Sissi et ses dames de compagnie à Madère (illustration hors article) |
En 1939, le journal parisien Ce soir dirigé par Louis Aragon publiait en feuilleton la biographie romancée de l'impératrice Élisabeth d'Autriche, due à la plume de Suzanne Normand, sous le titre Une impératrice maudite. La vie errante d'Elisabeth d'Élisabeth d'Autriche. Voici le chapitre consacré au séjour de Madère, dans l'édition du 16 juin,
" RÉSUMÉ
Avril 1854: Vienne accueille triomphalement une enfant, belle et rêveuse, Elisabeth de Wittelsbach, fille du duc de Bavière, qui va devenir la femme du jeune empereur François.Joseph. Août 1858 : la jeune souveraine met au monde l'héritier tant attendu et qui sera l'archiduc Rodolphe. Mais cela n'empêche pas Elisabeth, en butte à l'hostilité implacable de sa belle-mère, l'archiduchesse Sophie, d'étouffer, entre les murs de la Hofburg ; comme dans une prison.
Elle n'aura plus, tenace comme un vertige, cette envie de s'arracher à tout.
Mais, autour d'elle, il n'est pas question de tendresse. Il s'agit seulement de savoir si cela se fait, ou ne se fait pas., Sa vie est en danger, mais vers cette vie, pas un élan, rien que des calculs.
— Oui, je crois, insiste-t-elle, je crois qu'un hiver à Madère me ferait du bien.
... À Anvers, le yacht qui l'emmènera à Madère se balançait doucement sur les eaux livides de la mer du Nord. Il parlait de liberté, d'espace, et pourtant, ce qu'Elisabeth regrettait encore à cette heure, c'est le mot d'amour que le cœur distrait de son mari persistait à lui refuser. Loin de la Cour, va-t-il retrouver enfin la gentillesse d'autrefois ? Mais, au départ, ses paroles restaient celles de tout le monde :
— Allons, soigne-toi bien. Guéris tes poumons.
Ses poumons ? Et son âme ?
La trêve de Madère
Sous les fenêtres d'Elisabeth, à Madère. l'Atlantique, plus bleu que le ciel, léchait. le rivage à petits coups doux. L'air était plein de l'odeur des mimosas. Là-bas, à Vienne, la Hofburg, sous le vent d'hiver, devait être glaciale, et ses hôtes moroses. Seuls, deux visages d'enfants, qui, loin d'elle, essayaient leurs premiers pas, leurs premiers rêves, avaient le pouvoir d'étreindre le cœur de l'impératrice. Elle y pensait sans trêve, en parlait à ses femmes :
— Mais, quand je suis à la Hofburg, ne sont-ils pas aussi loin de moi ?
La vie est douce, ici. C'est une petite cour sans étiquette : d'impératrice l'a voulu ainsi. Il y a deux ou trois dames de compagnie, toutes jeunes, toutes belles, éperdues de dévouement.
Quelques hommes, aides de camp, officiers. De loin en loin, on voit débarquer un gentilhomme, envoyé par l'empereur, qui vient prendre des nouvelles, et apporte les derniers échos de la Cour.
Mais la Cour ne manque pas à Elisabeth, avec ses tyrannies imbéciles, sa pompe d'un autre âge, son faste aux minuties remplies de pièges.
Même, si quelque chose lui gâche subtilement le plaisir d'être ici, c'est bien la perspective de retrouver un jour la somme barbare de ces stériles devoirs.
Du moins, à Madère, a-t-elle repoussé toutes les contraintes.
Inutile de compter sur ses visites, sur ses réceptions.
Le comte Carvalho, seigneur de l'île, en a été pour ses frais.
Il voulait mettre son palais à la disposition de l'impératrice.
Elle a préféré cette simple villa, ce jardin qui éclate de fleurs, le chant infatigable de la mer, sous ses fenêtres.
La voir ? On ne la voit pas.
Elle est malade, elle est venue ici pour se reposer. Qu'on ne l'oublie pas.
De temps à autre seulement, elle monte l'un des poneys qui peuplent les écuries.
Mais ce ne sont plus les folles chevauchées de jadis : une heure de promenade, c'est tout, et au pas. Au retour, elle s'étendait auprès de sa fenêtre ouverte.
— Votre Majesté sortira-t-elle de nouveau ?
— J'ai des lettres à écrire, Marie. Et puis lire, lire. Là-bas, songes-tu qu'il fallait presque me cacher, pour lire ? À quoi cela peut-il bien servir à une impératrice, la lecture ?
Elle touchait ses livres avec une sorte d'amour, les reprenait sans fin. C'étaient les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, les poésies de Lamartine, celles de Henri Heine. Elle découvrait ce douloureux génie, il éveillait en elle de longues résonances : « J'ai cherché l'amour sur toutes les routes, j'ai tendu la main à toutes les portes, mendiant une pauvre aumône d'amour, mais on ne m'a donné en riant que la haine froide. »
— Le courrier est-il arrivé ?
Il n'y avait jamais assez de courrier.
— Pourquoi ma sœur Marie n'écrit-elle pas ?
Cette attente tournait à la torture.
Mais Marie ne pouvait guère écrire. Dans Gaète, où, avec son pitoyable époux, elle avait accepté de se réfugier après l'entrée à Naples de Garibaldi, cette souveraine de vingt ans refusaif de capituler, refusait de suivre à Rome le corps diplomatique qui s'y retirait dignement.
Le général assiégeant priait qu'on lui désignât, afin de les épargner, les hôpitaux et le palais royal ? Marie, acceptant l'offre pour les hôpitaux, la déclinait pour le palais.
En février, Elisabeth apprit que Marie avait perdu sa couronne. Pour l'impératrice, c'était là un mince malheur. La mésentente du couple proscrit lui paraissait autrement cruelle.
— Les choses s'arrangeront.
Elle n'y croyait plus à présent. Et, loin des siens, elle sent avec une violence accrue, presque douloureuse, les liens qui l'attachent à eux.
— Savez-vous que ma sœur Hélène me promet sa visite ?
Elle arrivera bientôt.
Hélène apportait avec elle le climat, la couleur, le parfum de Possenhofen et tous les visages qui depuis toujours le peuplaient.
Auprès d'elle, l'enfance d'Elisabeth, ce paradis perdu, ressuscitait, avec la fantaisie du père, la sagesse maternelle, et les jeux fraternels dans les prairies bavaroises, dans les eaux du lac, fraîches sous le soleil.
— Tu te souviens ?
Il y avait, à se souvenir, une sorte de bonheur sans prix, où l'exaltation se compliquait d'un regret poignant.
Maintenant, tout était perdu de ce royaume introuvable, il n'y avait plus place pour les sortilèges ingénus que dans la mémoire et dans le cœur. Maintenant, c'était l'âge morose de la raison.
Dans la grâce éclatante des jardins de Madère. Elisabeth regardait sa sœur paisible, sans rêves et sans révoltes, indifférente à son visage et à sa toilette. En pensée elle posait, sur cette tête sage, la couronne d'Autriche.
Non, l'inquiétude héréditaire des Wittelsbach n'habite pas sous ce front-là. Ni l'inquiétude, ni l'indiscipline. Un jour, Hélène parlait à Elisabeth de « leur tante Sophie ».
Elle vit sa sœur pâlir brusquement :
— Ce n'est plus tante Sophie, souffla-t-elle. tu ne sais pas.
Tout ce que la Cour d'Autriche avait fait peser sur elle de contraintes, d'incompréhension, tout le despotisme qu'elle exerce — non point seulement sur ses gestes et sur ses actes, ce qui ne serait rien, mais surtout, surtout, sur sa pensée, sur sa vie intérieure — tout, à présent, est symbolisé par cette «femme forte», qui a sacrifié une âme à la grandeur de l'Empire, à ce qu'elle croit être la grandeur, car le jour où l'on fera le compte de ses erreurs.
Elisabeth regarde le ciel, la mer, couleur de jacinthe, elle respire le doux vent qui a passé sur les jardins, et tout ce bonheur ne réussit pas à lui alléger le cœur.
Elle avoue :
— J'ai écrit, à tout le monde, à tous en Bavière, à Vienne.
Seul son nom n'a pu venir sous ma plume. Et pourtant elle voudrait une réconciliation. Même, elle m'a envoyé dernièrement un Saint-Georges.
— Tu l'as remerciée ?
— Par l'intermédiaire de mon beau-frère, Louis-Victor.
— Sois raisonnable, murmura Hélène.
Sur le bureau de l'impératrice souriaient les petits visages de Gisèle et de Rodolphe.
Quand Elisabeth tourna la tête vers Hélène, celle-ci vit que sa sœur avait les yeux pleins de larmes.
Sur le yacht Victoria-et-Albert que la reine d'Angleterre, une seconde fois, avait mis à sa disposition, Elisabeth refaisait en sens inverse la même route, celle du retour.
Elle multipliait les escales, tâchant de retrouver, dans les ports où le bateau jetait l'ancre, l'éclat et la douceur du printemps de Madère auquel elle avait dû s'arracher.
Avril finissait. Aux escales d'Espagne, ce fut le mois de mai. Comme elle voudrait que le paysage fût seul à l'accueillir ; et non les hommes, non les honneurs ! À Cadix, elle refuse toute réception. A Séville, repoussant une invitation des souverains pour Aranjuez, elle court aux arènes.
Et voici Gibraltar, Majorque, Malte, voici Corfou, dans son anneau d'écume, sous les orangers en fleurs et les cyprès noirs.
Voici Trieste où François-Joseph est venu à sa rencontre, ému peut-être.
Et voici Vienne. Les enfants, la joie ? Non, la Hofburg où, à peine arrivée, elle doit, sans transition, retrouver le fidèle cauchemar du cérémonial : l'interminable présentation des grandes dames de la Cour.
Et voici l'archiduchesse, éternellement pareille à elle-même, intangible, inébranlable.
Voici que tout recommence.
Et jusqu'à la maladie. Et, de nouveau, le départ.
Le départ ou la fuite ?
Cette fois, c'est l'île d'or Corfou, où l'accompagne l'archiduc Max, le frère de l'empereur, et où Hélène, toujours vigilante, ira la retrouver et, une fois de plus, la raisonner. Où l'empereur, après quatre mois d'absence, débarquera, sans réussir à la convaincre de revenir à Vienne.
— Du moins, dit-il, pourrais-tu ne pas résider en dehors du royaume ?
Elisabeth l'écoutait, méfiante et têtue.
Le royaume ?
Elle choisirait donc Venise, la ville chimérique et hostile où, du moins, elle ne serait point accablée d'obligations.
Mais était-ce assez loin de Vienne ?
De loin en loin, son mari surgissait. La comtesse Esterhazy lui amenait ses enfants, avec toutes sortes d'interdictions serinées par l'archiduchesse. Et Ludovica, inquiète de toutes ces absences, de tous ces manquements à l'étiquette, arriva soudain, gonflée de maternelles objurgations.
Perplexe, elle regardait sa fille, changée, bouffie, et qui souffrait des pieds, elle, cette Atalante.
Elle la convainquit d'aller se soigner à Kissingen en Bavière.
Mais la meilleure cure, c'était peut-être Possenhofen, avec la présence de Marie, qui, elle aussi, fuyait son piteux mari, celle de Mathilde, mariée depuis peu au frère de François II, le prince Trani, et tout cet inexprimable qui la rendait à la joie : Possenhofen à jamais pétri des souvenirs de l'enfance perdue :
Ô hirondelle, prête-moi tes ailes!
Emmène-moi au pays lointain ;
Que je serais heureuse de briser toute entrave.
De rompre tout lien. "
Cet élégant portrait, réalisé par le peintre Franz Schrotzberg, a été offert par l’impératrice en 1861 à Richard Davies, le propriétaire de la Quinta Vigia à Madère, le lieu de villégiature de l’épouse de François-Joseph entre novembre 1860 et avril 1861. L’impératrice avait offert son portrait à ses hôtes en remerciements de leur accueil et cette toile est depuis restée propriété de cette famille, qui le revendit en 2018.
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