C'est la première fois que pareil fait se produit. Partout, toujours, dans toutes les gares, on a autorisé les journalistes à pénétrer sur le quai pour leur permettre de rendre compte d'une arrivée ou d'un départ important. Est-ce un nouveau système que veut inaugurer la Compagnie de l'Ouest ? ou bien ses représentants ont-ils mal compris et mal interprété les ordres reçus ?
À DREUX
(Dépêche de notre envoyé spécial)
Dreux , 15 mai.
Le corps de la duchesse d'Alençbn, arrivé à neuf heures et demie par train spécial, en même temps que les princes et les princesses de la famille d'Orléans et les personnes invitées aux obsèques, vient d'être inhumé dans la crypte de la chapelle du château de Dreux.
Toute la population de la ville s'était portée vers la gare pour attendre le corps.
Sur le quai un service d'ordre composé des agents de police et des gendarmes de la brigade avait été organisé sous les ordres du capitaine de gendarmerie et du commissaire de police.
Une partie de la salle des bagages avait été transformée en chapelle au moyen de tentures noires frangées d'argent sur lesquelles se détachaient des écussons aux armes de la duchesse.
Dans la cour stationnait un char attelé de six chevaux et six voitures de deuil, destinées aux princesses.
Dans une salle d'attente attendait le clergé de Dreux, ayant à sa tête M. Lègue, vicaire général délégué par l'évêque de Chartres, M. Roussillon, secrétaire général de l'évêché, M. Leroy, curé de Dreux.
À neuf heures et demie le train entre en gare. Le wagon de tête, dans lequel est placé le cercueil, est aussitôt détaché et conduit devant la chapelle où se portent les membres de la famille.
Le corps est descendu en leur présence, reçu par le clergé et transporté sur le char funèbre.
Le cortège se met alors en marche au Imilieu d'une foule immense. Il se dirige sur le château par le boulevard Louis-Terrier, la place Metezeeu, la Grande-Rue, la rue d'Orisson, la rue du Val-Gelé, le rue de Billy et arrive au rond-point situé devant la chapelle.
À la grille se tient l'abbé Rouillon, deuxième aumônier ; il s'avance au devant du corps, suivi du clergé chantant les prières des morts.
Cette cérémonie en plein air est d'un effet saisissant.
DANS L'ÉGLISE
Le cercueil est porté dans l'église par six maîtres de cérémonies et placé dans le catafalque.
Le chœur a été tendu de draperies noires frangées d'argent et parsemées d'étoiles également d'argent. Le sol est entièrement recouvert d'un tapis noir, les chaises et les bancs sont également drapés de noir,
Au milieu de la rotonde qui forme le centre; de la chapelle a été dressé un immense catafalque entouré de lampadaires et de candélabres.
Sur le catafalque repose, sur un coussin de velours, une couronne de duchesse voilée de crêpe.
À droite du catafalque prennent place le duc d'Alençon, le duc de Chartres, le duc de Vendôme, le prince Alphonse de Bavière, le comte de Flandre, le comte d'Eu. A gauche, la duchesse d'Orléans, vêtue d'une robe noire à longue traîne, la tête couverte d'un grand voile qui l'enveloppe entièrement, se place sur un fauteuil qui lui a été réservé en avant des autres sièges ; ses dames d'honneur s'assoient derrière elle ; puis viennent la reine de Naples, la comtesse de Paris, la duchesse de Vendôme, la comtesse de Trani, la comtesse d'Eu.
Les autres princes et princesses de la famille d'Orléans prennent place derrière le catafalque. Les stalles des bas-côtés sont réservées au clergé, au milieu duquel on remarque Mgr Aliès, prélat de la maison du pape, le Père Boulanger, prieur des dominicains de Paris, l'abbé Allin, vicaire de Saint-Philippe-du- Roule.
Dans les tribunes situées à droite et à gauche de la rotonde se placent les invités parmi lesquels se trouvent sir Edmund Monson, ambassadeur d'Angleterre, le comte Wolkenstein Trostburg, ambassadeur d'Autriche, le duc de Mandas, ambassadeur d'Espagne, M. Hans, consul général du Paraguay, 1'un de ceux qui ont aidé à reconnaître le corps de la. duchesse d'Alençon ; le duc de Lorges, le duc de Broglie, le baron Tristan Lambert, M. Buffet, le duc de Sabrim-Pontevès, M. Aubry Vitet, le duc Decazes, le duc de Fezensac, le duc de Luynes, le duc de Rohan, le comte de La Tour-en-Voivre, le comte d'Oilliamson, le duc de la Trémoille, le marquis d'Audiffret-Pasquier, etc.
Une grand'messe, qu'accompagnent l'orgue et la maîtrise, est dite par M. l'abbé Gromard, premier aumônier, puis l'absoute est donnée par M. l'abbé Lègue, vicaire général de Chartres.
DANS LA CRYPTE
Quelques prières sont ensuite dites par le Père Boulanger, prieur des dominicains de Paris, et le corps de la duchesse d'Alençon, précédé de tous les prêtres présents, est descendu dans la crypte où'il est placé dans le deuxième tombeau à droite. Les princes et princesses accompagnent seuls le corps. Après les dernières prières dites par le clergé, le duc d'Alençon vient s'agenouiller devant le tombeau et éclate en-sanglots.
Il prie quelques instants, se relève et jette l'eau bénite.
Le duc de Vendôme s'incline suc le cercueil et l'embrasse, puis tous les princes et princesses, jettent successivement l'eau bénite et remontent dans l'église, d'où ils sortent par la grande porte pour se rendre au château de l'évêché. Le couvercle du tombeau est alors placé et scellé et les invités ainsi que les habitants du pays sont admis à descendre dans la crypte, où de nombreuses personnes viennent s'agenouiller devant le tombeau.
À deux heures quinze, les membres de la famille d'Orléans et les invités reprennent, pour retourner à Paris, le train spécial qui les a amenés.
L'ACTE DE DÉCÈS DE LA DUCHESSE D'ALENÇON
Voici le texte.officiel de l'acte de décès de la duchesse d'Alençon qui a été rédigé seulement le 11 mai, soit sept jours après sa mort:
Préfecture du département de la Seine
Extrait des minutes des Actes de décès du huitième arrondissement. Année 1897.
L'an mil huit cent quatre-vingt-dix-sept, le onze mai, à dix heures du matin, acte de décès de Son Altesse Royale la Princesse Sophie-Charlotte-Auguste, Duchesse en Bavière, Duchesse d'Alençon, âgée de cinquante-sept ans, sans profession, née à Munich (Bavière), décédée rue Jean-Goujon, 19, le quatre mai courant, à cinq heures du soir; et transportée en son domicile, avenue Friedland, 32, fille de Son Altesse Royale le Prince Maximilien, Duc en Bavière, et de Son Altesse Royale la Princesse Louise de Bavière, Duchesse en Bavière, époux décédés. Épouse de Ferdinand-Philippe-Marie d'Orléans, Duc d'Alençon, âgé de cinquante-deux. ans, propriétaire, même domicile,. Dressé, vérification faite du décés par nous, Joseph Sansboeuf, adjoint au maire, officier de l'état civil du huitième arrondissement de Paris, officier de la Légion d'honneur, officier d'Académie. Sur la déclaration d'Albert-Auguste-Marie, comte Gicquel des Touches, âgé de quarante-cinq ans, ancien officier d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 120, et de Antoine-Gaston Doyen, âgé de quarante-trois ans, propriétaire, demeurant à Asnières (Seine), villa Saint-Charles, rue des Couronnes, amis de la défunte, qui ont signé avec nous après lecture.
Signé : comte Gicquel des Touches, Doyen, Sansbœuf.
Il est à remarquer que seule la duchesse d'Alençon porte dans cet acte le qualificatif d'altesse royale. En ce qui concerne le duc d'Alençon, M. Atthalin, procureur de la République, grand maître des actes de l'état civil, a décidé qu'il n'en devait pas être ainsi.
Cette décision est d'ailleurs conforme à celle rendue par le parquet, de Versailles lors de la mort du duc de Nemours, après d'assez longs pourparlers, et à celle relative à la déclaration de naissance de la princesse Amélie, fille du duc et de la duchesse de Vendôme.