dimanche 28 juillet 2024

Tristan et Isolde en ouverture du Festival de Bayreuth 2024


von triste Tristan was sîn nam (Gottfried von Straßburg) 
Et comme ainsi tu es venu sur terre par tristesse, 
tu auras pour nom Tristan (Béroul)

Le metteur en scène islandais Thorleifur Örn Arnarsson (46 ans) qui fait cet été ses débuts à Bayreuth est bien connu dans le monde du théâtre allemand. Après avoir suivi des études à Berlin, il a depuis 2010 réalisé des mises en scènes de théâtre et d'opéra dans de nombreux théâtres allemands. Passionné de mythologie, il a au cours de la saison 2017/18  réalisé à Hanovre une nouvelle narration de l'Edda, le grand récit sur la mythologie nordique et l'histoire des dieux, qui a obtenu en 2018 le prix Faust dans la catégorie mise en scène. La pièce fut ensuite reprise au Burgtheater de Vienne. Arnarsson dit apprécier la complexité et la profondeur des oeuvres de Wagner. Après son Lohengrin d'Augsburg, son Siegfried de Karlsruhe et son Parsifal de Hanovre. Son Tristan und Isolde est le quatrième opéra de Wagner qu'il met en scène. 

À Bayreuth, il s'est donné pour objectif de proposer des pistes de lecture de la complexité de l'opéra et d'inviter le public à embarquer sur un vaisseau pour une croisière émotionnelle. Il compare l'œuvre à une formule mathématique complexe, une immense algèbre qui ne mène pas automatiquement à un résultat défini. Son approche suggestive nous a paru évocatoire et symboliste, un sublimé de sensations et de perceptions qui se refuse à la démonstration mais connote la complexité en ouvrant le champ à l'interprétation personnelle. Son approche invite le spectateur à devenir l'acteur de sa réception de l'œuvre. On est, — enfin ! — aux antipodes de ce Regietheater où le metteur en scène s'arroge le droit de donner le pas à ses propres idées par rapport aux idées du poète-compositeur. Arnarsson, fasciné par la complexité wagnérienne, refuse de l'appréhender en lui appliquant une formule simplificatrice, tout en étant conscient que le matériau du  livret et la composition restent inépuisable.


Embarquons donc pour cette croisière mortifère ! Le décor du premier acte est dépouillé : le pont d'un vaisseau est suggéré par une vingtaine de drisses qui, tombant des cintres, encadrent la scène comme une tente ouverte ; l'arrière-scène est recouverte par un tapis de nuages ; le pont a subi en son centre une avarie non réparée et non déblayée qui forme un trou béant. Toute l'attention se porte sur le large ovale de la robe à crinoline blanche d'Isolde dont le bas s'élargit comme une nappe et qui porte une multitude d'inscriptions dont on s'aperçoit bientôt qu'elles ont été écrites ou dessinées au moyen d'une large plume par la princesse d'Irlande. La robe focalise toute l'attention et entraîne une foule d'associations et d'interrogations. La robe blanche peut être une robe de mariée, mais, mauvais présage, la blancheur est tâchée de noir.  L'ampleur du contour de la robe empêche le déplacement, Isolde est immobilisée, prisonnière de sa robe de mariée comme elle l'est du vainqueur du Morholt . Les manches aux épaules bouffantes surdimensionnées lui donnent la silhouette d'un ange. Mais que sont ces inscriptions noires qu'Isolde dessine sur sa robe et qu'on ne peut déchiffrer de la salle. S'agit-il de vers du poème wagnérien? De runes magiques qui la protégeraient ? Écrit-elle l'histoire de son peuple, de l'assassinat de son champion, le Morholt ? Est-ce un journal intime, une plongée dans l'inconscient dont elle veut garder la trace ? La mise en scène ouvre la boîte de Pandore des possibles. Quand elle se débarrassera de sa robe on lui verra un jupon formé de longues bandes étroites  de tissus qui toutes portent les phylactères de la prisonnière. Et des lambeaux de cette robe l'accompagneront jusqu'au moment de la mort. Tristan en gardera un pan dans lequel il plongera son visage pour y respirer le parfum de la femme aimée.

Tout au long du premier acte, les protagonistes ne font que des déplacements infimes. Isolde, tout en étant immobilisée, se débat dans l'impossibilité de ce qu'elle désire. Et si l'action extérieure est pauvre, tout l'accent est mis sur ce qui se déroule à l'intérieur de sa personne, sur l'incommensurable charge émotionnelle qu'exprime la musique et qui s'extériorise dans le chant. Le troisième acte est en miroir avec le premier, ce sera au tour de Tristan d'être immobilisé dans son attente d'un vaisseau ramenant sa bien-aimée et plus avant par son agonie au cours de laquelle il rampera à terre écrasé de douleur avant que d'expirer.


Au dépouillement scénique du premier acte, entièrement centré sur la figure hiératique d'Isolde, succède en opposition l'encombrement extrême du deuxième acte que le metteur en scène a placé dans la cale du navire, dont on voit la carlingue. Elle recèle un capharnaüm qui comporte une série incalculable d'objets entassés confusément, un amas d'objets qui auraient pu faire les délices d'un cabinet de curiosités. On y voit deux statues d'atlantes soutenant un balcon, des vasques de marbre,  des roues dentées, des statues antiques grecques ou romaines, des bas-reliefs encadrés, une petite Vénus emprisonnée dans une grande cage d'oiseaux, des animaux empaillés, des tableaux dont un paysage portuaire romantique de Caspar David Friedrich, un tableau qui, comme une mise en abyme,  évoque le voyage, le temps qui s'écoule avec lenteur, une invitation à plonger dans l'infini des possibles, mais aussi une certaine mélancolie. La petite Vénus pudique et encagée semble regarder une statue athlétique nue et casquée, — s'agit-il du dieu Mars ? — et Tristan viendra ôter la cage qui l'emprisonne, comme s'il voulait libérer l'amour que la cage rendait impossible et permettre le rapprochement des statues. On y voit aussi des trophées et des armures, une mappemonde ancienne, de ces objets qui constituent la panoplie d'un personnage héroïque, mais qui ont été mis au rebut dans cette cale, comme une métaphore de la transformation de Tristan qui a mis fin à sa vocation de héros. Au plafond de la cale on voit les planches effondrées du pont avarié. Cette trouée est comme une porte ouverte entre deux mondes : le monde ancien qui a vu le combat des héros et la victoire du guerrier Tristan, le monde  plus mystérieux des profondeurs intimes des deux protagonistes.  Tristan et Isolde sont descendus dans ce lieu où s'amoncellent les choses anciennes comme pour se débarrasser des scories de leur propre passé et réaliser la nouveauté lumineuse de leur amour qui, malgré la ferveur qui les anime, restera chaste. Ils s'approchent sans encore se toucher, ils s'effleurent et iront jusqu'au baiser. Les éclairages de la cale, d'abord plongée dans l'obscurité, la rendront peu à peu visible. Une source lumineuse dorée venue d'un plus profond illuminera les deux amants. Le fond de la cale recèle peut-être lui aussi une trouée, mais qui serait le passage vers un autre univers, plus lumineux, comme la promesse d'un au-delà meilleur qui répondrait à la promesse de l'ange et où l'amour pourrait enfin s'épanouir ? Lors de son arrivée imprévue, on distingue mal le roi Marke, en long manteau noir, qui semble perdu parmi les souvenirs du passé et paraît en faire partie au point d'y disparaître. Mais cette arrivée met à jamais un terme, du moins dans le monde des vivants, à l'union naissante de Tristan et Isolde. 


Le décor du troisième acte s'inscrit dans la continuité des deux premiers. Le navire est à présent démantelé, il ne reste plus que quelques grandes pièces de charpente de renforcement de la coque. Les objets de collection ou au rebut sont compactés en un grand tas de déchets prêts à être évacués ou livrés aux flammes, Tout le monde ancien se délite. Tristan alangui et à bout de forces, se confond avec le tas d'ordures dont on le verra émerger bientôt. Le grand acte de Tristan met en scène une épave moribonde qui chante en se traînant couché sur le sol.

Au côté de la robe d'Isolde dont des pans et des lambeaux accompagneront toute la mise en scène, on trouve d'autres leitmotifs scéniques comme le thème de l'ange, déjà mentionné dans l'évocation de la silhouette de la princesse. Au deuxième acte un ange doré à taille humaine surplombe le haut de la coque. Il semble porter d'une main un rameau et tendre de l'autre une boule dorée qui pourrait être un fruit d'or, osons une pomme. Est-il là comme la promesse d'un avenir meilleur dans un au-delà où la paix et l'amour régneront en maître ? Au troisième acte le manteau du berger lui donne aussi le profil d'un ange. La fiole contenant le filtre de mort réapparaît également comme un leitmotive, à de plus nombreuses reprises que dans le livret nous a-t-il semblé, ainsi remplace-t-elle le coup d'épée porté à Tristan par Melot.

La mise en scène a sans doute bien d'autres richesses que l'on aura loisir d'examiner en regardant la captation*. Nous sommes bien trop loin de la scène pour en recueillir tous les détails, de même que nous n'avons pu examiner les mimiques des personnages.

Andreas Schager en Tristan 

" Dans Tristan und Isolde, il n'y a pas d'arrivée, seulement la nostalgie de l'inaccessible, de l'endroit «où mon cœur me promettait la fin de l'illusion ». Deux personnes qui aspirent à sortir des rôles qui leur sont attribués, à échapper au mensonge supposé de la vie quotidienne. Deux êtres qui souffrent de la vie et dont la déclaration d'amour consiste à vouloir recréer un moment irrémédiablement passé. Deux noctambules qui, dans leur désir régressif d'être pris en charge et de s'abandonner complètement, perdent le contact avec la réalité et qui, dans leur désir de pouvoir abandonner leur moi à un autre et d'échapper à leur propre histoire, doivent finalement échouer contre eux-mêmes. « Désirer en mourant, ne pas mourir de désir »." (Conclusion tirée de la présentation de l'opéra par les Bayreuther Festspiele)

Symon Bychkov, grand directeur straussien, malhérien et wagnérien, nous a livré un des meilleurs Tristan entendus ces dernières années. Le maestro, pour avoir déjà dirigé Parsifal à Bayreuth, connaît bien l'acoustique particulière de la fosse. Il  respecte scrupuleusement les indications de tempo et de nuances données par le compositeur ("sehr lebhaft", "bewegt"), mais aussi les silences. Il fait rendre avec précision les leitmotivs dans le développement de leurs variations, qui illustrent aussi l'évolution intérieure des protagonistes. Dès le prélude, dès l'accord de Tristan, — avec toute la tension qu'il comporte et qui ne sera jamais résolue, un accord que le maestro définit comme une prison (mais aussi comme un rêve et un désir ardent, une prison dont on veut s'échapper), — on comprend qu'il va faire rendre à l'orchestre les tensions émotionnelles et le cheminement psychologique des personnages. Au-delà de l'évidence de la qualité technique, Bychkov, tout au service de la musique et très respectueux des chanteurs, nous touche intimement par son rendu de l'esprit et de l'intensité émotionnelle de l'œuvre. Et cela seul déjà aurait rendu la soirée magique.

Camilla Nylund en Isolde

Camilla Nylund a fait ses débuts bayreuthois en 2011 dans le rôle d'Elisabeth. Chanter Isolde est l'aboutissement d'un long parcours et d'un travail intense dont la chanteuse récolte aujourd'hui les fruits. elle a donné une Isolde accomplie, et fait preuve d'une endurance exceptionnelle jusqu'au dernier souffle, "höchste Lust", d'un remarquable Liebestod. Emprisonnée, quasi immobilisée dans sa robe surdimensionnée du premier acte elle exprime la complexité des sentiments et des variations émotionnelles de la princesse prisonnière. Excellent acteur, Andreas Schager porte son Tristan à un niveau de perfection et de puissance rarement atteint, qui transcende encore celui que nous avions pu entendre à Vienne il y a deux ans : la projection et le phrasé sont impeccables, le volume de la voix laisse pantois, son troisième acte  au cours il campe un être à l'agonie, ravagé par la douleur de l'attente, se réveillant de la mort qui semblait l'avoir emporté pour mourir encore est d'une beauté dramatique fulgurante. Quelle énergie ! Quelle trempe ! Quelle vitalité ! Christa Mayer, qui a remplacé Ekaterina Gubanova souffrante quasi au pied levé, donne une Brangäne dont on pressent la force intérieure intense, elle aborde ce rôle qu'elle a pratiqué à plusieurs reprises avec succès sur la colline verte avec une  grande puissance expressive. La qualité de son élocution rend son texte parfaitement compréhensible. De son baryton aux sonorités graves et profondes, Olaf Sigurdason campe un Kurwenal solide, les pieds bien ancrés dans le sol. Seul Günther Groissböck semble perdu dans la confusion du décor du deuxième acte, dont il émerge à grand peine, et reste en deçà de l'expression attendue du pathos du roi Marke. Les rôles secondaires sont tous de belle tenue.

Les chanteurs, l'orchestre et le maestro Byschov ont récolté une énorme ovation. L'équipe de production a reçu un accueil plus mitigé partagé entre applaudissements et huées. Nous avons préféré le olé au tollé.

* La captation de 3Sat (et ses plans rapprochés) est disponible jusqu'au 27 août 2024 sur la médiathèque de la chaîne ARD

Distribution

Direction musicale Semyon Bychkov
Mise en scène Thorleifur Örn Arnarsson
Scénographie Vytautas Narbutas
Costumes Sibylle Wallum
Dramaturgie Andri Hardmeier
Lumières Sascha Zauner

Tristan Andreas Schager
Mark Günther Groissböck
Isolde Camilla Nylund
Kurwenal Olafur Sigurdarson
Melot Birger Radde
Brangäne Christa Mayer
Un berger Daniel Jenz
Un timonier Lawson Anderson
Jeune marin Matthew Newlin

Crédit photographique © Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele

mercredi 24 juillet 2024

Festival de Bayreuth — La troisième édition du concert de plein air remporte un énorme succès

Nathalie Stutzmann dirige l'Orchestre du festival

Après le succès des deux concerts en plein air des années précédentes, l'Orchestre du festival se produit  à nouveau deux fois cet été (les 24 et 30 juillet) sur les pentes de la verte colline que surplombe le temple wagnérien. Une soirée décontractée et bon enfant : on apporte couvertures ou pliants, des rafraîchissements, des vins franconiens, du mousseux ou de la bière, de quoi grignoter ou faire tout un pique-nique. Wotan et les dieux et les déesses du Walhalla se sont montrés aussi cléments que le ciel que décoraient quelques nuages inoffensifs. L'herbe fraîchement tondue était bien sèche, la température douce accueillait les spectateurs bayreuthiens et les festivaliers, bien plus nombreux que lors des éditions précédentes,  qui avaient répondu à l'invitation d'assister au concert gratuit donné sur une grande scène érigée pour accueillir l'Orchestre du Festival, placé sous la brillantissime direction de la cheffe française Nathalie Stuzmann, présente à Bayreuth pour y diriger le Tannhäuser. La maestra s'est promis d'effacer la honte dont certains de ses compatriotes, ceux du Jockey Club, s'étaient couverts en organisant les sifflets et le chahut qui avaient mis à mal les premières représentation parisiennes de cet opéra en mars 1861.

Quatre chanteurs wagnériens renommés : la soprano britannique Catherine Foster, qui sera la Brünnhilde du Festival 2024, et trois chanteurs allemands : le Heldentenor Tilmann Unger qui assure cet été la doublure de la plupart des rôles de sa tessiture, le baryton Michael Kupfer-Radecky qui sera Gunther dans Götterdämmerung et le baryton Birger Radde qui incarnera Melot dans Tristan und Isolde, la nouvelle production du Festival.

La soirée a été plaisamment animée par le journaliste et modérateur Axel Brüggemann, wagnérien passionné et excellent modérateur, enjoué et convivial, qui n'hésite pas à descendre du podium pour se mêler à la foule et venir déguster ici une bouchée des petites gâteries préparées pour le pique-nique et là accepter une flûte de Sekt

Le troisième concert en plein air du Festival a pour thème les étapes de la vie de Richard Wagner en musique : Leipzig, Dresde, Riga, Munich, Paris, Bayreuth, Venise et accompagne les voyages du compositeur avec des œuvres de ces pays qui ont influencé Wagner — et bien sûr avec sa propre musique. Quel rôle Dresde et la révolution ont-ils joué pour Wagner ? Pourquoi s'est-il tant frotté à Paris ? Quelle musique l'a accompagné sur le chemin de Munich à Bayreuth ? Et qu'est-ce qui l'a attiré en Italie à la fin de sa vie ? La soirée couvre à nouveau un large éventail musical allant de Bach à Lloyd Webber, avec en plus des œuvres de Boieldieu, Bizet, Tchaïkovski, Bruckner, Verdi et Liszt. Toutes les musiques, plein air oblige, sont amplifiées par de nombreux haut-parleurs, même celles que Wagner avaient conçues pour l'acoustique particulière du Festspielhaus dont la fosse est couverte

Ce furent deux heures de musiques entraînantes et émouvantes. Pour rappeler que Wagner est né à Leipzig, la soirée commence par le prélude de première Suite pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach, originaire de la même ville. Suit une œuvre de jeunesse de Wagner, l'Ouverture en ré mineur que le jeune homme de 26 ans avait composée en 1839/1840, la destinant initialement à être le thème d'une symphonie sur le Faust de Goethe. Nathalie Stuzmann et l'orchestre ont su la rendre tout à fait attachante.

La soprano dramatique Catherine Foster, en robe de soie grise à fines lignes, s'est totalement investie  dans la soirée, depuis le "Dich teure Halle" d'Elisabeth interprété avec une ferveur vibrante, en passant par la Senta du duo "Wie aus der Ferne" avec Michael Kupfer-Radecky en Holländer, jusqu'à l'émouvante palette de sentiments du "Liebestod", le plus connu des chants d'amour et de mort, par laquelle la chanteuse nous fait vivre la transfiguration d'Isolde. 

L'ouverture de Rienzi rappelle que Wagner a travaillé à Riga, le Fliegende Holländer sa traversée périlleuse qui se termina en Angleterre. Le séjour français du compositeur est évoqué par les ouvertures de La dame blanche de Boieldieu et de Carmen de Bizet, cette oeuvre que Nietsche avait estimé être "le meilleur opéra qui soit"  et qu'il déclara constituer "l'antidote au poison wagnérien." Le célèbre air de la Dame de Pique "Ya vas lioubliou",  nous rappelle que Tchaïkovski  fut présent au premier festival de Bayreuth en 1876.

Un intermède vient célébrer la mémoire du très regretté Stephen Gould, décédé l'an dernier à l'âge de 61 ans. Le ténor Tilmann Unger donne un fascinant "The Music of the night" extrait du Phantom of the night d'Andrew Lloyd Weber, une musique choisie parce que, comme l'a rappelé l'animateur de la soirée,  Stephen Gould a toujours dit qu'il était devenu un interprète de Wagner aussi célèbre parce qu'il avait d'abord appris à divertir son public en tant qu'acteur de comédie musicale. Le temps de cette chanson, on voit défiler des photos de Stephen Gould depuis son plus jeune âge jusqu'à celui de ses plus grands succès bayreuthois.

La fin de concert va en crescendo, avec le fascinant scherzo de la Septième symphonie de Bruckner mené avec une passion frémissante par Nathalie Stutzmann, suivi de deux duos qui viennent encadrer le "Liebestod" : "Dio, che nell'alma" du Don Carlo de Verdi et "Blühenden Lebens labendes Blut" du Götterdämmerung. Birger Radde en impose par sa présence corporelle et son expressivité très suggestive, sa voix puissante au timbre sombre a de magnifiques couleurs. On a hâte de le retrouver en Melot. L'orchestre clôture une soirée enchanteresse avec le prélude de Parsifal.

Signalons encore l'excellente mise en scène assurée par un travail de vidéo de haute volée diffusé sur grand écran en fond de scène : on y voyait les chanteurs et la cheffe en format géant, dupliquant leur présence en avant-scène, ou encore des gros plans sur des groupes d'instrumentistes.

Impressions d'un spectacle (via téléphone portable)




















Festival de Bayreuth 2024 — Visite de l'expo MENSCH WAGNER à Wahnfried

Qui était l'homme Wagner au quotidien ? C'est la question que tente d'approcher la petite exposition de l'été au Musée Wahnfried de Bayreuth. Elle présente deux bustes du compositeur et une série de photos que Wagner fit prendre dans les ateliers des villes que ce grand nomade fréquenta avant de se fixer à Bayreuth. On part à la rencontre d'un homme très soucieux de son image, qui préfère la photographie aux portraits, parce que le portrait rend aussi (et peut-être trop aux yeux de Wagner) compte de la vision de l'artiste et que la photo est plus contrôlable. L'expo rend compte du quotidien de Wagner (ainsi d'un carnet de commandes de cuisine, l'un ou l'autre menus, la note détaillée d'un hôtel parisien, une bouteille de son champagne préféré), et présente quelques reliques, une mèche de cheveu qu'un de ses coiffeurs n'hésitait pas à proposer à la vente, une brosse à dents, une dent de lait cariée, une paire de chaussures, il chaussait du 36 ou du 37. On y voit les photos des femmes qu'il a aimées ou des documents importants, comme le fameux carnet brun ou des pages du journal de Cosima. Tout un mur est consacré aux voyages que fit le compositeur, détaillant les kilomètres parcourus et le temps qu'il fallait pour couvrir le trajet (10 kilomètres par heure par la route, soient pas plus de 100 kilomètres par jour, plus tard le train, au temps de Bayreuth, trois heures pour aller de Nuremberg à Bayreuth, au temps du dernier voyage à Venise, trois jours pour descendre de Bayreuth à la ville des Doges).  

Reportage photographique



Le carnet brun


Carte de membre d'une association de combat contre la torture
scientifique des animaux

Mathilde Wesendonck d'après une esquisse de Franz von Lenbach






Esquisse réalisée en 1877 à Londres par Henry Holiday pendant 
les répétitions d'un concert qu'y donnait Wagner


Plan de la tombe de Wagner dans le jardin de Wahnfried 
Carl Wölfel 1872

Photos du reportage Luc-Henri Roger

Texte de présentation du Musée

Affiche de l'exposition

Compositeur, poète, dramaturge, écrivain, metteur en scène, chef d'orchestre, égomaniaque, coureur de jupons, antisémite, radical de gauche, défenseur du climat, ami des animaux, génie ? Qui était vraiment Richard Wagner ?

De son vivant déjà, on ne compte plus les publications sur Wagner. En règle générale, et surtout après sa mort, il fut présenté comme un surhomme, notamment en raison de l'intervention de ses héritiers et de ses administrateurs. Il n'existe en revanche pratiquement aucune trace du Wagner au quotidien, car le mythe ne connaît pas le quotidien.

Poème avec autoportrait, Richard Wagner (1813-1883), 1841, encre/papier 
Archives nationales de la Fondation Richard Wagner de Bayreuth

Wagner lui-même a modelé sa propre image tout au long de sa vie. Ses textes autobiographiques, un nombre incalculable de déclarations écrites et enfin son œuvre musicale et dramatique dessinent cependant une image très hétérogène et souvent contradictoire de l'homme qui se cache derrière le 'mythe Wagner'. Les souvenirs et les observations de la famille, des contemporains, des amis, des critiques, des compagnons et des compagnes finissent par briser le monolithe d'airain en lequel Richard Wagner a été façonné.

Dans le cadre de l'exposition d'été 2024, le musée Richard Wagner tentera de déconstruire le mythe afin de se rapprocher de l'homme Richard Wagner.

Expo au Musée Richard Wagner du 14 juillet au 6 octobre 2024

Source (texte et image du musée) : Musée Richard Wagner Bayreuth 

vendredi 19 juillet 2024

Festival d'opéra de Munich — Jakub Jósef Orliński et Michał Biel en récital

Jakub Józef Orliński et Michał Biel© Honorata Karapuda

Le contre-ténor Jakub Józef Orliński et le pianiste Michał Biel nous ont convié à un programme musical varié s'étendant du chant baroque aux mélodies polonaises, de l'époque romantique jusqu'au bel aujourd'hui. La marque de fabrique de ce récital tient à la personnalité solaire et très communicative du chanteur qui établit un contact de connivence avec le public, auquel il s'adresse dès le début du spectacle en anglais. Il est tout à la fois animateur, chanteur et même danseur : cet artiste qui est aussi un excellent danseur de breakdance esquissera ci et là quelques pas. Son regard et son large sourire cherchent souvent à établir le contact. 

Jakub Józef Orliński a présenté les différentes parties du programme. Il l'a ouvert avec une aria religieuse d'un pécheur repenti qui chante son amour pour le Seigneur, „Non t’amo per il il ciel“ extrait d'un oratorio de la Passion de Johann Joseph Fux (Il fonte della salute, aperto dalla grazia nel calvario). Orliński exécute avec ferveur et grâce les variations émotionnelles de reprise typiques du chant baroque. Une ouverture en forme de dédicace au divin. Viennent ensuite quelques arias de Henry Purcell : Music for a While“, „Fairest Isle“, „Strike the Viol“ et le non moins fameux „Cold Song“, l’air du génie du froid extrait du King Arthur avec le glaçage de l'accompagnement au piano, qui a toujours l'heur de beaucoup amuser le public, et spécialement en ce début de période caniculaire. Les deux artistes ont à cœur de faire connaître ensuite les mélodies de leur chère Pologne natale, avec des chansons de Mieczysław Karłowicz,  un compositeur post-romantisme à la recherche d'essence métaphysique et spirituelle. Ses chansons parlent d'amour, de passion et de mort ou invitent à écouter la paix du soir au bord d'un lac calme et sombre. Viennent ensuite „Larmes“ et l'adorable „Fileuse“, deux Lieder de Stanisław Moniuszko, ce grand compositeur lyrique polonais du 19ème siècle, dont l'opéra Halka est aujourd'hui bien connu à l'international. „La fileuse“ est une chanson pour virtuoses absolument décoiffant, dont l'accompagnement pianistique donne le vertige, et que les deux comparses ont rendu avec brio.

© Jiyang Chen

La bonne humeur et le délassement sont constamment au rendez-vous de cette soirée exquise qui nous permet de vivre le bel adage selon lequel la musique adoucit les mœurs. À la suite du parcours de découverte (pour beaucoup sans doute) des mélodies polonaises, Jakub Józef Orliński retournera à la musique baroque en se lançant encore dans les périlleuses variations de l'antienne „Alleluia, Amen“( HWV 269) de Georg Friedrich Händel, dont il tisse la tapisserie sonore avec les fils d'or d'une voix somptueuse. Ce n'est sans doute pas par hasard que les deux compagnons aient encadré leur récital en l'ouvrant et en le clôturant par une célébration du divin : les pleurs de la repentance du pécheur qui ouvre son cœur à l'amour incommensurable de son Dieu, l'acclamation de louange au Seigneur au final.

L'immense ovation du public (avec au bout du compte, le comble de l'allégresse que manifeste une standing ovation) entraînera cinq rappels au cours desquels les deux compères se lâchent encore davantage à la joie exubérante du chant, avec entre autres le fameux " Come down, my Blusterers " extrait de The tempest de Purcell.

Jakub Józef Orliński et le toujours complice et magnifique pianiste Michał Biel, qui ont le cœur dans la voix et au bout des doigts, saluent en courbette, la main sur le cœur. Leur récital va bien au-delà de la démonstration d'un savoir-faire, leur récital est un joyeux partage et un moment de communion dans l'allégresse.

jeudi 18 juillet 2024

Festival d'opéra de Munich — Une mise en scène psychodramatique de Pelléas et Mélisande. Christian Gerhaher stratosphérique.

Ben Bliss (Pelléas), Franz-Josef Selig (Arkel),
Christian Gerhaher (Golaud) et Sandrine Devielhe 
 (Mélisande)

Pour évoquer l'espace mystérieux du royaume d'Allemonde, la metteuse en scène néerlandaise Jetske Mijnssen a surtout retenu l'élément aquatique. En pénétrant dans la salle du Prinzregententheater, les spectateurs découvrent un décor de scène à minima : un encadrement lumineux définit un espace scénique longitudinal dans lequel court une bande de parquet à chevrons, dont le motif répétitif rappelle la disposition des arêtes sur l'épine dorsale d'un poisson, derrière lequel descend le rideau d'une pluie continue. Les éléments symboliques du texte de Maeterlinck ne sont évoqués que par le truchement des paroles du chant : la forêt, la mer, la grotte, la couronne, l'anneau sont oblitérés de la scénographie. Nul décor sinon un fond noir dans le huis clos du cadre lumineux ; seuls des fauteuils cabriolet, des chaises, une longue table et de grands chandeliers meublent un espace dénudé. L'avant-scène est creusée d'un fossé étroit contenant de l'eau. Ce fossé servira à suggérer successivement la fontaine des aveugles ou la grotte aquatique dans laquelle Mélisande dira avoir perdu son alliance. Plus avant les protagonistes y viendront patauger. Au dernier acte, les planchettes du parquet ont disparu, ne restent que les poutres sur lesquelles elles étaient posées, entre lesquelles le sol est inondé. L'eau restera présente jusqu'aux applaudissements puisque le gigantesque chef finnois Hannu Lintu, qui fait lui aussi ses débuts dans la maison, viendra saluer chaussé de bottes non moins gigantesques.

Point de décors donc, mais quelques meubles et des costumes belle époque qui situent précisément l'action en 1902, au moment de la création de l'opéra. La mise en scène prend là aussi ses distances avec une tradition qui veut que les contes se déroulent au moyen âge. Elle s'applique à mettre en lumière les mouvements intérieurs de la psyché des personnages, comme s'applique à le souligner le texte de présentation de la Bayerische Staatsoper :

" Pour Maeterlinck, l'intrigue extérieure n'est pas le cœur du drame. Pour lui, il s'agit bien plus d'essayer de pénétrer plus profondément dans la conscience humaine. Le modèle en est le château d'Allemonde, un endroit sinistre, oppressant et sans lumière. L'intrigue proprement dite restant vague, Claude Debussy explore également dans son opéra les profondeurs psychologiques et met en scène des processus émotionnels subliminaux. Sa musique est toujours retenue, s'approchant sans cesse du silence. La composition éblouit par les couleurs les plus diverses, qui illuminent subtilement les personnages. Pelléas et Mélisande est une tragédie intérieure, énigmatique, morbide, profondément triste et pleine de beauté. " 
Sandrine Devielhe (Mélisande), Christian Gerhaher (Golaud) et Sophie Koch (Geneviève)

Pas d'évocation des éléments mythiques, tout le symbolisme de la forêt est absent premier acte. Jetske Mijnssen fait se rencontrer Golaud et Mélisande au cours d'un bal, des couples de danseurs en tenues de soirée évoluent au rythme d'une valse lente. Seuls les deux protagonistes sont isolés et finissent par se mettre à converser. La metteuse en scène a voulu mettre en évidence ce qui anime les personnages et qui ils sont. Tant dans le texte que dans la musique, "Maeterlinck et Debussy créent des psychogrammes complexes des individus et de toute leur famille." Des personnages se rencontrent mais se montrent incapables de communiquer. Ils restent une énigme tant pour les autres personnages que pour les spectateurs. Du début à la fin de l'opéra, Mélisande dévie ses réponses aux questions que Golaud lui pose ou n'y répond pas. La représentation est visuellement esthétique, mais la lecture psychodramatique que livre Jetske Mijnssen de l'oeuvre est à la longue lassante, car elle est répétitive et par trop insistante et que le public ne reçoit pas le support de l'image pour illustrer le contenu des dialogues chantés. Quelques scènes sont cependant plus marquantes. Ainsi de la scène oppressante au cours de laquelle Golaud se sert de son fils pour espionner les amours supposées de son épouse : Christian Gerhaher (Golaud) place une chaise sur la longue table et y fait grimper le jeune Hofbauer (Yniold) qu'il presse de ses questions ; l'enfant finira par en descendre aidé de son père auquel il échappe en sautant de la table. Ou encore du tableau final de l'agonie et de la mort de Mélisande, devant le mur gris qui affiche la citation "C'était un pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde..."
 
Le chef Hannu Lintu compare la structure de Pelléas et Mélisande à celle du Wozzeck d'Alban Berg, deux oeuvres qui ont fait entrer l'opéra dans la modernité. Il s'est donné pour tâche d'assembler " la musique très fragmentaire, les nombreux petits gestes musicaux en un tout", d'apporter fluidité et continuité à la partition, de manière à éviter que la soirée ne devienne une suite de numéros. Il s'agit d'unifier en un flux souterrain le kaléidoscope musical de "fantaisie musicale" de la surface. Il en résulte un assemblage musical intelligible et de toute beauté.

Felix Hobauer (Yniold) et Christian Gerhaher (Golaud)

L'opéra est porté par une distribution homogène de la plus belle venue, de laquelle se détache primus inter pares le fabuleux Christian Gerhaher. Son extraordinaire interprétation fait de Golaud le centre de toutes les attentions : il devient le véritable moteur de l'action, reléguant les amours naissantes et bien vite avortées de Pelléas et Mélisande au second plan. Sa diction du français est excellentissime. Le chanteur connaît parfaitement cet opéra dont il interpréta souvent le rôle de Pelléas. L'évolution de sa voix, qui est passée de la structure plus claire du baryton Martin à celle plus sombre du baryton basse, lui permet aujourd'hui d'affronter l'humeur noire de l'irascible et violent Golaud, et de franchir les nombreux obstacles d'un rôle qui exige une incroyable endurance. Pas moins de six grandes scènes dans lesquelles il rend avec un immense talent les nuances de cette personnalité plus que problématique. Sabine Devieilhe incarne avec une grande sensibilité et beaucoup de naturel la mystérieuse et douloureuse mélancolie de Mélisande, cette tristesse aimable qu'elle parvient à imprimer à son chant. Franz-Josef Selig en roi Arkel impressionne par sa basse sonore. Très applaudi, Felix Hofbauer, du Tölzer Knabenchor, tient fort bien sa partie pour un rôle soliste relativement long pour son jeune âge et séduit par ses talents d'acteur. Maillon faible du trio amoureux, Ben Bliss ne parvient pas à suffisamment définir les contours de son Pelléas. 

 Distribution du 17 juillet 2024

Chef d'orchestre Hannu Lintu
Mise en scène Jetske Mijnssen
Décors et costumes  Ben Baur
Lumières Bernd Purkrabek
Chorégraphie Dustin Klein
Chœurs Franz Obermair
Dramaturgie Ariane Bliss

Arkel Franz-Josef Selig
Geneviève Sophie Koch
Pelléas Ben Bliss
Golaud Christian Gerhaher
Mélisande Sabine Devieilhe
Yniold Felix Hofbauer, soliste du Tölzer Knabenchor
Un médecin Martin Snell
Un berger Paweł Horodyski

Crédit photographique © Wilfried Hösl

mardi 16 juillet 2024

Festival d'opéra de Munich — Mikhail Pirogov sauve la mise de la Dame de Pique

Mikhail Pirogov

Le Festival d'opéra munichois a repris pour deux soirées la nouvelle mise en scène de la Dame de pique avec la distribution de février dernier, à l'exception du rôle de Lisa, interprété alors par Asmik Grigorian et aujourd'hui par Lise Davidsen. Quelques heures avant la seconde représentation Brandon Jovanovich qui devait chanter Herman, le rôle masculin principal, fit savoir qu'il était indisposé et n'était pas en mesure de tenir sa partie. On s'imagine le branle-bas de combat qui dut s'ensuivre au sein de l'équipe de la Bayerische Staatsoper. Mozart, Wagner et Strauss soient loués (ce sont les trois dieux lares de la Maison), les zélés organisateurs trouvèrent un remplaçant. To be realistic you have to believe in miracles !  La Bayerische Staatsoper avait gardé un atout dans sa manche en la personne du ténor Mikhail Pirogov.

À quelque chose malheur est bon. La mine du public munichois fut un moment dépitée quand en lieu et place des premières mesures et d'un lever de rideau il vit s'avancer le porte-parole qui lui annonça que les cartes de la soirée avaient été rebattues et qu'un nouveau joueur de pharaon rentrerait en scène.

Mikhail Pirogov est né à Dalakhai, un petit village du district de Tunkin de la république de Bouriatie. Le chanteur a fait ses classes à Oulan-Oudé, la capitale de ce pays frontalier de la Mongolie, avant de suivre celles du Conservatoire Rimsky-Korsakov de Saint-Pétersbourg. Actif depuis 2010 sur les scènes russes, il a fait ses débuts allemands la saison dernière en Calaf à la Deutsche Oper am Rhein et cette saison-ci à la Deutsche Oper Berlin dans le triple rôle de Turiddu, Canio et Luigi. Il était hier matin à Vienne et a fait hier soir des débuts très acclamés au Théâtre national de Munich dans le rôle d'Herman, qu'il avait déjà chanté sur les scènes russes et qu'il reprendra la saison prochaine au Teatro Regio de Turin. Il chante actuellement Andreï dans Mazeppa au festival d'Erl dans le Tyrol autrichien. 

À aucun moment on n'eut l'impression que Mikhail Pirogov n'était entré au débotté dans la production. Son jeu de scène très intense fut en tous points remarquables, il a interprété avec un extraordinaire talent scénique la progression de la  folie hallucinée de ce personnage possédé par le démon du jeu et l'appât du gain. Avec son  ténor vigoureux, profond et expressif, situé entre le dramatique et le lyrique, il s'entend à rendre l'émotion et le pathos désespéré de la tragédie d'Herman, de cet homme sans fortune qui évolue dans un milieu auquel il n'appartient pas et perd tout espoir de bonheur et d'amour à cause de son obsession pour le jeu. 

Lise Davidsen

Beaucoup, qui avaient été enchantés par la Lisa d'Asmik Grigorian, étaient venus voir ou revoir La dame de pique pour entendre la Lisa de Lise Davidsen et ils ne furent pas déçus. Les superlatifs s'accumulent pour célébrer la grande chanteuse norvégienne qui depuis sa consécration lors du prix Operalia 2015 accumule les triomphes sur les scènes mondiales. À cette occasion Placido Domingo avait qualifié sa voix de phénoménale. Elle chante Lisa depuis 2019, avec  une prise de rôle très acclamée à Stuttgart suivie la même année de ses débuts newyorkais dans le même rôle au  MET.  Dotée d'une puissance vocale et de moyens extraordinaires, Lise Davidsen n'en abuse jamais. Aucune recherche d'effets faciles, mais une voix toute au service de l'authenticité dans l'expression des émotions, celles de la sincérité d'un amour qui lui fait abandonner les honneurs et la richesse que lui promettent ses fiançailles et qui l'amène à prendre tous les risques, celles de la détresse de plus en plus marquée et de la fidélité dans le déshonneur infligée par un amant si peu aimant et tellement démoniaque. Les montées vers l'aigu de Lise Davidsen sont un chemin parsemé d'étoiles, sa voix est d'une beauté confondante, la tristesse de ses graves rappelle que "La vie est un jeu de cartes dont le cœur n'est jamais l'atout."

*Marcel Achard



Photos Luc-Henri Roger

Le monument funèbre de Simon Mayr dans la basilique Santa Maria Maggiore de Bergame

Le monument funèbre  composé d'un groupe de trois anges en concert est une œuvre d'Innocenzo...