Photo par Jebulon (2012)
ELISABETH DE ROUMANIE A ELISABETH D'AUTRICHE *
Le 10 septembre 1901, l'empereur François-Joseph assista, dans l'église des Capucins de Vienne, à un service religieux pour le repos de l'âme de l'impératrice Elisabeth. Puis il descendit dans la crypte pour prier au pied du cercueil de celle qui repose près de la grande Marie-Thérèse, de l'Aiglon et de la victime du drame de Meyerling. L'empereur remarqua une splendide couronne, toute d'edelweiss, sur le ruban de laquelle il lut une dédicace en vers allemands, tracée par la main de Carmen Sylva.**
Voici certaine traduction qu'on nous a communiquée de cet hommage d'une reine à une impératrice. L'objet en est rare et la pensée élevée peut-être paraîtra-t-il digne de curiosité.
UNE POIGNÉE D'EDELWEISS
par CARMEN SYLVA
Vienne, le 3 septembre 1901, en déposant une couronne
sur le cercueil de l'impératrice Elisabeth d'Autriche,
dans la crypte des Capucins.
J'ai recueilli ces fleurs sur les plus hautes cimes,
Près des nuages, sur le bord des noirs abîmes.
J'en veux joncher le sol, à tes pieds fatigués,
Tes pauvres pieds saignants d'avoir tant cheminé,
Sans trêve et sans répit, en l'ardente poursuite
Des mirages lointains qu'un instant met en fuite ;
Du repos,si longtemps rêvé, jamais atteint
Du problème angoissant, insoluble aux humains,
Alors que tu cherchais les sources immortelles,
Les sources d'où provient la lumière éternelle,
Où prend naissance l'éternelle pureté.
Reçois ces fleurs que, par les clairs matins d'été,
Nous offraient les chemins où nous errions naguère,
Nous enivrant d'air pur, de senteurs printanières,
Tandis qu'en ta prunelle un double feu dardait,
Foyer d'où la pensée en rayons jaillissait,
Si lumineux que sur les fleurs toutes pâlies,
Les gouttes de rosée en étaient obscurcies.
Ton pied léger n'était pas seul audacieux
Ton esprit s'élançait d'un bond jusques aux cieux ;
Il pénétrait au gouffre inexploré des causes.
L'au-delà, rempli d'ombre, et le pourquoi des choses
Tentaient son vol hardi pareil au froid cristal,
Il reflétait l'azur du monde sidéral.
Le poids du diadème, sur ta tête exquise,
Pour la faire pencher, n'avait pas eu de prise;
Mais sur ton front royal le flot des lourds cheveux
Tressait l'autre couronne, invisible à nos yeux,
Couronne faite de tourments et de souffrance.
Les grandeurs de la terre et la toute-puissance
T'empourpraient de rougeurs de honte et de mépris :
Ton seul désir, ton seul idéal fut l'esprit
Tu voulais, toi qui fus la plus belle des femmes,
Ne vivre, pur esprit, que par l'esprit et l'âme.
L'esprit seul te donnait la révélation
De l'énigme cruelle et sans solution
L'énigme de la mort, le secret de la vie,
Et pourquoi la douleur, et la haine et l'envie.
Ton cœur inassouvi repoussait, toujours las,
Comme un calice amer, toute joie ici-bas.
Puis, dans le grand silence et la nuit étoilée,
Ta plume te disait sa confidence ailée
Et te guidait, par des sentiers mystérieux,
Vers les temples sereins où trônent, radieux,
Les héros de l'esprit. Ton génie eut pour frères
Tous ceux dont la pensée a parlé, libre, altière.
Et je viens, ô ma sœur auguste, t'apporter
Et d'une main pieuse à ton chevet poser
La morne fleur éclose aux flancs des noirs Carpathes
Reçois-la c'est l'hommage attendri que j'ai hâte
D'offrir à ta fatigue, à ton épuisement,
À ton repos enfin gagné si chèrement !
Laisse-la te parler tout bas, comme on soupire,
De ceux que ton exempte aux fiers sommets attire,
De ceux dont les pieds sont, comme les tiens, meurtris,
Éternels chemineaux des champs de l'infini.
Traduit par Jean de Linche — Slatinéano.
* Article publié par le Journal des débats en septembre 1901
** Hommage littéraire. En 1901, le roi et la reine de Roumanie, à peine arrivés à Vienne, s'étaient rendus directement de la gare au caveau des capucins, où reposent les restes mortels de l'impératrice Elisabeth. Sur le tombeau impérial le couple royal a déposé une couronne en edelweiss des Carpathes, sur les rubans de laquelle était calligraphiée une pièce de vers de Carmen Sylva composée pour la circonstance.
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