jeudi 20 mai 2021

Le ver, la fourmi et l'écureuil, une fable de M. Guérard (1869)

 


LE VER, LA FOURMI ET L'ÉCUREUIL.
FABLE
 
 « Que je vous trouve heureuse, ma voisine ! »
Disait le Ver à la Fourmi;
« Tristement enterré, je ne vis qu'à demi, 
« Rongeant par-ci par-là quelque maigre racine, 
« Trop souvent mutilé par les outils tranchants.
« Vous, au soleil, dans les bois, dans les champs, 
« Sur vos six pieds marchant sans peine, 
« Vous amassez l'été de quoi vivre l'hiver 
« Et ne connaissez pas la gêne. » 

La Fourmi répondit au Ver :  
« Arrêtez-vous, ne vous déplaise. 
« Admettons que je vis à l'aise ; 
« Mais à quel prix ! on peut le voir : 
« En marchant du matin au soir, 
« Par ces maudits brins d'herbe cahotée, 
« Avec mon fardeau culbutée, 
« Bien souvent n'arrivant que le soir sur le seuil
« De la lointaine fourmilière ; 
« Vous ne connaissez pas le sort de l'ouvrière. 
« Ah! parlez-moi de l'Écureuil ! 
« Oui, l'écureuil est une heureuse bête, 
« Qui court toujours, que rien n'arrête, 
« Qui grimpe et qui saute à plaisir 
« Et grignote tout à loisir 
« La châtaigne et la blonde faine... » 

L'Écureuil était sur un chêne. 
Se laissant glisser tout d'un coup : 
« Halte-là ! s'il vous plaît, dit-il, Fourmi, ma mie: 
« Grimper, sauter, c'est une vie 
« A se rompre cent fois le cou ! 
« Puisqu'il voulait nous voir à la cime fragile
« Des arbres, Dieu devait nous faire le cadeau, 
« Au lieu d'une queue inutile, 
« De deux ailes, comme à l'oiseau. »

Chacun regarde au-dessus de sa tête, 
Et toujours on voit une bête 
Qui semble heureuse sans effort 
Et dont nous envions le sort. 
Ce sont des plaintes éternelles ; 
Ainsi le Ver voudrait trotter, 
La Fourmi bondir et sauter, 
Et l'Écureuil avoir des ailes.

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