mardi 1 août 2023

Accueil triomphal pour le Don Carlo de Verdi en clôture du Festival d'opéra de Munich

Charles Castronovo en Don Carlo

La dernière représentation des Münchner Opernfestspiele est traditionnellement célébrée comme un événement mondain : les dames ont sorti leurs plus beaux atours avec des toilettes particulièrement recherchées, la salle est comble, on joue à guichet fermé et quelques infortunés qui n'ont pu obtenir de billet tentent leur chance sur les escaliers ou sous la colonnade du théâtre national, dans l'espoir d'une revente. L'ambiance est électrisée, c'est dû à la fameuse réputation de la mise en scène et des costumes de Jürgen Rose et à une brillante affiche qui décline les plus grands noms d'un chef et de chanteurs et de chanteuses spécialisés dans le répertoire verdien. La soirée est encore rehaussée par la présence dans une loge supérieure du proscenium de son Altesse Royale le Duc Franz von Bayern, prétendant à la couronne de Bavière, et par celle au parterre du Professeur Jürgen Rose, qui fêtera ses 86 ans en août prochain. On joue Don Carlo, une des plus longues oeuvres du Maître de Busseto, la version italienne de son " grand opéra à la française ", qu'il composa sur un livret de Joseph Méry et Camille du Locle, d'après la tragédie Don Carlos de Friedrich von Schiller, Créé le 11 mars 1867 à l'Opéra de Paris, l'oeuvre fut ensuite traduite en italien et remaniée sept fois par le compositeur. La soirée munichoise est placée sous le signe de la tradition, même si autrefois cette même tradition voulait que l'on représentât toujours les Meistersinger en clôture du Festival d'opéra de Munich.


La mise en scène, les décors, les costumes et le concept d'éclairage, tous conçus par Jürgen Rose il y a 23 ans, n'ont pas pris une ride. Une mise en scène dans la meilleure tradition historique, simple et dépouillée, avec des références classiques et qui s'attache à mettre en valeur la musique de Verdi et les chanteurs. La scène est découpée en deux plans : un espace d'avant-scène est laissé libre pour permettre la circulation frontale des chanteurs, derrière lequel on accède par quelques marches à un immense caisson noir qui définit une salle unique se rétrécissant vers le fond pour donner un effet de profondeur et de perspective. La salle est austère et sombre, elle se transforme grâce aux jeux des lumières et par l'installation d'accessoires ou d'un escalier qui descend vers une crypte supposée pour figurer le monastère de  Yuste, où est mort Charles-Quint. Un immense crucifix avec un Christ, dont les bras sont étirés en un angle aigu proche de la verticale, est posé de biais contre la paroi gauche.  Les  parois entièrement noires et totalement dépouillées qui assombrissent la scène soulignent la rigidité austère de la Cour au temps où régnait l'Inquisition ainsi que le cérémonial imposé à la cour depuis Charles-Quint. Les costumes d'époque et le mobilier situent clairement l'action à l'époque de Philippe II et de la toute-puissance de l'Inquisition. Le pouvoir de l'église et de son bras justicier mortifère est souligné par le fait que les couleurs sont réservées au seul clergé catholique. Une scène grandiose est celle du bûcher sur lequel sont placés les corps nus horriblement torturés de supposés hérétiques qui ont les poignets suspendus à un gibet. La foule les couvre d'opprobre et fait la ronde autour du bûcher. Une procession de pénitents nazaréens cachés sous leurs capirotes portent des statues doloristes très colorées de la Vierge, du Christ ensanglanté ou d'une Pietà. La foule jouit du terrible spectacle que président le roi et la reine. Le Grand Inquisiteur aux yeux bandés comme ceux de la Justice apparaît assis dans un fauteuil sis sur une plate-forme que soutiennent des porteurs. Le feu est mis au bûcher. À la fin de l'opéra, alors que Don Carlo prend une dernière foi congé de la reine qu'il aime, se promettant d'aller sauver la Flandre du joug qui l'oppresse,  l'arrivée du roi et du grand inquisiteur qui a décidé de le faire mourir met un terme à ce projet. Le fantôme de Charles-Quint réapparaît alors en grand costume de cour pour le conduire dans la crypte, qui est, on peut le supposer, l'antichambre du paradis. Ajoutons encore, pour les connaisseurs de la grande peinture espagnole que Jürgen Rose nous renvoie aux superbes évocations du Greco pour l’Inquisiteur, de Goya pour l’autodafé ou de Zurbaran, qui ont inspiré le costume de Charles-Quint et le portrait du moine encapuchonné représenté devant la grande croix d'un rideau de scène aux changements d'actes ou de scènes. 

Charles Castronovo et John Relyea (Philippe II)

Charles Castronovo, que l'on reverra en Cavaradossi au cours de la saison prochaine dans la nouvelle production de Tosca (mai 2024), a repris  le rôle titre de Don Carlo. S'il met un certain temps à trouver ses marques en début d'opéra, avec une expression émotionnelle peu crédible, il prend rapidement de l'assurance et sa voix devient plus ample. Il a le physique séduisant de l'emploi, une voix de ténor qui au fil des années s'est élargie et légèrement assombrie, un lirico spinto qui convient bien aux rôles dramatiques du vérisme italien. La soprano italienne Maria Agresta, très à l'aise dans le répertoire verdien comme puccinien, chante Elisabeth de Valois depuis 2019 (prise de rôle à Madrid). Le chant est extrêmement séduisant, notamment dans le mezzo-voce et dans d'admirables sons filés. Sa maîtrise technique et le phrasé sont époustouflants, notamment dans le  "Tu che le vanità" du début du troisième acte dans lequel elle brille par son lyrisme déchirant. Ces deux chanteurs, sans disposer de grandes voix quant à leur volume, forment une paire qui se convient bien notamment  parce que leur puissance est  de niveau égal. Ils sont tous deux cependant desservis par les voix formidables de tous les autres protagonistes, spécialement dans les moments polyphoniques.

Maria Agresta (Elisabeth de Valois) et John Relyea

Très acclamé dans son Inquisiteur de l'an dernier au Metropolitan Opera,  John Relyea que l'on n'avait plus eu l'occasion d'entendre à Munich depuis 10 ans, donne un extraordinaire Philippe II, dominant tout le plateau de sa grande stature et de son baryton-basse d'une projection et d'une puissance rares, qui a la capacité de descendre à des profondeurs abyssales sans rien perdre de sa clarté d'élocution. Excitant, étourdissant, superlatif ! Le Russe Dmitry Ulyanov se montre terrifiant dans le rôle du Grand Inquisiteur chanté d'abord sur le ton menaçant de l'intrigue pour monter ensuite en puissance dans la cruauté d'un verdict impitoyable. Il réduit à néant les espoirs du peuple qui espère le règne de l'Infant puis décide de manière péremptoire du sort de Don Carlo. Son magistral "O Re, se non foss' io con te nel regio oste" donne bien à entendre qui dispose du pouvoir de décision ultime dans le royaume. Remarquable aussi dans son interprétation du moine, ombre de Charles-Quint, la basse roumaine Alexander Köpeczi, récente recrue de la troupe du Bayerische Staatsoper, qui en 2020 avait  remporté le prix spécial de la meilleure interprétation de Verdi au Concours international de chant Tenor-Viñas de Barcelone. Une des interprétations les plus sensibles de la soirée tant sur le plan du chant que sur celui du jeu scénique est celle du baryton pétersbourgeois Boris Pinkhasovich qui a remplacé presque au pied levé Ludovic Tézier dans le rôle de Rodrigo, marquis de Posa. Il représente admirablement cet homme partagé entre deux loyautés, celle qu'il doit à son roi dont il est le seul confident et celle, fraternelle, qu'il porte à l'infant. Il agira suivant son honnêteté qui lui dicte une éthique de conviction, ce qui lui vaudra d'être assassiné. Sublime Boris Pinkhasovich qui chante avec une technique suprêmement maîtrisée et un timbre d'une noblesse  élégante à accrocher les coeurs.  Ce sera un bonheur de le retrouver la saison prochaine en Sharpless, Kovaliov ainsi que dans la nouvelle production de la Dame de Pique. Enfin, last but not least, la mezzo-soprano française Clémentine Margaine, à la projection énorme et souveraine avec un volume éclatant, livre un chant d'une beauté et d'une force stupéfiantes en princesse Eboli. Elle semble se jouer des difficultés des coloratures de la périlleuse chanson du voile ("Nel giardin del bello") . La puissance expressive de son "O don fatal" et la force pathétique de son remords laissent pantois.

La soirée s'est terminée par une folle ovation où les bravi ont rejoint les trépignements et les applaudissements. Le chef, l'orchestre et les choeurs ont  déchaîné de vibrantes acclamations. Le metteur en scène et costumier Jürgen Rose est venu saluer le public reconnaissant de l'admirable travail de ce grand maître de la scène.

Distribution de la représentation du 31 juillet

Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène, décors, costumes et concept d'éclairage  Jürgen Rose
Collaboration à la mise en scène Franziska Severin
Lumières Michael Bauer
Chœurs Johannes Knecht

Philippe II, roi d'Espagne John Relyea
Rodrigo, marquis de Posa Boris Pinkhasovich
Don Carlos, Infant d'Espagne Charles Castronovo
Le Grand Inquisiteur Dmitry Ulyanov
Un moine Alexandre Köpeczi
Élisabeth de Valois Marie Agresta
La princesse Eboli Clémentine Margaine
Le comte de Lerma Galeano Salas
Un héraut royal Galeano Salas
Voix du ciel Jessica Niles
Députées de Flandre Christian Rieger, Andrew Hamilton, Thomas Mole, Daniel Noyola ,Roman Chabaranok et Gabriel Rollinson
Tebaldo, page d'Élisabeth Erika Baikoff
La comtesse d'Aremberg Lucy Deborah Craig

Orchestre de l'État de Bavière
Chœur de l'Opéra d'État de Bavière

Crédit-photographique © Wilfried Hösl

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