jeudi 31 mars 2022

Le Lac des Cygnes de Ray Barra au coeur du Festival du ballet au Théâtre national de Munich


    La semaine du Festival du ballet bat son plein à Munich où le Théâtre national affiche complet, après deux années de restrictions imposées par la pandémie. Si le port du masque et la présentation de justificatifs de vaccination ou de guérison restent de rigueur, la jauge a été récemment supprimée et c'est  un public enthousiaste qui se pressait hier soir aux portillons, avec un bémol cependant : l'annonce juste avant la représentation de changements dans la distribution dus aux maladies ou aux blessures, en raison desquelles les pirouettes des fameux 32 fouettés ne purent être exécutées. Mais la déception de l'annonce fit vite place à des applaudissements nourris en cours de représentation.
    Le Lac des Cygnes est considéré comme le ballet classique et romantique par excellence. Comme il n'a, en ce qui concerne sa livraison, ni texte chorégraphique fixe ni une structure dramaturgique claire, c'est vers la production de Saint-Pétersbourg de Marius Petipa et Lev Ivanov de 1895 que s'orientent la plupart des chorégraphes et c'est cette version qui continue d'influencer les nouvelles productions jusqu'à aujourd'hui. La représentation d'un groupe de danseurs en tutus, plumes de cygne et pointes est indissociable de pratiquement toutes les versions du Lac des cygnes.
    Avant d'avoir été chorégraphe, Ray Barra fut un célèbre danseur qui interpréta le Prince Siegfried lorsque la version de John Cranko arriva à Munich en 1970. Lorsqu'en 1994/1995 il conçut sa propre version de l'oeuvre, il conserva la magnifique livraison chorégraphique de Lev Ivanov. C'est surtout sa composition du deuxième acte qui marque l'histoire du ballet, car elle anticipe ce qu'il est convenu d'appeler  le ballet abstrait au XXe siècle. La situation psychologique de départ, qu'il a présentée dans la tradition de John Cranko et de Rudolf Noureev, est déterminante : le prince Siegfried est un jeune homme instable, qui n'a pas l'intention de se plier aux exigences politiques et sociales que lui impose sa position. Il s'échappe dans des mondes de rêve où les cygnes, sa bien-aimée Odette, son double maléfique Odile et le magicien von Rotbart deviennent pour lui des personnages réels, qui finissent par causer sa mort. 

L'intrigue

    L'action commence dans une cour royale, de style prussien, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le prince Siegfried est sur le point de monter sur le trône et doit se marier. Sa mère, la reine, qui a toujours déterminé le cours de sa vie et qui prétend savoir ce qui convient à son fils et à la famille royale, veut lui imposer l'épouse de son choix. Mais Siegfried, jeune homme rêveur et émotif, préférerait de loin se consacrer à la littérature plutôt qu'à la politique. Il traverse depuis quelque temps une crise, se sent écartelé entre des sentiments contradictoires, tiraillé entre l'accomplissement de son devoir et ses préférences. Il ne peut pas et ne veut pas supporter plus longtemps la pression croissante que les exigences de sa mère et de sa fonction exercent sur lui. Le joug maternel lui est insupportable et il se retire de plus en plus de la réalité pour se plonger dans des fantaisies peuplées de personnages de littérature et de contes de fées.
    Lors du prologue, le prince rêve qu'il évolue dans le monde légendaire du lac des cygnes. Il assiste horrifié à la scène au cours de laquelle le magicien von Rotbart jette un sort à une jeune fille, Odette, pour la transformer en cygne.
    Le 1er acte se déroule le jour des fiançailles officielles, qui doivent être célébrées avec faste à la cour. Une garden-party est organisée le matin dans le parc du château. Les amis de Siegfried sont arrivés, une atmosphère joyeuse et insouciante règne : ils dansent, rient et conversent. Siegfried, seul, est assis, plongé dans ses pensées. Ses amis, particulièrement Benno, tentent de lui remonter le moral et de le distraire. Alors que la garden-party bat son plein, la Reine entre avec son entourage et des invités de haut rang venus de partout en Europe assister au bal des fiançailles. Elle présente Charlotte, la promise de Siegfried, à son fils. Lorsque Siegfried signale à sa mère qu'il n'est pas satisfait de son choix, elle marque une fois de plus sa volonté implacable de sceller ses fiançailles. Mais dès la première danse, Siegfried fait comprendre à Charlotte qu'elle ne peut gagner son cœur. Le Prince, profondément affecté par l'apparition de sa mère, désorienté, sombre dans la dépression. C'est dans un état de confusion totale qu'il croit être conduit au bord d'un lac par le magicien von Rotbart, C'est là qu'Odette, la reine des cygnes, lui apparaît avec son entourage. Odette lui fait comprendre que seul l'amour peut la libérer de son emprisonnement en tant que cygne. Siegfried tombe amoureux d'elle et lui jure une fidélité éternelle.
    Le 2e acte commence par le grand bal organisé pour célébrer les fiançailles du prince Siegfried, où se retrouvent toute la cour, la reine mère, et sa nombreuse parentèle. Les invités présentent des danses de leur pays d'origine. Enfin, alors que tous sauf Siegfried sont à table, une belle femme vêtue de noir lui apparaît, Odile, qui entre dans la salle avec ses compagnes et un homme impérieux à ses côtés. Dans le délire de Siegfried, elle devient un cygne noir qui a l'apparence d'Odette. Subjugué, il suit celle qu'il croit  être Odile dans une danse séduisante et lui jure fidélité. C'est alors, mais trop tard, qu'il reconnaît soudain qu'il a trahi  Odette et qu'il l'a perdue à jamais.
  Au lac, Odette, en pleurs, attend son bien-aimé infidèle. Une fois de plus, Siegfried déclare désespérément son amour et supplie Odette de lui pardonner. Elle lui pardonne, mais tout est déjà perdu. La magie de von Rotbart aspire Odette hors de l'emprise de Siegfried. Siegfried est comme happé par l'illusion, il la suit et se noie dans le lac. La Reine Mère retrouve son fils mort. Elle ne sait pas ce qui l'a poussé dans l'eau, ni dans quelles circonstances il a trouvé la mort.

António Casalinho (Benno), étoile montante du Bayerisches Staatsballett
Une photo de Marie-Laure Briane

    Presque trente ans après sa création, la chorégraphie de Ray Barra et les beaux décors de John Macfarlane continuent de séduire et cette reprise est la bienvenue, même si dans l'ensemble elle paraît souvent manquer d'élan. L'orchestre déploie les ors de la musique de Tchaikosvski, sous la direction éclairée de Tom Seligman, un chef dont l'expertise de la musique de ballet est bien connue, notamment à Munich où il fit ses brillants débuts lors de la saison 2018-2019 avec Alice’s Adventures in Wonderland de Christopher Wheeldon. Le rôle du prince Siegfried interprétée par Jinhao Zhang est difficile, car il reste longtemps un rôle de composition peu dansé dont l'expression corporelle du tourment psychique dans lequel le prince est plongé constitue la part principale. Ce n'est que dans la seconde partie que Jinhao Zang peut se dégager de la raideur tourmentée que la chorégraphie lui impose pour se donner à son talent et en faire la démonstration dans de brillants manèges. Le rôle de Benno, le compagnon du prince, est bien plus débridé : le portugais António Casalinho, un jeune prodige de la danse , en donne une interprétation étourdissante, avec des sauts d'une technicité et d'une pureté de ligne prodigieuses, sans doute la prestation la plus enthousiasmante de la soirée dans ce rôle de bravoure saisissant. Emilio Pavan donne une interprétation stylée de Rotbart, un autre rôle quelque peu contenu dont la conception chorégraphique ne paraît pas permettre au danseur de donner la pleine mesure de son art. Charlotte est un rôle inventé par Ray Barra, celui d'une jeune fille humiliée, aux espérances déçues, dont Maria Baranova parvient à souligner la délicatesse outragée. Ksenia Ryzhkova, dont c'est la cinquième saison dans la Maison, réussit l'exploit de reprendre au pied levé le double rôle d'Odette et d'Odile, sans toutefois parvenir à relever pleinement le défi très schizophrène de cette double interprétation qui oscille entre l'extrême douceur des arabesques et du défi à la pesanteur d'une Odette légérissime et diaphane et la vigueur fouettée plus abrupte d'une Odile qui n'est jamais que la créature de Rotbart, un démon aux apparences angéliques dont les 32 fouettés auraient dû démontrer la puissance dominatrice. Pour tenter de relever ce challenge, Ksenia Ryzkhova a bénéficié du soutien inconditionnel du public. Chapeau bas à cette grande danseuse ! Le corps de ballet fait un travail admirable. Les grands classiques du Lac des Cygnes emportent tous les suffrages, ainsi de l'adorable "pas de quatre" des quatre petits cygnes enlacés, où l'accord entre la vivacité élastique de l'allegretto de Tchaikovski et l'impeccable énumération de pas des danseuses est proprement miraculeux. Les 23 cygnes aux jupes nuageuses et duvetées et aux corsages, la musique exquise, les soli et les ensembles, les grandes variations ou les adages élégiaques alternent ou se combinent pour ravir l'œil et l'oreille et donner de grands moments de poésie au spectacle. 

Prochaines représentations : les 28 mai, 1er et 4 juin au Théâtre national de Munich

Crédit photos © Bayerisches Staatsballett

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