samedi 31 décembre 2022

Un lararium pompéien à l'exposition munichoise Neues Licht aus Pompeji

 


Le lararium est l'autel privé dans lequel vivaient les dieux de la maison dans les habitations de la Rome antique. On leur offrait régulièrement du vin et de l'encens. Les lararia sont souvent conçus comme de petits sanctuaires. L'autel de la maison de l'atrium de la Casa della Fortuna à Pompéi contenait un ensemble de figures en bronze d'une valeur inhabituelle : les deux statuettes des Lares, la déesse intronisée et la petite lampe en bronze. L'exposition Neues Licht aus Pompeji à la Königsplatz de Munich présente pour la première fois l'ensemble dans son intégralité. La réplique de la niche cultuelle correspond aux dimensions de l'original.

La déesse avec corne d'abondance et bol d'offrande (perdu) trône au-dessus des autres personnages. C'est Fortuna, la déesse de la chance. La statuette a été fondue séparément de son trône et est détachable.

La petite lampe à pied extrêmement finement travaillée est en bronze corinthien précieux. Les lanières des sandales sont perforées et multicolores, les ongles des pieds sont incrustés d'argent. La goutte sur le bracelet brillait autrefois d'un rouge ardent. La lampe était allumée aux premières lueurs lors d'actes sacrificiels. Avec les reflets de la flamme sur la surface métallique réfléchissante des statuettes, la lumière intérieure des divinités apparaissait au premier plan.

Source : texte de présentation du lararium dans l'exposition munichoise






Photos © Luc-Henri Roger


Silvester 2022 im Olympia Park München — 8 Bilder von Marco Pohle









 © Marco Pohle

Surréalité ! La présentation de nouvelles réalités. La collection Klewan au Musée Sigmund Freud de Vienne.

 

Herbert Bayer, The Lonely Metropolitan, 1973 (1936) 
© Bildrecht, Wien 2022

Entièrement rénové en 2020, le Musée Sigmund Freud de la Berggasse, 19 à Vienne présente jusqu'au 10 avril 2023 une exposition présentant 100 œuvres de plus de 50 artistes de la collection Klewan et de nombreux écrits qui mettent en lumière les relations tendues entre le surréalisme et la psychanalyse. 

Les concordances et les différences entre les conceptions surréalistes et psychanalytiques sont mises en évidence dans l'exposition au même titre que que les multiples références de l'avant-garde artistique à la science de l'inconscient de Freud — avec entre autres des œuvres de Herbert Bayer, Hans Bellmer, Victor Brauner, Salvador Dalí, Giorgio de Chirico, Max Ernst, Conroy Maddox, André Masson, Meret Oppenheim, Pablo Picasso, Alberto Savinio, Toyen (Marie Čermínová) et Dorothea Tanning. Cette présentation qui s'intéresse à la complexité complexe du surréalisme dans le lieu même de la naissance de la psychanalyse est rendue possible par le prêt généreux du collectionneur d'art et ancien galeriste Helmut Klewan, et se voit complétée par des pièces choisies d'autres prêteurs.

Victor Brauner, Somnambule, 1940 © Bildrecht, Wien 2022

Surréalisme et psychanalyse

Pour les surréalistes, la surréalité est la réalité essentielle résultant de l'interpénétration du réel ordinaire et du rêve, de l'inconscient. "Je crois à la dissolution future de ces états apparemment si contradictoires du rêve et de la réalité dans une sorte de réalité absolue, si l'on peut s'exprimer ainsi : Surréalité. " - telle est la célèbre profession de foi d'André Breton, consignée dans son Manifeste du surréalisme en 1924.  Plus avant, dans Le Surréalisme et la Peinture, Breton évoquait encore la surréalité : " Tout ce que j'aime, tout ce que je pense et ressens, m'incline à une philosophie particulière de l'immanence d'après laquelle la surréalité serait contenue dans la réalité même. " Breton revendique l'élargissement de l'approche rationnelle des réalités de la vie humaine à l'inconscient ainsi qu'à l'expérience de l'ivresse, de la pulsion et du rêve. En effet, dans les œuvres des surréalistes du milieu des années 1920, les idées de Freud sur les fonctions de " l'appareil psychique" gagnent en importance — surtout les forces qui échappent au contrôle psychique et à la censure.

L'exposition organisée par Monika Pessler et Daniela Finzi explore les influences de la psychanalyse sur le surréalisme, qui s'est servi de ses théories sur les pulsions, les rêves, les décalages et les condensations de manière si variée - parfois aussi au moyen de malentendus productifs.

Un catalogue de l'exposition temporaire est disponible dans la boutique du musée, Berggasse 19, ainsi qu'en ligne. 

Pablo Picasso, Minotaure aveugle guidé par une fillette dans la nuit, 1934 
© Oliver Ottenschläger

Meret Oppenheim, Giacomettis Ohr, 1933–1977
© Bildrecht, Wien 2022






jeudi 29 décembre 2022

Expo Neues Licht aus Pompeji à la Königsplatz — 19 photos de Marco Pohle

  Photos de l'exposition. Les photos de Marco Pohle 


















" Avant de chercher l'homme, on doit avoir trouvé la lanterne. "

Nietzsche


Comment les Romains de l'antiquité s'éclairaient-ils ? Quelles techniques utilisaient-ils pour produire de la lumière artificielle ? Et comment tentaient-ils d'expliquer le phénomène même de la lumière et l'acte de voir ? Quelle étaient leurs approches scientifiques, technologiques mais aussi philosophiques de la vision ? Ces questions sont au coeur de la nouvelle exposition  des Collections nationales d'antiquité de Munich. 

L'exposition "Neues Licht aus Pompeji"  aborde la question de ce que nous ne pouvons plus voir : la lumière des temps passés.  L'exposition se penche sur la lumière artificielle dans le monde romain, une lumière que les gens avaient créée pour continuer à vivre une fois la nuit venue ou dans les endroits non éclairés par la lumière du jour. Les objets exposés proviennent de Pompéi, car il s'agit de la ville de l'Antiquité gréco-romaine qui a conservé le plus d'outils d'éclairage différents :  le terrible cataclysme de l'éruption du Vésuve en 79 de notre ère avait provoqué le tragique ensevelissement de la ville, une catastrophe apocalyptique dont le seul bénéfice fut de permettre la conservation d'un nombre considérable d'objets utilisés pour les besoins de la vie quotidienne.

180 objets originaux en bronze ont voyagé jusqu'à Munich depuis les villes proches du Vésuve : des lampes à huile, des candélabres, des pieds de lampe ainsi que des torches et des porte-lampes figuratifs. De nombreux objets proviennent des réserves du Musée archéologique national de Naples, dont certains n'ont plus été exposés depuis le 19e siècle, d'autres le sont pour la première fois. C'est à la doctoresse Ruth Bielfeldt, professeure à  l'Université Ludwig-Maximilian de Munich, que l'on doit le projet de recherche "Nouvelle lumière de Pompéi", un projet archéologique interdisciplinaire dont les découvertes sont présentées pour la première fois au public. De nombreuses pièces ont été restaurées spécialement pour cette exposition. 

L'éclairage, forme culturelle de technologie essentielle à la formation des communautés humaines, fournit une clé pour une nouvelle compréhension de la vie dans la Rome antique. Les banquets, la religion, la magie, le sexe, le travail intellectuel, toutes ces activités ont besoin de lumière. L'exposition nous invite à nous plonger dans la nuit romaine, révélant la maison romaine comme un lieu de semi-obscurité, tout en éclairant l'histoire visuelle et conceptuelle de l'ombre.

La citation de Friedrich Nietzsche en épigraphe est basée sur une anecdote concernant le philosophe antique Diogène de Sinope : lorsque le cynique se rendit au marché un matin, il emporta une lampe allumée. Lorsqu'on lui demanda pourquoi il portait une lanterne en plein jour, il répondit : " Je cherche l'homme ". Cette perspective anthropologique de la lumière en tant que moyen de communalité sert de fil conducteur à l'exposition, dont l'intention est d'attirer continuellement l'attention sur le fait que le monde antique nous est à la fois familier et étranger. 

Des lampes créées par le célèbre concepteur d'éclairage munichois Ingo Maurer sont intercalées dans l'exposition. Poétiques, ludiques, pleines d'esprit mais aussi subversives, ces créations artistiques nous permettent de faire un saut de plus de deux mille ans dans les techniques d'éclairage. L'exposition nous rappelle constamment que l'art se marie avec la technique. La plupart des pièces exposées sont aussi des oeuvres d'art qui nous racontent l'histoire des mentalités. Par exemple, ces lampes à huile dont l'anse est en forme de coq ou d'oie : ces animaux sont associés au réveil ou à la vigilance ; ou cette lampe à huile dont le réflecteur est une chauve-souris aux ailes déployées, un animal nocturne qui sait se diriger dans l'obscurité. 

Un exposition fascinante qui peut se visiter du mardi au dimanche aux Antikensammlungen de la Königsplatz jusqu'au 2 avril 2023. Un catalogue (en allemand) est en vente pour le prix de 30 euros à la caisse du musée ou au prix de 35 euros en librairie.

À noter que l'affichage explicatif est uniquement en allemand. Les textes traduits en anglais s'empruntent à la caisse du musée.
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Cliquer ici pour plus de renseignements : 

L'arbore di Diana de Martín y Soler au Kammeroper du MusikTheater an der Wien

Verónica Cangemi (Diana), Gyula Raab (Silvio), 
Christoph Filler (Doristo), Jan Petryka (Endimione)

L’Arbore di Diana est une oeuvre composée dans la Vienne de Joseph II par Vicente Martín y Soler. Le livret de  ce dramma giocoso en deux actes créé à Vienne le 1er octobre 1787  a été écrit pat Lorenzo Da Ponte, qui le rédigea parallèlement au Don Giovanni de Mozart. Alors qu´il était occupé à la rédaction de ces deux livrets, le librettiste, aussi génial que rapide, en adaptait encore un troisième pour Salieri, comme il le relate dans ses mémoires :

« C'est ainsi qu'entre le vin de Tokay, le tabac de Séville, la sonnette sur ma table et la belle Allemande semblable à la plus jeune des muses, j'écrivis la première nuit pour Mozart les deux premières scènes de Don Juan, deux actes de L'Arbre de Diane, et plus de la moitié du premier acte de Tarar, titre que je changeai en celui d'Assur. Dans la matinée, je portai ce travail à mes trois compositeurs, qui n'en pouvaient croire leurs yeux. En soixante-trois jours, Don Juan et L'Arbre de Diane étaient terminés, et j'avais composé plus des deux tiers de l'opéra d'Assur. L'Arbre de Diane fut représenté le premier : il reçut un accueil égal à celui de La Cosa rara. » *

L´histoire, qui est un plaidoyer en forme de farce pour la sensualité et la liberté amoureuse, en est pour le moins coquine: elle met en scène le combat entre l´amour physique, représenté par Cupidon/Amore, et la chasteté, qui est l'apanage de la déesse Diane.  Dans les jardins de Diane se trouve  un arbre magique dont les fruits s’illuminent et font entendre de douces musiques quand les nymphes qui passent à proximité sont chastes, mais noircissent et tombent si elles ont succombé aux délices de la chair. Cupidon pointe ses flèches vers les compagnes de Diane, les nymphes, qui tombent en amour les unes après les autres, et parvient même à dégeler la chaste déesse de la chasse. Diane, par précaution, ordonne alors de couper l’arbre. Ses  jardins se transforment alors en Palais de l’Amour.

La première de ce nouveau spectacle de l'ère de Stefan Herheim a eu lieu début décembre. La mise en scène a été confiée à Rafael R. Villalobos, qu'on a parfois surnommé le nouvel Almodovar et qui a également conçu les costumes.  Rubén Dubrovsky, qui avait déjà dirigé l'opéra à Valencia, est au pupitre du Kammeroper. 

Rafael R. Villalobos a transposé l'action à l'époque contemporaine, dans les toilettes peu ragoûtantes d'un lycée ou d'une école supérieure de garçons, des toilettes qui servent aussi de vestiaire. L'école quelque peu huppée semble avoir un règlement fort strict, elle exige notamment que les étudiants portent l'uniforme : débardeur de laine grise à liseré bleu portant l'écusson de l'école, pantalon gris, chemise blanche et cravate grise à rayures jaune orangé. Les portes des trois toilettes avec des w.-c. dont la chasse fonctionne battent fréquemment et on y découvre des choses bien étranges. Le lieu accueille aussi des casiers individuels et des lavabos. Les nymphes sont devenues des femmes de ménage habillées de tabliers gris très moches. Diana, souvent appelée Cinzia, est à la fois professeure, directrice et surveillante générale de l'établissement scolaire.

On ne manque pas de s'interroger sur ce décor très provocateur et d'en chercher la clé de lecture. Est-ce là le "giardin delizioso" qu'évoque le livret de Da Ponte, un hiatus qui fait bien rire lorsque mots sont chantés en début d'opéra ? (Heureusement les odeurs fleuries du livret n'ont pas été transposées et l'élément olfactif si prégnant des toilettes scolaires nous est épargné.) Rafael Villalobos explique que dans le cadre rigide d'une école les toilettes sont pour les étudiants un lieu de refuge et de transgression des interdits. Les étudiants peuvent venir s'y enfermer pour sangloter leurs détresses et leur frustrations dont l'expression publique est tacitement interdite par les codes sociaux ou pour laisser libre cours à leur libido : masturbations solitaires ou collectives, flirt ou sexe avec les femmes de ménage ou les camarades de classe. On y vient aussi pour fumer des cigarettes ou un joint, ou encore, pour une nymphe désobéissante, pour y faire un test de grossesse qui s'avère positif. Le parallèle avec les interdits imposés par la déesse de la chasse et de la chasteté est bien vite évident. Cinzia elle-même, sanglée dans un tailleur strict, vient à l'occasion y fumer une cigarette, ce qui montre d'emblée que la déesse n'est pas sans faille.

La fin du 18ème siècle avait connu certaines formes de libération sexuelle que les opéras de Mozart et les oeuvres des dramaturges ou des romanciers français avaient exprimées : refus du droit de cuissage, êtres androgynes volages, transgression des frontières entre castes sociales, pratiques sado-masochistes et autres liaisons dangereuses. Da Ponte, dans L'arbore de Diana avait pu échapper aux foudres de la censure parce que son sujet était mythologique. Joseph II avait entamé des réformes libérales audacieuses et avait notamment osé fermer 400 couvents de nonnes déclarées inutiles à la société, ce qui ne concernait pas les couvents qui se consacraient aux soins aux malades et aux nécessiteux ou à l'éducation. Vienne était alors une des capitales les plus libres de l'Europe. 

Maayan Licht (Amore) et Guyla Rab (Silvio)

La mise en scène de Rafael Villalobos évoque la libération sexuelle actuelle, celle des homosexualités, des personnes transgenre, de de la bi- et de l'intersexualité. Le livret de Da Ponte oppose sexe et chasteté et fait triompher le premier. Sur la scène du Kammeroper le sexe est évoqué sous bien des formes : masturbations effrénées, sexe de groupe, cunnilingus lesbien, fessée, pénétration anale, scène de violence d'un homophobe intériorisé tabassant celui qui vient de le satisfaire. La composition la plus réussie est celle du personnage d'Amore dont le sexe ne se peut déterminer, vêtu d'une jupe à la coupe écossaise, chaussettes roses, cheveux de jais de rocker coiffés à la houppe et moustache. Eros intersexuel, à voile et à vapeur, qui séduit un colosse homophobe, Eros doué d'ubiquité, qui s'enferme dans une toilette pour ressortir d'une autre, Eros triomphant de Cinzia qui tombe éperdument amoureuse d'Endimione. Amore archer donc l'arc et les flèches finiront par vaincre  ceux  de Diane, qui dans la mise en scène a d'ailleurs troqué son arc contre un balai serpillère bien adapté au lieu de l'action. 

Les décors d'Emanuele Sinisi sont aussi réussis qu'ingénieux : les toilettes d'école, curieusement communicantes, couvertes de graffitis obscènes et dans lesquelles des étudiants ont placardé un poster au slogan anti-raciste et féministe "I met God, she's black" que viendra arracher la déesse, ces toilettes que l'on verra un moment tête-bêche, le pot renversé accroché au plafond, et qui peuvent s'escamoter entièrement pour dévoiler une salle de classe dans laquelle la professeure-déesse écrit sur le tableau vert "Così fan tutti !" d'un coup de craie rageur ou, à la fin de l'opéra pour représenter le jardin de Diana dont l'arbre a été abattu et transformé en palais de l'amour, une pièce tendue de fines guirlandes argentées comme on peut les voir dans les cabarets de travestis.

L'excellent Bach Consort Wien avec ses instruments d'époque est placé sous la direction du très dynamique Rubén Dubrovsky  avec Gianni Fabbrini au pianoforte, placé à gauche de la scène, un instrument qu'il maîtrise à la perfection, ce qui se remarque sans peine dans ses excellents accompagnements des récitatifs, qui posent souvent une question à laquelle répond l'aria qui les suit. Dubrovsky a tenu à disposer d'un orchestre complet, tel que l'avait préconisé Martín y Soler, et cela malgré l'exiguïté de la fosse : il n'a voulu faire l'économie d'aucun instrument car la composition demande constamment des combinaisons d'instruments à vent par paires. La musique du compositeur de Valence ravit l'âme et les sens, avec sa légèreté aérienne, sa gaieté, son ironie incisive et ses exagérations dramatiques.

Verónica Cangemi 

L'Argentine Verónica Cangemi, une spécialiste du répertoire ancien, allie la virtuosité vocale à un jeu de scène époustouflant. On peut se demander si sa Diana est véritablement une déesse, car le texte de Lorenzo Da Ponte souligne qu'elle "se sent être une déesse", et montre bien qu'elle n'a pas les terribles pouvoirs de la déesse de la mythologie. Verónica Cangemi réussit une composition théâtrale très drôle dans l'expression du  passage progressif d'une personnalité sévère et rigide à l'amoureuse éperdue qui finit par céder aux charmes d'Endimione. L'autre star de la soirée est le contre-ténor israélien Maayan Licht dans le rôle d'Amore. Il donne un Amore combatif, incisif, parfois violent et compose de manière remarquable et avec une drôlerie inénarrable son personnage androgyne, une voix magnifique de sopraniste qui lance sans peine apparente des coloratures des plus réussies. Les trois bergers, ici des étudiants qui tentent de se débarrasser des liens qui les entravent imposés par la déesse, — que symbolisent leurs cravates, — sont fort bien interprétés par  la basse imposante de Christoph Filler, les ténors  Jan Petryka (Endimione), et Gyula Rab (Silvio)  séduit par Amore qu'il finit par tabasser après avoir consommé l'acte, pour plus tard s'en repentir. Les trois nymphes sont heureusement interprétées par Jerilyn Chou, Arielle Jeon et Bernarda Klinar.

La salle est comble et le public, ravi de la musique et de la mise en scène, s'amuse beaucoup  à cette nouvelle lecture de la bonne farce érotique qu'est le dramma giocoso de Vicente Martín y Soler. 

Distribution de la représentation du 27 décembre 2022

Direction musicale Rubén Dubrovsky
Mise en scène et costumes Rafael R. Villalobos
Décors Emanuele Sinisi
Lumières Franz Tscheck
Dramaturgie Kai Weßler

Diana Verónica Cangemi
Amor Maayan Licht
Britomarte Jerilyn Chou
Clizia Arielle Jeon
Cloé Bernarda Klinar
Silvio Gyula Rab
Endimione Jan Petryka
Doristo Christoph Filler
 
Bach Consort Vienne

* Extrait des Mémoires de Lorenzo Da Ponte, librettiste de Mozart, Le Temps retrouvé, Mercure de France.

Crédit photographique © Herwig Prammer

mardi 27 décembre 2022

Un Rosenkavalier viennois avec une distribution luxueuse pour les fêtes de fin d'année

Sophie Vera-Lotte Boecker et Kate Lindsey

Le Rosenkavalier de l'Opéra d'État de Vienne dans la  mise en scène d'Otto Schenk, les décors de Rudolf Heinrich et les costumes d'Erni Kniepert fut pour la première fois représenté en 1968 et va bientôt connaître sa quatre centième représentation. Cette mise en scène qu'on n'a plus à présenter a surtout l'avantage d'être efficace et de coller au livret, elle séduit par son côté nostalgique et a cet aspect confortable des choses bien connues. On retrouve donc avec plaisir le luxe de la somptueuse chambre rococo olivâtre et marron glacé de la maréchale avec son lit à baldaquin de velours vert, son mobilier dix-huitième  et son magnifique plafond  en coquille, le palais Faninal plus pompeux avec ses grands escaliers et ses balustrades que décorent des putti bien dodus, et la sombre atmosphère de l'auberge misérable en sous-sol dans laquelle la fausse Mariandel donne rendez-vous au baron Ochs pour le confondre. On vient pour la musique de Strauss, pour l'orchestre et les interprètes, la distribution est aussi luxueuse que le décor et l'orchestre qui en 2019 fêtait la millième représentation viennoise du Chevalier à la Rose déploie les ors ciselés de la somptueuse musique de Strauss sous la direction précise, différenciée et toute en puissance de Philippe Jordan, dont on se souviendra qu'il avait donné en 2020 une nouvelle étude musicale de l'oeuvre, dont il fait briller les couleurs sans donner dans l'emphase.

La distribution a connu un changement de dernière minute pour le petit rôle du chanteur italien que devait interpréter rien moins que Juan Diego Flórez présent à Vienne pour la Fille du Régiment et qui la veille avait assuré le rôle de Tonio alors qu'il était déjà souffrant. Il a été magnifiquement remplacé par le jeune ténor Angel Romero, surtout actif sur les scènes américaines. Une voix dorée pour quatre minutes magiques. 

La Maréchale — Krassimira Stoyanova

Krassimira Stoyanova a dévoilé avec une science musicale accomplie la palette complexe des sentiments et des émotions de la Maréchale, une femme souveraine et magnanime qui domine sa souffrance en l'adoucissant avec une légèreté toute viennoise. Günther Groissböck donne une composition intéressante  du baron Ochs,  moins vulgaire et caricaturale que celle qu'on en présente d'habitude. On est loin des Ochs énormes et ventripotents : Groissböck lui prête sa carrure athlétique pour en faire un prédateur incorrigible à la lubricité hypersexuée auquel le frêle Octavian parviendra à tendre un piège efficace. Son intéressante interprétation lyrique qui donne davantage dans la nuance que dans l'effet facile apporte une nouvelle dimension au personnage. Ces deux chanteurs avaient déjà interprété leurs rôles de concert dans la production salzbourgeoise de 2014. Adrian Eröd, dont on a pu apprécier la veille l'excellent Sulpice, donne un Faninal convaincant. Le rôle titre du chevalier à la rose est interprété par Kate Lindsey qui avait déjà chanté Octavian à Glyndebourne en 2018. Son premier acte est un peu décevant, fort léger, parfois noyé par l'orchestre et forcé face à la puissance vocale de Krassimira Stoyanova. Kate Lindsey gagne ensuite en assurance et séduit par la fraîcheur de son interprétation.  Membre de la troupe de l'opéra, Vera-Lotte Boecker, que le magazine Opernwelt a consacrée comme chanteuse de l'année 2022 et qui a reçu cette même année le prix  autrichien de la musique dans la catégorie jeunes chanteurs, séduit d'emblée par son caractère juvénile, la puissance et la clarté de sa voix bien projetée, l'extrême qualité de son élocution et un remarquable jeu de scène. Une soirée passionnante et remplie d'émotions musicales, avec un final d'anthologie.

Baron Ochs auf Lerchenau — Günther Groissböck

Distribution de la représentation du 26 décembre 2022

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Otto Schenk
Décors Rudolf Heinrich
Costumes Erni Kniepert

La maréchale Krassimira Stoyanova
Baron Ochs auf Lerchenau Günther Groissböck
Octavian Kate Lindsey
Seigneur de Faninal Adrian Eröd
Sophie Vera-Lotte Boecker
Un chanteur Angel Romero
Leitmetzerin Régine Hangler
Valzacchi Thomas Ebenstein
Annina Monika Bohinec
Commissaire de police Wolfgang Bankl
Concierge chez Faninal Hiroshi Amako
Notaire Marcus Pelz
Modiste Miriam Kutrowatz
Hôte Daniel Jenz

Crédit photographique © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

lundi 26 décembre 2022

Michele Spotti fait sa Joyeuse Entrée à l'Opéra de Vienne dans la Fille du Régiment

Si la mise en scène date de 2007 et n'a pas pris une ride, le Wiener Staatsoper, qui a repris La Fille du Régiment pour les fêtes de fin d'année, nous l'offre renouvelée avec deux débuts, celui du chef Michele Spotti et de l'actrice Marianne Nentwich, et quatre prises de rôle à Vienne : la Marie de Pretty Yende, la marquise de Berkenfield de Stephanie Houtzeel, la duchesse de Crakentorp de Marianne Nentwich et le sergent Sulpice d'Adrian Eröd. 

Michele Spotti @ Marco Borrelli

Le jeune maestro Michele Spotti, — il n'a que 29 ans, — est en passe de devenir la coqueluche des plus grands opéras du monde. Il est un des chefs les plus demandés de sa génération et vient d'arriver à l'Opéra de Vienne pour y diriger la Fille du Régiment de Donizetti dont la première représentation de la saison a été organisée le jour de Noël. Michele Spotti ressent ses débuts viennois comme son cadeau de Noël et se dit impressionné de venir diriger un des plus grands orchestres du monde. L'émotion est grande de monter au pupitre d'où ont dirigé Mahler, Kleiber ou Karajan, pour ne citer qu'eux. Michele Spotti est, depuis sa Fille de Régiment au Festival de Bergame de l'an dernier, déjà considéré comme une référence pour la musique romantique belcantiste de Donizetti. À Bergame, le maestro avait disposé de tout un mois pour entraîner l'orchestre. À Vienne, où la mise en scène de Laurent Pelly est au répertoire depuis 15 ans, il n'a disposé que de dix jours. Mais l'orchestre viennois, parfaitement aguerri dans cette musique, s'est très vite ouvert à la vision du chef et l'osmose s'est rapidement installée. Outre son expertise donizettienne, Michele Spotti disposait d'un atout majeur, il avait déjà travaillé avec Juan Diego Flórez et Pretty Yende, les deux principaux interprètes de la soirée, qui ont tous deux une longue pratique de leurs rôles respectifs. Tonio et Marie. L'alchimie a parfaitement fonctionné entre le chef, l'orchestre et les chanteurs. Michele Spotti a ouvert son merveilleux cadeau aux oreilles attentives du public et a voulu tout aussitôt le partager en en communiquant l'or philosophal à la salle conquise et enchantée. Ce lui fut une très Joyeuse Entrée.

Adrian Eröd (Sulpice) et le choeur

Coproduite avec Covent Garden et le MET, la mise en scène de Laurent Pelly est bien connue et fait les belles soirées de New York, Londres et Vienne depuis 2007. On ne se lasse pas d'y assister car elle est réglée comme du papier à musique ou plutôt comme du papier cartographique puisque les cartes constituent le décor du premier acte et le support de la grande salle du château de Berkenfield en deuxième partie. Les décors de Chantal Thomas étonnent et amusent toujours autant avec leurs astuces tendres ou humoristiques de descentes d'une carte postale de la première guerre mondiale, d'une carte de France, d'une carte encore représentant un coq tricolore. Laurent Pelly qui conçoit toujours aussi les costumes des opéras qu'il met en scène a déplacé l'action des guerres napoléoniennes à la guerre de 14-18, mais quel que soit le moment de l'action, ce sont des guerres d'opérette où les soldats ne meurent pas au combat et s'ils sont blessés guérissent bien vite de leurs blessures. L'humour et la farce sont toujours de la partie, les déplacements du choeur brillamment chorégraphiés par Laura Scozzi, avec des arrêts sur tableaux très commedia dell'arte. L'importante partie théâtrale de l'oeuvre n'est pas en reste : le comique de situation est très travaillé, les dialogues fusent pour la plus grande joie des spectateurs. À Vienne, le problème de la langue est résolu par les petits moniteurs individuels multilingues qui permettent au public international de suivre l'opéra en traduction. 

Juan Diego Flórez

Sur le plan théâtral, l'opéra de Vienne a invité une grande actrice à la carrière extraordinaire pour interpréter le rôle de la duchesse de Crakentorp: Marianne Nentwich, qui porte allègrement ses 80 ans, a fait en ce soir de la Nativité ses débuts au Wiener Staatsoper. Célébrée par le public viennois depuis 1964, elle a donné 120 premières théâtrales et a joué dans 40 films. On imagine le bonheur et l'émotion qu'ont les autochtones de la retrouver drôle, dynamique, énergétique et impérative comme le veut le rôle sur la scène du grand opéra. Autre cadeau de la soirée, pour le public cette fois, celui que lui a fait Juan Diego Flórez, qui, enroué, a tenu à  assurer la représentation malgré un mal de gorge allant en s'aggravant. L'annonce en a été faite avant le lever du rideau et le chanteur a reçu le soutien du public reconnaissant. Ce fut le fait d'un très grand chanteur connaissant parfaitement ses possibilités de savoir doser ses effets et modérer ses éclats, et, dans le cas d'espèce, de trouver le bon équilibre. Il fut le héros de la soirée, emportant la faveur du public avec la chaleur enrobante de son timbre si beau et si particulier, sa maîtrise technique incomparable du passaggio qui lui permet de défiler les contre-ut du grand air  " Ah ! mes amis, quel jour de fête ! " Pretty Yende, pleine de vie, fougueuse, — ici joyeuse et pétillante d'allégresse, là malheureuse et désespérée mais rebelle,  — semble vivre à fond son rôle, toujours proche de l'instant présent, avec cette grande spontanéité qui fait sa force. Ce rôle, qu'elle commença de chanter à la Maestranza, est une de ses meilleures cartes de visite, même si elle n'est sans doute pas une égérie de l'école de chant français. Elle amuse beaucoup en chantant faux alors que sa tante la force á s'exercer au chant de salon. La mezzo allemande Stephanie Houtzeel, qui fait partie de la troupe de l'Opéra de Vienne depuis 2010, incarne avec beaucoup de finesse psychologique et d'humour le rôle de la marquise de Berkenfield, tante prétendue mais en fait mère de Marie, une femme coincée dans le respect des valeurs traditionnelles de sa caste et qui veut faire de sa fille une dame, mais qui finira par rendre les armes et à céder au charme et au coeur débordant de son impétueuse fille. Le baryton autrichien Adrian Eröd, lui aussi membre de la troupe de l'opéra, enfant chéri du public viennois, est aussi à l'aise dans le répertoire wagnérien (Beckmesser dans les nouveaux Meistersinger viennois) que dans le répertoire belcantiste. Le rôle du sergent Sulpice, "père" en chef de Marie au sein de la troupe de ses pères, lui convient comme un gant. Il joue  à merveille les faux durs sensibles et les pères attentifs, une prise de rôle des plus réussies ! Enfin Marcus Pelz amuse beaucoup dans le rôle bien rôdé d'Hortensius. Last but not least, les choeurs, qui animent constamment l'action, sont exceptionnels et, fait remarquable, se signalent par la qualité de leur élocution française. Leurs déplacements synchrones et toujours bon enfant et un peu caricaturaux, sont au coeur de la mise en scène.

L'Opéra de Vienne était en fête en ce jour de Noël avec une abondance de cadeaux opératiques pour un public ravi, enchanté et reconnaissant.

Pretty Yende et le choeur

Représentation du 25 décembre 2022

Direction d'orchestre Michele Spotti
Mise en scène et costumes Laurent Pelly
Scène Chantal Thomas
Lumière Joël Adam
Chorégraphie Laura Scozzi
Version dialoguée Agathe Mélinand
Marie, jeune marquise Pretty Yende
Tonio, jeune paysan Juan Diego Flórez
Marquise de Berkenfield Stéphanie Houtzeel
Sulpice, sergent Adrian Eröd
Duchesse de Crakentorp Marianne Nentwich
Hortensius Marcus Pelz

Crédit photographique © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

La Sylphide dans la version de Pierre Lacotte au Ballet d'État de Bavière — Quatrième partie

Maria Taglioni (1804-84) in  La Sylphide, Souvenir d'Adieu  (6 lithographies d'Alfred-Édouard Chalon, 1845) Nous poursuivons notre e...