dimanche 30 juillet 2023

Deux poèmes du 'Chef des odeurs suaves' de Robert de Montesquiou mettent en scène les filles-fleurs de Parsifal

© Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Pour Camille Schnoor, Evelin Novak, Margaret Plummer, Julia Grüter, Betsy Horne, Marie Henriette Reinhold, incomparables magiciennes et filles-fleurs de Klingsor dans la nouvelle production de Parsifal au Festival de Bayreuth 2023.

Les Floramyes de Robert de Montesquiou

Robert de Montesquiou, poète dandy insolent et amateur d'art, publia Le chef des odeurs suaves, Floréal extrait en  1893 chez Richard, un recueil qui fut réimprimé orné d'un dessin par Breughel. Dans son journal à la date du 4 janvier 1893, Edmond de Goncourt évoque Le Chef des odeurs suaves, sur lequel travaillait encore Montesquiou : "Et Montesquiou m'entretient de son prochain volume de vers, qui sera tout entier consacré aux fleurs". 

Suivant l'édition de ses Chauves-souris, il s'agit du deuxième recueil de poèmes de Montesquiou. Le titre du recueil fait référence à un personnage de Salammbô (1862), roman historique sur Carthage de Gustave Flaubert  Dans son livre, Montesquiou célèbre les fleurs et les parfums, à la fois endeuillés et élégants.

La préciosité du style et l'extrapolation phonétique, caractéristiques du style poétique de Montesquiou, irrita les critiques, qui l'avaient massacré dès ses premières productions poétiques, en s'appuyant sur le fait que nombre de ses poèmes frisaient la frivolité.

Dans cette première phase de l'œuvre poétique de Montesquiou, les poèmes, " naturellement compliqués" selon ses propres termes, ne diffèrent pas beaucoup dans leur forme, bien que certains d'entre eux présentent quelques innovations métriques.

La première partie du livre intitulée " Floramyes " est constituée de sept poèmes. " Floramyes " est un terme qui fut autrefois employé pour désigner les filles-fleurs du Parsifal de Richard Wagner.  Deux de ces poèmes, " Simples " et " Filles-fleurs " mettent en scène le deuxième acte du Parsifal qui se déroule dans le jardin enchanté de Klingsor le magicien.

V SIMPLES

Décor de Parsifal, deuxième acte, féerie
De fleurs, où le cactus énorme se marie
Aux roses pourpre, aux œillets vifs, aux rouges lis,
Aux jasmins qui, de les frôler, sont moins pâlis.

Les filles-fleurs apparaissent, parmi ce rêve,
Végétales beautés, femmes qu'il faut cueillir, 
Soumises à Klingsor, qui mélange à leur sève 
Les philtres, les parfums, le rire et le soupir.

Mais, lorsque Parsifal a vaincu leur poursuite, 
Le clair décor se fane, et sèche en peu d'instants; 
La flore se flétrit et la femme est en fuite; 
L'automne, d'un seul coup, remplace le printemps.

Les Fleurs animées de Grandville

VI FILLES - FLEURS

Fille-Fleur de Wagner, que vit d'abord Grandville*, 
Que Walter Crâne** imite en un album subtil, 
Votre jupe-pétale, en ce livre, défile, 
Votre jambe s'effile et retombe en pistil.

Fleur-femme, Femme-fleur ; laquelle est, le plus, l'autre? 
Le papillon commence où cesse l'amoureux ; 
Le scarabée heureux dans la rose se vautre ; 
La Floramye attire un chevalier peureux.

Quand le jour est tombé, les fleurs deviennent femmes; 
Les femmes se font fleurs, à l'aurore du jour : 
Belles-de-jour, Belles-de-nuit, pleines de flammes, 
Les unes, de soleil et, les autres, d'amour.

Du curieux Grandville une fleur animée
Paraît un être hybride, humain et végétal ;
Sa taille est une tige, et sa branche palmée
Semble un bras dont la main tient un pleur de cristal.

De Crâne, c'est un bal costumé de fleurettes, 
Une procession de lis féminisés, 
De flores-dames, de fillettes-pâquerettes,
 De chevaliers-muguets, de seigneurs irisés.

Mais tout cela n'est point l'exacte Floramye, 
Ta fille vraie, ô Ver ! ta fleur vraie, ô printemps ! 
Celle que, pour sa gerbe, on veut, et pour sa mie, 
Telle, ô rêve ! qu'éternellement tu l'attends.

Deux peintres seulement ont entrevu la robe 
De féminine fleur de la femme-jardin; 
Du corps qui, sous la plante artiste, se dérobe, 
D'un beau parterre devenu vertugadin.

Botticelli, dans sa vernale Allégorie***, 
A la tunique où le mois de mai s'est tissé ; 
Etoffe qui serait, par le soleil, flétrie, 
Si le soleil s'était, dans la toile, glissé.

Plate-bande seyante, ambulante et vivante 
De jasmins au passé, d'oeillets au plumetis, 
De bouquets peints, de toute une flore savante 
Où, des oiselets seuls, manque le cliquetis.

Et, pour ce point, je veux encor donner la palme 
Au rare Zucchero**** qui peint Elisabeth, 
Dans Hampton Court, Diane à côté d'un cerf calme, 
La reine aux fols parfums de musc et de zibeth.

Peintre qui, sur l'étoffe encore plus fleurie 
Que la tienne, ô Florentine Primavera, 
Fait se percher l'oiseau dont le vol se marie 
Aux roses du tissu que rien ne flétrira.

"The flower-de-luce being one!" par Walter Crane
Notes

* Les Fleurs animées du caricaturiste, illustrateur et lithographe français Jean-Jacques Grandville (de son vrai nom, Jean Ignace Isidore Gérard, 1803-1847) paraissent en 1867. Elles rassemblent cinquante planches lithographiées qui seront très soigneusement mises en couleur par Edouard Maubert, peintre d'histoire naturelle attaché au Jardin des Plantes. L'ouvrage est introduit par un texte d'Alphonse Karr, Taxile Delord et le Comte Foelix consistant en un "micro dictionnaire" de botanique.
** Walter Crane (15 août 1845 à Liverpool - 14 mars 1915) est un artiste majeur anglais. Il fut également théoricien, écrivain, et socialiste convaincu. C'est l'un des principaux acteurs du mouvement artistique des Arts & Crafts. D'abord connu comme illustrateur, puis fervent promoteur des arts décoratifs, il a exercé son art dans de nombreux domaines : l'illustration, la peinture, la céramique, le papier peint, la tapisserie, etc. Montesquiou évoque ici les illustrations de l'ouvrage intitulé Flowers from Shakespeare's Garden: A Posy from the Plays.
*** " vernal ", adjectif pour désigner le printemps, allusion à la célèbre Primavera de Botticelli
**** Ce portrait représente la reine Élisabeth dans une robe de grossesse, ce qui laisse supposer que la "reine vierge" a eu des enfants, en l'occurrence Francis Bacon. Un mystérieux sonnet parlant d'une "plainte juste à l'injuste" se trouve en bas à droite. Le tableau est exposé à Hampton Court, au sud de Londres. Le portrait est en pied, dans un paysage boisé, la reine est vêtue d'une ample robe orientale blanche, richement brodée d'oiseaux et de fleurs, et portant une coiffe persane et un long voile ; un anneau est suspendu à son cou par un fil noir ; elle porte un autre anneau au pouce droit et des perles autour du bras droit, et place un chapelet de fleurs sur la tête d'un cerf ; derrière elle se trouve un arbre portant des fruits et des oiseaux, ainsi que deux inscriptions : Iniusti Justa querela et Mea sic mihi ; une troisième inscription figure à côté de la tête du cerf : Dolor est medicina (e)d[o]lori







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