mardi 16 mai 2023

Festival Dance 2023 à Munich. Première européenne de "M" de Marie Chouinard.

Au Commencement était le Souffle
Et le Souffle s'est fait Corps
Et il a habité la Scène
Tout par Lui a été fait, 
Et sans Lui n'a été fait rien de ce qui existe
Et sur Scène nous avons vu Sa Gloire, 
Gloire toute pleine de grâce et de vérité. 
                                     (Saint Jean revisité)

DANCE 2023, le désormais célèbre festival munichois bisannuel qui se déroule cette année du 11 au 21 mai, a  invité trois compagnies qui en constituent le pôle canadien, celles de Catherine Gaudet, dont la production The Pretty Things a ouvert le festival, de Marie Chouinard à qui deux soirées viennent d'être consacrées pour la première européenne de " M " et celle d'Andrew Tay et Stephen Thompson qui présentera ce 16 mai son Make Banana Cry. L'occasion pour le public munichois de découvrir les visions personnelles du monde et le vocabulaire de la danse des chorégraphes montréalais.

Marie Chouinard, qui enthousiasme les scènes internationales depuis plus de 40 ans, est revenue à Munich avec la compagnie qu'elle a fondée en 1990 et qui porte son nom, répondant à l'invitation du festival DANCE qui l'avait déjà sollicitée  en 2012 avec bODY_rEMIX/gOLDBERG_vARIATIONS et en 2019 avec la double soirée Les 24 Préludes de Chopin / Henri Michaux : Mouvement. (Voir à ce propos nos articles : Festival DANCE 2012 à Munich: la Compagnie Marie Chouinard au BMW Welt et Festival DANCE 2019. Les mondes hallucinés de Marie Chouinard.) Dans toutes ses productions, le souffle joue un rôle très particulier.

Les interprètes Paige Culley et Motrya Kozbur au début de « M ». Photo © Sylvie-Ann Paré.

Première européenne de " M " — Et le Souffle s'est fait Corps

Une fois n'est pas coutume, si Marie Chouinard présente le plus souvent ses nouvelles créations à l'étranger, c'est au Québec qu'elle a créé " M " en janvier dernier. Munich a les honneurs de la première européenne de sa nouvelle chorégraphie, une variation colorée qui met une nouvelle fois en scène les recherches menées par la chorégraphe  sur le thème du souffle, de la respiration et de la voix, une thématique qui la passionne depuis plus de trente ans : elle l'avait abordée dès 1990 dans Les trous du ciel, sa première chorégraphie de groupe. 

" M " est une oeuvre magique qui se penche sur  le miracle de l'animation et de la transformation de l'humain par la dilatation de son propre souffle. Les onze danseurs, huit femmes et trois hommes, sont torses nus.  Le public a constamment l'attention attirée sur les mouvements de leurs diaphragmes, sur la dilatation de tout l'appareil respiratoire, sur la merveille du souffle qui apporte l'énergie au corps et crée une " luminescence de l'intérieur ". Marie Chouinard qui s'est toujours passionnée pour " le pouls des cellules et des circuits énergétiques " porte ici toute l'attention de sa chorégraphie sur le cycle de la respiration. Le souffle se fait corps et crée des sonorités qui s'exaltent dans leurs répétitions, qui deviennent incantatoires, qui sont émises par un individu et bientôt reprises par d'autres individus ou par tous les membres du groupe. Et sans doute le souffle est-il aussi à l'origine de la valse des couleurs qui viennent métaphoriquement s'exprimer sur la vaste toile de fond de scène. Bientôt le souffle devient sonorité, séquence sonore et cri. Les danseurs s'émerveillent de leur capacité à arrêter la séquence d'un geste, puis de la reprendre ou de la communiquer à une autre danseur qui la reproduit et s'anime de cette reprise. Plus avant les sons émis commencent à s'articuler et finalement à former l'embryon d'une phrase encore dénuée de sens. Le groupe des danseuses et  danseurs est essentiellement mimétique, il intègre et se meut à l'unisson en reproduisant ou en remodulant la séquence sonore émise par un danseur isolé. Quelque chose prend forme sur scène, se constitue, cela fait penser à la naissance de l'humanité, à la préhistoire du langage, à ce temps immémorial où le souffle s'est fait son, où l'humain a expérimenté les variations sur les sons émis et a fini par les articuler puis à faire correspondre des séquences de sons à des réalités vécues. La chorégraphie nous a paru se pencher sur l'époque du cri primal de l'humanité, cette époque légendaire où comme il est écrit dans la Genèse L'Eternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et les fit venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme. Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs." Ce n'est là sans doute qu'une interprétation de cette chorégraphie qui perturbe, fascine et émerveille et qui nous invite à réaliser notre propre voyage intérieur en suivant les évolutions des danseurs vêtus de pantalons de sport flamboyants et de perruques à coupe de type bob tout aussi colorées qui semblent improviser leurs danses au départ de leurs propres sons. 

À la fascination des sons et de la danse qu'ils génèrent se combine celle des couleurs qui amplifient le langage des corps. Les perruques bleues, rouges ou fuchsia, les pantalons jaunes, verts, oranges, bleus ou lilas, le fond de scène en grand écran violemment coloré de couleurs changeantes, les lumières qui viennent caresser et souligner les torses et les visages des danseurs, tout contribue à créer une atmosphère surréelle et fantastique. Et ici aussi c'est le Souffle qui semble être à l'origine des couleurs exubérantes de ce monde qu'il semble avoir créé. 

Le Souffle est grand et Marie Chouinard est sa pythie !


Crédit photos © Sylvie-Ann Parè

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