vie qui passe et trépasse, disparaissent pour laisser place au spectacle d'un paysage marin projeté sur un vaste rideau en hémicycle et qu'un danseur vient entièrement ouvrir : avec le rideau qui s'ouvre disparaît le film paysagiste. Est-ce à dire qu'après la mort, il n'y a plus rien ? 

Ceci dit, c'est magnifiquement dansé. Et c'est sans doute le travail accompli et la technicité parfaite  des merveilleux interprètes du Bayerisches Staatsballett qui suscite l'énorme enthousiasme, les trépignements et les bravi d'un public déchaîné aux applaudissements, peut-être aussi libératoires et cathartiques.

SILENT SCREEN
Chorégraphie, scène, design de costumes et concept de fil Sol León et Paul Lightfoot
Musique Philip Glass
Réalisation des costumes Hermien Hollander et Joke Visser
Lumières Tom Bevoort
Réalisation du film Metropolis Film / Dicky Schuttel

SCHMETTERLING
Chorégraphie et scène Sol León Paul Lightfoot
Musique Magnetic Fiels et Max Richter
Costumes Joke Visser et Hermien Hollander
Lumières Tom Bevoort
Photographies projetées Rahi Rezvani

Solistes et troupe du Bayerisches Saatsballett

Prochaines représentations les 21, 28 et 29 avril. Chemin vers les réservations.

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