lundi 13 novembre 2023

Sissi et Louis II de Bavière chantent la Cenerentola au Theater-am-Gärtnerplatz de Munich


En 2015, pour célébrer son cent cinquantième anniversaire, le Theater-am-Gärtnerplatz avait commandé une nouvelle mise en scène de la Cenerentola de Rossini à la Kammersängerin Brigitte Fassbaender. Le triple jubilé ne pouvait se célébrer dans la salle du théâtre car il était alors en restauration et c'est au théâtre Cuvilliés qu'avaient eu lieu les représentations qui avaient rencontré un beau succès. Depuis, le théâtre a retrouvé sa salle magnifiquement rénovée et les décors ont été étoffés pour être adaptés à la scène et aux possibilités techniques du théâtre de la Gaertnerplatz.

Vingtième opéra composé par Rossini, La Cenerentola ossia la bontà in trionfo  (« Cendrillon ou la bonté triomphante ») fut représenté pour la première fois à Rome, le 25 janvier 1817, c'est-à-dire moins d'un an après la première représentation du Barbier de Séville. Rossini en avait écrit la partition en vingt-quatre jours. Pour en composer la musique, il avait prélevé maintes pages sur ses œuvres antérieures et en particulier sur le Barbier de Séville. 

Le programme du Theater-am-Gaertnerplatz nous rappelle que l'écrivain Théophile Gautier, qui fut aussi un critique d'opéra célèbre,  assista aux représentation parisiennes de l'œuvre au théâtre des Italiens*. Il soulignait que " À travers ses disparates, l'ouvrage continue de briller d'une flamme juvénile. La verve la plus abondante y circule. Chaque personnage, dessiné avec autant d'esprit allègre que de sûreté, ne s'exprime en chantant que selon sa nature. On s'en aperçoit dès le trio du début, aussitôt après l'ouverture et l'introduction si plaisantes, où la figure de chacune des trois sœurs est dépeinte, avec une manière tranchante, dans la partie de l'ensemble qui lui est réservée. " Il écrit encore : « La Cenerentola est la musique la plus heureuse, la plus gaie et la plus aisément charmante qu'on puisse rêver ; l'allégresse et la pétulance italiennes exécutent sur les portées de la partition des gambades les plus joyeusement extravagantes en faisant babiller au bout de leurs doigts, comme des castagnettes, des grappes étincelantes de trilles et d'arpèges. Comme tout rit et tout chante à chaque instant, un jet de mélodie s'élance en l'air comme une fusée et retombe en pluie argentine. Dans ce bienheureux opéra, les motifs se pressent, se succèdent ; le flegmatique basson lui-même gazouille comme une fauvette ou une petite flûte, le rauque ophicléide adoucit l'éclat mordant de son gosier d'airain et roucoule les phrases les plus délicates la corde, le bois et le cuivre chantent aussi mélodieusement dans l'orchestre que [les chanteurs] sur le théâtre. C'est un flot intarissable, un trésor sans fond, une prodigalité effrénée plongeant ses bras jusqu'au coude dans des monceaux de pierreries et jetant au hasard des poignées de diamants et d'escarboucles ». Il déplorait seulement, et nous à sa suite, que le librettiste Jacopo Ferretti ait fait l'impasse sur le motif de la pantoufle de vair pour le transformer en un " banal bracelet " que Gautier trouvait parfaitement stupide :   "La Cenerentola, croiriez-vous qu'il n'est pas question le moins du monde de la pantoufle ? Cendrillon sans pantoufle, ô ciel ! Jamais la nonchalance italienne des faiseurs de libretti n'a été plus loin. Prendre un conte à Perrault, son meilleur, et laisser justement de côté la particularité charmante, le détail ingénieux et coquet! Il y a en place un banal bracelet..." 

Ce bonheur scénique et musical si bien évoqué par Gautier, Brigitte Fassbaender nous le communique dans sa mise en scène amusante et pétillante de gaieté et de trouvailles, qui rend parfaitement l'esprit du livret et le comique de la farce, tout en donnant au conte une touche bavaroise tout à fait réjouissante. La musicienne qu'elle est, chanteuse au passé glorieux, nous apporte aussi l'intelligence musicale de la scène, avec des placements et des déplacements des protagonistes et des solistes conçus de manière à servir le chant.


Le scénographe Dietrich von Grebmer est un complice de longue date de la metteure en scène qui lui a également confié les nombreux costumes de la production. Une table et quatre chaises, un corps de cheminée et deux grandes armoires rococo forment le décor de la maison de Don Magnifico. Quand le rideau se lève, on aperçoit une Cendrillon recroquevillée dans sa minuscule alcôve parmi les cendres de la cheminée. Un guide entre en scène le parapluie levé, il fait visiter les lieux à une armée d´hommes vêtus à la Sherlock Holmes. Il s´agit d´Alidoro venu pousser une mission de reconnaissance. On voit ensuite Cendrillon se lever pour s'affairer à préparer la table du petit déjeuner. Les deux armoires rococo s´ouvrent et l´on y découvre Clorinda et Tisbé entourées d´un amoncellement de chiffons et de robes multicolores qui signalent leurs goûts vestimentaires des plus douteux. Plus tard on fera pivoter la cheminée et les deux armoires dont l´envers représente la salle de bains de Don Magnifico qui apparaît dans le plus simple appareil, les reins ceints d´une serviette de bain, en train de se raser et de faire ses ablutions.

On annonce la venue prochaine du Prince qui cherche chaussure à son pied et, coup de théâtre, au moment où Dandini entre en scène travesti en prince, ce n´est autre que Louis II de Bavière soi-même qui se présente, ce qui ne manque pas d´amuser beaucoup le public bavarois qui continue de vouer un culte sans faille à son "Kini", — c´est ainsi que les Bavarois ont surnommé affectueusement leur roi de contes de fées. Peut-être est-ce parce que la construction du théâtre de la Gärtnerplatz fut autorisée en 1864 par le jeune Roi Louis II de Bavière qui venait d´accéder au trône et que le théâtre célébrait en 2015 le 150e anniversaire de son ouverture que la metteure en scène a décidé de transposer l´action du conte dans les châteaux du Roi-bâtisseur. Dietrich von Grebmer a recopié à l´identique la tunique bleue sur pantalons blancs du Roi et le manteau d´hermine qu'il portait lors de son sacre. Il coiffe Dandini d'une perruque reproduisant la célèbre coiffure aux cheveux ondulés du roi de contes de fées. Une fois admis que le Prince n´est plus Don Ramiro de Salerne mais bien Louis II de Bavière, on entre dans un délire wittelsbachien qui va aller en s´amplifiant. La toile de fond de scène se lève pour laisser apparaître le château de Neuschwanstein avec à un moment amusant par son évident anachronisme une superbe voiture de sport rouge garée devant le château. Pour les scènes au château du Prince, les murs sont ornés d'innombrables fleurs-de-lys, une des chimères de Louis II qui avait pris le Roi Soleil pour modèle. Lorsque dans les dernières scènes, Angelina revêt ses habits princiers, elle endosse une tenue d'amazone, arbore la fameuse coiffure aux diamants et se coiffe d´un chapeau d'écuyère qui la transforme en Sissi, l'impératrice d'Autriche cousine de Louis II. Et le final se déroule dans la célèbre grotte du château de Linderhof.  Louis-Ramiro II de Salerne-Bavière y apparaît dans la nacelle royale flottant sur les eaux de la grotte. Ne s´arrêtant pas en si bon chemin, la mise en scène foisonne de détails amusants: Clorinda et Tisbe sont affublées de tenues extravagantes aux couleurs criarde, qui font que ces perruches ressemblent à des perroquets ; en fin de partie, elles revêtiront des tenues de nonnes, mais, leur naturel de mangeuses d´hommes reprend  le dessus et les nonnes dévoileront bien vite des jambes dénudées pour séduire les gentilshommes de la Cour. Les choristes sont très sollicités pour faire de la figuration et changent constamment de costumes. Armée d´inspecteurs en début d´opéra, ils deviendront, entre autres, serviteurs du prince porteurs de gants bleus, la couleur favorite de la production qui en décline tout le camaïeu, Bavière oblige, puis, dans une classe reconstituée à l'ancienne avec bancs en bois et tableau noir, écoliers très chahuteurs (— les bouts de craie et les boules de papier volent dès que le maître a le dos tourné —)  qui doivent servir de secrétaires à un Don Magnifico, promu grand sommelier, qui veut faire l´inventaire de la cave, et plus loin encore plus tard gentilshommes de la Cour. 

Il va de soi que la metteure en scène a pris des libertés avec la réalité historique. Si Louis II et Sissi furent amis et complices, Sissi était devenue impératrice d'Autriche à l'âge de 16 ans, en 1854, le prince héritier de Bavière avait alors 9 ans. Louis II accédera au trône dix ans après en 1864. D'ailleurs, à la fin de l'opéra, le prince, dominé par la femme qu'il a élue comme compagne, gentiment dominatrice, se voit affublé d'une couronne à la Ubu. On est bien dans la farce et la fable.

L´orchestre et les choeurs, dirigés par Oleg Ptashnikov (en alternance avec Michael Brandstätter), font pétiller la musique de Rossini. Anke Schwabe séduit par les variations d'intermède qu'elle donne au piano-forte lorsque le rideau tombe pour permettre de rapides changements de décors. 

Le baryton munichois Ludwig Mittelhammer incarne un Dandini puissant et convaincant, avec une voix superbement projetée et une personnalité dotée d´un grand charisme. Son jeu théâtral varié rend fort bien le double rôle du roi d'un moment et du serviteur de toujours. Le ténor hongrois Gyula Rab a belle prestance en Don Ramiro. Levente Páll, qui excelle dans le sillabato, campe avec un grand sens de la scène et beaucoup d´humour le personnage de Don Magnifico, dont il sait accentuer les ridicules et les bassesses. Holger Ohlmann donne un excellent Alidoro. La soprano lyrique coréenne Mina Yu et la mezzo-soprano israélienne Anna Tetruashvili, toutes deux en formation à l'Operastudio du théâtre, font d´inénarrables Clorinda et Tisbe. Anna-Katharina Tonauer est une délicieuse Angelina, coquine et impétueuse. 

On s´amuse beaucoup à ce spectacle au goût plébéien et bon enfant, tout à fait dans la tradition du Theater-am-Gärtnerplatz qui a depuis 150 ans vocation à servir de théâtre d´action populaire aux Munichois. C´est drôle, c´est d´un kitsch absolu, c´est déjanté, et totalement divertissant.

* in Gautier, Théophile,  Histoire de l'art dramatique en France depuis vingt-cinq ans. T. 1, Hetzel (Bruxelles),  1858-1859-

Distribution du 12 novembre 2023

Direction d'orchestre Oleg Ptashnikov
Mise en scène Brigitte Fassbaender
Scène et costumes Dietrich von Grebmer
Lumières Wieland Müller-Haslinger
Dramaturgie David Treffinger

Don Ramiro Gyula Rab
Dandini Ludwig Mittelhammer
Don Magnifico Levente Páll
Clorinda Mina Yu
Tisbe Anna Tetruashvili
Angelina Anna-Katharina Tonauer
Alidoro Holger Ohlmann

Chœur d'hommes et figuration du Staatstheater am Gärtnerplatz 
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Crédit photographique © ChristiannPOGOZach

Prochaines représentations les 16, 18 et 22 novembre et les 7 et 9 décembre 2023. Réservation.

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