jeudi 16 mars 2023

Mayerling au théâtre des Ambassadeurs en 1930 — Avec un extrait du texte de Claude Anet.

Dans son édition du 1er novembre 1930, l'hebdomadaire parisien Ric et Rac rendait compte de la pièce Mayerling que Claude Anet, auteur du célèbre roman homonyme, avait portée à la scène. La pièce fut jouée au théâtre des Ambassadeurs


M CLAUDE ANET vient d'écrire un des livres les plus émouvants, les plus lucides, les plus passionnants sur ce drame, demeurant si mystérieux, de Mayerling, où dans son pavillon de chasse, Rodolphe, archiduc d'Autriche, fils unique de l'empereur François-Joseph, trouva la mort avec celle qu'il aimait, la jeune, la poétique baronne Versera.
Était-ce un crime ? Était-ce un suicide ? Longtemps encore on discutera sur cette tragédie : mais M. Claude Anet penche pour le suicide. 
Et en lisant son livre, nous éprouvons toujours du plaisir à lui donner raison. Mais alors, ne nous trouvons-nous pas en présence d'un des plus beaux romans d'amour qui fut, si la thèse de notre écrivain est la plus certaine? Quel héros, que ce beau prince, doué de toutes les séductions, galant homme, fier cavalier, qui, dans, un grand mouvement passionné, renonçant à tous les honneurs, à tous ]es privilèges, préféra plutôt que de quitter, par raison d'Etat, sa belle et touchante amie, s'unit à jamais avec elle dans la mort. Drame magnifique et qui a pour cadre cette cour d'Autriche à la fois luxueuse et familière, aimable et rigoriste : aussi quelle atmosphère entoure cette histoire de sang et d'amour ! 
Ne s'imposait-elle pas par un milieu étincelant, par son action, comme un beau sujet théâtral ?

M. Claude Anet, écrivain de cette « Mademoiselle Bourrat » qui eut un si grand retentissement, a bien pressenti, en homme de métier, qu'une telle aventure méritait d'être portée à la scène. On lui doit cette pièce tout animée d'un beau lyrisme, et qui méritait le succès du livre. Elle est brillante et pittoresque, remplie de belles scènes et si tout l'appareil dramatique ralentit un peu l'action, du moins avons-nous entendu une œuvre bien écrite et qui a l'attrait d'un noble et douloureux roman.

Elle est très bien en scène et fut remarquablement jouée par Mme Louise Lagrange qui a une vive sensibilité et une délicatesse charmante ; par M. Charles Boyer, un des acteurs les plus intéressants et les plus intelligents de sa génération, au talent fait de réflexions et de dons, et l'on applaudit avec Mme Paule Andral et MM. Alerme et Arvel toute une excellente troupe.

Jean BARREYRE.

Une scène inédite de  Mayerling

On vient de présenter au prince Rodolphe, Archiduc d'Autriche, une belle jeune fille, Marie Vetsera. Bientôt, il l'aimera si passionnément qu'il préférera mourir avec elle que de l'abandonner.'

MARIE. — Quel ton autoritaire, Monseigneur, c'est un peu effrayant !

RODOLPHE.  — Il y a des moments où cela est nécessaire.

MARIE.  — Maïs cette pauvre comtesse a raison.. si elle rencontrait maman...

RODOLPHE riant — Elle ne rencontrera personne. Loschek l'a conduite dans un salon pas très éloigné où elle aura le temps de se recueillir sans crainte d'être dérangée. C'est une maison très tranquille, ici.

MARIE. — Quel vilain tour vous lui avez joué !

RODOLPHE. — Croyez-vous que je vous aie fait venir jusqu'ici pour ne pas vous voir seule ? 

MARIE. — Pour dire la vérité, je l'espérais bien, mais je ne pensais pas que cela fût possible. Et voilà que sur un mot de vous, nous restons seuls ! Vous êtes tout puissant Monseigneur. Si vous saviez combien il m'a été .difficile d'arriver jusqu'à vous ! Il a fallu que la comtesse vînt me .prendre et maman n'a pu lui refuser de me laisser sortir avec elle. C'est une grande exception qu'elle a faite, car elle m'accompagne toujours.

RODOLPHE. — Vous, n'êtes jamais sortie seule ? 

MARIE.— Jamais. 

RODOLPHE. — Mais quel âge avezvous donc ? 

MARIE. — J'ai dix-sept ans cet automne. 

RODOLPHE. — Dix-sept ans ! une enfant encore !... Vous êtes très jolie !

MARTE-. — Vous êtes trop indulgent, pour moi, Monseigneur...

RODOLPHE. — Et vous avez une voix si fraîche !... Il me semble que je vous ferais venir ici, rien que pour vous écouter parler... Hoyos se moquerait de moi..

MAIRIE. — Je ne comprends pas, Monseigneur...

RODOLPHE. — Ce n'est rien, pardonnez-moi. Mais ne voulez-vous pas enlever votre manteau ? Il fait chaud dans ce salon...

MARIE. — Je n'osais pas vous le demander, j'étouffe. Savez-vous ce que j'ai fait avec la comtesse avant de venir ici ? Posez quatre questions, le, gagnant .aura une discrétion. 

RODOLPHE. — Je sais bien ce que je demanderais mais une seule question me suffira. Vous avez été commander une robe pour me plaire.

MARTE. — Vous n'y êtes pas.

RODOLPHE. — Alors, vous achetiez ce beau chapeau ?

MARIE, riant. — Mais il est vieux, ne le voyez-vous pas, il date de la saison dernière. Seulement j'ai fait remettre des plumes cet automne...

RODOLPHE. — Eh bien si vous n'avez pas été choisir quelque chose pour vous parer, je ne connais plus les femmes. Je renonce à deviner ; je, suis à votre discrétion.

MARTE. — Ah ! Quel bonheur !

RODOLPHE. — Que voulez-vous de moi ? Est-ce donc si difficile que cela ? Les gens qui viennent ici savent à l'avance ce qu'ils désirent obtenir.

MARIE. — Mais moi aussi, je sais ce que je désire. Seulement je n'ose pas le dire. ...

iRODOLPHE. — Vous pouvez demander beaucoup.

MARIE. — Vous me trouverez trop exigeante.

RODOLPHE. — Nous verrons bien... .

MARIE. — Eh bien, voilà, j'aimerais me promener un jour, une heure, avec vous.

RODOLPHE. — Que voulez-vous dire ?

MARIE. — Ici,  c'est bien cérémonieux. Tout me rappelle qui vous êtes, et la grande distance qu'il y a entre vous et moi. Alors, un jour, nous pourrions nous échapper pour aller marcher un peu dans la forêt. Elle est toute voisine de Vienne, cela ne nous prendrait pas beaucoup de temps. Sous les arbres, il n'y a pas d'étiquette, ce serait délicieux.

RODOLPHE. —Et. c'est tout? 

MARIE, inquiète. — J'étais sûre que cela vous déplairait. Monseigneur. Pardonnez-moi de demander tant.

RODOLPHE. — Vous êtes bien sûre que vous n'avez aucune faveur à réclamer ni pour vous, ni pour les vôtres.... 

MARIE. — Non, Monseigneur, non...

RODOLPHE. — Une brève promenade en tête à tête dans la forêt d'hiver, voilà tout ce que vous, attendez du prince impérial ?

MARIE. — C'est beaucoup, je le sais. Excusez-moi.

RODOLPHE. — Vous êtes une enfant délicieuse. Celle promenade, je vous !a promets. Dès que je serai revenu de Budapest, nous irons dans la forêt de Vienne. Mais en attendant, vous me permettrez de. vous faire un cadeau. Cela vous prouvera que j'ai pensé, à vous, avant de vous connaître.

Il va au bureau., ouvre un tiroir et en tire une petite bague.

MARIE, saisie d'étonnement, se lève. — Oh ! que cette bague est belle ! Mais je ne puis l'accepter ! 

RODOLPHE.  —  Avant de la refuser, regardez donc l'inscription qu'elle porte. 

MARIE, regarde à l'intérieur de l'anneau.  — " 12 avril 1888 ". 12 avril 1888, mais c'est le jour, où je vous ai vu pour la première fois aux courses ! Vous m'aviez donc remarquée ? Et vous vous souveniez de la date ?

RODOLPHE. — Vous n'êtes pas la seule à avoir de la mémoire.

MARIE. — Ah ! peut-on être heureuse à ce point! (Elle va à lui et lui prend les mains) Que vous êtes bon ! que je vous... et qui vous a dit que le saphir était ma pierre préférée ?

RODOLPHE. — Je l'ai deviné. Essayez la bague !

(Il la lui passe à l'annuaire de la main gauche)

MARIE. — Elle semble avoir été faite pour moi. 

RODOLPHE. — N'avez-vous pas la plus petite des mains ?

MARIE.  —  Je ne sais comment vous remercier. Une si belle bague. Et la tenir de vous ! II faudra, hélas, que je la cache de maman, je ne pourrai pas la porter le jour, mais chaque soir, je l'aurai à mon doigt quand je me coucherai et quand je demande à Dieu de vous protéger, et ainsi, la nuit, je vous verrai en rêve. 

CLAUDE ANET


Pour découvrir les différentes versions du drame de Mayerling, je vous invite à lire le recueil de textes que j'ai présentés dans  Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).


  Quatrième de couverture

Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)

In Deutschland : Amazon.de, Hugendubel (Portofrei), usw. 


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